lundi 17 décembre 2018

Peut-on enfin se libérer des «uniformes» imposés à l'Assemblée nationale et au Parlement fédéral...

Moi, au travail, au quotidien Le Droit, début années 70. J'aurais dû porter veston, chemise et cravate. J'étais aussi président du syndicat des journalistes et nous étions en négos... Le t-shirt était propre...

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La controverse autour des choix vestimentaires des solidaires Catherine Dorion et Sol Zanetti à l'Assemblée nationale m'a fasciné, tant par la diversité des commentaires que par l'émotion de nombreuses réactions. Cela m'a m'a rappelé de vieux souvenirs, remontant au début de ma carrière journalistique, fin années 1960...

Un matin de mai 1969, alors que je terminais ma scolarité de maîtrise en science politique à l'Université d'Ottawa, je déambulais sur la rue Rideau, dans la Basse-Ville de la capitale fédérale, quand j'ai aperçu une grande affiche néon: «Le Droit».

En quête d'un emploi d'été, je suis entré dans la grande rotonde et suis monté directement à la salle des nouvelles. Un jeune étudiant francophone d'Ottawa qui sait écrire raisonnablement bien... j'avais le profil parfait pour ce journal aux racines franco-ontariennes. On m'installa devant une vieille machine à écrire Underwood et un chef des nouvelles me demanda de composer un article fictif sur un vol de banque...

Ils ont dû apprécier mon récit sanguinaire car une demi-heure plus tard, j'étais nerveusement campé devant le directeur du personnel qui m'offrait un emploi à temps plein comme journaliste, à 93 $ par semaine. Pas un emploi d'été, un vrai poste... Et c'est en acceptant que j'ai appris qu'il existait à la rédaction du Droit un code vestimentaire inflexible: pantalons propres, veston, chemise et cravate pour les journalistes mâles...

Pour un étudiant socialiste contestataire qui avait passé l'automne précédent (1968) à protester et à revendiquer, et qui avait occupé jour et nuit la faculté des sciences sociales jusqu'à la menace d'une intervention policière, dans un monde où la guerre du Vietnam et la montée du mouvement indépendantiste nous accaparaient, la tenue vestimentaire était sans doute le dernier de nos soucis. L'idée de devoir porter tous les jours une cravate, le seul vêtement tout à fait inutile dans la garde-robe masculine, me déplaisait (mot poli)...

Au quotidien Le Droit, le débat sur la tenue vestimentaire journalistique était déjà enclenché et aboutirait en quelques années à l'acceptation de tout vêtement jugé approprié (à l'exclusion des jeans et t-shirts si je me souviens bien). Entre-temps, cependant, à l'automne 1969, après seulement quatre mois d'expérience du métier, on m'affecta à l'équipe de courriéristes parlementaires du journal, alors sous la direction du regretté Marcel Desjardins (ancien aussi du Montréal-Matin, de Radio-Canada et La Presse). Et j'appris très vite qu'à la Chambre des communes du Canada, le port du veston-chemise-cravate était obligatoire. Aucune exception n'était tolérée, tant pour les députés mâles que les scribes mâles...

J'ai vainement tenté de contourner les règlements. Ce fut peine perdue. À trois ou quatre reprises, j'ai été expulsé de la Chambre des communes pour refus de porter la cravate. À la fin, le préfet de discipline de la Tribune de la presse parlementaire en avisa mon rédacteur en chef, qui me frotta les oreilles. Je me souviens du dernier incident. Je portais un veston chic, des pantalons propres et un col roulé assorti. Une vraie carte de mode. Non, Monsieur Allard... Dehors... Revenez mieux habillé...

Et j'ai obtempéré, revenant en veston avec franges (à la Davy Crockett), chemise carreautée, cravate laide et pantalons mal assortis. J'avais l'air, comme aurait dit Mathieu Bock-Côté, de la chienne à Jacques. Mais ces vêtements affreux respectaient à la lettre le règlement pour les journalistes et les députés dans l'enceinte des Communes. J'avais un peu honte de mon apparence mais je voulais prouver qu'un complet-cravate traditionnel n'était pas la seule tenue qui convienne au travail en milieu parlementaire fédéral. Et que les règlements, même suivis sans compromis, ne garantissaient pas qu'on soit présentable...

Une quinzaine d'années plus tard, on m'a invité à prendre un repas au restaurant parlementaire à Ottawa. Je n'avais toujours pas de cravate. Nous avons dû aller manger ailleurs... Et je crois que le règlement du complet-cravate pour les hommes demeure en place au Parlement fédéral en cette fin de 2018... Quelle idiotie! 

Loin de moi de contester le droit d'organisations publiques et privées d'édicter une tenue vestimentaire appropriée - mais quand même flexible - pour les lieux et édifices dont ils assurent la gestion, y compris pour notre Assemblée nationale et le Parlement canadien. Mais l'expérience de vie et les goûts varient selon les individus, tout comme les émotions et les opinions, et tous peuvent influencer les choix d'un veston, d'un chandail, d'un noeud papillon, d'une couleur de pantalon et encore la décision de porter un t-shirt Patrice Desbiens pour honorer la lutte des Franco-Ontariens. Cela n'empêche pas d"établir un certain encadrement, d'interdire par exemple les jeans troués, les chemises de chasse carreautées ou des torses nus... Une fois établi un certain consensus sur les vêtements à éviter, cependant, on laisse faire et on n'en reparle plus.

Aux parlements, peut-être encore plus qu'ailleurs, les habits ont trop rarement fait le moine... Derrière les vestons et cravates griffés, les intentions honorables manquent souvent à l'appel. Et tant qu'à y être, avoir l'air de la chienne à Jacques n'est pas toujours une assurance de vertu et d'intégrité, non plus... En fin de compte, pourquoi les parlementaires mâles (les femmes n'ont jamais eu le problème du veston-chemise-cravate) ne pourraient-ils pas discuter de leurs projets de loi en tenue décontractée s'ils le désirent? On les jugera uniquement sur le fond de leurs propos, sur la justice de leur législation, sur la qualité de leur langage, sur la connaissance de l'histoire et de leurs dossiers, sur leur honnêteté, sur les services qu'ils rendront à la nation.

L'obligation du complet-cravate, c'est comme le serment à la reine d'Angleterre... Il est grand temps de ranger tout cela sur les tablettes  des musées. En 1837, déjà, pour marquer leur opposition au régime britannique répressif, des députés patriotes du Bas-Canada (Québec) s'habillaient en étoffe du pays et portaient la ceinture fléchée. Ce sont des vêtements que je porterais volontiers - et fièrement - à l'Assemblée nationale, style 2018, pour leur valeur historique, culturelle et idéologique. Et si ça suscite la controverse, tant mieux. Il est grand temps que ce peuple menacé se parle. Qu'il se redécouvre. Et si c'est grâce à un t-shirt et aux Doc Martin de Catherine Dorion, tant mieux...

Pour une fois, tout le monde semble avoir son opinion. Des opinions informées, d'autres moins. On a vu dans les médias une flopée de chroniques, de lettre d'opinion, chacune apportant un éclairage différent. Elles nous ont fait renouer avec de vieux souvenirs, nous ont rappelé les composantes politiques, socio-économiques des traditions vestimentaires, en plus de susciter un débat généralisé, d'un bout à l'autre du Québec. Au point où notre Assemblée nationale a décidé d'entamer une «réflexion» sur le code vestimentaire des députés... 

L'occasion serait bonne de se libérer de ces uniformes imposés (principalement aux hommes) dans nos assemblées législatives de tradition britannique. C'est une toute petite libération, mais elle fera du bien. Et donnera peut-être le goût à notre assemblée, qu'on dit nationale, de grignoter d'autres petites libérations, en attendant d'avoir un jour une cohorte de députés qui «font les braves, font les farauds», comme le chantait Raymond Lévesque en 1963...

Awignahan !


dimanche 9 décembre 2018

«Du côté de»... Trop, c'est trop...


La prolifération abusive de l'expression «du côté de» illustre bien l'appauvrissement de la langue française au Québec. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à écouter la chaîne Météomédia pendant une heure ou deux... et d'autres chaînes sans doute...

Monsieur ou Madame Météo ne vous dira pas qu'il neige «à» Québec ou «dans la région de Québec». Non, il va neiger «du côté de» Québec. Les vents souffleront à 80 km/h «du côté de» la Gaspésie... On a battu un record de froid «du côté de» Montréal... La tempête frappera d'abord «du côté de» l'Abitibi... Non, mais ça suffit!!! Qu'on me lance un ou deux «du côté de» à l'heure, cela peut aller mais son emploi est systématique et, à la limite, erroné.

Quelques exemples d'une utilisation correcte?

Je vis maintenant à Gatineau mais j'ai grandi à Ottawa. La rivière des Outaouais sépare les deux rives. Sur l'un des cinq ponts, je pourrais dire que je demeure du côté de Gatineau et que ma mère, toujours franco-ontarienne, demeure du côté d'Ottawa. Mais si je suis chez ma fille à Longueuil et que je reviens chez moi, je ne m'en vais pas «du côté de» Gatineau, mais bien «à» Gatineau.

Si je roule vers Donnacona en provenance de Montréal et qu'un passager me demande où cette localité se situe, je pourrais répondre «du côté de» Québec dans le sens d'«aux alentours» ou «dans la direction» ou «pas loin de» de la Vieille Capitale. Si mon interlocuteur veut savoir ma destination, cependant, je lui dis qu'on va «à» Québec et non «du côté de» Québec...

Si je bâtis une maison sur l'île d'Orléans et que je tiens à une vue panoramique du fleuve, je placerai le solarium ou la terrasse «du côté du» fleuve... À Puerto Vallarta, je réserverai une chambre «du côté de» la plage et de la mer, et non «du côté de» la jungle et de la montagne...

Lors des deux débats référendaires de 1980 et 1995, j'aurais pu affirmer que je connaissais des gens «du côté du» OUI et «du côté du» NON. En lisant sur la guerre civile américaine, j'aurais pu m'interroger sur les motivations de ceux qui combattaient «du côté du» Nord et «du côté du» Sud... À un match de hockey, je peux être «du côté du» Canadien ou «du côté des» Sénateurs... Ces emplois me semblent acceptables.

Peut-être cela ne vous dérange-t-il pas mais le 57e «du côté de» dans la même heure à Météomédia a le même effet sur moi qu'un «bon matin» à la place d'un «bonjour»...

Et c'est sans compter le champion des pléonasmes, qui appartient aussi à notre chaîne météo. À toutes les 10 minutes on entend «voici vos prévisions locales pour votre région»... «Voici vos prévisions locales» n'est pas assez précis? Ou encore «voici les prévisions pour votre région»?

Ils devraient peut-être jeter (nous devrions tous jeter) un coup d'oeil «du côté du» dictionnaire...



mercredi 5 décembre 2018

Sommes-nous prêts pour la résistance?


Sur le plan des symboles, le plus grand mérite de la mobilisation franco-ontarienne des dernières semaines aura été de propulser à l'avant-plan le mot «résistance». Voilà le mot de combat qui manquait à la lutte plus que bicentenaire que mènent aujourd'hui les francophones au Québec, en Acadie, en Franco-Ontarie, dans les vastes contrées de l'Ouest canadien et ailleurs en Franco-Amérique.

Jusqu'aux années soixante, collectivement, nous avions surtout parlé de «survivance», mais dans le sillage de la révolution tranquille, d'autres mots et expressions se sont imposés en cascade dans un climat socio-politique québécois plus qu'effervescent: autodétermination, séparation, lutte, indépendance, souveraineté, libération, combat, revendication, francisation et j'en passe. Pas «résistance» cependant, du moins pas dans la mouture d'action militante qu'on lui confère de nos jours... sauf peut-être à l'époque de la crise d'octobre 1970, dont avait jailli les célèbres albums «Poèmes et chants de la résistance».

Poèmes et chants de la résistance 1971-72

Comme pour bien d'autres de ma génération d'après-guerre (je suis né en 1946), «Résistance» évoquait d'abord et surtout le maquis français ou toute autre organisation clandestine en lutte contre l'occupation allemande durant la Seconde Guerre mondiale.  Le terme s'est par la suite généralisé, depuis le milieu du 20e siècle, pour désigner d'autres combats contre un envahisseur, ou encore contre un pouvoir estimé illégitime ou dictatorial. Pour mes parents et grands-parents, s'ils évoquaient résistance autrement, c'était au sens passif, comme synonyme de survivance.

Il me semble un peu ironique que l'obtus Doug Ford, premier ministre trumpien de l'Ontario, et son gouvernement en soient devenus le catalyseur. Immédiatement après l'annonce de la suppression du Commissariat aux services en français et du projet de campus universitaire de langue française à Toronto (mal appelé Université de l'Ontario français), ce jeudi noir 15 novembre, l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) a créé la page Facebook «La résistance» et lancé cet appel qui a mobilisé des dizaines de milliers de Franco-Ontariens depuis: «Êtes-vous prêt.e.s pour la résistance? Joignez-vous à nous!»

Un organisme comme l'AFO, qui aspire à être reconnu comme porte-parole de l'ensemble des francophones de l'Ontario, sera toujours porté à un certain conservatisme de parole et d'action, pour rallier le plus grand nombre de citoyens et d'organismes sous son très, très vaste parapluie... En d'autres circonstances, son premier réflexe aurait sans doute été d'émettre une protestation de principe et d'annoncer une consultation des forces vives de l'Ontario français pour dégager un consensus avant d'adopter une stratégie d'action. Pas cette fois.

Dans un de ces rares moments historiques où les barricades vont presque de soi, les élites franco-ontariennes ont hissé le pavillon vert-blanc et appelé les citoyens francophones et francophiles à crier leur désaccord, à écrire des lettres, à confronter leur député et surtout, à descendre dans la rue, partout en Ontario, pour manifester contre l'attaque du gouvernement Ford. Et elles ont baptisé cette mobilisation: la résistance!

Le terme est plus fort que l'on pourrait croire. Il identifie clairement l'adversaire, Doug Ford, et ceux et celles qui ne le dénoncent pas sont qualifiés d'ennemis. Amanda Simard, la seule députée franco-ontarienne conservatrice, l'a très bien compris. Avoir tergiversé comme Caroline Mulroney et demeuré au sein d'une équipe jugée anti-francophone, elle se serait sentie «collabo» et les Franco-Ontariens engagés l'auraient vue comme tel. Elle a opté pour la résistance. L'humeur de combat est d'ailleurs perceptible dans les réseaux sociaux, Facebook en particulier, et le rare francophone qui oserait se ranger derrière Doug Ford serait enseveli sous un déluge de reproches venimeux. Pour le moment, donc, il n'y a plus de clôture. On choisit un camp... ou l'autre. Et à juger par l'ampleur des manifs du 1er décembre, dans une quarantaine de localités ontariennes, les collectivités franco-ontariennes ont massivement basculé dans le camp de la résistance.

Cette mobilisation d'une minorité francophone victime d'une attaque identitaire a vite franchi les frontières de l'Ontario. Des témoignages d'appui sont venus du Québec, des Acadiens, et des minorités canadiennes-françaises de l'Ouest et du Nord. La «résistance» des Franco-Ontariens a touché la fibre de toutes les collectivités francophones du pays, qui ont - sans exception - eu maille à partir avec des gouvernements francophobes ou, dans le cas du Québec, anglophiles à l'excès. La langue française étant menacée partout, y compris au Québec, on se reconnaît dans ce combat, on se sent interpellé par cette prolifération du mot «résistance» dans un contexte qui a été, qui pourrait être ou qui pourrait devenir un jour celui de tous et toutes. Et on se demandera peut-être si le moment n'est pas venu de lancer un peu partout, même au Québec, des mouvements de résistance au lieu de constamment quémander des droits qu'on nous refuse, qu'on nous cède au compte-gouttes ou qui sont éventuellement soumis aux humeurs de juges nommés par le premier ministre fédéral.

Quel lien, me dira-t-on, avec le Québec, où les parlant français forment une écrasante majorité et où le droit à l'autodétermination de l'État québécois est reconnu depuis les deux référendums de 1980 et de 1995? C'est fort simple. Peu importe ce que feront les Québécois francophones sur le plan linguistique, tant qu'ils feront partie de la fédération ils resteront minoritaires dans l'ensemble du Canada (plus encore en Amérique du Nord) et devront s'acharner à contourner sans cesse les obstacles semés par un gouvernement centralisateur à Ottawa et une constitution blindée qu'ils n'ont pas signée et qu'ils ne peuvent changer. Les forces indépendantistes qui pourraient nous en extirper sont divisées et auront besoin de temps pour retrouver leur élan. La «résistance» semble bien préférable à l'attente et aux palabres incessants et stériles. La «résistance» a aussi le mérite de replacer les perspectives en fonction de la réalité: au lieu d'être vus erronément comme une majorité xénophobe voire raciste, nous présentons notre vrai visage, celui d'une majorité minoritaire dans le contexte canadien et nord-américain qui utilise les outils légaux et légitimes disponibles pour protéger et promouvoir une langue et une culture clairement menacées.

Il aura fallu la décapitation du Commissariat des services en français et l'avortement de l'embryon d'Université de l'Ontario français pour que les Franco-Ontariens forment «la résistance». Que faudra-t-il chez nous, au Québec? L'obligation pour des étudiants universitaires de l'Outaouais d'étudier en anglais? L'infiltration de programmes de langue anglaise dans nos collèges et universités? La violation généralisée de ce qui nous reste de la Loi 101 en matière d'affichage? L'obligation illégale de travailler en anglais? Un régime où les arbitres des conflits constitutionnels Québec-Ottawa sont tous nommés par Ottawa? Nous y sommes.

L'heure de «la résistance» n'a-t-elle pas sonné chez nous, au Québec? Jetez un coup d'oeil à mes anciens compatriotes franco-ontariens. Ils luttent pour assurer l'avenir d'une identité individuelle et collective fondée sur la langue et la culture françaises. Pourquoi une «résistance» similaire chez nous serait-elle suspecte?