samedi 15 juin 2019

Franco-Ontariens et Anglo-Québécois «dans la même situation»?


Pour rendre hommage à la résistance franco-ontarienne contre les attaques du gouvernement francophobe de Doug Ford, les organisateurs du Défilé de la St-Jean à Montréal ont eu l'excellente idée d'inviter l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) à ouvrir le cortège cette année (bit.ly/2Iimdqw). Une «reconnaissance historique», dit l'AFO, évoquant l'élan de solidarité pan-canadien pour la défense de la langue française.

Puis voilà que, presque du même souffle, le président de cette même AFO vient donner son appui à la collectivité anglo-québécoise en conflit avec le gouvernement Legault au sujet du partage ou du transfert d'écoles anglaises à moitié vides vers le secteur français. Ce qui dérange ce n'est pas tant cette prise de position, qui peut toujours à la limite s'expliquer sur le plan politico-stratégique, c'est la comparaison de la situation des Franco-Ontariens à celle des Anglo-Québécois...

Je cite Carol Jolin, président de l'AFO, dans un texte de Bernard Vachet, d'ONFR+ du 12 juin: «Nous sommes solidaires de la communauté anglo-québécoise qui vit la même situation que nous et se bat pour faire respecter ses droits linguistiques.» (bit.ly/2X7ToW1) La «même situation»??? L'affirmation est tellement fausse, tellement irréelle, qu'on se demande par où commencer pour la réfuter.

Les Anglo-Québécois n'ont pas de Doug Ford. Ils ont trois universités, surfinancées par la majorité francophone. Un réseau de santé impeccable (il n'y a jamais eu de Montfort au Québec). Un réseau éducatif complet «par et pour» depuis la Confédération (pas de Règlement 17 au Québec). Selon Statistique Canada, la minorité anglaise au Québec forme 14% de la population (c'est 4% pour les Franco-Ontariens). Au Québec, les anglophones assimilent une part disproportionnée des allophones et même des francophones dans la région montréalaise et en Outaouais. En Ontario, les Franco-Ontariens se sont assimiler à un rythme inquiétant. Assez! La «même situation»?

Au contraire, si les Franco-Ontariens veulent trouver au Québec une collectivité qui risque d'être «dans la même situation» qu'eux, ils devront se tourner vers la majorité de langue française. Parce qu'en réalité, les Anglo-Québécois et ceux/celles qu'ils anglicisent ne forment pas une vraie minorité. Ils sont bien davantage une extension québécoise de la majorité anglo-canadienne, avec tous les éléments de sa francophobie historique. Les Franco-Québécois constituent une infime minorité en Amérique du Nord, une proportion rétrécissante de l'amalgame canadien, et sont vus comme tel par nos Rhodésiens.

Qu'on vive en Franco-Ontarien minoritaire à Sudbury en Ontario ou en en Franco-Québécois majoritaire à Laval au Québec, la dynamique linguistique reste la même. Elle favorise l'expansion de l'anglais et l'assimilation éventuelle des francophones. La seule différence, c'est la vitesse à laquelle le processus chemine. Les chiffres de la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison) du recensement fédéral indiquent qu'entre 1971 et 2016, à Sudbury, la proportion francophone a chuté de 21,5% à 13,0%. À Laval, elle est passée de 80,9% à 61,5%... À ceux qui croient ces exemples inopportuns, je suis disposé à les défendre. Ce sont des cas typiques.

On est tellement habitués à entendre le Commissaire fédéral aux langues officielles parler des minorités francophones comme un miroir de la minorité anglaise du Québec qu'on en est venu à le croire, alors que c'est faux. La Cour suprême l'a reconnu à quelques reprises, notamment dans les arrêts sur la Loi 101 et l'article 23 de la Charte canadienne, blindant les droits de gestion des francophones minoritaires en éducation et limitant la portée des droits de l'anglais au Québec pour y préserver un visage linguistique français. Pourquoi? Parce que qu'en Alberta, en Ontario ou au Québec, seul le français est menacé...

Ni le Québec ni les organisations francophones ailleurs au Canada ne semblent comprendre cette dynamique linguistique et juridique. En 2015, le gouvernement québécois était intervenu contre les Franco-Yukonnais qui voulaient élargir l'accès à l'école française, par crainte que cela puisse être utilisé pour ouvrir plus grande les portes des écoles anglaises au Québec (bit.ly/2XKrP1Y). Et voilà qu'aujourd'hui, le président de l'AFO affirme que la majorité québécoise oblige sa «minorité» anglophone à mener un combat similaire à celui des Franco-Ontariens... Le Québec se trompait en 2015. L'AFO fait de même en 2019. Les deux se tirent dans le pied.

Comment le président d'une association comme l'AFO, après avoir accusé la majorité francophone du Québec de maltraiter ses alliés/amis anglo-québécois, peut-il ouvrir le défilé de la Saint-Jean à Montréal, le jour de la Fête nationale du Québec? Heureusement, sa déclaration a eu peu de retentissement. Elle ne semble pas avoir été reprise par les grands quotidiens ou la télévision d'État. Peut-être finira-t-on par l'oublier...

Espérons que la foule applaudisse à tout rompre les quelque 150 Franco-Ontariens qui défileront dans les rues de Montréal, ce 24 juin. Ils mènent un combat juste, et méritent bien que le Québec en apprécie toute la valeur. On pourra ainsi reléguer l'intervention de M. Jolin au compte d'un positionnement politique très, très malheureux...












mardi 11 juin 2019

Un petit pliable pas du tout niaiseux...

Mon dinosaure LG de 2003...

Mon bon vieux téléphone cellulaire pliable a rendu l'âme. Bell Canada l'a achevé. Bon, disons plutôt que Bell lui a administré une aide technologique à mourir... très efficace, puisqu'il ne fonctionne plus. Le seul message qui s'affichera pour l'éternité est «Recherche service»... une quête désormais sans espoir...

Le «décès» de mon cellulaire (acquis vers 2003) s'était sans doute produit il y a plusieurs semaines, mais comme je l'utilise peu (très, très peu), je ne m'en étais pas aperçu. Nous l'avons su, fin mai, au moment où mon épouse téléphonait à un représentant de Bell Canada pour renouveler mon contrat annuel de service. On l'a informé que la nouvelle technologie ne pouvait plus communiquer avec mon dinosaure et qu'on m'expédierait un nouveau téléphone pliable (un «flip») au cours des prochains jours.

Je l'aimais bien, ce petit téléphone pas du tout intelligent. La batterie s'usait vite, il marchait à coup de pieds, tenu dans son étui déchiré par un élastique, mais je ne m'en plaignais pas. Il était fiable. En 16 ans d'usage, il n'aura reçu qu'un seul texto et quelques dizaines d'appels. Je l'apportais quand je pouvais en avoir besoin, je ne l'ouvrais que pour téléphoner et je le fermais immédiatement. Il était à peu près inutile de composer mon numéro de cellulaire... Hors de la maison ou du bureau, j'étais inaccessible. Voilà!

Depuis la prolifération des téléphones intelligents (les «smartphones» comme on dit en France), la vie privée en a pris un sacré coup. Dans un autobus, dans un resto, une salle d'attente ou même entre amis, les petites tablettes téléphoniques ne sont jamais loin. Entre les sonneries de tous genres, appels entrants, sortants, alertes Facebook et j'en passe, les amis, la famille, l'univers tout entier vous suivent partout où vous allez. Il faut être seul, parfois, hors d'atteinte.

Bell Canada, donc, m'a fait livrer par Postes Canada une petite boîte contenant mon nouveau petit pliable pas-intelligent-mais-plus-moderne. À prime abord, l'appareil de marque Alcatel ne semble pas très différent de mon vétéran LG de 2003. Mais après lecture du «Guide de démarrage rapide» avec une loupe (ciel que c'est écrit en petits caractères), je me suis aperçu que mon nouveau pliable a plusieurs cordes à son arc...

Pas-intelligent-mais-pas-niaiseux-non-plus...

Les seuls applications en commun avec mon ancien LG sont les capacités de téléphoner (bravo!) et de texter. L'envoi d'un texto en utilisant l'alphabet m'apparaît toujours compliqué avec un clavier à base de chiffres, mais à l'aide de ma loupe et des instructions, j'arriverai sûrement à me débrouiller.

Surprise, mon cellulaire Alcatel est muni d'une radio FM. Je n'ai aucune idée pourquoi un humain voudrait syntoniser Radio-Canada ou les stations privées de musique, de sport ou d'actualité avec un «flip» mais enfin, j'ai maintenant cette possibilité. Surprise additionnelle, mon nouveau cell a aussi un appareil photo et une caméra vidéo. J'ai peine à comprendre comment on peut entasser cet équipement photographique dans un appareil qui ne pèse que quelques onces...

Le Guide me révèle aussi que je peux, dans cette mémoire lilliputienne, emmagasiner une bibliothèque complète de fichiers musicaux. Misère.

Enfin, alors que je n'en attendais pas plus, ma loupe parcourt une dernière page qui m'informe que mon petit pliable pas intelligent peut se connecter à l'Internet dans tout environnement wi-fi !!!

Je sais que techniquement il ne s'agit pas d'un téléphone intelligent et que mon forfait ne me coûte que 100$ plus taxes annuellement, mais ce petit téléphone pliable n'est pas du tout niaiseux...

Si la batterie a une durée de plus que quelques heures, je serai peut-être tenté de l'ouvrir plus régulièrement. Je pourrais même devenir accessible hors de mon chez-moi. Un saut dans l'inconnu, quoi. Une fissure dans ma vie privée. On verra...

Entre-temps, RIP mon vénérable LG 2003...





samedi 8 juin 2019

Il y a 50 ans, le 9 juin 1969...


Il y a 50 ans, le 9 juin 1969, à 9 heures du matin, j'entrais pour la première fois dans la salle des nouvelles du quotidien Le Droit comme reporter...

Une semaine plus tôt, ayant terminé ma scolarité de maîtrise en science politique et envisageant la rédaction d’une thèse, je marchais sur la rue Rideau, dans la Basse-Ville d’Ottawa, et levant les yeux, vis une affiche qui allait changer le cours de ma vie, plus que toute autre. C’était la bannière du quotidien Le Droit, dont le siège social était situé au 375 Rideau.

Tiens, me suis-dit, il y a peut-être ici une bonne possibilité d’emploi en attendant de reprendre mes études à temps plein. Moins d’une heure plus tard, après un test sommaire où j’avais inventé un fait divers plutôt sanguinaire, je quittais la salle des nouvelles pour le bureau du directeur du personnel, où mon embauche comme journaliste était confirmée au salaire faramineux de 93 $ par semaine! Si telle chose existe que d’être à l’endroit idéal au moment idéal, ce fut certes ce matin-là!

Toujours est-il qu'en ce matin du 9 juin, après avoir jonglé à ce qui m'attendais, durant le long trajet d'autobus entre ma résidence de l'ouest d'Ottawa et le centre-ville, je suis entré dans l'édifice du Droit et monté à grandes enjambées l'escalier devant la grande murale au fond de la rotonde. Arrivé au couloir menant à la salle de rédaction, on ne pouvait plus se tromper. Il suffisait de suivre le vacarme des vieilles machines à écrire Underwood, des conversations animées et l'odeur du tabac...

Je venais à peine de mettre les pieds dans la grande salle vitrée où une vingtaine de journalistes s'affairaient déjà quand j'ai entendu mon nom. «Allard!!!», venait de crier le directeur de l'information, Christian Verdon. «T'es en retard. C'est à 8 heures qu'on commence, pas 9 heures!» Je craignais d'être renvoyé sur le champ, mais M. Verdon a immédiatement enchaîné: «Le photographe t'attend dans sa voiture. Vite, t'as une affectation, et faut que tu y sois pour 9 h 30. Et on a besoin de ton texte pour la dernière édition, pas plus tard que 11 h 30.»

J'eus juste le temps de prendre la lettre de convocation du Department of Highways de l'Ontario, un calepin et un stylo. Le photographe, André Audet, du Studio Champlain Marcil (alors au service du Droit), un ancien policier de la police provinciale de Duplessis, grommelait et me tenait responsable du retard éventuel car il fallait se rendre à Ramsayville, près du chemin Baseline, au sud-est d'Ottawa, pour la première pelletée de terre de l'autoroute 417 qui relierait la capitale à l'autoroute 40 du Québec.

Arrivé juste à temps, on m'a remis une pochette de presse - unilingue anglaise évidemment à cette époque - annonçant, entre autres, que la future autoroute de 65,4 milles (un peu plus de 100 km) serait complétée en cinq ans au coût de 65,7 millions de dollars. J'ai peine à croire que ce budget et cet échéancier ont été respectés.

Quoiqu'il en soit, je n'avais aucune notion de ce que devait faire un journaliste. Il fallait improviser... Noter les noms de tous les dignitaires, poser des questions au ministre ontarien, à quelques maires et préfets, prendre toute l'information requise pour la légende de photo. On n'a pas le choix dans de telles circonstances, il faut vite apprendre à se débrouiller parce que les autres médias sont là et que personne d'autre n'a envoyé un débutant à sa première affectation...

Retour à la salle de rédaction vers 10 h 45 et l'ambiance est fébrile. La direction et les préposés au pupitre de jour préparent l'édition qui sera livrée à l'heure du souper dans la région urbaine - Ottawa, Hull, Pointe-Gatineau, Aylmer, Gatineau, etc. On m'assigne sans délai un pupitre où je dois improviser un texte de deux feuillets en 45 minutes, avec un chef des nouvelles dans mon dos qui demande trop souvent quand l'article sera terminé... Des que le premier feuillet est complété, on l'arrache de ma machine à écrire pour commencer la correction et la mise en page... 

Je tapais à deux doigts, mais assez rapidement et sans trop de fautes. Le résultat de dizaines de dissertations dactylographiées à la dernière minute durant mon séjour universitaire... Le deuxième feuillet a été remis juste à l'heure de tombée et l'article a été publié avec photo en page 2 de la dernière édition... J'ai conservé jusqu'à ce jour la convocation à la première pelletée de terre, la pochette de presse du Department of Highways, mes notes manuscrites, et une copie des feuillets tapés sous les yeux des patrons, des pupitreurs et des autres reporters sans doute amusés par le stress du petit nouveau.

Quand, au milieu de l'après-midi, les presses se sont mises en branle et que les premiers exemplaires de l'édition du soir sont arrivés à la salle des nouvelles, j'ai ouvert le journal et relu mon texte, cette fois en version imprimée en deuxième page du journal. J'avais dès lors la certitude que j'avais enfin trouvé le métier qui me passionnerait. En 50 ans, je n'ai jamais eu de doute.

Sur le questionnaire d’embauche du Droit, on m’avait demandé pourquoi je voulais devenir journaliste. Comment répondre à ça quand on n’y a jamais vraiment réfléchi? En improvisant, technique que la plupart des étudiants en sciences sociales apprennent vite à maîtriser. Et en rétrospective, j’aime bien ce qui m’est alors passé par la tête. C’était, je crois, une intuition assez juste. «Le journalisme, ai-je écrit à mon futur employeur, m’apparaît être une synthèse entre l’étude et l’action.» À l’université, on emmagasine le savoir en attendant le diplôme et l’exercice d’une profession. Dans une salle de rédaction, ce qu’on apprend est communiqué instantanément au public lecteur!

Ce 9 juin 1969, un jeune Franco-Ontarien de 22 ans a renoncé à ses études de maîtrise et qui sait, à un éventuel doctorat pour devenir journaliste au Droit. Et aujourd'hui, 9 juin 2019, je reste convaincu que ce fut l'une des meilleures décisions de ma vie.