lundi 27 février 2017

De quoi frissonner...

Photo Salon.com / AP

Trump ne jouera jamais dans les mêmes ligues qu'Hitler, parce que la démocratie américaine de 2017 a de plus profondes racines que la république allemande en 1933... Le président des États-Unis a des pouvoirs considérables qu'il peut exercer seul, mais il doit aussi composer avec un congrès élu, une presse plus combative qu'avant et une Constitution coulée dans le béton...

La question se pose cependant. Si Donald Trump avait devant lui les fragiles institutions de la République de Weimar, jusqu'où ses impulsions dictatoriales le mèneraient-il? Permettez-moi un frisson de terreur quand on constate certaines similitudes entre les premiers mois du régime hitlérien et le début de l'administration Trump...

1* Les relations avec la presse

Allemagne, 1933. Dès la prise du pouvoir en janvier 1933, le ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, et ses collaborateurs «se chargent de recevoir les journalistes à qui ils présentent la version officielle de l'actualité». Ceux qui n'écrivent pas la vérité selon Hitler «sont accusés de trahir les intérêts de la patrie» et en subissent les conséquences. Les journaux d'opposition sont d'ailleurs bannis dès le 2 février 1933...

États-Unis, 2017. Donald Trump déclare la guerre aux médias qu'il n'aime pas ou qui le contestent, les accusant de propager de fausses informations (fake news) et leur proposant, par ses propagandistes, des faits de rechange (alternative facts). Ces jours-ci, il a haussé le ton en les déclarant «ennemis des Américains», ajoutant que «nous allons nous en occuper» (we're going to do something about it)... Prochaine étape?

2* La chasse aux indésirables

Allemagne, 1933. S'il frappa durement d'abord l'opposition (les communistes et les socialistes), Hitler ne perdit guère de temps à cibler ceux qu'il persécuterait jusqu'aux camps de la mort. Des lois anti-juives furent adoptées (des décrets, de fait, puisque Hitler avait réduit le Parlement au silence) et des dizaines (centaines?) de milliers de «chemises brunes» ont commencé à traquer les Juifs et autres indésirables indignes de côtoyer la race aryenne... d'abord pour les chasser, puis, plus tard, pour les tuer.

États-Unis, 2017. Trump, utilisant ses pouvoirs exécutifs, ordonne l'expulsion de millions d'immigrants sans papier (mexicains et autres) et s'apprête à engager ses propres «chemises brunes» (environ 15 000 agents d'immigration) pour les arrêter et les interner avant de les expulser manu militari du pays (throw them the hell out of our country). Dans plusieurs États, des citoyens aménagent déjà des cachettes dans leur maison pour héberger les traqués et les protéger des «chemises brunes» de Trump, Bannon et compagnie.

3* Les dépenses militaires

Allemagne, 1933. La première grande décision financière d'Hitler fut d'investir massivement en armement.... «Hitler fit comprendre que les dépenses militaires devaient avoir la priorité absolue»... Il ne perdit guère de temps à entraîner dans son sillage les grands chefs d'entreprise avides de profits...

États-Unis, 2017. À l'approche de son premier budget, Donald Trump annonce une hausse «dramatique» des dépenses liées à la défense, y compris une augmentation de l'arsenal nucléaire. Les 54 milliards $ additionnels seront arrachés aux budgets de l'aide étrangère, des programmes sociaux et des agences environnementales...

4* L'assainissement...

Allemagne, 1933. Hitler détestait la démocratie et ses institutions. «Ce qui est pourri dans l'État doit être éliminé», lance-t-il dans les semaines suivant la prise du pouvoir.

États-Unis, 2017. Donald Trump projette constamment l'image d'un gouvernement fédéral corrompu au service d'élites cupides... D'où son slogan «drain the swamp» - vider le marécage... Éliminer ce qui lui apparaît pourri...

5* Un «chef» plutôt qu'un président ou un chancelier...

Allemagne, 1933. Dès son élection, Hitler ne se présente plus comme un chef de parti, mais comme un chef charismatique national investi «d'une mission unique et auquel les masses prêtaient des qualités héroïques, presque messianiques»...

États-Unis, 2017. Dans son discours d'assermentation, Donald Trump se présente non pas comme le candidat des Républicains, mais comme le leader d'un «mouvement». Son narcissisme quasi maladif aidant, il se sent lui aussi investi d'une mission assez unique...

6* L'évaluation des foules

Allemagne, 1933. Le 30 janvier, date de l'accession d'Hitler au poste de chancelier, le propagandiste du nouveau régime, Goebbels, prétendit qu'un million d'Allemands avaient participé à un vaste défilé aux flambeaux. Même la presse nazie n'osa dire plus de 500 000, tandis que l'ambassade de Grande-Bretagne compta un maximum de 50 000 personnes...

États-Unis, 2017. Les photos montraient une foule bien plus clairsemée à l'inauguration de Donald Trump qu'à celle de Barack Obama, quatre ans plus tôt. Le propagandiste de Trump, Sean Spicer, avança le chiffre de 1,5 million de personnes. La preuve photographique indique un achalandage bien moins élevé qu'Obama en 2013 (Cette foule avait été estimée à 1 million)... Trump a bien sûr attaqué les médias et fait savoir qu'il s'agissait de la plus importance foule de l'histoire à une inauguration présidentielle... Alternative facts...

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Je veux bien croire que les contrepoids américains sauront résister davantage à Trump que ceux des Allemands des années trente... mais l'image de 15 000 «chemises brunes» trumpiennes à l'assaut de millions d'immigrants sans papier, hommes, femmes et enfants... des milliards de plus en armements pendant que l'on sacrifie les pauvres et l'environnement... des forces présidentielles ténébreuses en train de «s'occuper» des «ennemis du peuple» dans les salles des nouvelles... Y'a de quoi frissonner...



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citations tirées du livre «Hitler», d'Ian Kershaw, Flammarion, 2008.

mardi 21 février 2017

Une claque en pleine face...


La nouvelle a fait le tour du pays, et vite à part ça... Quand un Anglo-Québécois est obligé d'entendre une réponse en français, du premier ministre fédéral par surcroit, après avoir posé une question en anglais, on est en émoi de l'Atlantique du Pacifique... Et quand, une fois la poussière retombée, Justin Trudeau expédie une lettre de regrets officiels aux anglophones lésés, les manchettes redoublent... Écorcher les oreilles d'un Anglo ainsi, y'a nettement matière à excuses...

L'incident s'était passé à Sherbrooke, le 18 janvier, et dans les rapports publiés le soir même et le lendemain, on mentionnait en fin de texte, en passant, que Justin Trudeau avait, quelques jours auparavant (le 10 ou le 13 janvier), répondu en anglais à une question posée en français, dans la ville ontarienne de Peterborough... Si cette affaire a fait la Une quelque part, tant dans les médias électroniques que dans les journaux, qu'on m'en informe... Quand ça concerne les francophones hors-Québec, c'est comme d'habitude: l'indifférence à peu près générale, teintée au Canada anglais d'un mélange d'irritation et de sourde colère...

Toujours est-il que les deux organismes représentant les Anglo-Québécois (Québec Community Groups Network) et les Franco-Ontariens (L'Assemblée de la francophonie de l'Ontario) ont élevé une protestation commune et adressé ensemble un appel au premier ministre Trudeau, pour lui rappeler «qu'il doit respecter les droits linguistiques» des uns et des autres... Sous le titre «M. Trudeau, répondez-nous dans notre langue s'il-vous-plaît!», la missive a été expédiée le 20 janvier.

Entre-temps, le Commissariat aux langues officielles, même en l'absence d'un Commissaire, avait annoncé qu'il enquêterait sur les deux incidents, celui de Sherbrooke et celui de Peterborough...

Or, voilà qu'on apprend hier, dans les médias de langue française et de langue anglaise, que le premier ministre s'est officiellement excusé auprès des Anglo-Québécois. Même le magazine Macleans, toujours au poste quand il s'agit d'égratigner le Québec français, en a fait un gros titre....

Comme je n'avais pas vu de horde médiatique équivalente pour le pauvre francophone de Peterborough, je me suis dit que j'avais peut-être cherché avec mes yeux d'homme (expression préférée de mon épouse). Alors je tente toutes les combinaisons imaginables de mots clefs pour dénicher le texte sur les excuses du premier ministre aux Franco-Ontariens... et ne trouve rien.

Heureusement il y a Twitter... Je lance LA question qui semble, pour le moment, sans réponse. «Trudeau a-t-il envoyé une lettre d'excuses pour avoir répondu en anglais à un francophone de Peterborough?», en y ajoutant l'adresse Twitter de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (@MonAssemblee) et celle de la Fédération des communautés francophones et acadiennes (@fcfacanada).

La réponse n'a pas tardé. En début d'après-midi, le compte de l'organisme parapluie des Franco-Ontariens (MonAssemblee) m'adresse le message suivant: «À ce jour, nous n'avons rien reçu.» L'organisme a expédié une réponse similaire à la FCFA et à Martin Normand (@M_Normand), un chercheur post-doctoral spécialiste de la francophonie hors-Québec.

Dire que cet oubli me surprend serait mentir. Les minorités canadiennes-françaises et acadiennes ont toujours été les laissés-pour-compte de la Confédération, et leur sort laisse à peu près tout le monde indifférent, même au Québec. Persécutées pendant les 100 premières années de la Confédération, elles arrachent à coups de pioche et de tribunaux des morceaux de droit qui ont été offerts sur un plateau d'argent, en surabondance, aux Anglo-Québécois depuis 1867.

Alors, que le premier ministre pense aux Anglos du Québec d'abord (sait-on jamais, peut-être finira-t-il par s'excuser aussi auprès des Franco-Ontariens - mieux vaut tard que jamais) constitue la règle depuis 150 ans. Même dans les premiers textes constitutionnels (l'AANB), les Anglo-Québécois étaient la seule minorité protégée, blindée. Mais c'est enrageant tout de même d'être traités si souvent comme des citoyens de second ordre...

Et le plus enrageant, c'est le silence (relatif) des médias, qui accordent la priorité à l'incident de Sherbrooke et relèguent aux derniers paragraphes le rappel d'un épisode similaire à Peterborough, impliquant un francophone cette fois... Nos médias de langue française ne font pas leur boulot dans de telles situations et même Le Devoir, depuis un an, semble se retirer de plus en plus à une distance prudente des grands débats identitaires...

Y'a-tu quéqu'in qui va chialer officiellement? Ou si on va encore une fois jouer aux ti-pitous? Présentement à Toronto et à Ottawa, se déroulent d'intenses débats sur l'islamophobie. Avec raison. Il faut combattre les préjugés et les actes et propos haineux partout. Mais pendant ce temps, nous sommes aux prises depuis 150 ans avec une francophobie tantôt latente, tantôt agressive, d'un océan à l'autre, et cela ne semble pas déranger grand monde ailleurs dans ce pays...

Si effectivement le bureau du premier ministre ne s'est pas excusé aux Franco-Ontariens, nous avons tous reçu, Québécois inclus, une claque en pleine face. Prêts à tourner l'autre joue? Ou...

lundi 20 février 2017

Francophone... un mot galvaudé...

«Francophone»... Tous, toutes en connaissent le sens? Pas si sûr. Pour le moment, la première définition du Larousse suffira. Elle est précise, et courte:

«francophone
adjectif et nom
* qui parle le français.»

Et voilà. Le mot clef, ici, est «parle». Pas «écrit», mais bien «parle». Franco«phone».

Ça n'existe pas, un journal francophone. C'est un journal français, ou un journal de langue française. Jadis, quand La Presse était un vrai quotidien papier, imprimé, on pouvait lire sous l'en-tête: «Le plus grand quotidien français d'Amérique». Les seuls livres francophones sont ceux qu'on écoute. Ceux qu'on regarde, format papier ou sur écran, sont des livres français, ou de langue française. Il s'ensuit qu'une librairie ne peut, elle non plus, être francophone...

Il en va de même pour les écoles, les collèges et les universités, ainsi que leurs programmes, départements et facultés. Le mot francophone est inopportun. Ce n'est pas parce qu'on y enseigne en français que la bâtisse ou le cours est francophone. Et l'institution peut fort bien abriter des administrateurs, profs et étudiants allophones ou anglophones qui s'instruisent en français ou qui apprennent le français. De toute façon, une école ne «parle» pas.

La radio et la télé peuvent être qualifiées de francophones parce qu'elles véhiculent un langage parlé aux auditeurs et auditrices. On dira un chanteur ou une chanteuse francophone au besoin, mais leurs chansons sont françaises. On pourra toujours varier, dans certaines régions, en utilisant un adjectif qui inclut la territorialité et la langue. Par exemple, une chanson franco-ontarienne, ou une école franco-ontarienne, ou une université acadienne...

Le mot francophone, à n'en pas douter, est de plus en plus galvaudé. On a même entendu des horreurs comme la langue francophone et la culture francophone... Il faut dire la langue et la culture françaises... Encore une fois, on peut introduire la notion de territorialité: la culture wallonne, la culture québécoise. On peut aussi utiliser francophone pour décrire un pays, un État ou une région où les habitants parlent, en proportion appréciable, le français.

L'omniprésence, excessive, du mot «francophone» est tout de même relativement récente, du moins au Québec et dans les collectivités canadiennes-françaises et acadiennes des autres provinces. On peut situer son élan avec l'arrivée de Pierre Elliott Trudeau et l'adoption de la Loi sur les langues officielles en 1969, suivies d'une consécration constitutionnelle après la nuit des longs couteaux et l'adoption de la Charte canadienne de 1982 (sans le Québec)...

Engagé dans sa stratégie de multiculturalisme et de droits individuels (surtout pas collectifs), Ottawa a entrepris d'intervenir pour éliminer dans la mesure du possible les identités collectives et les remplacer par des identités individuelles. Ainsi on préférera «francophone» à Canadien français, ou Acadien, ou Québécois, ou Franco-Ontarien, etc...

L'historien Michel Bock, de l'Université d'Ottawa, a étudié le phénomène dans un livre intitulé Comment un peuple perd son nom, publié aux Éditions Prise de parole en 2001. Il aborde la question dans son chapitre sur les subventions fédérales (fin années 60 début années 70) aux organismes représentant les minorités canadiennes-françaises (en particulier les Franco-Ontariens) et acadiennes hors-Québec:

«Le cadre idéologique dans lequel s'inscrivait cette intervention de l'État fédéral était porteur d'un nouveau paradigme qui cherchait à réaménager de fond en comble le discours identitaire des minorités françaises, voire du Canada français. Dès lors, les Canadiens français ne devaient plus se considérer que comme des francophones», note-t-il... Sept ou huit millions d'individus francophones d'un océan à l'autre, sans identité collective... Les Trudeau-Chrétien aimaient ça...

Ce n'est pas un hasard si, au début des années 1970, le mot «francophone» a supplanté les appellations «franco-ontarienne» et «canadienne-française» dans les journaux communautaires de Sudbury, que l'historien Michel Bock avait recensés... Et ce n'est pas un hasard si l'Association canadienne-française d'Ottawa est devenue l'Association des communautés francophones d'Ottawa... et que l'Association canadienne-française de l'Ontario est devenue l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario...

Une identité fondée uniquement sur le fait de pouvoir parler et écrire le français n'augure rien de bon pour l'avenir. Sans y ajouter l'appartenance à un peuple, un territoire, une histoire et une culture qui font de cette masse d'atomes francophones une communauté, une collectivité, encore mieux une nation, surtout dans notre contexte nord-américain anglo-dominant, on risque de passer en quelques générations de «francophones» à «bilingues» à «anglophones»...

Une suggestion... On pourrait commencer par employer le mot francophone avec un peu plus de parcimonie, et recourir plus souvent, quand le sens l'exige, à «français», ou à l'expression «de langue française», ou aux adjectifs identitaires qui englobent la francité d'une collectivité, d'un peuple ou d'un territoire. Pour qu'un jour, «francophone» et «québécois» soient réellement synonymes dans un pays où le français sera et restera la langue commune. Pour le moment, on semble s'éloigner de cet objectif, plutôt que de s'en approcher...







jeudi 16 février 2017

Discrimination vestimentaire? Couillard dérape!

Caricature de Bado dans Le Droit, 16 février 2017

Ras-le-bol! Avec Philippe Couillard, décortiquer nos valeurs identitaires, que dis-je, notre identité tout court, finit toujours par ressembler à quelque chose comme la xénophobie. À l'entendre, nos interrogations sont inévitablement dirigées contre «les autres»... On en vient presque à se taire, de peur d'être accusé de «souffler sur les braises de l'intolérance»... Mais comme jai la conviction qu'il agisse ainsi à cause d'une perception de rentabilité politique, bien plus que par un engagement viscéral, et que d'éminents adversaires lui donnent régulièrement la réplique, ça peut s'endurer...

Mais cette semaine, après la déclaration vire-capot de Charles Taylor, qui semblait attendre depuis trois ans (dixit Fatima Houda-Pepin) le moment propice pour rayer sa signature du rapport Bouchard-Taylor, quand j'ai entendu le premier ministre affirmer que son parti était opposé à la «discrimination vestimentaire», c'en était trop! Interdire le port de signes religieux à certaines figures de l'État en position d'autorité (de coercition?) constituerait de la «discrimination vestimentaire»? Non mais il a du culot. Il est effronté!

Charles Taylor dérape lui aussi, établissant un lien de cause à effet entre la tuerie à la mosquée de Québec et son intervention en faveur du port de signes religieux au sein de l'État. Un lien que le gouvernement actuel utilisera de façon très officielle. Je suis pacifiste absolu, j'ai horreur de la violence, d'où qu'elle provienne, le geste lâche de l'assassin de Québec m'a mis les tripes en bouillie, j'ai ressenti toute la solidarité qu'on peut puiser aux confins de l'âme pour les victimes et leurs proches, mais par tous les saints qu'on m'avait jadis appris à invoquer, nos débats identitaires - qui durent depuis plus de 250 ans - n'ont rien à voir avec la xénophobie ou le racisme!

Si quelqu'un a été victime de xénophobie ou de racisme depuis des siècles, c'est bien «nous», ce nous jadis canadien-français et maintenant québécois, autrefois bâti sur des valeurs chrétiennes dont on a conservé quelques élans d'entraide et la solidarité, ce nous d'origine française métissé au fil des siècles avec les Autochtones, puis avec des Écossais, des Irlandais, des Anglais et bien d'autres, enrichissant toujours la mixture sans diluer cette essence qui fit de nous une «nation», cette nation que les Couillard et Trudeau de ce monde voudraient aujourd'hui fondre à la vitesse grand V dans un multiculturalisme sans âme...

Ces Couillard et Trudeau, toujours prompts à nous intimer de respecter l'identité des «autres», négligent de rappeler le droit d'exiger en retour le respect de notre «nous», désormais en péril... Les nouveaux citoyens venus d'ailleurs ont dans leurs cultures et coutumes des éléments propres à enrichir la nôtre, et nous avons l'obligation d'accueillir cet apport si essentiel à l'évolution nationale. Mais le processus doit en être un d'intégration aux éléments (valeurs?) principaux qui font de «nous» une composante essentielle et unique de la diversité culturelle mondiale: la langue française, notre histoire et notre culture, l'égalité de tous les humains (hommes, femmes de toutes races), la démocratie dans un État neutre et laïc, offrant à tous, toutes, un parapluie commun de droits, de libertés, de responsabilités et de services.

En démocratie, chacun, chacune reste libre de se vêtir comme il, elle le veut dans la sphère privée et sur la place publique. À visage découvert bien sûr, sauf dans les grands froids d'hiver. Libre à tous, toutes de se balader crucifix en main ou croix au cou en s'affichant membres d'un catholicisme qui refuse toujours de laisser la moitié féminine de l'humanité devenir prêtre, évêque, cardinal ou pape. Libre à toutes de porter le voile musulman sous toutes ses formes, manifestation publique de la soumission des femmes à des imams qui les traitent en inférieures. Libre à d'autres de porter kippas, turbans, kirpan, chasuble à l'épicerie, sur les trottoirs, dans les lieux de culte...

En dépit de cette liberté, il arrive à tous, toutes d'être confrontés à des règles vestimentaires. J'ai été expulsé à quelques reprises de la Chambre des Communes, alors que j'étais reporter, pour refus de porter veston et cravate... Dans certains commerces, dans des établissements scolaires, dans les forces armées et policières, sur bien des lieux de travail, des uniformes sont prescrits ou certaines règles vestimentaires doivent être suivies. Cela constitue-t-il de la «discrimination»? Certainement pas au sens où l'insinuent MM. Couillard et Taylor...

L'État et le secteur public, en général, n'imposent pas d'uniformes dans les bureaux administratifs et centres de services. On en trouve cependant dans les hôpitaux, dans les corps de police, les tribunaux, dans les sociétés de transport public. Si une infirmière refusait d'endosser l'uniforme hospitalier, M. Couillard volerait-il à son secours pour cause de discrimination vestimentaire? Bien sûr que non...

Nous voilà donc rendus au port, par des employés de l'État, de signes religieux ostentatoires, quels qu'ils soient, ou (pourquoi pas?) de boutons politiques, de carrés rouges, de médailles d'une cause quelconque, de message antireligieux... Là, tout à coup, selon M. Couillard et ses cohortes, une interdiction ou une limitation constituent un acte de discrimination et une atteinte à la liberté d'expression ou de religion... On n'est pas loin, on devine presque que rôdent tout près des mots comme islamophobie, xénophobie et quelques autres braises...

Le temps est venu de rappeler au premier ministre que toutes les libertés ont des limites, et que certaines ont la priorité. Au nom de la liberté de votre religion, vous n'avez pas le droit d'avoir deux ou quatre épouses. La loi l'interdit. Au nom de la liberté d'expression, vous n'avez pas le droit de proférer des propos haineux ou inciter à la violence. La loi l'interdit.

Alors la question qui se pose est la suivante: interdire le port des signes religieux est clairement une limitation de la liberté de religion et d'expression, mais est-elle justifiée au nom de droits ou valeurs supérieurs, tels l'égalité de tous les citoyens et citoyennes (y compris l'égalité hommes-femmes), le respect et la dignité auxquels tous les citoyens et citoyennes ont droit, ou même la neutralité de l'État?

Voici l'opinion que j'ai publiée durant le débat sur la Charte de Bernard Drainville, à la fin de 2013, Charte que j'ai appuyée sans réserve tout en étant éditorialiste au quotidien Le Droit dans l'empire de Gesca. Ce que j'ai écrit en novembre 2013, je l'écrirais en 2017, sans modifier une virgule:

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«J'ai déjà exprimé l'opinion que l'interdiction de signes religieux ostentatoires pour toute personne au service de l'État constituait une limitation légitime et justifiable de la liberté de religion. Mais au-delà du principe, je trouve qu'on oublie trop souvent que tout droit ou liberté s'accompagne de devoirs et de responsabilités. Le droit de vote s'accompagne du devoir d'aller voter. Et la liberté de religion s'accompagne du devoir de l'exercer sans brimer la liberté des autres, et ce, dans le respect des lois (à condition que ces lois soient légitimes et adoptées dans un cadre démocratique).

«Les personnes qui représentent l'État, c'est-à-dire l'ensemble de la collectivité, et dont le salaire est payé à même les deniers publics, n'ont pas que des droits. Elles ont aussi certaines responsabilités découlant du fait qu'elles incarnent, dans leurs fonctions, l'ensemble des citoyens et l'autorité gouvernementale. Le citoyen qui veut faire son épicerie peut choisir son commerce en fonction de ses goûts et préférences. Mais s'il veut obtenir un service de l'État ou s'il doit communiquer avec un représentant de l'autorité publique, ce libre choix n'existe plus.

«Quand je vais à l'hôpital pour un soin, quand je me présente à un bureau régional d'un ministère, quand je dois m'adresser à un policier, quand je rencontre le directeur d'une école ou un enseignant, je n'ai plus le choix que j'aurais à l'épicerie. La personne que je rencontre est investie d'une autorité que je dois accepter et que lui confèrent nos lois, et son salaire est payé par les taxes et impôts de tous les citoyens. J'ai par contre le droit d'exiger que cette autorité soit exercée de façon à démontrer l'ouverture de l'État à tous les citoyens, peu importe leurs convictions politiques, sociales ou religieuses.

«Si je dois traiter avec Monsieur Untel ou Madame Unetelle pour régler un problème relevant de l'État, je le fais, c'est mon obligation. Mais j'ai le droit d'exiger que cette personne, vu l'autorité qu'elle exerce sur moi au nom de l'État, ne m'impose pas ses propres opinions ou convictions personnelles, tant par ses paroles, ses gestes que par les signes «ostentatoires» qu'elle porte. Qu'elle soit à l'image de l'État. J'a le droit d'exiger que l'État neutre (sur le plan religieux) en ait aussi l'apparence.

«Et à ces personnes qui tiennent mordicus, pour toutes sortes de motifs, à afficher leurs croyances dans leur tenue vestimentaire, je tiens d'abord à leur dire que je crois qu'elles font erreur. La véritable expression d'une foi est dans le comportement et non dans les signes extérieurs qu'on arbore. Mais au-delà de cet élément du débat, je pose la question : est-ce trop demander à une personne qui représente l'État et qui se trouve au service d'un public varié, de toutes confessions, est-ce trop lui demander de laisser ses convictions personnelles à la maison? Non!»

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Les libéraux, tant à Ottawa qu'à Québec, se pavanent sous la bannière d'un multiculturalisme sans forme qui inclut à peu près toutes les identités, sauf la nôtre, apparemment porteuse de xénophobie voire de racisme.... ou pire, de discrimination vestimentaire...

La Charte de 1982 a été assez claire au sujet de notre exclusion, tant sur le plan constitutionnel que sur le plan de nos valeurs collectives.

Aujourd'hui, notre «nous», cette nation que nous avons mis des siècles à façonner, dépérit à vue d'oeil, à coups d'anglais intensif et de réprimandes aux vrais défenseurs du français langue commune et de notre héritage culturel.

Le dernier sondage, indiquant 22% seulement de jeunes en faveur de la souveraineté, est un signal de détresse. Ce n'est pas seulement le mouvement indépendantiste qui se voit menacé, c'est peut-être la nation tout entière, ce «nous» si riche, si précieux, si unique sur cette planète, qui manifeste ses premiers signes majeurs de dépérissement identitaire...

Discrimination vestimentaire... Non mais...

mardi 14 février 2017

Signes religieux: et les responsabilités???

Extrait d'un de mes textes de blogue de l'automne 2013, lors du débat sur la Charte des valeurs de Bernard Drainville, que j'appuyais alors (tout en étant éditorialiste dans le réseau Gesca...) et que j'appuierais encore aujourd'hui. L'argument ci-dessous n'est (presque) jamais évoqué. Quand j'entends Philippe Couillard parler de discrimination vestimentaire, je constate que le cynisme atteint des sommets ahurissants...

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«J'ai déjà exprimé l'opinion que l'interdiction de signes religieux ostentatoires pour toute personne au service de l'État constituait une limitation légitime et justifiable de la liberté de religion. Mais au-delà du principe, je trouve qu'on oublie trop souvent que tout droit ou liberté s'accompagne de devoirs et de responsabilités. Le droit de vote s'accompagne du devoir d'aller voter. Et la liberté de religion s'accompagne du devoir de l'exercer sans brimer la liberté des autres, et ce, dans le respect des lois (à condition que ces lois soient légitimes et adoptées dans un cadre démocratique).

«Les personnes qui représentent l'État, c'est-à-dire l'ensemble de la collectivité, et dont le salaire est payé à même les deniers publics, n'ont pas que des droits. Elles ont aussi certaines responsabilités découlant du fait qu'elles incarnent, dans leurs fonctions, l'ensemble des citoyens et l'autorité gouvernementale. Le citoyen qui veut faire son épicerie peut choisir son commerce en fonction de ses goûts et préférences. Mais s'il veut obtenir un service de l'État ou s'il doit communiquer avec un représentant de l'autorité publique, ce libre choix n'existe plus.

«Quand je vais à l'hôpital pour un soin, quand je me présente à un bureau régional d'un ministère, quand je dois m'adresser à un policier, quand je rencontre le directeur d'une école ou un enseignant, je n'ai plus le choix que j'aurais à l'épicerie. La personne que je rencontre est investie d'une autorité que je dois accepter et que lui confèrent nos lois, et son salaire est payé par les taxes et impôts de tous les citoyens. J'ai par contre le droit d'exiger que cette autorité soit exercée de façon à démontrer l'ouverture de l'État à tous les citoyens, peu importe leurs convictions politiques, sociales ou religieuses.

«Si je dois traiter avec Monsieur Untel ou Madame Unetelle pour régler un problème relevant de l'État, je le fais, c'est mon obligation. Mais j'ai le droit d'exiger que cette personne, vu l'autorité qu'elle exerce sur moi au nom de l'État, ne m'impose pas ses propres opinions ou convictions personnelles, tant par ses paroles, ses gestes que par les signes «ostentatoires» qu'elle porte. Qu'elle soit à l'image de l'État. J'a le droit d'exiger que l'État neutre (sur le plan religieux) en ait aussi l'apparence.

«Et à ces personnes qui tiennent mordicus, pour toutes sortes de motifs, à afficher leurs croyances dans leur tenue vestimentaire, je tiens d'abord à leur dire que je crois qu'elles font erreur. La véritable expression d'une foi est dans le comportement et non dans les signes extérieurs qu'on arbore. Mais au-delà de cet élément du débat, je pose la question : est-ce trop demander à une personne qui représente l'État et qui se trouve au service d'un public varié, de toutes confessions, est-ce trop lui demander de laisser ses convictions personnelles à la maison? Non!»

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Extrait du texte intitulé La Charte, encore la Charte... (lien à ce texte: bit.ly/1dVPMqC), mis en ligne le 10 novembre 2013 dans le cadre du blogue que Twitter ne me permet plus de diffuser...

samedi 11 février 2017

Le français égal à l'anglais, officiellement, à Ottawa? Oh my God...


Bizarre, cet entêtement du maire actuel d'Ottawa, Jim Watson, ne ne pas vouloir reconnaître l'égalité officielle de l'anglais et du français dans la capitale d'un pays officiellement bilingue, capitale par ailleurs située à la frontière biculturelle du pays dans une région où plus de la moitié de la population comprend le français (dont plus du quart des anglophones) et où les francophones forment plus du tiers de la population en comptant l'apport de la ville-soeur, Gatineau...

Aucune raison logique n'est invoquée à l'appui de ce refus perpétuel d'un maire qui se dit pourtant francophile. Il oppose constamment au «bilinguisme officiel» son «bilinguisme fonctionnel» qui répond, croit-il, aux besoins des citoyens anglophones et francophones de cette ville de plus de 900 000 habitants. Je cite le quotidien Le Droit du 26 janvier 2017 (bit.ly/2jViWQ2): «Selon lui (le maire Watson), Ottawa est une ville bilingue. "Nous avons un règlement officiel qui dit que la ville est bilingue", soutient-il.»

Il faut lui donner partiellement raison. Ottawa a bien évolué depuis l'époque où la maire Charlotte Whitton (début des années 60) clamait qu'Ottawa resterait une ville unilingue anglaise pour une quasi-éternité. Mon père était fonctionnaire municipal à Ottawa, et je peux vous assurer, d'expérience personnelle, que les Franco-Ontariens y étaient rarement les bienvenus. Le passé orangiste et francophobe d'une forte proportion des Anglo-Ottaviens s'y manifestait ouvertement...

Aujourd'hui, l'offre de services en français à la municipalité atteint et dépasse parfois les niveaux acceptables. Il existe donc, effectivement, une forme de bilinguisme «fonctionnel», comme l'affirme le maire actuel. Mais on a toujours cette impression que le français est présent seulement quand c'est absolument nécessaire, ou à la suite de pressions publiques ou médiatiques. «L'offre active» en français, pour employer une expression qu'affectionne le Commissaire aux langues officielles, n'est jamais le premier réflexe, ni même le deuxième, dans cette ville...

Dans cette belle capitale soi-disant bilingue, comme par hasard, ce sont toujours les francophones qui se plaignent de services unilingues anglais. En septembre 2016, on faisait état d'un rattrapage à faire dans l'offre d'activités récréatives de la ville (bit.ly/2cHXeLP).  Le mois suivant, on apprenait que 83% des chauffeurs d'autobus étaient incapables de s'exprimer en français (bit.ly/2dZqEKu. Bilinguisme fonctionnel boiteux... Et l'an dernier, quand le «Centre Rideau», le grand mail commercial au coeur de la ville (près du Parlement, très fréquenté par les Franco-Ontariens et Québécois) est devenu le «CF Rideau Centre» (bit.ly/2bGwXkN), on n'a pas vu le conseil municipal monter aux barricades...

Étrangement, tous les sondages officieux et officiels semblent indiquer qu'une majorité de la population régionale (voire du Canada tout entier) favorise le bilinguisme officiel pour la capitale du pays (bit.ly/2dhZXN2). Il y a abondance de francophiles. Mais les élus municipaux restent campés sur la position du maire Watson, et une enquête récente du réseau TFO (bit.ly/2kTsiMU) a découvert que M. le maire était loin d'être isolé au sein de son conseil... Si jamais un vote avait lieu sur cette question, on aurait peut-être droit à des surprises... M. Watson est un vieux routier, il connaît son monde...

On pourrait toujours avancer l'argument que le maire craigne d'éventuelles décisions judiciaires si des francophones, armés d'un statut «officiel» pour le français, décidaient de porter leurs doléances devant les tribunaux. C'est une crainte exagérée, à peine fondée. Dans les plus grandes victoires de francophones hors-Québec (l'hôpital Montfort, la gestion des écoles et des conseils scolaires, etc.), les cours supérieures ne s'appuyaient pas un statut local d'égalité mais sur une interprétation généreuse et élargie de clauses constitutionnelles découlant de la Charte de 1982...

Même au sein de l'appareil fédéral, où l'anglais et le français ont un statut officiel d'égalité, les rapports annuels du Commissaire aux langues officielles sont truffés de plaintes de francophones qui démontrent noir sur blanc que l'égalité officielle ne garantit pas l'égalité réelle... L'ancien Commissaire Keith Spicer affirmait passer 98% de son temps à défendre les francophones...

Alors quoi, que reste-t-il? Pourquoi le maire Watson s'entête-t-il tellement?

Serait-ce ce vieux fond de francophobie très ottavienne, toujours à fleur de peau, héritée de générations passées, de celles qui ont réclamé et soutenu le Règlement 17, qui ont longtemps continué de lancer, à tort et à travers, les appellations «frog» et «speak white», qui ont  froncé les sourcils devant les progrès linguistiques de la francophonie canadienne dans les années 60, qui se sont toujours fait arracher les moindres concessions comme une molaire (certainement pas une dent de sagesse...) chez le chirurgien-dentiste... Ceux pour qui (lisez les pages de commentaires dans les journaux anglais...), ceux pour qui, dis-je, le peuple vaincu de 1759 ne peut, d'aucune façon, être traité officiellement en égal au vainqueur...

Pour encore bien trop d'anglophones de la capitale, cette ville est et restera anglaise, la capitale d'un pays tout aussi anglais (espèrent-ils) où l'on tolère une réserve française (préférablement bilingue) dans la «province» de Québec. Mais hors-Québec, même à Ottawa, capitale d'un pays officiellement bilingue, voisine d'une région très majoritairement francophone du Québec, au coeur d'une des régions les plus francophones de l'Ontario, il est difficile voire impensable, pour plusieurs, de reconnaître à la langue française un statut officiel égal à celui de l'anglais, et d'agir en conséquence dans l'administration municipale.

Ottawa ne respecte même pas sa propre politique de bilinguisme quand ça lui chante. Quand arrêtera-t-on d'embaucher des cadres supérieurs unilingues anglais (bit.ly/1SLTuuh) - en contravention de la politique de bilinguisme actuelle? À chaque fois, le conseil déclare une exemption, mais au rythme où vont les choses, l'exception devient vite la règle... Exiger compétence et connaissance de la langue française, à Ottawa, c'est une culture en terreau infertile.

L'impression qui prend forme, l'avenir le dira, c'est qu'il est viscéralement impossible pour ce maire et pour plusieurs conseillers (combien?) de reconnaître officiellement l'égalité juridique et réelle de la langue française. C'est dans leurs tripes... Il leur faudra toujours conserver, peu importe le nombre de concessions, ce petit quelque chose qui fait que le français reste au moins légèrement inférieur à l'anglais. Ils conserveront, pour les grandes décisions, LE vote prépondérant. Et ce ne sont pas les supplications des thuriféraires du 150e anniversaire de la Confédération ou du mouvement Ottawa bilingue qui les feront changer d'idée...

Peut-être comptent-ils, au fond, avec les taux actuels d'assimilation et la réduction de la proportion de francophones, tant à Ottawa qu'au Canada, que le problème finisse par disparaître...



jeudi 9 février 2017

Avenir du français: éviter les «faits alternatifs»

Récemment, les dénonciations tendancieuses, voire mensongères, du président Trump et/ou de son secrétaire de presse sont devenues des «faits alternatifs»... Cette expression utilisée par Kellyanne Conway, conseillère de Donald Trump, en a fait rire ou grincer plus d'un... Mais à bien y penser, le détournement des faits à des fins partisanes ou idéologiques fait partie de l'environnement socio-politique depuis l'Antiquité... Seul le caractère anormalement grossier des propos de Trump fait apparaître ces «faits alternatifs» comme un phénomène contemporain...

Vous me permettrez de proposer un exemple de ma région, l'Outaouais, pour montrer comment on peut manipuler des «faits alternatifs» pour colorer la réalité. Comme cela arrive fréquemment (on se souviendra du débat sur l'importance des foules à l'intronisation du Trump), les chiffres et les statistiques sont trop souvent les armes de choix dans ces tentatives de désinformation. Ainsi en fut-il quand le gouvernement Couillard annonça, en septembre, l'ouverture éventuelle d'une faculté de médecine à Gatineau sous l'égide de l'Université McGill...

Interrogé sur la langue d'enseignement, Philippe Couillard, fort de son prestige premier-ministériel, affirma que 92% de la formation des futurs médecins en Outaouais se ferait en français. Tous ceux et celles qui appuient le projet tel que présenté ont repris en choeur le slogan «92% en français». Des membres des médias (j'ose m'inclure) étaient à l'affut, heureusement, et l'Université McGill a dû avouer que tous les cours magistraux (the fondamentals of medicine) étaient donnés en anglais seulement pendant les premiers 18 mois. Le reste (les travaux, les stages cliniques, la résidence), c'est le 92% en français... Des «faits alternatifs» au service de l'anglicisation...

Mais s'il y a, entre tous, un domaine où les statistiques sont modelées et tordues au gré des priorités et préférences, c'est bien celui de l'avenir du français au Québec et dans les provinces canadiennes où les francophones sont minoritaires. À chaque nouvelle révélation de Statistique Canada, à chaque recensement, à chaque sondage médiatique, d'aucuns disent blanc, d'autres noir, et encore d'autres 50 nuances de gris... Chacun, chacune invoque les chiffres les plus favorables à son interprétation du dynamisme ou du déclin de la langue et de la culture françaises dans son coin de pays...

Le problème, bien sûr, tient beaucoup à la difficulté de définir qui est véritablement francophone. Doit-on utiliser le critère de la langue maternelle (première langue apprise), de la langue d'usage (la plus utilisée à la maison) ou la récente PLOP (première langue officielle parlée), ou toutes en combinaison? Aucune n'est satisfaisante pour dresser un tableau complet de la situation, et le champ est libre pour une gamme infinie de «faits alternatifs»... Selon le critère choisi, le nombre de Franco-Ontariens peut passer de 600 000 à moins de 300 000...

Heureusement, quelques statisticiens fédéraux ont pu fouiller davantage et en tirer des constats et projections, sans doute contestables eux aussi. Mais pour arriver à leurs conclusions, ils ont tout de même utilisé des données irréprochables, dans lesquelles on peut puiser pour affiner l'image d'une ou de plusieurs collectivités francophones, au Québec et hors-Québec. Je songe à deux documents en particulier, l'un de 2010 sur les Franco-Ontariens*, l'autre, tout récent, de janvier 2017**, contenant des projections linguistiques jusqu'à 2036.

Dans le document de 2017, un tableau capta mon attention: la répartition par âge de la population de langue maternelle française, Canada hors Québec, 1971 et 2011. Depuis longtemps, j'affirme que dans notre contexte anglo-dominant, le bilinguisme collectif (contrairement au bilinguisme individuel enrichissant) est une étape vers l'assimilation. Ce n'est pas facile à comprendre à moins d'avoir vécu dans un milieu où ce phénomène se produit, mais ce tableau nous met en face de la dure réalité.


Dans les provinces à majorité anglophone (sauf rares exceptions au Nouveau-Brunswick et dans l'Est et le Nord ontariens), le taux de bilinguisme des francophones qui ont résisté à l'assimilation frise les 90%. Et l'anglicisation s'accélère depuis les années 50 et 60. Les recensements en attestent. Regardez le graphique ci-dessus. Dans cette demi-pyramide des âges, on voit en 1971 (bleu pâle) la pente d'une collectivité linguistique assez robuste, avec une forte relève dans les catégories de 29 ans et moins. La diminution des effectifs chez les 0 à 4 ans indique peut-être la chute brutale du taux de natalité survenu dans les années soixante...

Comparez avec la demi-pyramide de 2011 (bleu foncé), qui témoigne d'une population francophone vieillissante, et d'une relève fort réduite dans les catégories de 29 ans et moins. En 1971, il y avait 416 000 jeunes francophones hors-Québec dans les neuf provinces et trois territoires à majorité anglophone. En 2011, dans les mêmes catégories d'âge, on en dénombre à peine 216 000... Quand les plus vieux seront morts, dans 30 ou 40 ans, je vous laisse deviner la faiblesse des effectifs. Hors des fortes concentrations ontariennes et acadiennes, ce sera la Louisiane...

Proportion de francophones selon l'utilisation des langues dans divers domaines de la sphère publique et privée, Ontario, 2006 

Évidemment, le critère de la langue maternelle n'est pas une mesure parfaite de la vitalité linguistique. Ni la langue d'usage à la maison. Mais le tableau ci-dessus permet de mieux comprendre le vécu quotidien d'un francophone minoritaire soumis maux pressions extrêmes d'un milieu anglo-dominant. Le tableau décrit la proportion de l'utilisation du français et de l'anglais, par des francophones de l'Ontario, dans divers domaines de la sphère publique et privé en 2006.

Voici ce que l'on apprend. À peine la moitié des Franco-Ontariens utilisent uniquement ou surtout le français à la maison. Avec les amis, c'est un peu plus du tiers... Seulement 20% des francophones travaillent uniquement ou surtout dans leur langue. Même proportion pour la langue employée dans les commerces et institutions. Et à peine 10% des francophones choisissent des médias où le français est la langue exclusive ou dominante. Une situation de bilinguisme collectif où la dynamique linguistique favorise - impose même - l'anglais. Dans la génération suivante, ce sera pire encore...


Parlant de la génération suivante, il est difficile de l'aborder sans évoquer la croissance du nombre et de la proportion des couples exogames (couples où l'un des deux parents n'est pas francophone) chez les Franco-Ontariens, et sans doute ailleurs dans la francophonie hors-Québec à l'exception des régions acadiennes homogènes. Le tableau ci-dessus est intitulé «Pourcentage des enfants de moins de 18 ans vivant au sein d’une famille dont au moins un parent est de langue maternelle française, selon la langue maternelle des parents, Ontario et ses régions, 2006».

Le bleu foncé, c'est la proportion d'enfants qui ont deux parents francophones. Le bleu pâle, un parent francophone et un anglophone. Le rouge, un parent francophone et l'autre, d'une langue différente autre que l'anglais. À l'exception de l'Est ontarien (entre Ottawa et la frontière québécoise), les couples exogames sont partout majoritaires. Le moyenne pour l'ensemble des jeunes Franco-Ontariens est de 68%! Pour plus de deux tiers des Franco-Ontariens de 18 ans et moins en 2006, un seul des parents était de langue française.

Et puis, direz-vous? Le français peut se transmettre tout de même. Très vrai. Mais dans quelle proportion? Selon les auteurs de l'étude de Statistique Canada, «en 2006, les mères de langue maternelle française dont le conjoint est de langue maternelle anglaise avaient transmis le français à leurs enfants dans une proportion de 38% comparativement à seulement 16% des pères de langue maternelle française vivant avec une conjointe de langue anglaise». Pensez-y deux secondes. Encore mieux, deux minutes...

La pyramide des âges indique la présence d'une relève très réduite par rapport à 1971, et de ce nombre réduit, en Ontario notamment (où vivent la moitié des francophones hors-Québec), les deux tiers vivent dans des couples où, au rythme actuel, la langue française ne sera transmise qu'à un enfant sur trois, environ. Dans quelques générations, sans une intervention vigoureuse immédiate, à l'exception de certaines régions du Nouveau-Brunswick et de quelques noyaux dans l'Est et le Nord ontarien, il ne restera plus grand chose de la francophonie hors-Québec.

Et à croire les auteurs de l'étude de 2017, les francophones québécois continueront à se bilinguiser sans retenue... Quand 90% des francophones de Montréal et de l'Outaouais seront bilingues, il sera trop tard. On pourra écrire notre histoire au passé...

Les interprétations des études, sondages et scénarios de l'avenir du français d'ici continueront de lancer à gauche et à droite un mélange de faits inattaquables et de faits «alternatifs». J'ose espérer que les trois tableaux ci-dessus relèvent des réalités inattaquables. Ce que nous en ferons aura la plus grande importance pour la suite des choses...

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* Portrait des minorités de langue officielle au Canada: les francophones de l'Ontario, Jean-Pierre Corbeil et Sylvie Lafrenière, Statistique Canada, 2010
** Projections linguistiques pour le Canada, 2011 à 2036, René Houle et Jean-Pierre Corbeil, Statistique Canada, 2017

lundi 6 février 2017

Le slogan anglais de Paris 2024... Silence...

Quand le comité de candidature olympique de Paris a annoncé un slogan anglais (Made for sharing), le 3 février, je m'attendais à voir cette nouvelle ahurissante en manchette dans tous les médias québécois, où la défense et la promotion de la langue et de la culture française habitent notre quotidien depuis plus de 200 ans. Et je comptais pouvoir lire dans les jours suivants des chroniques, analyses et/ou éditoriaux de protestation...

Mais voilà... Cela fait déjà quatre jours, et alors que près de 50 000 internautes (voir bit.ly/2kzFLLP) ont blâmé à plus de 80% ce recours de Paris à une façade anglaise dans un sondage Web du quotidien français Le Figaro, je n'ai trouvé au Québec que deux banales mentions indifférentes dans Le Devoir (voir bit.ly/2l3SWFr) et les pages Internet de la société Radio-Canada.

Rien vu dans le Journal de MontréalLa Presse, ni dans les quotidiens ex-Gesca (Le Droit, Le Soleil, La Tribune, Le Nouvelliste, Le Quotidien du Saguenay et La Voix de l'Est)... Je n'ai pas recensé les ondes télévisuelles et radiophoniques, mais il est rare qu'elles soient bien plus que le reflet de l'ensemble des quotidiens sur le plan sportif... Si mes recherches étaient incomplètes et qu'un de nos grands médias a commenté l'affaire, qu'on m'en informe... et je m'excuserai...

Ayant exprimé mon indignation sur mes comptes Twitter et Facebook, le nombre fort élevé de réactions a renforcé ma conviction que le choix d'un slogan anglais par le comité olympique de la capitale mondiale de la Francophonie était de nature à intéresser le public d'ici et à susciter un débat animé.

Entrée des athlètes à Montréal en 1976

Les plus vieux d'entre nous avons toujours en mémoire les Jeux olympiques de Montréal, en juillet 1976, où les athlètes avaient fait leur entrée sous le seul nom français de leur pays. Et la foule au Stade avait réservé un accueil particulièrement bruyant et chaleureux à la délégation de France...

Le comité olympique de la capitale de notre vieille mère-patrie vient de se déshonorer, oubliant que le français est l'une des deux langues officielles des Jeux et affirmant que le recours à l'anglais permettait de «donner un caractère universel» au projet olympique... On croirait entendre Philippe Couillard...

Faut-il recommencer à zéro pour expliquer aux nôtres (oui, aux nôtres) et à nos cousins francophones d'ailleurs la valeur internationale d'une langue et d'une culture qui continuent de symboliser autour du monde les lumières, la liberté, l'égalité et la fraternité?

Si oui, la fin de notre combat nord-américain approche...

Et le silence des médias québécois? C'est scandaleux, rien de moins!



mercredi 1 février 2017

Ça va caqueter et bourdonner à Gatineau...


C'était sans doute trop tentant... On s'en donnait à coeur joie sur les ondes de Radio-Canada, et sans doute ailleurs, cette semaine, après que la ville de Gatineau (près de 300 000 habitants) eut adopté une politique autorisant la présence de poules pondeuses et d'abeilles dans les quartiers résidentiels...

Évidemment, il fallait qu'un animateur annonce que Gatineau venait de «pondre» une politique sur les poules. Et, d'ajouter un collègue, le service des communications a certainement pris soin d'éviter les «coquilles» dans son communiqué de presse... Ils auraient pu ajouter que les abeilles avaient «piqué» l'intérêt des élus... Enfin...

Mais à lire le texte* paru dans Le Droit ce matin (1er février 2017), on peut facilement imaginer toutes les situations cocasses que ce projet entraînera au cours des prochaines semaines et des prochains mois... La ville de Gatineau annonce, pour le moment, la disponibilité de 50 «licences» de poules pondeuses et 15 pour des ruches d'abeilles... On ne risque pas vraiment d'entendre caqueter ou bourdonner un peu partout...

Qui donc aura le droit d'élever des poules et/ou des abeilles? Gatineau a décidé de procéder par «appel de candidatures»... Les citoyens et/ou organismes intéressés devront présenter un projet. Être reporter (ah le bon vieux temps...), je donnerais ma chemise pour être présent aux analyses de projets et aux interviews des candidats et candidates... Essayez d'imaginer sans sourire toutes les questions (et que dire des réponses) qui permettront d'établir le «profil» de nos apprentis tenanciers de poulaillers et apiculteurs urbains... À bien y penser, il faudrait présenter tout ça à la télé, en direct...

Question pratique... La ville embauchera-t-elle des fonctionnaires spéciaux, qualifiés en fabrication d'oeufs et de miel, pour réaliser les analyses et entrevues de centaines (milliers?) de candidats et candidates? Dans le texte du Droit, on précise que «des visites seront faites tout au long de l'année afin de s'assurer du respect de la réglementation»... Doit-on conclure qu'il y aura là création d'emplois, et peut-être l'achat de véhicules? De beaux camions bleus et blancs avec le logo de la ville, avec l'inscription «Service d'inspection des poules et des abeilles de Gatineau»... Oui, oui...

Une question: les décisions du comité d'autorisation des licences de poules pondeuses et de ruches d'abeilles pourront-elles être contestées? Ce serait merveilleux. Des dizaines de candidats infructueux devant un tribunal en train d'essayer de démontrer que leur projet de poulailler a été mal compris par les fonctionnaires, ou que le milieu résidentiel dans lequel ils vivent est plus convivial pour les poules et les abeilles... Les avocats et avocates seront ravis... Nouvelles jurisprudences en vue...

L'article du Droit, du moins sa version Web, permet de voir un encadré qui porte un titre tout à fait approprié: «Encadrement pour les poules»... En vérité en vérité je vous le dis, elles seront mieux traitées que certains résidents et résidentes de foyers pour personnes âgées... Il faudra:

* assurer aux poules un espace à l'ombre en période chaude...
* l'abri devra être propre et les excréments retirés quotidiennement...
* les poules devront être traitées de façon adéquate...

Personne ne pourra avoir plus de trois poules. «Les coqs, pour des raisons évidentes, ne seront pas permis», ajoute le journaliste Mathieu Bélanger, qui a dû se retenir pour ne pas en rajouter...

Les magasins de matériaux et les experts en aménagement de poulaillers et/ou ruches seront par ailleurs en forte demande. Il y aura donc un apport économique, en plus de la production alimentaire. Hmmm... Je me demande comment je réagirais si mon voisin arrière modifiait son abri extérieur pour y loger des poules... ou pire, des abeilles menaçantes... Autres jurisprudences en vue... Contestations judiciaires de voisins mécontents du caquetage et du bourdonnement...

L'«encadrement» pour les poules prévoit enfin qu'elles «ne pourront être abattues ailleurs que dans un abattoir licencié»... Nouveau commerce: «Abattoir des poules de Gatineau» (licencié), préférablement pas dans mon quartier...

De fait, la ville de Gatineau, sans doute consciente qu'elle divisera la population entre pro-poulaillers-ruches et anti-poulaillers-ruches, a déjà prévu une campagne d'information, qu'elle a sans doute budgétisé dans ma hausse annuelle d'impôt foncier et taxes municipales...

Je me demande pourquoi personne n'a pensé d'inscrire cette nouvelle aventure au registre des activités du 150e anniversaire de la Confédération... Ça va durer toute l'année... télédiffusion des demandes de permis... installation de poulaillers et ruches dans les quartiers... dégustation d'oeufs et de miel gatinois... documentaire sur les inspecteurs de poulaillers et ruches urbains... Incroyable!

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* Texte du quotidien Le Droit bit.ly/2kqEjeF