lundi 17 avril 2017

#JeSuisMashalKhan

Mashal Khan

Les manchettes accordées aux attentats meurtriers inspirés par le groupe État islamique ont tendance à reléguer dans l'ombre des «incidents» tout aussi graves, et peut-être même plus révélateurs. Il y a de cela à peine quelques jours, des agences de presse rapportaient qu'un étudiant en journalisme avait été battu à mort par des centaines de collègues de l'université Abdul Wali Khan, dans la ville de Mardan, au Pakistan, parce qu'il professait des idées progressistes et laïques...

La nouvelle a à peine percé la muraille médiatique européenne et nord-américaine, mais elle vaut la peine qu'on s'y attarde. D'abord il ne s'agit pas ici d'un terroriste solitaire. Les assassins se comptaient par centaines. Et ce n'est pas non plus l'oeuvre d'un kamikaze ultra-radicalisé de l'État islamique, prêt à mourir en entraînant avec lui ou elle le plus grand nombre possible de mécréants. On ne parle pas non plus d'une foule émeutière chauffée à blanc par quelque imam ténébreux, se ruant sur la première cible en vue. Non, il s'agit de centaines d'étudiants universitaires, inscrits à une institution de haut-savoir, en principe lieu d'apprentissage et d'échange d'idées, ayant bien choisi leur cible et se comportant comme des barbares.

La victime s'appelle Mashal Khan, un nom dont il faudra se souvenir. Et de quoi était-il coupable, qu'a-t-il fait se si horrible pour qu'une horde d'étudiants de la même université lui inflige une mort atroce? Voici la description de Radio France International: «Mashal Khan a été sorti de sa chambre, pris à partie et violemment battu à l'aide de bâtons et de planches. Il aurait même été blessé par balles avant de succomber. Dans des vidéos d'une rare violence, on aperçoit clairement des étudiants frappant l'un des leurs, à terre. On ignore s'il était encore en vie à ce moment, mais son corps se transforme en exutoire de plusieurs centaines d'étudiants incontrôlables.»

Donc, dis-je, quel était son crime? Sous le couvert de l'anonymat (on comprend pourquoi), un cadre de l'université a déclaré que M. Khan «était critiqué par les autres pour ses opinions libérales (au sens de progressistes), laïques... et son absence à la prière du vendredi»... En passant, une vingtaine de policiers étaient présents, et n'ont rien tenté pour empêcher ce que les agences appellent un véritable lynchage. Lâcheté, crainte? Ils étaient pourtant mieux armés que les étudiants. Ou peut-être étaient-ils indifférents au sort d'un jeune homme considéré comme un apostat (ayant renié sa religion) ou, pire, comme un blasphémateur... dans un pays où le blasphème est punissable de mort...

Et c'est là que la pensée m'a effleuré... Et si ce n'était pas un groupuscule d'illuminés dans un coin isolé du monde musulman... Est-il possible qu'une telle intolérance à l'endroit d'idées laïques soit à ce point répandue dans plusieurs pays islamiques qu'on doive s'en inquiéter? Après tout, si Mashal Khan avait été accusé par l'État (qui mêle ici allègrement politique et religion...), il aurait pu passer le reste de ses jours en prison (pour apostasie) ou, à la limite, être exécuté (pour blasphème). Et on est ici au Pakistan, un pays de plus de 180 millions d'habitants...

Pire, le Pakistan est loin d'être le seul pays qui frappe de lois barbares ceux et celles qui osent renier l'islam ou proférer quelque parole ou écrit qu'on pourrait associer au blasphème... L'apostasie et le blasphème sont passibles de la peine de mort dans 12 pays à majorité musulmane: Afghanistan, Malaisie, Maldives, Mauritanie, Nigeria, Iran, Qatar, Arabie saoudite, Somalie, Soudan, Émirats arabes unis et Yemen. Ces États abritent, au total, environ 650 millions d'habitants, soit plus que le tiers de la population musulmane sur cette planète...

Alors quand on me dit que l'islam est, pour la plupart de ses fidèles, une religion de paix et de tolérance, je veux bien le croire, mais il y a de toute évidence dans ce monde des États et des collectivités musulmanes qui sont loin de partager ce point de vue... Voilà ce qui arrive, presque inévitablement, quand on ne sépare pas religion et politique, qui font ensemble une des mixtures les plus toxiques de l'histoire humaine.

En Inde, au début du mois, un musulman a été battu à mort par des «extrémistes» hindous qui l'accusaient de transporter de la viande illégalement... Encore la «vache sacrée»... Mais est-ce vraiment une frange si extrémiste quand le parti qui l'incarne fait des gains politiques et dirige même un des États du pays, où désormais le «meurtre» d'une vache est passible de prison à vie? On a le droit à un certain scepticisme...

Mon intention n'est pas d'exempter les chrétiens/catholiques qui, aux époques des croisades et de l'inquisition, se sont inscrits dans les hautes sphères de la barbarie meurtrière. Et encore aujourd'hui, des intégristes chrétiens radicaux dans des pays comme les États-Unis, qui se sont infiltrés dans les chambres législatives et gouvernementales, menacent de façon venimeuse la séparation des Églises et de l'État.

L'extrême toxicité du mélange religion-politique a toujours été et demeure le meilleur argument pour la laïcité de l'État, et pour sa constitutionnalisation comme loi fondamentale du pays.

En ce lendemain de Pâques, pourquoi ne pas rappeler que l'un des grands partisans de la séparation de l'Église et de l'État fut Jésus lui-même, selon les évangiles, quand Il a dit: «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu». Sages paroles...




jeudi 6 avril 2017

Que connaissons-nous du Canada anglais?


Des générations de Québécois, d'Acadiens et de Canadiens français ont beaucoup trop souvent eu l'occasion de protester contre le sort que la majorité anglo-canadienne nous a réservé - et qu'elle continue de nous réserver.

Les deux «incidents» les plus récents, la Gala quasi-unilingue anglais des Juno, à Ottawa, et la télésérie «historique» The Story of Us de CBC (en cours), ne font qu'ajouter à une longue, très longue, trop longue liste de plaintes contre l'ignorance, le mépris, voire le racisme dont nous avons été victimes depuis 1760...

Mais à bien y penser, c'est peine perdue... À l'exception d'une minorité informée et francophile, la «nation» canadienne-anglaise ne nous a jamais compris. Ses livres d'histoire étaient différents des nôtres, ses médias largement anti-francophones ont contribué à perpétuer des préjugés historiques, et le contexte politique du multiculturalisme élevé au rang de religion d'État a renforcé le climat de francophobie.

Espérer qu'ils changent maintenant, c'est rêver en couleurs... Ça arrivera peut-être «dans la semaine des quatre jeudis», comme disaient mes parents et grands-parents...

Alors posons la question à l'envers.

Que connaissons-nous du Canada anglais, si telle chose existe? Sommes-nous mieux informés sur eux qu'ils le sont sur nous? J'aurais plutôt l'impression que nos perceptions sont fondées sur une information aussi mince que la leur, et que nous aurions avantage à étudier de plus près cette masse de 20 et quelque millions d'individus qui vivent en anglais et qui nous assiègent...

D'abord, comment s'appellent-ils eux mêmes? Nous on dira Québécois, Acadien, Canadien français, voire Franco-Ontarien, Franco-Manitobain, ou même francophone du Canada... rarement Canadien tout court à moins d'être à l'étranger... Eux diront presque invariablement «Canadian». Rien de plus, rien de moins...

J'ai vécu les 30 premières années de ma vie à Ottawa, j'ai côtoyé des tas d'anglophones au secondaire et à l'université, puis dans des organisations fédérales ou privées dans le cadre du travail, et jamais - au grand jamais - je n'ai entendu l'un d'entre eux se dire English Canadian ou Anglo-Canadian.

Nous, on a accaparé une fraction de l'identité du pays en prenant bien soin d'indiquer, de quelque façon, notre spécificité territoriale et sociétale. Le melting pot de langue anglaise, pour sa part, a approprié la totalité de l'identité Canadian, d'un océan à l'autre. Dans leur conception du pays, il n'y a qu'une nation, une identité, supérieure, conquérante, majoritaire. Il n'y a pas vraiment de place pour nous, autre que marginale, dans leurs valeurs identitaires...

Quand CBC Music avait publié son Top 100 des albums canadiens en 2013, le palmarès ne contenait que quatre albums de langue française. C'est typique. On est là pour la forme. Leur univers canadien est peuplé d'anglophones largement branchés sur la scène musicale américaine/internationale, à peine différent de celui de nos voisins du Sud. Alors faut pas se surprendre quand les Juno oublient le français... Notre langue n'est qu'un irritant passager (et en déclin) pour leur unilinguisme.

En 1968, j'habitais avec une famille anglo-ontarienne dans une petite ville (majoritairement francophone) de l'Est ontarien. À chaque bulletin de nouvelles à la télé, le père s'emportait devant son épouse dès qu'il entendait les expressions French Canadian ou French Canada. «No hyphenated Canadians, criait-il. Only Canadians.) Bien sûr il ne parlait pas français et obligeait tous les francophones à communiquer avec lui dans sa langue...

Quelques années plus tôt, j'avais travaillé avec un étudiant en droit de l'Université de Toronto à Statistique Canada. Nous avons abordé l'histoire du pays et tombé vite sur Louis Riel. «He's a traitor and a murderer», lança-t-il. Et moi de répliquer: «C'est un héros!» Nos livres d'histoire se contredisaient. Pas surprenant que la série télévisée The Story of US nous représente tout croche...

Le «Us», c'est eux. C'est leur histoire. Leur pays. Ce fut le nôtre. Ce ne l'est plus, dans leur esprit...

Plus récemment, au début des années 1990, Le Droit avait réalisé un échange de journalistes avec le Sault Ste. Marie Star, de vous savez où, à l'époque de la crise linguistique de l'endroit. Les trois reporters du Star délégués au Droit ont été expédiés aux quatre coins d'Ottawa, de l'Est ontarien et de l'Outaouais. Et ce que l'un d'entre eux m'a révélé reste vif dans ma mémoire...

«Je ne savais pas, disait-il, que les francophones vivaient vraiment en français (il avait eu besoin d'un interprète dans plusieurs quartiers ou villages unilingues français). Chez nous, les gens pensent que tous les Canadiens français sont bilingues, qu'ils comprennent l'anglais, qu'ils pourraient l'utiliser, et qu'au fond, ils veulent du français sur les boîtes de corn flakes seulement pour nous faire suer, pour nous irriter.» Imaginez, si un journaliste ignore tout de la société des parlant français au Québec et ailleurs, ce que le citoyen dans la rue doit savoir sur nous...

Quant à leur attitude trop souvent supérieure, fort répandue sinon majoritaire grâce à des médias aussi mal foutus que leurs cours d'histoire, elle dure depuis 1760, s'est atténuée en surface mais mijote, prête à bouillir et à déborder au moindre incident. René Lévesque ne les appelait pas Rhodésiens pour rien. Leur attitude envers nous suinte encore de colonialisme, et si nous avions la moindre solidarité collective, il y a longtemps que nous aurions créé un pays à notre image...

Avec le déclin en cours, déclin qui s'accélère, de la langue française au Canada et au Québec, leur conviction que l'identité Canadian, la leur, est la seule au pays finira par devenir la réalité. N'oubliez jamais: ils sont majoritaires, ils font la loi. Dans leur multiculturalisme, nous serons une minorité folklorisée comme les autres. Nous devrons continuer à pester, demander, quêter, sans jamais avoir le droit ultime de décider comme une nation normale... Il y aura bien d'autre Juno et d'autres The Story of Us...

Il n'y a qu'un moyen de combattre pour assurer la pérennité de notre langue et de notre culture. Mais ça prend une volonté politique, la solidarité, du courage. Et pour le moment, on a un gouvernement de lavettes qui veut créer de jeunes générations de lavettes dans un Québec bilingue et soumis...