jeudi 29 avril 2021

Entre «Bonjour-Hi» et le «N-word»...

À force de voir les nôtres se faire accuser faussement de xénophobie et de racisme par différents individus et groupes au Canada anglais (et même chez nous au Québec), il me semble que j'aurais dû développer une carapace au fil des décennies... un bon blindage...

Eh bien non! J'aurai bientôt complété trois quarts de siècle et les fions qu'on nous lance régulièrement continuent de me prendre aux tripes... Quand le vase est trop plein, même les petites gouttes le font déborder...

J'écoutais en direct, cette semaine, les audiences du Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes, qui étudie entre autres la situation du français au Québec, dans le cadre du projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Comparaissait, à titre d'expert, M. Jack Jedwab, PDG de l'Association d'études canadiennes (AEC), une organisation basée à Montréal «dont l'objectif principal est l'amélioration des connaissances des Canadiens à propos de l'histoire de leur pays».

Détenteur d'un doctorat en histoire canadienne de l'Université Concordia, M. Jedwab a notamment enseigné à l'UQAM et à McGill. Le Commissariat fédéral aux langues officielles a déjà eu recours à ses compétences. Un type sérieux, estimé dans plusieurs milieux.

Après d'intéressantes remarques en français sur les concepts de majorité et minorité linguistiques sur l'île de Montréal, cet Anglo-Québécois a brièvement laissé tomber sa rigueur professionnelle pour se lancer dans une tirade perfide et indigne.

Clairement, M. Jedwab n'avait pas tout à fait digéré la campagne contre l'expression bilingue «Bonjour-Hi» et la résolution de l'Assemblée nationale incitant les commerces à accueillir leur clientèle avec un simple «Bonjour», que tout le monde, y compris les anglophones, comprend.

Sans autre preuve que son propre vécu, le PDG de l'AEC a laissé entendre que cette controverse avait provoqué un ressac et que l'utilisation du «Bonjour-Hi» avait beaucoup augmenté depuis l'adoption de la résolution à l'Assemblée nationale.

«J'entends Bonjour-Hi partout où je vais maintenant», a-t-il dit aux députés, ajoutant un «presque» à la fin, comme s'il avait conscience d'y être allé un peu fort. Mais il n'avait pas terminé. Après avoir donné un caractère quasi scientifique à ses propres impressions, il fallait enfoncer le clou rouillé un peu plus...

Je trouve un peu drôle, ajouta-t-il, qu'à notre Assemblée nationale (le notre est de lui), we say we don't want the word "Hi" but we're OK with the N-word... Traduction... Nous ne voulons pas du mot Hi mais le «mot en N» ne nous dérange pas... Et voilà... claque en pleine face, lancée sans préavis, sans contexte, sans justification...

Décodé, le message est le suivant: nous sommes intolérants envers l'anglais, mais tolérants envers un mot perçu comme raciste... Ce que nous percevons comme une résistance essentielle de notre petit coin de pays francophone au rouleau compresseur anglo-américain venait d'être qualifié d'intolérance.

Et, sans préciser de quel «N-word» il parle, de l'anglais ou du français, il transforme en suggestion de racisme un combat tout à fait légitime en faveur de la liberté d'expression, et surtout de la liberté universitaire, contre les bâillons que voudraient imposer les thuriféraires de l'idéologie multculturelle-woke-à-l'anglo-canadienne.

Du Québec-bashing avec une main de fer dans un gant de velours...

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Le 25 février dernier, un autre témoin anglo-québécois au Comité permanent des langues officielles, Marlene Jennings, ancienne députée fédérale de Notre-Dame-de-Grâce-Lachine aux Communes, avait elle aussi laissé sur nous une petite coulée de boue...

Craignant les effets sur la collectivité anglo-québécoise de la nouvelle approche fédérale en matière de langues officielles, reconnaissant la menace qui pèse sur le français partout au pays, y compris au Québec, elle a brossé un tableau d'une minorité anglaise défavorisée et malmenée, tant sur le plan économique que linguistique... et mis en garde contre toute réforme linguistique qui serait défavorable aux anglophones du Québec...

Comparant le processus de mise à jour linguistique à un autobus qui se met en marche, elle a offert cette image saisissante du sort qui semble, selon elle, attendre les Anglo-Québécois : «We're going to let you on the bus but you're going to sit in the back of the bus»...

Ainsi, si je comprends bien ce message décodé, les Anglo-Québécois craindraient d'être traités un peu à la manière des Noirs du sud des États-Unis, que les blancs racistes obligeaient à s'asseoir à l'arrière des autobus publics, les sièges à l'avant étant réservés aux Blancs. L'Alabama du Nord, pour reprendre une comparaison faite par un prof de l'Université d'Ottawa...

Le fait que Mme Jennings soit elle-même de race noire ne pouvait qu'ajouter à la force de ce commentaire.

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Le plus triste (enrageant?) dans ces histoires, c'est que de telles déclarations passent comme un couteau dans le beurre. Elles sont accueillies comme vérité d'Évangile au Canada anglais, où elles ne font que renforcer des préjugés existants, et suscitent une large indifférence dans ce qui reste des salles de rédaction québécoises.

En les consignant à mon blogue, j'espère assurer que ces injures accumulées ne tombent pas dans l'oubli le plus complet...



dimanche 25 avril 2021

Je préfère le respect au mépris !

La hantise de la chicane compte parmi les reliquats les plus incrustés de notre passé catholique-canadien-français. Combien de fois, jadis, nous sommes-nous privés de parler politique ou religion pour éviter de «faire de la chicane» dans la famille ou un groupe d'amis?

Combien de fois, au nom de la sacro-sainte «bonne entente», avons-nous cessé de parler français parce qu'un anglophone venait de se joindre à la discussion? La seule crainte d'une possible confrontation linguistique suffisait pour nous mettre à genoux...

Tenez compte, ici, que mes souvenirs sont ceux d'un ancien Franco-Ontarien de la région d'Ottawa. Peut-être les choses se passaient-elles différemment dans les régions québécoises où francophones et anglophones se côtoyaient quotidiennement. Peut-être...

Au début des années 1960, je fréquentais l'école secondaire de l'Université d'Ottawa, une institution bilingue privée appartenant aux Oblats de Marie Immaculée (il n'y avait pas d'écoles secondaires françaises publiques en Ontario).

La grande majorité des élèves, issue des régions d'Ottawa et de Hull, était francophone mais il y avait dans notre école environ 200 anglophones. Bien sûr, quand les deux groupes se croisaient, la langue de communication était le plus souvent l'anglais...

À l'automne 1963, j'étais fraîchement inscrit aux sciences sociales de l'Université d'Ottawa, mais j'ai appris que les relations entre francos et anglos à mon ancienne école secondaire se détérioraient après des décennies d'une «bonne entente» dont nous faisions les frais.

Au conseil étudiant, les membres francophones avaient décidé qu'ils parleraient exclusivement français aux réunions. Le problème, évidemment, c'était la présence d'un étudiant anglophone. Soit il ne comprenait pas le français, soit il ne voulait pas parler français.

Toujours est-il qu'il n'était pas très heureux de la situation. École catholique oblige, un prêtre (conseiller moral) participait aux réunions du conseil étudiant. Devant ce germe de conflit, qu'avait-il fait? Avait-il incité le membre anglo à apprendre ou utiliser le français?

Non! Il avait plutôt fait des remontrances aux francophones et leur avait proposé de se montrer, en bons catholiques soumis, «plus accueillants» envers leur collègue de langue anglaise. De faire preuve de charité chrétienne à son endroit...

Normalement, compte tenu de l'époque, les francophones seraient rentrés dans le rang, mais pas cette fois. Ils ont refusé d'obtempérer, ont continué à délibérer en français. L'étudiant anglo, offusqué, n'est plus revenu aux réunions du conseil. Le conseiller moral non plus...

Autre incident du même type. Au milieu des années 60, j'occupais un emploi d'été à la bibliothèque de Statistique Canada, à Ottawa. Nous étions trois étudiants, deux francophones et un anglo unilingue. À toutes les pauses, à tous les lunchs, assis ensemble, la conservation se déroulait en anglais.

Un bon jour, l'autre étudiant francophone et moi avons décidé que nous en avions assez de toujours parler anglais entre nous parce qu'un anglophone était présent. Un midi, nous avons tout bonnement commencé à échanger en français. L'autre est resté planté là, en silence, et n'est pas revenu par la suite à notre table...

Si ces événements se sont logés dans ma mémoire, c'est qu'ils étaient rares, exceptionnels même. Presque à tout coup, le vieux réflexe de soumission, d'éviter la chicane, d'être «charitable» remontait la surface. On parlait anglais parce qu'un anglophone était là, puis à la longue, on parlait anglais entre nous, même quand il n'y avait pas d'Anglais aux alentours...

Quand je regarde aujourd'hui le groupe Facebook de mon ancien quartier d'Ottawa, la quasi-totalité des participants, en grande majorité francophones, communiquent entre eux en anglais. Même dans ma famille, j'ai des cousins et cousines qui, en dépit d'une excellente connaissance du français, s'échangent des messages en anglais...

Je ne les blâme pas d'agir ainsi. Je constate, tout simplement. Comme je constate que dans le Pontiac, région québécoise voisine de mon ancien chez-moi où l'on se croirait quasiment en Ontario, les prénoms anglais avec nom de famille français sont légion, résultat du même «bon-ententisme» entre anglophones et francophones...

Dans son livre sur l'histoire des francophones du Pontiac, l'auteur Luc Bouvier résumait ainsi l'érosion implacable de la langue et de la culture françaises dans cette région de l'Ouest du Québec: «La bonne entente entre francophones et anglophones dépend de la soumission des premiers.» 

Nos élites et notre clergé nous avaient dressés à nous montrer accueillants et à faire preuve de charité chrétienne, mais le plus souvent, nous finissions à genoux, incapables de nous relever, prêts à tout pour éviter la chicane. On sait ce que cela donne à long terme.

La morale de cette histoire? Dans un coin de notre cerveau il y a toujours eu, et cela existe encore aujourd'hui, une appréhension que l'affirmation du français - même polie, avec des gants blancs - puisse froisser l'interlocuteur anglophone, crainte fondée sur une perception historique que les Anglais ne nous aiment pas, et n'aiment pas le français.

Dans un petit coin adjacent de notre cerveau s'ajoute un sentiment diffus de culpabilité de ne pas avoir le courage d'affirmer notre langue et notre culture face à l'anglais, et un germe de frustration en songeant que de se mettre constamment à genoux suscite peut-être un certain mépris de notre peuple et de notre langue chez les anglos.

Alors on fait quoi? Faute de se taire, le moindre geste devient risqué. La confrontation peut surgir même quand il n'existe aucune intention d'offenser... Il a suffi à Michel Thibodeau, un Franco-Ontarien, de demander un 7up en français dans un avion d'Air Canada pour déclencher un conflit qui lui a valu un torrent de colère haineuse au Canada anglais... Ça ne prend vraiment pas grand-chose...

Alors si on a souvent de la difficulté à insister pour se faire servir en français dans un magasin de Montréal ou d'ailleurs au Québec ou même dans les régions plus francophones du Canada, imaginez l'obstacle individuel et collectif qu'il faudra surmonter pour mettre en œuvre une mesure telle que l'application de la Loi 101 aux cégeps...

À lire les textes de journaux et les commentaires, je me vois revivre les mêmes scénarios que les francophones hors Québec de ma jeunesse (et à plus fort titre ceux d'aujourd'hui). C'est nous qui devons apprendre à parler l'anglais, pas à eux de s'intégrer. Être plus accueillants, charitables, ne pas les froisser, même si cela risque d'attiser le mépris que plusieurs ont déjà pour nous, et de favoriser, à long terme, notre disparition...

L'éditorial de Stéphanie Grammond dans La Presse du 24 avril 2021 (bit.ly/2Pk7Xnv) aurait pu être écrit au début des années 1960 dans mon petit quartier francophone d'Ottawa. «Le bilinguisme est une richesse à cultiver», écrit-elle. Décodé, cela veut dire: apprenez l'anglais. On se consolait dans mon jeune temps en prétendant que nous étions meilleurs que les Anglais parce que nous parlions deux langues, alors qu'en réalité ce bilinguisme collectif n'était qu'une étape vers l'abandon éventuel du français...

Et Mme Grammond de poursuivre en craignant que l'application de la Loi 101 aux cégeps aurait pour effet de dégarnir les collèges montréalais Dawson et Vanier, qui se trouveraient «ghettoïsés»... «Pas fameux pour le vivre-ensemble», conclut-elle. Elle aurait pu écrire «pas fameux pour la bonne entente». Cet air est connu, on nous le chante depuis deux siècles. Trop de gens cherchent toujours un moyen de protéger le français sans froisser les Anglais... Un Québec indépendant dans un Canada uni, aurait dit Yvon Deschamps...

À un certain moment, il faudra nous rendre compte que peu importe ce que nous faisons ou ce que nous ne faisons pas, qu'on s'affirme pour de bon comme francophones ou qu'on s'aplatisse pour de bon devant le rouleau compresseur anglo-américain, les Anglo-Québécois ne nous aimeront pas davantage. Alors s'il faut choisir, je préfère le respect au mépris.



vendredi 23 avril 2021

C'est bien une pomme, pas une orange!

Voici le texte de l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982 (aussi appelée Charte canadienne des droits et libertés):


Lisez bien le titre : «Droit à l'instruction dans la langue de la minorité».

C'est clair, non? C'est un texte constitutionnel, un article de la plus haute loi du pays, mesuré et pesé dans ses plus infimes détails dans le but d'éviter toute confusion sur le sens et l'application.

A-t-on écrit «Droit à l'instruction dans la langue et dans le respect des cultures de la minorité»? Non!

A-t-on écrit «Droit à l'instruction dans la langue et dans le respect des religions de la minorité»? Pas du tout!

Si les rédacteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 avaient voulu élargir les droits linguistiques scolaires à la (aux) culture(s) et à la (aux) religions(s), ils l'auraient spécifié.

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Dans le vieil Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, toujours en vigueur, l'article 93 accorde une protection constitutionnelle aux écoles catholiques de l'Ontario.

C'est une protection strictement religieuse. En 1912, le gouvernement ontarien a supprimé l'enseignement en français dans les écoles catholiques et la constitution n'a pas protégé la langue. La religion, ce n'est pas la langue...

Si les écoles confessionnelles existaient toujours au Québec, elles bénéficieraient elles aussi du bouclier de l'article 93 de l'AANB mais cet article a été modifié en 1998 pour permettre la création de commissions scolaires linguistiques, françaises et anglaises.

L'Assemblée nationale a légiféré en l'an 2000 pour confirmer le caractère laïque des réseaux scolaires publics québécois, dans le cadre d'un régime fondé sur la neutralité religieuse de l'État.

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Revenons à l'article 23, qui ne protège explicitement que «la langue d'instruction de la minorité», c'est-à-dire l'anglais au Québec, le français ailleurs au Canada. 

Le texte constitutionnel est pourtant limpide. Ce qu'il consacre, c'est le droit pour les francophones ou les anglophones en situation minoritaire «de faire instruire tous leurs enfants, au primaire et au secondaire» dans leur langue, et ce, dans leurs écoles, «là où le nombre le justifie».

Les causes célèbres tournant autour de l'article 23, et il y en a eu, ont toutes eu comme enjeu la langue d'instruction et le droit de gestion lié à la langue d'instruction.

Or, voilà que les commissions scolaires anglo-québécoises, ointes d'un multiculturalisme débridé et outrées qu'on leur impose d'assumer leur laïcité, décident de contester la Loi 21 pour tenter de modifier fondamentalement le sens de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

L'article s'intitule «Droit à l'instruction de la langue d'enseignement de la minorité»? Peu importe. Langue, culture, religion, c'est tout relié, disent-elles, et c'était au fond, suggèrent-elles, l'intention des rédacteurs constitutionnels.

N'importe quel juge aurait dû les renvoyer à leur table de travail, dictionnaire en main, pour refaire leurs devoirs. Pour comprendre qu'une pomme c'est une pomme, qu'une orange c'est une orange. Que le droit d'enseigner en anglais dans leurs écoles ne s'accompagne pas du droit d'exhiber des signes religieux en enseignant (du moins pas en s'appuyant sur l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982).

Et voilà qu'on tombe sur un juge qui partage la même foi multiculturelle que que les commissions scolaires anglaises. Il ne s'en cache même pas dans ce paragraphe qui n'a rien, mais absolument rien de juridique: 

«Pour le Tribunal (c.-à-d. le juge), il ne fait aucun doute que la diversité des appartenances culturelles et religieuses participe à l'élaboration de programmes didactiques qui visent à bonifier l'éducation multiculturelle et que la participation réelle de personnes représentant ces différentes appartenances constitue un atout, non seulement pour l'élève, mais également pour le corps professoral.»

Il dit essentiellement: je suis d'accord avec votre idéologie.

Et croyez-moi, conclut-il, cette pomme est une orange. Les législateurs ont écrit pomme mais si vous y pensez un peu, on acquiert la certitude qu'ils voulaient écrire orange. Ils ont écrit «langue d'instruction» mais au fond, ils voulaient inclure la religion. Ils ont tout simplement oublié de l'inclure. Une petite faute d'omission que je corrige...

Mais cela n'a aucun sens! Et je ne comprends pas que cet aspect du jugement Blanchard n'ait pas suscité un tollé au sein de la collectivité juridique québécoise (et même canadienne).

Les médias ont scruté avec raison le sens politique de la décision et ses effets sur le droit de Québec de gouverner, sur l'esprit partitionniste et francophobe d'une frange de l'anglophonie montréalaise, sur l'influence indue du judiciaire en matière constitutionnelle, et plus.

Mais, est-ce par crainte de s'immiscer dans l'expertise judiciaire, personne n'insiste suffisamment sur le fait qu'un juge vient de commettre une grave erreur judiciaire, qu'il vient de nous dire qu'une pomme est une orange, que protéger la langue d'instruction à l'école signifie aussi protéger les signes religieux que portent les enseignants.

Le juge Blanchard a pris l'article 23 de la Charte de 1982 et l'a réécrit. Rien de moins. En y mettant une bonne pincée de Québec-bashing juridique.

Relisez le texte de l'article 23. C'est bien une pomme. Ce n'est pas une orange.



mardi 20 avril 2021

L'article 23? On se moque de nous?

image de L'AUT'JOURNAL


Non seulement a-t-on imposé au Québec la Loi constitutionnelle de 1982, on a donné à des juges nommés exclusivement par Ottawa le pouvoir d'utiliser cette soi-disant Charte des droits et libertés pour dépecer la Loi 101 et enfarger le Québec à chaque détour!

Récemment, dans le jugement sur la taxe carbone, une majorité de juges de la Cour suprême du Canada a allègrement modifié le sens de l'article 91 de l'AANB de 1867 pour créer un nouveau «fédéralisme de supervision» en vertu duquel Ottawa peut envahir à volonté les champs de compétence provinciaux en invoquant «l'intérêt national».

Et maintenant voilà qu'un juge de la Cour supérieure du Québec, Marc-André Blanchard (nommé lui aussi par Ottawa), vient de se permettre de modifier l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982 pour nous faire croire que laïcité et langue d'instruction sont synonymes! Si je ne l'avais pas lu, je ne l'aurais pas cru...

Pourtant, l'article 23 ne porte pas à confusion. Il a pour titre «Droit à l'instruction dans la langue de la minorité». Au début des années 1980, on y avait vu un rempart contre l'application de la Loi 101 dans le réseau scolaire anglais du Québec, mais par un étrange tour de force, il est devenu un tremplin juridique vers l'affirmation du droit de gestion scolaire des francophones hors Québec.

Mais toujours, les causes invoquant l'article 23 ont tourné autour des droits linguistiques minoritaires. Rien d'autre. Lisez le. Le texte est limpide. Ça ne prend pas un fin juriste pour comprendre le champ d'application de ce texte constitutionnel. Il fixe le droit pour les francophones et anglophones en milieu minoritaire d'être instruits dans leur langue, dans des écoles qui leur appartiennent.

L'article 23 ne transforme pas des commissions scolaires franco-canadiennes ou anglo-québécoises en petits États souverains. Toutes les autres lois, provinciales ou fédérales, doivent être respectées dans la mesure où elles n'enfreignent pas les droits linguistiques tels que définis à l'article 23.

L'Ontario oblige toutes les écoles de la province à enseigner le même programme d'anglais. Ainsi, l'élève franco-ontarien qui termine son secondaire doit réussir les mêmes examens d'anglais que les élèves anglophones. Cela ne limite pas son droit à l'école française. Donc hors d'atteinte de l'article 23... Le Québec n'est jamais allé aussi loin...

L'État provincial peut adopter à volonté des lois et règlements ayant des conséquences pour tous les établissements scolaires - diplômes requis pour enseigner, normes de santé-sécurité, jours fériés, taxes et impôts, accommodements divers, etc. - qui n'ont absolument rien à voir avec la langue d'instruction, et donc rien à voir avec l'article 23.

Alors quand l'État québécois décide de légiférer en matière de laïcité sans que cela ait un effet sur le droit à l'enseignement en anglais dans la province, les commissions scolaires anglaises (elles-même laïques) n'ont qu'à obéir. On pourra toujours faire valoir que l'interdiction de signes religieux enfreint leur droit de gestion, mais certainement pas en rapport avec le droit à la langue d'instruction.

Ça ne prend pas la tête à Papineau pour saisir cette évidence.

J'ai beau lire et relire le jugement Blanchard, j'ai peine à comprendre comment il a pu sérieusement écrire ce qui suit: «Dans la mesure où une ou plusieurs commissions scolaires anglophones décident que leurs institutions d'enseignement désirent engager et promouvoir des personnes portant des signes religieux parce qu'elles considèrent que cela participe à promouvoir et à refléter la diversité culturelle de la population qu'elles desservent, l'article 23 de la Charte empêche le législateur d'obvier directement ou indirectement à un tel objectif.»

Le port d'un signe religieux change-t-il quoi que ce soit à la langue d'enseignement d'un établissement scolaire? Non, bien sûr. Le lier à l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982 n'a aucun sens.

Si je ne sais pas comment le juge Blanchard a pu énoncer cette distorsion constitutionnelle, je sais cependant pourquoi. Il l'écrit lui-même. Il préfère la façon dont les commissions scolaires anglaises font les choses en matière de «diversité». C'est on ne peut plus clair.

«Sans nier ni diminuer (sic) le fait que la reconnaissance de la diversité culturelle et religieuse existe et se trouve valorisée dans le système d'éducation publique francophone, le Tribunal (c.-à-d. le juge Blanchard) doit constater que la preuve non contredite permet de conclure que les commissions scolaires anglophones et leurs enseignants.es ou directeurs.trices accordent une importance particulière  à la reconnaissance et célébration de la diversité ethnique et religieuse», précise le jugement.

Notez, pour les francophones, qu'il parle de «reconnaissance de la diversité culturelle et religieuse» alors que pour les anglos il évoque la «reconnaissance et célébration de la diversité ethnique et religieuse». Pas de célébration de la diversité ethnique dans les écoles françaises du Québec, semble-t-il... Mais ce n'est pas tout. Le juge Blanchard poursuit:

«Pour le Tribunal (c.-à-d. lui-même), il ne fait aucun doute que la diversité des appartenances culturelles et religieuses participe à l'élaboration de programmes didactiques qui visent à bonifier l'éducation multiculturelle et que la participation réelle de personnes représentant ces différentes appartenances constitue un atout, non seulement pour l'élève, mais également pour le corps professoral.»

C'est-y assez clair? Justin Trudeau n'aurait pas dit mieux. Une véritable profession de foi au multiculturalisme à l'anglo-canadienne. Mais dans tout cela, est-il une seule fois question du droit à l'instruction dans la langue de la minorité? Non. Parce qu'il n'y a aucun lien entre laïcité et langue d'enseignement, qu'on parle français ou qu'on parle anglais...

Le gouvernement Legault a déjà décidé de porter sa cause en appel. Il devrait faire plus. Il devrait laisser savoir aux Anglo-Québécois qui se moquent de nous, et à Ottawa qui nous regarde de haut, qu'il n'acceptera plus jamais de décisions rendues en matière constitutionnelle provenant de juges nommés par le seul premier ministre fédéral.

Y'a un boutte à toute!!!




samedi 17 avril 2021

2,7 millions de francophones hors Québec?

Il y a parfois de ces choses qu'on écrit sans plaisir... par devoir... parce qu'il le faut. Même avec la carapace d'un demi-siècle de journalisme, signer un texte critique à l'endroit de ceux et celles qu'on voudrait embrasser comme amis et alliés reste aussi difficile. Mais quand il faut rétablir les faits, on rétablit les faits...

L'annonce est passée largement sous le radar de nos médias, j'oserais dire comme d'habitude pour ce genre de sujet, mais le Québec et les minorités francophones d'ailleurs au Canada se sont donné rendez-vous (virtuel bien sûr) du 12 au 17 juin 2021. L'événement a pour titre «Sommet sur le rapprochement des francophonies canadiennes».

Ce grand rassemblement aurait dû avoir lieu en personne au mois de juin 2020 mais pandémie oblige, on l'a retardé d'un an. Il s'inscrit dans le sillage de quatre grandes rencontres tenues au 20e siècle - les trois Congrès de la langue française au Canada (1912, 1937 et 1952) et les États généraux du Canada français de 1966 à 1969.

Les États généraux s'étaient terminés sur une note amère pour de nombreux délégués de la francophonie hors-Québec, confrontés pour la première fois à la montée du sentiment indépendantiste au Québec. Mais après plus de 50 ans, plus rien n'empêche de renouer le dialogue. Déjà, en 2010, j'écrivais en page éditoriale du Droit:

«Le monde a bien changé depuis. Les frictions qui ont miné les assises de 1967 ont fait l'objet de débats abondants, parfois utiles, parfois stériles, largement classés. Ils ne constitueraient plus un obstacle à la tenue d'un sommet fructueux sur l'état et l'avenir de la langue française au Canada. Le fruit est mûr. Faudrait peut-être se reparler...» (https://vigile.quebec/articles/le-fruit-est-mur-34060)

Il faudrait en effet se reparler, mais pas pour se raconter des histoires avec des lunettes roses. Les organisateurs du Sommet - le gouvernement québécois et son partenaire, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) - doivent favoriser des échanges fondés sur une réalité qu'on regarde en face.

Le français est menacé partout, y compris au Québec, et toute analyse, toute stratégie fondée sur une dissimulation de cet état de choses est irrémédiablement vouée à l'échec.

Or, il y a quelques jours, la ministre québécoise Sonia Lebel et le président de la FCFA, Jean Johnson, ont organisé une conférence de presse virtuelle pour rappeler la tenue du Sommet et annoncer que le porte-parole officiel de l'événement serait l'auteur-compositeur-interprète franco-ontarien/acadien Jean-François Breau.

Jusque là, ça va. Les choses se sont cependant gâtées quand M. Johnson a pris la parole, affirmant tout de go: «Nous sommes 10 millions à parler français au Canada, dont 2,7 millions ailleurs qu'au Québec». Et pour qu'on ait bien compris, il a répété par la suite: «Nous (les francophones hors Québec) sommes 2,7 millions à vous saluer, chers Québécois.»

Si cette déclaration constitue un aperçu du genre de contenu que la FCFA entend véhiculer au Sommet sur le rapprochement des francophonies canadiennes, c'est bien mal parti! M. Johnson arrive en affirmant qu'il y a au Canada 2,7 millions de francophones hors Québec, et que ces minorités de langue française représentent 27% d'une francophonie canadienne estimée à un peu plus de 10 000 000 de locuteurs.

Je ne comprends pas que Mme Lebel, par son silence, endosse ces propos. Telle manipulation des données du recensement du Canada est inacceptable. S'il y avait 2,7 millions de francophones à l'extérieur du Québec, la dynamique linguistique canadienne serait tout autre! De fait, selon les estimations les plus optimistes de Statistique Canada, il n'y a qu'un million de francophones hors Québec. Et moins de 8 millions de francophones au Canada, en comptant le Québec!

Alors c'est quoi l'astuce? Le président de la FCFA inclut parmi ses «francophones» tous les Anglo-Canadiens qui savent parler français. Il y en a plus de 2 millions au pays, dont environ 1,7 million à l'extérieur du Québec. Compter des anglos bilingues comme francophones, c'est tronquer la réalité. Selon le même raisonnement, on pourrait compter comme anglophones tous les francophones bilingues, et le Québec Community Groups Network (QCGN) pourrait prétendre que près de 50% de la population québécoise est anglophone!!!

Selon le recensement de 2016, il y a hors Québec environ 1 million de personnes (1 008 357) de langue maternelle française (première langue apprise et encore comprise). Mais seulement 620 000 personnes hors Québec indiquent le français comme langue d'usage (langue parlée le plus fréquemment à la maison). Ce critère de la langue d'usage était celui que l'ancienne commission BB (Laurendeau-Dunton) proposait comme mesure la plus juste de la vitalité linguistique.

Ainsi, les collectivités acadiennes et canadiennes-françaises ne représentent pas 27% de la francophonie pan-canadienne, mais 13,8% (selon le critère de la langue maternelle) ou 8,7% (selon le critère de la langue d'usage). Et le dire, l'écrire, ce n'est pas attaquer la FCFA, c'est attaquer la fiction de données mal interprétées. C'est rétablir les faits!

M. Johnson en rajoute quand il aborde sa propre province, l'Alberta, où, dit-il, 268 000 personnes parlent français et près de 90 000 personnes «vivent au quotidien dans cette langue». Retour au recensement de 2016: en Alberta, il y a un peu plus de 79 000 personnes de langue maternelle française, et moins de 33 000 personnes qui donnent le français comme langue d'usage. Le taux d'assimilation y est donc très élevé, et une minorité des Franco-Albertains vivent en français «au quotidien». Et des 268 000 locuteurs du français, 264 000 peuvent aussi parler l'anglais. Devra-t-on, selon, la logique de la FCFA, les compter aussi dans la colonne des anglophones?

Sonia Lebel déclarait dans son communiqué (https://sommetfranco2021.gouv.qc.ca/): «N'ayons pas peur d'avoir de grandes ambitions de solidarité francophone. Les forces vives du Québec et des communautés francophones canadiennes sont capables de choses merveilleuses si elles travaillent ensemble!» L'expression-clé ici, c'est «forces vives». Pas les anglophones bilingues, pas les francophones assimilés, les forces vives, celles qui vivent encore en français et qui veulent assurer la pérennité de la langue et de la culture françaises en terre nord-américaine.

S'il faut donner un solide coup de barre collectif, mieux vaut compter sur 600 000 «vrais» francophones hors Québec que sur des légions fictives paradées dans des déclarations de presse. Le Québec et les collectivités acadiennes et canadiennes-françaises ont tout à gagner d'un dialogue à condition qu'il soit franc, peu importe la direction que choisira de prendre la nation québécoise dans les années et décennies qui viennent.



lundi 12 avril 2021

Sans gouvernance, l'impuissance, l'humiliation.



Alors que l'Ontario français mange une fois de plus une bonne claque en pleine face, je suis tenté d'effectuer un retour vers le passé, en 2014 plus précisément, alors que le mouvement en faveur de la création d'une université franco-ontarienne battait son plein depuis deux ans.

Le 27 septembre, faisant le point sur les États généraux tenus à l'automne 2013 sur le postsecondaire en Ontario français, le directeur général du Regroupement étudiant franco-ontarien (REFO), Alain Dupuis, insistait sur le caractère prioritaire d'une gouvernance francophone au palier universitaire:

Parlant au nom du RÉFO et de ses deux grands partenaires, l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario et la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO), il avait déclaré: «Les francophones n'ont pas le contrôle sur l'avenir de leur programmation universitaire et doivent se fier à la bonne volonté des institutions bilingues qu'elle ne gouverne pas. C'est absolument essentiel d'avancer sur ce point-là.»

L'année suivante, le gouvernement libéral de Mme Wynne, avec la complicité des universités bilingues, sabotait le projet en privilégiant un petit ajout à l'offre française dans la région de Toronto. Ainsi le grand projet de gouvernance universitaire franco-ontarienne est devenu un minuscule campus à Toronto, qui peine à démarrer par surcroit.

Dans une lettre ouverte en février 2021, le RÉFO, l'AFO et la FESFO ont clairement dévoilé les deux faces du visage des universités bilingues qui, d'un côté, se disent francophiles et qui, de l'autre, s'assurent d'empêcher une véritable gouvernance francophone.

Nous avons appris que les trois partenaires avaient dû avaler la réduction du grand projet universitaire à un seul campus maigrelet dans la Ville-Reine parce que c'était ça ou rien. Ils avaient été informés «que les universités bilingues (Ottawa, Laurentienne) n'accepteraient jamais le rapatriement des programmes en français vers une entité légale gérée par et pour les francophones».

Cette position a été confirmée au mois de mars quand le recteur de l'Université Laurentienne a nettement refusé d'envisager le transfert des programmes de langue française à l'Université de Sudbury, qui avait décidé de se franciser à 100%. Faites-nous confiance, disait-il: «Nous nous engageons à assurer l'avenir de La Laurentienne en qualité d'université où la programmation et l'enseignement de langue française sont valorisées et notre caractère bilingue est célébré»...

Or voilà qu'aujourd'hui, 28 programmes en langue française de l'université passent à la guillotine et, peu importe ce qu'on puisse penser des choix annoncés par la Laurentienne, une chose est absolument sûre: les francophones n'étaient pas ici maîtres de leur destinée. La gouvernance appartenait à d'autres. Encore une fois... Toujours...

J'ose espérer que la frange militante de l'Ontario français montera cette fois aux barricades, non seulement pour plaider en faveur de la protection des programmes et emplois existants à l'Université Laurentienne, mais aussi pour reprendre le flambeau de la gouvernance universitaire franco-ontarienne partout dans la province!

Ce matin, à Sudbury, on a vu dans toute sa brutalité ce que donne l'absence d'une gouvernance francophone. Des profs et des étudiants de langue française ont eu à subir les décisions prises en fonction d'autres priorités que les leurs. Et ils n'avaient absolument rien à dire dans le processus décisionnel. Et ce n'est pas fini. Un jour, ce sera au tour de l'Université d'Ottawa et la minorité francophone écopera!

Avec l'effronterie habituelle, les directions à majorité anglophone n'ont même pas eu la politesse d'expliquer en français aux victimes pourquoi on les avait larguées. Le Regroupement des professeurs francophones de l'Université Laurentienne gazouillait à 13 heures sur Twitter ce commentaire laconique: «Il est 13h00 et on ne nous a toujours pas expliqué pourquoi nos postes ont été abolis. Pas. Un. Mot.»

Sans gouvernance francophone, le résultat sera toujours le même. L'impuissance. L'humiliation.

Et maintenant?



dimanche 11 avril 2021

Crapahuter...



Crapahuter... Retenez bien ce mot...

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Vendredi matin, faisant la file à l'une des caisses de mon supermarché IGA de la montée Paiement, à Gatineau, j'ai jeté un coup d'oeil au présentoir de magazines où pullulent les revues à potins, sans doute parce que j'y avais aperçu quelque chose d'anormal. En effet, quatre exemplaires du «Monde diplomatique» de Paris, publication que je n'ai jamais vue à l'épicerie, y étaient déposés en diagonale, bien visibles.

Sans hésiter, j'ai ajouté un numéro d'avril 2021 du Monde diplomatique à ma petite pilée de fruits, de légumes et de jus d'orange. La caissière, la même que je salue depuis des années, a regardé le journal avec un air «c'est-quoi-ça-je-n'ai-jamais-vu-ça-ici», cherchant le prix parce que le code-barres ne fonctionnait pas.

Quand elle a découvert au bas de la page une liste de pays en petits caractères, elle m'a dit que je devrais payer 8$ pour cette revue de 28 pages. Ses yeux me disaient: veux-tu vraiment dépenser 8$? Oui c'est un peu cher, lui ai-je dit, mais ça reste un très bon achat...

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Dimanche matin (aujourd'hui), assis devant mon bol de céréales, je feuillette le journal cueilli par hasard à mon IGA et tombe en page 3 sur un texte intitulé «Le sommeil a une histoire». Sujet bizarre pour le Monde diplomatique, me dis-je, mais comme je passe des parties de nuit éveillées depuis un certain temps, ce sera ma lecture du matin pendant que j'avale mes carrés d'avoine et mon lait au chocolat.

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Je reviendrai tantôt à ce que j'ai appris sur le sommeil. Un texte fort intéressant par ailleurs. Pour l'instant, revenons à «crapahuter»...

J'adore découvrir des mots que je ne connais pas, ou redécouvrir des mots que j'ai oubliés au fil des décennies. Avec le régime actuel du plus bas dénominateur commun, farci d'anglicismes et d'anglais, servi par nos quotidiens, la radio, la télé et les médias sociaux, les occasions se font rares d'enrichir notre vocabulaire.

Alors voilà! Le texte signé par l'historien Roger Ekirch commence en racontant un voyage de Robert Louis Stevenson (L'île au trésor) en France en 1878. Il passa écrit-il, douze jours à crapahuter dans les Cévennes (chaîne de montagnes du sud de la France)...

Vite mon dictionnaire Larousse. Crapahuter - effectuer une longue marche en terrain difficile. Un alliage des mots crapaud et chahuter apparemment. Merveilleux. Ça valait déjà mon 8 $. Il faudra maintenant que je trouve un moyen de m'en servir...

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Récemment, à l'émission «Le 21e» sur les ondes d'Ici Première, l'auteure du dictionnaire québécois Multi, Marie Eva de Villers, racontait à l'intervieweur Michel Lacombe que sa thèse de doctorat était fondée sur une comparaison d'un an entre le vocabulaire du quotidien Le Devoir et celui du journal Le monde, de France.

Et Mme de Villers disait continuer à éplucher ces journaux pour ajouter, à chaque nouvelle édition quinquennale du Multi, de nouveaux mots. Elle disait notamment avoir découvert ces derniers jours, dans Le monde, le mot «vainqueure», féminin de vainqueur, et qu'elle l'inclurait dans la 7e édition du Multi qui doit être publiée au printemps 2021.

J'ai vérifié la 5e édition (celle que j'ai chez moi) et le verbe crapahuter n'y est pas. C'est malheureux...

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De retour au texte «Le sommeil a une histoire»...

Je soumets à votre attention trois autres mots qu'on voit rarement, dont un que je n'avais jamais vu auparavant, et vous mets au défi de vous en servir dans un texte ou une conversation.

L'article du Monde diplomatique évoque un souper roboratif de Robert Louis Stevenson... Roboratif signifie «fortifiant», dans le Larousse.

Et M. Stevenson, dans les montagnes, se disait libéré de l'embastillement de la civilisation... (embastiller - enfermer dans une prison).

Enfin, M. Ekirch (l'auteur) rappelle une vieille tradition de donner aux contes et légendes un aspect décousu et la texture d'un rêve. On élabore ainsi un «fatras», écrit-il. (Un amas confus, dit M. Larousse).

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Un dernier retour... vers mes problèmes de sommeil. Ce qui m'a amené à choisir ce texte comme première lecture. Il semble que dans la longue tradition de l'humanité, il était normal d'avoir un premier et un second sommeil durant la nuit, avant que les technologies modernes permettent d'éliminer la noirceur.

«Jusqu'à l'époque contemporaine, rapporte-t-on, une heure ou plus d'éveil interrompait au milieu de la nuit le repos de la plupart des habitants d'Europe occidentale». Des membres de chaque foyer quittaient le lit pour uriner (ça, ça n'a pas changé), fumer un peu de tabac, rendre visite à leurs voisins ou même faire la lessive...

Des études récentes auraient démontré que les humains, privés de lumière artificielle à la nuit tombée pendant plusieurs semaines, «se mettaient finalement à adopter un mode de sommeil fragmenté - qui étonnamment, était presque identique à celui des foyers du 16e ou 17e siècles»...

Bon voilà qui me rassure... Mes éveils la nuit font partie de la nuit des temps... Peut-être devrais-je davantage m'inquiéter des rares moments où je dors d'une traite du soir au matin...

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Enfin, tout ça parce que je suis passé à mon IGA au moment où on avait laissé en pleine vue quelques numéros du Monde diplomatique...




vendredi 9 avril 2021

Souvenirs d'enfance...

Mon frère, à gauche, avec le prince Philip

Je suis né et j'ai grandi à Ottawa. Pour l'immense majorité des Québécois et des Canadiens, cette ville est la capitale du pays. Pour moi c'est autre chose. J'ai arpenté ses rues dans mon enfance, j'ai fréquenté l'école du voisinage, j'y voyais tous les jours la grande famille... des quatre grands-parents aux nombreux cousins et cousines. J'étais chez moi.

La tour du Parlement était bien visible de notre petit quartier francophone. On pouvait facilement s'y rendre en vélo. À la limite, à pied... L'édifice n'avait rien d'exotique. Ça faisait partie du décor quotidien, comme les clochers de l'église St-François d'Assise sur la «grand-rue» (la rue Wellington, celle du Parlement).

On ne faisait guère la distinction entre des événements paroissiaux et ceux d'envergure nationale ou internationale. S'ils avaient lieu à Ottawa, c'était un peu local... La grande procession de la Fête-Dieu, en juin, était l'un des faits saillants de l'année. Les maisons des rues de la paroisse étaient pavoisées de drapeaux du Sacré-Coeur et du Saint-Siège et il y avait foule...

Mais mon plus ancien souvenir d'un défilé, suivi par des milliers de personnes, remonte au mois d'octobre 1951. J'avais cinq ans et ma mère m'avait emmené voir le passage de la princesse Elizabeth et du prince Philip, près du canal Rideau, sur la promenade qui porte aujourd'hui le nom de la reine. Autre que l'image du couple royal dans une décapotable par une belle journée automnale, il me reste peu de choses en mémoire de cette visite officielle.

Je suis donc retourné dans les archives du quotidien Le Droit et j'a retrouvé les comptes rendus dans l'édition du 10 octobre 1951. En voici un extrait, dans le style de l'époque bien sûr. Aucun journaliste n'écrirait de cette façon aujourd'hui:

«La nature automnale de la Capitale s'était surpassée sur le parcours long de huit milles que suivirent Leurs Altesses Royales la princesse Elizabeth et le duc d'Édimbourg.

«D'une Cadillac décapotable, qui le transporta d'Island Park Drive au parc Lansdowne puis ce cette enceinte au monument des morts de la guerre, le jeune couple princier fut en effet témoin d'une spectacle féérique et grandiose.

«Les arbres qui flanquent cette superbe avenue q'est le Driveway (aujourd'hui prom. Reine Elizabeth) avaient revêtu pour l'occasion leurs plus belles teintes automnales. Un soleil éclatant, dans un ciel sans nuage, se reflétait sur les eaux calmes du canal.

«Une foule se chiffrant par près de 150 000 personnes (la population totale d'Ottawa et Hull ne dépassait guère 200 000) prit place sur ce parcours du cortège royal pour acclamer la princesse souriante et son consort.»

Je me souviens bien mieux de la visite suivante d'Elizabeth et Philip, en octobre 1957. Elle était reine depuis cinq ans, et les autorités avaient organisé un grand rassemblement de 15 000 écoliers d'Ottawa au stade du parc Lansdowne en l'honneur du couple royal. Nous en étions bien heureux, puisque cela nous évitait une journée de classes.

Mais cette visite revêtait aussi un caractère spécial. Deux élèves (un des écoles publiques, l'autre des écoles catholiques) devaient présenter des fleurs à la reine et une boutonnière au prince Philip. Or, notre école (Notre-Dame des Anges) avait été choisie et l'élève élu pour faire la présentation au prince Philip était mon frère Robert (âgé de 10 ans).

Le matin de l'événement, il y avait du brouillard et la température était douce. Mes parents avaient (pour la première fois je crois) une ciné caméra pour capter des images de la cérémonie. Il me semble me souvenir de voir, dans le petit film, le pouce de mon père devant l'objectif de la caméra...

Encore une fois, j'ai plongé dans les archives du Droit pour trouver le compte rendu en manchette de la page une, dans l'édition du 16 octobre 1957. Je suis resté ahuri en lisant l'article signé par un des plus célèbres reporters de l'histoire du Droit, Jean-Charles Daoust. J'en reproduis quelques extraits:

«Un petit camelot et enfant de choeur, Robert Allard, fils âgé de 10 ans de M. et Mme Aurèle Allard, 153, rue Hinchey, et élève en 6e année de l'école Notre-Dame des Anges, avenue Forward, n'oubliera jamais le mercredi 16 octobre 1957.

«En effet, le gosse aux boucles châtaines et aux pétillants yeux bruns foncés, élu "François" de sa classe encore tout récemment (je ne sais plus ce que signifiait être nommé "François"), avait l'honneur de représenter les enfants de nos écoles séparées.

«Parmi ses nombreux compagnons dans la grande estrade du parc Lansdowne, il y avait son frère aîné, Pierre Allard, 11 ans et élève de septième année.

«Portant un veston sport bleu marine avec couronne d'or, garnie de pourpre, et un pantalon gris, le petit porteur de journal faisait honneur à ses parents, Aurèle Allard et Germaine Jubinville Allard, qui l'avaient accompagné à la manifestation royale.

«En excellent français, il présenta la fleur pour garnir la boutonnière du prince Philip, pendant que la jeune Gail Cook (représentant les écoles publiques), qui ressemblait à un bouton de rose, eut remis un corsage à Sa Majesté.

«À la maison, au 153 Hinchey, Jocelyne Allard, six ans, et bébé Hélène, un an, ont vu Robert présenter la boutonnière à Son Altesse grâce à la télévision.»

Quelques années plus tard, rendu à l'école secondaire de l'Université d'Ottawa, j'ai découvert l'histoire et la politique. Je suis devenu anti-monarchiste et le suis jusqu'a ce jour.

Mais ce matin, 9 avril 2021, quand j'ai appris le décès de Philip Mountbatten, j'ai ressenti de la tristesse parce qu'il avait meublé, avec Elizabeth Windsor, quelques beaux souvenirs de mon enfance...

Le prince Philip en jeans et chemise à carreaux, exécutant une danse carrée avec la princesse Elizabeth en 1951, à Ottawa



mardi 6 avril 2021

Le 25 mars 2021, le jour où le Canada a (un peu) cessé d'être une fédération...



Hé les fédéralistes... Vous qui êtes si prompts à monter aux barricades quand Québec tente de se renforcer aux dépens d'Ottawa, où êtes-vous quand le fédéralisme que vous chérissez (apparemment) se trouve menacé par un abus de pouvoir du gouvernement central? J'écoute... Le silence est assourdissant.

Un jour, dans les cours de science politique, les profs pourraient bien enseigner que le régime fédéral canadien a pris fin le 25 mars 2021 quand une décision de la Cour suprême (celle au sujet de la taxe carbone) a tordu la Constitution du pays pour rompre l'équilibre entre Ottawa et les provinces, affirmant clairement la suprématie du gouvernement central sur les autres États membres de la fédération.

Cela est clairement contraire au principe même du fédéralisme. Dans un régime fédéral, les pouvoirs sont répartis entre le gouvernement central et les autres États membres, chacun exerçant un pouvoir souverain à l'intérieur de ses compétences. En vertu de ce principe, au Canada, le gouvernement fédéral et les 10 provinces sont égales. Chaque province devient à toutes fins utiles un pays indépendant dans ses champs de compétence.

En pratique, tout le monde sait la réalité est bien plus complexe mais ce principe demeure le fondement de toute fédération réelle.

Or, notre Cour suprême, où, rappelons-le, les juges sont nommés par le premier ministre fédéral, vient de démolir l'édifice d'un trait de plume, en inventant le concept constitutionnel de «l'intérêt national» pan-canadien dont Ottawa serait le gardien officiel. Ne cherchez pas cela dans un article de l'AANB de 1867 ou de la Loi constitutionnelle de 1982. Vous ne le trouverez pas.

Comment le plus haut tribunal de pays, de plus en plus notre Tour de Pise juridique, a-t-elle réussi ce tour de passe-passe? En décrétant que le droit général d'Ottawa de légiférer «pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement» (POBG), tel que stipulé à l'article 91 de l'AANB, peut constituer un tremplin vers cet «intérêt national» (de toute évidence pas la nation québécoise), en vertu duquel le gouvernement fédéral a le droit de piétiner les compétences des provinces.

La Cour suprême a beau prétendre que cette virevolte est «compatible avec l'approche moderne concernant le fédéralisme, qui favorise la souplesse et un certain degré de chevauchement des compétences», c'est pure fantaisie. Elle crée une hiérarchie jusque là inexistante, avec Ottawa au sommet de la pyramide. Et ne vous trompez pas, «l'effet de la reconnaissance d'une matière en tant que matière d'intérêt national est permanent et confère compétence exclusive au Parlement (fédéral) sur cette matière».

Et à ceux qui pourraient penser que cette baguette magique fédérale ne peut s'appliquer que dans les champs de compétence fédéraux ou non attribués dans la Constitution, détrompez-vous. Ottawa vient de s'en servir dans un domaine qui relève entièrement des compétences attribuées aux provinces dans la Constitution canadienne.

Un des juges dissidents, Russell Brown, l'a noté clairement dans son explication: «Accepter que l'attribution de cibles nationales ou de normes nationales minimales puisse servir de fondement à la reconnaissance qu'un certain aspect d'un domaine de compétence provinciale est (...) de portée nationale et que, de ce fait, il outrepasse la compétence provinciale, revient à créer un modèle de fédéralisme de supervision par lequel les provinces peuvent exercer leur compétence comme elles le veulent, tant qu'elles le font d'une manière autorisée par les lois fédérales.»

Qu'arriverait-il si Québec, invoquant ce même principe, décrétait qu'il y va de son «intérêt national» (celui de la nation québécoise bien sûr) d'occuper un champ de compétence fédérale? La Cour suprême ferait comme elle l'a fait auparavant. Pour elle, le Québec c'est local, pas national. Je serais quand même curieux de voir comment les juges et leurs traducteurs s'en tireraient dans un affrontement juridique entre deux «intérêts nationaux» dans le même pays...

Quoiqu'il en soit, Ottawa vient de gagner le gros lot à la 6/49 constitutionnelle. Désormais, si Justin Trudeau veut soumettre le Québec à des normes fédérales minimales dans les CHSLD parce qu'il juge la santé des vieux d'intérêt dit «national», la porte est ouverte. Grâce à six juges de la Cour suprême (dont deux Québécois) qui viennent de passer la scie à chaîne dans la Constitution du pays (voir le texte du jugement du 25 mars à bit.ly/3w5vd9e).



samedi 3 avril 2021

«je suis nègre nègre-blanc québécois fleur-de-lys» (Paul Chamberland, 1965)


Si je vois ou j'entends une fois de plus l'expression «mot en "n"», ce sera une fois de trop! D'abord, c'est un anglicisme. Non, pire qu'un anglicisme, c'est un calque de l'anglo-américain. The «N-Word».... L'importation irréfléchie d'une injure raciste des États-Unis vers notre langue fragile, assiégée, de plus en plus poreuse.


Le problème, au départ, vient du fait qu'on veut bannir du langage ce mot qu'on a réduit à la 14e lettre de l'alphabet. Aussi, trop de gens semblent croire qu'il s'agit du mot français «nègre». Ce ne l'était pas et ce ne l'est toujours pas. Le mot honni, qu'on associe encore aux racistes blancs du sud des États-Unis, c'est de fait «nigger».


C'est bien ce mot - et non le français «nègre» - qu'a prononcée la professeure Lieutenant-Duval de l'Université d'Ottawa pour discuter, en anglais, du contexte de son emploi et de sa portée historique avec ses étudiants et étudiantes. Mais ne comptez pas sur nos médias pudiques pour le préciser. Il leur faudrait utiliser des mots que nos mauviettes de la langue ont interdits.


Dans le climat actuel d'intimidation linguistique et d'autocensure, écrire ou dire les mots nègre ou nigger, même pour instruire, même pour les condamner, peut attirer des sourcils froncés et des accusations de racisme. Or, pour combattre le racisme, le vrai, notre petit monde a besoin de plumes libres.


Commençons par un peu d'histoire. Fouiller dans les imprimés pré-Internet est devenu ardu, voire épeurant, pour trop de jeunes accrochés aux fantaisies aseptisées de ces petits écrans qui semblent parfois greffés à leurs cerveaux. Il faut préciser au départ que l'équivalent du mot nègre, en anglais, c'est negro, pas nigger. Et que l'emploi du terme negro était répandu, voire courant, jusqu'aux années 1960 pour décrire les humains de race noire. Aux États-Unis, le terme Afro-Américain l'a graduellement supplanté. Ici, le mot Noir a pris le dessus depuis longtemps.


Historiquement, de nombreux Québécois francophones ont affirmé leur solidarité avec la cause des Afro-Américains, et ce à partir du 19e siècle. Durant les années 1960, sous les plumes de Paul Chamberland et Pierre Vallières, entre autres, la solidarité des Québécois et des Noirs américains est presque devenue identitaire. Sans doute parce que les mêmes suprémacistes blancs britanniques avaient été les initiateurs de l'esclavage états-unien et du colonialisme anti-francophone ici.


Je me permets de sortir des boules à mites quelques textes qui permettent de comprendre que l'emploi du mot nègre au Québec n'a rien de raciste et qu'au contraire, il a servi à démontrer notre solidarité et notre état de sujétion historique en Amérique du Nord britannique.


1. Cet extrait de texte est tiré du journal La vérité de Jules-Paul Tardivel, publié en 1899 dans la région de Québec. L'article commence ainsi: «Les nègres, traités en parias aux États-Unis». Et l'auteur, dans doute Tardivel lui-même, de poursuivre: «Ce qui se passe aux États-Unis, en pleine civilisation, est intolérable. C'est une honte pour l'humanité, pour l'Amérique, que des hommes, qui ont tous les droits du citoyen, puissent être exécutés (lynchés) par la foule sans forme de procès. Il est temps que cette pratique barbare finisse.»


L'éditorial conclut en réclamant «justice pour les Noirs aux États-Unis», preuve que nègre et Noir étaient utilisés comme synonymes dans des textes antiracistes à la fin du 19e siècle, au Québec. 


2. Retour vers le futur... 1958... Nous sommes toujours sous le règne de Duplessis. Ce dernier avait fait expulser par la police un journaliste du quotidien Le Devoir qui assistait à sa conférence de presse, pour la simple raison qu'il n'aimait pas l'opposition du Devoir à ses excès. Le directeur du Devoir, André Laurendeau, était offusqué du silence des médias anglo-québécois devant ce comportement de Duplessis.


L'éditorial que Laurendeau a signé dans son journal le 4 juillet 1958 est passé à l'histoire (mais on n'en parlerait plus aujourd'hui, il contient le mot honni...) en associant le statut d'infériorité des Québécois de langue française à ceux des Noirs sous l'emprise coloniale de la Grande-Bretagne en Afrique. En voici un extrait:


«Les journaux anglophones du Québec se comportent comme les Britanniques au sein d'une colonie d'Afrique.


«Les Britanniques ont le sens politique, ils détruisent rarement les institutions politiques d'un pays conquis. Ils entourent le roi nègre mais lui passent des fantaisies. Ils lui ont permis à l'occasion de couper des têtes: ce sont les moeurs du pays. Une chose ne leur viendrait jamais à l'esprit: et c'est de réclamer d'un roi nègre qu'il se conforme aux faits standard moraux et politiques des Britanniques.


«Il faut obtenir du roi nègre qu'il collabore et protège les intérêts des Britanniques. Cette collaboration assurée, le reste importe moins. Le roitelet viole les règles de la démocratie? On ne saurait mieux attendre d'un primitif...»


3. Entre 1958 et 1965, on n'a pas seulement changé de décennie, on est entré dans une nouvelle ère. De conservateur et catholique, le nationalisme québécois est devenu plus progressiste, socialiste sur les bords, et laïc. Solidaire, aussi, des mouvements mondiaux de décolonisation et de libération. Paul Chamberland fut un poète phare de l'époque. Il écrit, en 1965, dans son recueil L'afficheur hurle, aux Éditions parti pris:


«je suis nègre  je lave les planchers dans un bordel du Texas  je suis québécois je me fais manger la laine sur le dos (...) je suis une flaque une bavure dans les marges de la Bank of Montreal de Toronto


«je suis cubain  je suis nègre  nègre-blanc québécois fleur-de-lys et conseil-des-arts  je suis colère dans toutes les tavernes dans toutes les vomissures depuis 200 ans...»


4. Pierre Vallières, un des idéologues du Front de libération du Québec, écrivait au printemps 1968 dans la revue Parti pris, au moment où paraissait son livre Nègres blancs d'Amérique:


«Nos frères noirs des États-Unis ont compris. Comme (Stokely) Carmichael l'a dit à La Havane, il s'agit de renverser toute la société capitaliste nord-américaine et de s'unir, pour y arriver, à tous ceux qui dans le monde luttent, les armes à la main, contre l'impérialisme américain.


«La lutte des Noirs, comme celle des Québécois, les Nègres blancs d'Amérique, ne fait que commencer. Elle ne se terminera que par la victoire ou l'assassinat du peuple québécois comme du peuple noir.»


Rappelons que Stokely Carmichael, chef des Black Panthers aux États-Unis, ayant popularisé l'expression Black Power, connaissait Vallières et avait soutenu «nos frères du FLQ».


5. À l'automne 1968, on entendait pour la première fois le puissant poème Speak White de Michèle Lalonde, qu'il faut lire encore aujourd'hui pour bien comprendre le climat de la fin des années soixante dans les milieux nationalistes de gauche au Québec. Voici un extrait:


«Nous savons que liberté est un mot noir

«comme la misère est nègre

«et comme le sang se mêle à la poussière des rues d'Alger ou de Little Rock»


La simple évocation de l'expression Speak White dans le titre sert à souligner que bien des anglophones jugeaient la langue française inférieure, et à plus fort titre ceux et celles qui la parlaient. À chaque fois qu'on nous adressait cette injure, on comprenait un peu plus que la langue des suprémacistes blancs, au Canada et aux États-Unis, c'était et c'est toujours l'anglais...