lundi 31 mai 2021

Les 50 ans de Québékiss...

Pour écouter Québékiss, voir bit.ly/2ySXk1U

Des centenaires et des cinquantenaires il en pleut... et tous, à leur façon, méritent sans doute de laisser une empreinte dans les mémoires individuelles et collectives. Il est un cinquantenaire, toutefois, qui risque de passer sous silence et ce serait, à mon avis, tragique.

Il y a 50 ans, le 6 juin 1971, quelques mois après la fin de la crise d'octobre 1970, l'album Québékiss de Marie Savard (dans le sillage de Poèmes et chants de la résistance, vol. 2) est entendu pour la première fois. Peut-être faut-il avoir vécu l'époque pour comprendre comment le disque a pu marquer ce moment clé de l'histoire du Québec, mais même en 2021, il suffit de le réécouter pour savoir à quel point il reste actuel.

Ce sont les paroles et la musique de résistants qui viennent de prendre la mesure de la force brutale d'un régime, d'un pays qui n'a pas hésité à imposer les mesures de guerre pour écraser la volonté naissante de liberté et d'indépendance du peuple québécois, sous prétexte de traquer une poignée de felquistes. Désarmés face aux militaires, sans pouvoir politique, nous avons chanté notre insoumission.

Dans Mon homme est en chômage, de Marie Savard, la blonde du chômeur lui dit: «Mon beau, t'es ben plus beau qu'les parlements pis les ministres. Si tu savais comment y'ont peur, t'as pus rien qu'à te tenir debout... T'as pu besoin d'faire le dit gars, t'as un pays entre tes bras.»

La chanson La nuit du 16 octobre (la nuit des mesures de guerre) évoque de façon crue la répression qui visait officiellement le FLQ mais qui ciblait en réalité le mouvement indépendantiste: «Ils ont voulu tuer un pays... Ils en ont pris cinq cents, gardé cinquante, fouillé trois milles... Ils ont voulu casser, tuer un pays.»

Et que dire de la finale, intitulée Québékiss, avec ses exhortations à l'engagement militant... «On a fini d'survivre... d'être né pour un p'tit pain... Il faut tuer la peur...», suivi du slogan que tous scandaient au début des années 1970: «Ce n'est qu'un début, continuons le combat». Cette chanson a dû jouer pendant au moins un an à toutes les réunions du conseil confédéral de la CSN...

L'album a été interdit à la radio, toujours ébranlée par le climat des mesures de guerre, et même retiré du marché (bit.ly/3c7MGpg). C'est dire toute sa puissance et la crainte qu'il inspirait dans certains milieux. Je n'avais que 24 ans en juin 1971 mais je me souviens que cette musique, comme celle d'autres artistes, Jacques Michel, Félix Leclerc même, incarnait l'esprit de résistance et l'espoir d'un pays bien à nous.

Cinquante ans plus tard, rien n'a vraiment changé, sauf peut-être la jeune génération qui se comporte parfois comme les vieux de mes 20 ans... Jamais le pays n'a semblé si éloigné... L'album Québékiss devrait faire partie des cours d'histoire des étudiants québécois de 2021... Non seulement les informerait-ils d'événements vécus quelques générations avant eux, mais, qui sait, peut-être certains retrouveraient-ils dans ces paroles et musiques l'étincelle qui rallumerait les braises de notre résistance...

Plus que jamais, ce n'est qu'un début. Continuons le combat.

 


Deuxième dose d'AstraZeneca... Bravo CISSSO!

Au bulletin télévisé de Radio-Canada, hier midi (dimanche), le début de l'administration de la seconde dose du vaccin AstraZeneca comptait bien sûr parmi les manchettes. Le reportage, réalisé dans la région montréalaise, donnait l'impression d'un fouillis à certains endroits, avec des attentes pouvant atteindre trois heures pour découvrir qu'il faudrait revenir le lendemain ou surlendemain...

Dommage que la société d'État ne vienne pas plus souvent dans mon patelin (Gatineau). Elle aurait peut-être eu un autre son de cloche si je me fie à mon expérience, et à celle des centaines de personnes que j'ai vues samedi matin (29 mai 2021) au Palais des congrès de Gatineau où le CISSS de l'Outaouais a installé son plus important centre de vaccination contre la COVID-19.

Le CISSSO avait indiqué la veille (vendredi) que la deuxième dose d'AstraZeneca serait administrée à compter de 8 h 30, samedi, et invitait ceux et celles qui avaient reçu leur première dose avant le 3 avril de se rendre directement au Palais des congrès, situé au centre-ville de Hull. Simultanément, dans la même salle, se poursuivrait la vaccination des plus de 12 ans, qui reçoivent leur première injection du vaccin Pfizer.

J'anticipais le pire quand, accompagnant un cousin qui demeure à quelques portes, je suis arrivé en voiture à proximité du stationnement du Palais des congrès. Il était 7 h 45, samedi matin. Il y avait file. Un préposé nous intercepte avant l'aire de stationnement et nous demande le motif de notre visite. Seconde dose d'AstraZeneca. Gardez la gauche, dit-il, et continuez...

On a vite compris que la file de droite est réservée aux plus de 12 ans qui se rendaient au sans rendez-vous pour leur première dose de Pfizer. Seuls ceux-là étaient autorisés à garer leur voiture.

Quant à nous, une cinquantaine de mètres plus loin, le long de la chaussée, d'autres préposés sont aux aguets et s'avancent vers chaque véhicule. Service à l'auto. C'est pour AstraZeneca? Oui. Deux personnes? Oui. Et on nous remet chacun un petit billet vert avec l'heure de notre rendez-vous. Nous sommes les 294e et 295e clients et nous serons piqués à 11 h 30, en fin de matinée.

Et voilà, c'est fini! Nous sommes en route. Le tout a pris deux ou trois minutes max, et notre aller-retour du secteur est de Gatineau au centre-ville a duré au plus 35 minutes. Je suis impressionné...

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De retour vers 11 h, nos billets verts nous donnent accès à la file de droite où un gardien identifie pour nous un espace de stationnement et nous y dirige. Une fois garés, on se dirige vers l'attroupement qui attend aux portes du Palais des congrès. Nouvelle vérification. 11 h 30? Il est trop tôt. Attendez, SVP, on vous laissera passer 15 minutes avant votre rendez-vous.

De fait, à 11 h 15, nous sommes convoqués et autorisés à passer aux escaliers ou ascenseurs. Nouvel attroupement à l'étage de la foire alimentaire où d'autres membres du personnel nous accueillent. Autre tri, les sans rendez-vous Pfizer d'un côté, les AstraZeneca de l'autre. En moins d'une minute, une préposée nous donne un masque de procédure pour remplacer le nôtre et hop! l'escalier roulant vers la grande salle de vaccination au 3e étage...

J'appréhende l'embouteillage que j'avais vécu à la mi-mars pour la première vaccination mais non... Encore un préposé (le 10e que nous avons vu?) qui nous dirige vers une file spéciale coiffée de l'affiche «AstraZeneca», d'où on nous pointe les guichets d'accueil. Un petit cinq minutes et nous sommes inscrits, notre rendez-vous original de juillet est annulé, notre preuve vaccinale est consignée et le tout confirmé à notre adresse courriel... 

Passage ensuite à un autre guichet où l'on donne et demande des renseignements d'ordre médical, y compris les effets secondaires possibles du vaccin malaimé que nous recevons pour la deuxième (et dernière?) fois... Deux minutes plus tard, je suis à l'une des nombreuses stations de piquage où l'aiguille est vite enfoncée dans mon épaule. Et c'est fait. Il est 11 h 28...

Dernier arrêt. L'immense aire remplie de chaises surmontée de deux immenses horloges. C'est ici qu'on doit attendre 15 minutes avant de partir, au cas où une réaction allergique ou autre se manifesterait. Le nième préposé qui m'accueille me dirige vers une chaise et me demande de la tourner à gauche de 90 degrés en quittant, pour que d'autres membres dru personnel la désinfectent. Bon système...

Assis pendant une quinzaine de minutes, on a tout le loisir de regarder ce qui se passe autour de soi dans cette immense salle d'un palais des congrès. La disposition des guichets, des stations, les files Pfizer, la quantité impressionnante de personnel (une centaine?), la présence de nombreux jeunes en train de se faire vacciner (en mars nous n'étions que des vieux de 75 ans et plus)...

Tout à coup, une préposée dans l'aire des chaises agite une clochette et immédiatement deux ou trois membres du personnel se dirigent vers un jeune qui semble mal en point et qu'on emmène en fauteuil roulant vers le personnel médical. Quelques minutes plus tard, un autre jeune qui revient près de nous de sa vaccination glisse à genoux, puis au sol, évanoui. Clochettes! Et lui aussi va voir médecins et infirmières.

Quelle organisation! Et voilà, mon attente de 15 minutes est terminée et nous nous dirigeons vers la sortie où un ultime préposé nous salue et nous remet chacun une boîte de 50 masques de procédure. Une prime, quoi... Et je suis de retour à la maison presque sur le coup de midi pour voir le téléjournal de Radio-Canada qui parle des déboires de la vaccination dans la métropole...

Alors avis à tous. La machine de vaccination du CISSS de l'Outaouais est bien huilée, bien rodée, impressionnante même. Du moins elle l'était ce samedi 29 mai. Je reconnais que cela ne fait pas une manchette bien spectaculaire dans un bulletin de nouvelles...


samedi 29 mai 2021

Cher M. Jolin-Barrette...

Cher M. Jolin-Barrette,

Je sais que même avec les meilleurs arguments du monde, je ne pourrais convaincre votre gouvernement d'appliquer la Loi 101 aux cégeps. Vous avez peut-être déjà vous-même essayé, sans succès, en discutant du projet de loi 96 derrière les portes closes des réunions ministérielles. 

Les motifs de cette inaction sont sans doute multiples, mais je crains surtout que cela puisse découler, tant chez notre premier ministre que chez vos collègues, d'un refus de voir la réalité en face. Quelle réalité? Celle de cohortes de finissants francophones du secondaire arrivant au cégep «avec de sérieuses lacunes en français» (voir bit.ly/3p2s2Mh).

Pendant que François Legault parle d'accentuer les programmes d'anglais intensif dans les écoles primaire de langue française et qu'on miroite un nombre quelque peu réduit de places dans les cégeps anglais pour l'élite francophone du secondaire, le message devient clair au sein de la jeune génération: pour l'avenir, c'est l'anglais qui compte le plus...

Et le français, la langue officielle, la langue commune apparemment, fait figure de parent pauvre. «Les élèves arrivent (au cégep) avec une série de lacunes qu'on doit essayer de rattraper au collégial. J'ai l'impression qu'on diplôme des analphabètes fonctionnels au secondaire. Il y en a plein au cégep», raconte la professeure Éléonore Bernier-Hamel dans un texte à la une du Devoir.

Plus de la moitié des étudiants dans sa classe de littérature québécoise ont échoué à la dissertation finale! «Plusieurs élèves n'avaient pas les compétences de base en littératie. Ils avaient d'énormes difficultés à comprendre un texte simple», insiste Mme Bernier-Hamel.

Bien sûr, la pandémie avec son lot de cours à distance n'a pas aidé la performance des étudiants, mais cela fait maintenant dix ans, dans le cheminement scolaire, que l'accent est mis sur la nécessité de devenir bilingue pour réussir, même au Québec. Philippe Couillard voulait que tous les jeunes Québécois apprennent l'anglais, et n'a pas hésité à appuyer un projet de faculté de médecine de McGill à Gatineau dans lequel la totalité des cours auraient été donnés en anglais... aux francophones! Quant à notre députée libérale de Hull, Maryse Gaudreault, elle voulait même ouvrir l'école primaire anglaise aux jeunes francophones...

Les jeunes écoutent les nouvelles comme vous, M. Jolin-Barrette. Ils savent que l'usage du français recule en milieu de travail, notamment dans la région montréalaise où il est toujours possible de vivre et travailler sans connaître un mot de français. Dans la région de Québec et Lévis, la majorité des élèves francophones passent déjà par l'anglais intensif en 6e année, sachant désormais que l'anglais est important au point d'interrompre pendant cinq mois leur apprentissage toujours fragile du français, cette langue commune qu'on dit vouloir protéger...

Pendant ce temps, les élèves anglo-québécois ont-ils l'obligation de suivre un programme équivalent de français intensif? Saviez-vous, M. le ministre, qu'en Ontario les jeunes Franco-Ontariens doivent réussir le même programme d'anglais que les anglophones? «L'anglais est enseigné (dans les écoles françaises) avec autant de rigueur que dans les écoles de langue anglaise, et ce, de l'école élémentaire jusqu'à la 12e année. (...) Tous comprennent l'anglais», précise le ministère ontarien de l'Éducation. Pas les deux tiers, pas les trois quarts, pas 90%, TOUS!

Alors voilà ce qui m'inquiète. Votre projet de loi contient nombre de mesures susceptibles de renforcer l'utilisation du français dans l'administration publique, devant les tribunaux et même en entreprise. Mais à quoi serviront ces efforts si la nation québécoise produit de jeunes générations massivement bilingues au français appauvri? Ce Québec français que tous semblent désespérément espérer, qu'en restera-t-il «au bout du chemin»?

Bonne chance, M. le ministre.



vendredi 28 mai 2021

La langue française... «Ne la tuons pas!»

Politicologues, sociologues et historiens s'amuseraient sans doute à décortiquer cet éditorial d'il y a 100 ans qui, même s'il regarde un monde depuis longtemps disparu, évoque des situations et des mentalités qui demeurent tout à fait actuelles. Un texte pertinent, opportun même, pour le débat sur le projet de loi 96 et l'avenir du Québec français...

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Éditorial en page 3, Le Droit, 27 mai 1921

«Au lendemain de la fête de Dollard et à la veille de la St-Jean-Baptiste, ne serait-il pas opportun de faire un bref examen de conscience et de se demander si l'on remplit toujours avec fidélité nos devoirs envers la langue française? Ne sommes-nous pas quelquefois les artisans de nos malheurs et nos plus dangereux ennemis?»

À preuve, l'éditorialiste Charles Gautier, du Droit, cite abondamment un article du journal Le bien public, de Trois-Rivières:

«Malgré la lutte patiemment organisée pour la revendication des droits à la langue française, non seulement dans Québec mais par tout le Canada, une révélation faite par la Compagnie du Pacifique nous apprend que notre public canadien-français, le plus instruit, celui qui sait lire et parler, emploie de préférence l'anglais au français sur les trains des chemins de fer et dans les hôtels sélects. La preuve de ceci vient d'être faite, non pas par ce qui se passe dans l'extrême ouest anglais, mais en plein centre du Québec français, dans la région comprise entre Montréal et Québec.

«En effet, pour se conformer à l'idéologie émise par la campagne en faveur du français, par de chauds discours patriotiques et par une loi tapageuse inscrite dans les statuts de notre province, certaines compagnies, dont le Pacifique Canadien, nous donnent des formules bilingues. Les billets de passage, les menus des repas sont imprimés dans les deux langues.

«Or voici, d'après une statistique soigneusement dressée, à quoi tout cela a abouti. Les grands voituriers de la compagnie du Pacifique déclarent que, sur les trains qui circulent entre Québec et Montréal, soit, sur cette partie du réseau la plus française du continent, à peine deux pour cent des cartes du menu aux wagons restaurants, imprimées en français, sont réclamées par les 80% des voyageurs canadiens-français. On préfère le menu anglais. À Québec, encore, au Château Frontenac, 80% des employés sont des Canadiens Français, et pourtant, tout le monde préfère s'adresser à eux en anglais.

«Et le journal de Trois-Rivières de faire les commentaires suivants: "Comment expliquer cette étrange mentalité de ceux des nôtres qui capitulent si volontiers à l'égard de l'usage de notre langue française? L'explication reste difficile. Il est à remarquer qu'il ne s'agit ici que de notre public le plus instruit, le plus en moyens: celui qui voyage, celui qui lit, celui qui fréquente les hôtels cossus. Or ce public-là sait l'anglais, et s'en sert partout, de préférence au français.

"La conséquence est lamentable. On fournit aux compagnies anglaises le meilleur argument contre le bilinguisme. Si tous les clients canadiens-français emploient de préférence l'anglais, les frais d'impression de billets de passage et de menus rédigés dans les deux langues deviennent inutiles. La préférence donnée aux employés canadiens-français bilingues devient aussi superflue. Et des compagnies anglaises n'auront plus à s'embarrasser de l'usage de la langue française."

«Ces faits que relate le Bien public sont à peine croyables. Si la compagnie du Canadien Pacifique dit la vérité, elle nous a rendu un fier service en dévoilant combien des nôtres manquent totalement d'orgueil national et de patriotisme.

«Que chacun de nos lecteurs fasse son examen de conscience. Combien se sont rendus coupables d'une dédaigneuse négligence envers la langue française au magasin, au téléphone, au restaurant, dans les hôtels, sur les chemins de fer. Ils sont rares aujourd'hui, les maisons de commerce et les magasins où 'on ne peut se faire servir par des employés de langue française. Les patrons de ces magasins ont compris leur intérêt en retenant les services de ces employés. Que doivent penser de nous les chefs de ces maisons ou de ces compagnies lorsque nous négligeons de profiter des avantages qu'ils nous donnent et que nous sommes les premiers à réclamer lorsqu'on nous les refuse. 

«En agissant ainsi, nous faisons un tort considérable aux employés bilingues; nous trahissons les intérêts de la langue française. Celle-ci a déjà assez d'ennemis sans que nous nous mettions de la partie. Notre rôle est de la protéger, de la défendre, et non de la tuer par nos propres trahisons.»

Charles Gautier



mercredi 26 mai 2021

Les pubs en anglais à la télé française

La dégradation du français sur les ondes de Radio-Canada atteint des creux historiques ces jours-ci. Sans doute peut-on y voir un reflet assez fidèle de la société québécoise actuelle, en se consolant que la majorité des mots et expressions que l'on y entende soient encore français...

Mais la publicité, c'est autre chose... Il fut une époque - pas si lointaine - où les Québécois se reconnaissaient dans des pubs conçues et réalisées par et pour notre coin de pays francophone. L'an dernier, à l'émission Le 21e d'Ici Première, le publicitaire Jean-Jacques Stréliski en parlait avec l'animateur Michel Lacombe (voir l'entrevue à bit.ly/3oUI62W).

Ayant participé à la création de campagnes publicitaires comme «Je bois mon lait comme ça me plait», entre autres, M. Stréliski rappelle que dans les années 1970, des agences de publicité avaient réussi à convaincre les annonceurs que le Québec était un marché spécial auquel il fallait s'adresser de façon un peu particulière.

Co-créateur de l'agence Cossette, Jean-Jacques Stréliski résume ainsi la philosophie qu'on avait réussi à «vendre» aux entreprises et institutions: «Pour avoir les consommateurs (québécois), il fallait parler leurs valeurs et leur langue». Et même s'il reconnaît qu'avec l'Internet et les médias sociaux, les messages publicitaires doivent désormais s'internationaliser, ce la ne signifie pas pour autant qu'ils doivent s'angliciser...

Or, depuis le début des années 2000, la dégringolade s'accélère. Ce fut d'abord un retour en force de publicités traduites (et traduites ailleurs qu'au Québec). Plus récemment, on voit apparaître un nombre croissant de pubs télévisées où le français est réduit à sa plus simple expression... parfois au point de disparaître...

Les plus fréquentes, il me semble, sont celles où l'essentiel du message est formé par des images et un fond musical qui prend la forme d'un extrait d'une chanson populaire en anglais. Le français se limitera à quelques sous-titres ou à quelques mots prononcés à la fin. Un peu à l'image des bannières commerciales sous Philippe Couillard, où on pouvait se satisfaire d'une «présence suffisante» de la langue française...

Mais ces dernières semaines, on touche le fond du baril avec les pubs d'Apple pour son iPhone 12 (bit.ly/3vAkAdK) et son iMac en 7 couleurs (bit.ly/3fNJdx0). Ce sont essentiellement des publicités en langue anglaise - surtout celle du iPhone 12 et je ne comprends pas que notre chaîne nationale de télévision publique, Radio-Canada, accepte de les diffuser. Si ces pubs sont acceptables dans notre réseau de langue française, alors on ouvre toutes grandes les portes aux pires excès.

Ma spécialité, c'est le journalisme, mais j'ai côtoyé des publicitaires pendant des dizaines d'années et je connais leur compétence. Une pub comme celle du iPhone 12 est composée d'images et d'une trame musicale (une chanson anglaise). N'allez pas me faire croire qu'une bonne agence de publicité québécoise n'aurait pas pu trouver une chanson tout aussi efficace en français, qu'on aurait tout simplement surimposée sur les images. Même chose pour le iMac en sept couleurs...

De par son mandat, Radio-Canada a pour mission de présenter un français de qualité à ses téléspectateurs. Mettre en ondes de telles pubs d'Apple (et il y en a bien d'autres de marques diverses...) constitue une trahison de son mandat et de ses auditeurs. Quant au CRTC, qui limite la proportion de chansons anglaises sur les ondes de télé et de radio de langue française, n'est-il pas temps qu'il se penche aussi sur les pubs?

Je m'excuse de cibler seulement Radio-Canada. Il s'agit sûrement d'un problème qui touche aussi TVA, Noovo, Télé-Québec... Mais comme je ne regarde que la chaîne publique... Voilà!



mercredi 19 mai 2021

Qui se souvient de la «rose de Dollard»?

Article dans Le Droit, 19 mai 1921

Il y a 100 ans aujourd'hui, 19 mai 1921, paraissait ce court texte dans la page de Hull du quotidien Le Droit...

Je n'avais jamais entendu parler de la «rose de Dollard». De la Fête de Dollard oui, qu'on célébrait le troisième lundi de mai pour ne pas avoir à souligner la Fête de la Reine des Anglais, et qu'on appelle aujourd'hui Journée nationale des patriotes. Mais de la rose de Dollard des Ormeaux? Non...

Une fouille Internet n'a pas donné grand-chose. Pas d'image. Quelques textes seulement, que voici.

Du Réseau de diffusion des archives du Québec :

«Le 24 mai 1918, une journée de pèlerinage réunit une centaine de personnes sur les lieux de la bataille du Long-Sault. Cette année-là, à l'initiative de la Ligue des droits du français, les Canadiens français décident d'établir la Fête de Dollard comme journée patriotique annuelle. Cette initiative reçoit l'approbation de tous et en 1919, la nouvelle tradition est pour ainsi dire installée : le 24 mai est une journée de fête et de manifestations encore plus solennelles que la précédente. Plus de 500 pèlerins se rendent à Carillon pour assister au dévoilement du monument en l'honneur de Dollard réalisé par le sculpteur Alfred Laliberté. En 1920, la journée de Dollard est déterminante. Le pèlerinage se poursuit à Carillon et au Long-Sault. Parmi les invités d'honneur, l'historien Lionel Groulx se fait remarquer en déposant au pied du monument érigé l'année précédente une rose rouge qui deviendra la rose de Dollard

Dans La bataille du Long-Sault et la place des Amérindiens dans l'identité québécoise, de Patrick Groulx (U. Laval, 1997):

«De 1921 à 1945, la commémoration de la fête de Dollard évolue en trois vagues distinctes. L'impulsion donnée par les campagnes de L'Action française et de TACJC au début des années 1920 maintient un degré élevé de participation et de visibilité à la fête. On multiplie les moyens de propagande avec la confection de brochures, de bustes en plâtre, de «roses de Dollard», de timbres commémoratifs, de certificats et de cartes postales.»

Thèse de Charles-Philippe Courtois  UQAM, 2008

Dans les années 1920, «après la fleur de la pensée française d'Olivar Asselin, la rose de Dollard de Lionel Groulx décore le pays de patriotisme.»

Texte de Paul-François Sylvestre (L'Express de Toronto), 2012

Contre le Règlement 17 (interdisant l'enseignement en français), l'École Jeanne d’Arc ouvre ses portes à Windsor (Ontario) en septembre 1922.

«Pour couvrir les dépenses de l’École Jeanne d’Arc, on organisa une kyrielle d’activités: parties de cartes, séances dramatiques, vente de "la rose de Dollard" à la porte des églises, etc. Cette fleur réfère à la rose que le chanoine Lionel Groulx a déposée en 1920 au pied du monument érigé au Long-Sault en l’honneur de Dollard des Ormeaux.»

Paroisse Notre-Dame-deGrâce de Québec (2010)

Le mardi matin 24 mai 1927, jour de la fête de Dollard, la messe était célébrée à 8 h 00, en souvenir de tous les soldats canadiens morts au pays ou à l'étranger au champ d'honneur.

Tous les paroissiens étaient priés d'acheter la rose de Dollard. Des jeunes filles de la paroisse avaient parcouru les domiciles pour les offrir au prix de 5 cents.»

Extrait du site boitedepandore.com

«En 1946, il y a deux manifestations, une à Carillon, organisée par TACJC et à laquelle participe l'abbé Groulx, l'autre à Montréal, où les "Jeunes Laurentiens", dont le nom et les mots d'ordre rappellent les Jeune-Canada, semblent jouer un rôle important. La même année, un troisième groupe lance la vente de la "Rose de Dollard", qui rappelle l'insigne popularisé dans les années 1920 par L'Action française. L'année suivante, deux groupes distribuent des insignes concurrents; le premier, celui du "propagandiste" Paul Vaillancourt, reprend la vente de la Rose de Dollard, tandis que les "Jeunesses Laurentiennes" vendent la "Pensée de Dollard". Finalement, la pensée l'emporte sur la rose, et on la trouve encore en vente en 1960.» 

Enfin, de la Revue d'histoire de l'Amérique française, 1992

«Fêtons 'Dollard' le 24 mai 1946. Qu'au jour de sa fête, la rose vermeille, goutte de son sang, fleurisse toutes les  poitrines où circule le même sang et qui vibrent aux mêmes aspirations». Tiré de La Rose de Dollard, brochure publicitaire par Paul Vaillancourt, propagandiste des Jeunes Laurentiens, 1946 et 1947.


Ce sont là des petits chapitres de notre histoire qui se perdent...



dimanche 16 mai 2021

Un suicide culturel assisté...



Comme la plupart des Québécois, je trouve François Legault sympathique. J'aime sa façon très humaine de communiquer avec les gens. Et jusqu'à la semaine dernière, je croyais qu'en dépit de lacunes, il comprenait la dynamique linguistique qui mine les assises du français au Québec, et avait l'intention ferme d'apporter certains correctifs.

Je m'étais trompé. Notre premier ministre ne favorise pas ouvertement l'anglicisation des Québécois francophones comme ses prédécesseurs Jean Charest et Philippe Couillard, mais son incompréhension des véritables enjeux ne fera que freiner légèrement notre glissade collective, de plus en plus rapide, vers le précipice.

Les scribes, analystes, chroniqueurs, éditorialistes et commentateurs ont savamment décortiqué dans nos médias le projet de loi 96 (la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français), cherchant à déterminer si oui ou non, les multiples mesures qui en découlent auraient l'effet escompté de renforcement de la langue française, notamment dans la région montréalaise.

J'ai lu de bons textes. D'excellents, même. Mais personne ne semble avoir relevé un commentaire pourtant essentiel de François Legault pendant la conférence de presse qui a suivi, jeudi matin, la présentation du projet de loi de Simon Jolin-Barrette à l'Assemblée nationale. Il était interrogé par l'éditorialiste Robert Dutrisac, de journal Le Devoir. Celui-ci évoquait la situation des élèves francophones hors Montréal qui pourraient choisir d'aller à un cégep anglais pour acquérir une meilleure connaissance de l'anglais.

Voici ce que le premier ministre a répondu:

«On a un défi au primaire et au secondaire de mieux enseigner l'anglais. Il y a une méthode qui a fait ses preuves, c'est l'anglais intensif en 5e ou 6e année. Je sais que ça s'implante de plus en plus dans les écoles. Je pense qu'on est rendu à 20 ou 25% (des écoles françaises). Il faut continuer à travailler à l'amélioration de l'enseignement de l'anglais au primaire et au secondaire. Je pense que c'est important.»

J'étais abasourdi. J'ai dû le réécouter pour m'assurer d'avoir bien entendu. La solution pour réduire l'intérêt que portent nos élèves de langue française aux cégeps anglais, c'est de commencer à les angliciser dès le primaire? Un moyen de franciser le Québec serait une immersion totale en anglais pendant quatre ou cinq mois, à un âge où l'apprentissage du français est incomplet et fragile chez nos élèves, surtout dans le contexte nord-américain?

Plus de la moitié des jeunes Québécois francophones sont déjà bilingues. Enfin, aux fins des recensements, on les juge capables de se débrouiller en français et en anglais. Mais quelle est la qualité du français parlé et écrit? Le plus souvent faible, avec un vocabulaire pauvre et des tas d'anglicismes ou de mots anglais. Près de la moitié des nôtres sont analphabètes fonctionnels. Et on veut mettre l'accent sur l'anglais dans nos écoles primaires et secondaires?

C'est un suicide culturel assisté, financé par l'État. Heureusement, seulement le quart de nos écoles ont mis en place l'anglais intensif depuis son lancement par l'ignoble Jean Charest en février 2011 (voir mon éditorial dans Le Droit du 25 février 2011 intitulé Fossoyeurs du français bit.ly/2Rn7phv). Mais c'est déjà trop. Et voilà que François Legault veut étendre ce funeste programme qui dit, clairement, à nos élèves, que l'anglais est assez important pour interrompre l'enseignement en français pendant une demi-année scolaire!

Le message, c'est qu'ils auront besoin de l'anglais au Québec dans leur vie quotidienne, au travail, dans leurs loisirs, dans le commerce. Et moi qui croyait qu'on voulait ériger un Québec où la langue commune serait le français, où l'on parlerait et écrirait un français de qualité qui servirait à la maison, dans la rue, à l'école, et qui serait essentiel au travail.

N'allez pas croire que je ne suis pas conscient de l'importance de l'anglais sur le continent nord-américain. Je suis né et j'ai grandi en Ontario. Et ce que j'ai appris, c'est que le jour où une collectivité canadienne-française est entièrement bilingue, les générations suivantes sont de plus en plus anglaises et évoluent vers l'unilinguisme anglais. Voilà ce qui arrivera au Québec dans quelques générations si on ne crée pas un milieu qui impose le respect de la langue française.

Ce n'est pas vrai que tous les Québécois doivent apprendre l'anglais et devenir bilingues. L'ensemble de la population - la majorité du moins - doit pouvoir vivre en français seulement. Et la qualité de cette langue doit s'améliorer. Si cela paraît irréalisable, alors aussi bien arrêter tout de suite de prolonger l'agonie. Si, cependant, l'objectif semble atteignable, alors il faudra un projet de loi autrement plus «costaud» que celui qui nous est présenté.

....................................

Et si, un jour, nous finissons par perdre notre combat, nous pourrons méditer les mots d'Omer Latour, écrivain franco-ontarien de la ville de Cornwall qui, exaspéré par la situation des francophones dans son patelin, avait brièvement joint les rangs du FLQ à Montréal en 1964:

«Dieu merci, le combat est presque fini.

L'assimilation totale apporte enfin le repos

et la paix à tous ces gens obscurs qui ont

lutté dans un combat par trop inégal.


Vous me demandez pourquoi ils sont morts?

Je vous demande comment ils ont fait

pour résister si longtemps.»


(Omer Latour, Une bande de caves, Les éditions de l'Université d'Ottawa, 1981)



lundi 10 mai 2021

J'aime les pissenlits, mais...

J'aime les pissenlits.

À mesure que la neige fond et la verdure ressuscite aux abords de la maison, versant sud, je guette toujours la sortie de terre des feuilles de pissenlit, en attente de leur première floraison.

Une merveilleuse petite fleur jaune, pied-de-nez au blanc, blanc-sale, gris, gris-sale-noirâtre et autres teintes ennuyeuses de l'hiver, espoir du bleu des violettes et du mauve des lilas qui accompagneront les pissenlits pendant le réchauffement printanier dans ma cour.

On ne chantera jamais suffisamment les louanges du modeste pissenlit, qui ne mérite, mais pas du tout, sa réputation de «mauvaise herbe». Voici d'ailleurs ce qu'en dit le livre Plantes sauvages printanières, publié aux Éditions France-Amérique:

«Les jeunes feuilles en salade sont digestives, tonifiantes et purifient le sang. Infusées, ces mêmes feuilles donnent un thé contre la grippe. Le latex blanc s'applique contre les taches de rousseur. Le vin fait avec les fleurs est un apéritif, un tonique et un diurétique. La racine moulue peut remplacer le café. (...) C'est aussi un remède reconnu contre les problèmes de la peau, la constipation et la fièvre.»

De plus, pouvait-on lire dans un texte de Radio-Canada en 2019 (bit.ly/2SGYEPR), la plante est activement prisée par les insectes pollinisateurs. «C'est vraiment une ressource florale attirante, entre autres pour les abeilles», déclarait Valérie Fournier, professeure titulaire au Centre de recherche et d'innovation sur les végétaux de l'Université Laval.

Et pourtant, me voilà penché sur mon gazon depuis une semaine, arrachant tous les jours (ou presque) quelques centaines de pissenlits, de la fleur jusqu'au bout de l'interminable racine. J'en déjà empli cinq gros sacs de déchets de jardin, remis au compostage...

Je regarde la pelouse aujourd'hui, et il me semble qu'il en reste beaucoup, pas autant que ceux que j'ai brutalement cueillis, mais quand même... Encore un millier? Sans compter ceux qui perceront bientôt le sol pour combler les espaces laissés par les cousins disparus...

Pour le moment, le nombre de pissenlits arrachés dépasse celui des rejetons qui naissent quotidiennement. Mais c'est un combat qui ne finit jamais, si je me fie au biologiste Claude Lavoie, cité dans le texte de Radio-Canada. «La guerre aux pissenlits est inutile, dit-il, parce que leur éradication est pratiquement impossible.»

J'ai mal au dos, j'ai parfois des ampoules, mais je continue, question d'en faire le plus possible avant que les moustiques et autres insectes irritants commencent à se mettre de la partie. Pourquoi? Parce que même si j'aime les pissenlits, j'aimerais bien marcher sur une verdure qui a davantage l'apparence d'un gazon...

S'ils pouvaient limiter leur présence, disons un pissenlit à tous les mètres, je signerais immédiatement un armistice. Mais ils ne sont pas raisonnables et comme je refuse obstinément d'utiliser tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à un pesticide sur mon terrain (je n'achète que des produits bio), il ne me reste guère d'options: avouer ma défaite, ou les déraciner un à un...

À l'approche de mes 75 ans, j'ai encore la force et la patience pour consacrer une heure par jour à alimenter le bac de compostage avec des tas de fleurs jaunes, de feuilles vertes et de racines brunes... Et cela ne semble pas déplaire aux merles qui viennent picosser dans l'herbe et le trèfle que je cultive, ou au lapin bien gras qui semble très heureux de ses repas dans ma cour...

Peut-être, dans quatre ou cinq ans, ne serai-je plus capable de manier l'arrache-pissenlits. Peut-être quitterons-nous le domicile familial, rendus à l'âge où les chez-soi ont quelques chambres de moins. Je souhaite aux pissenlits de ne pas tomber sur un nouveau propriétaire qui carbure aux contenants d'un litre de Killex, achetés au Canadian Tire ou dans un magasin de même genre... Ils regretteront toutes ces années où l'adversaire menait un combat loyal, un contre un, arme à la main au lieu d'employer des bombes chimiques...

Bon! L'averse vient de finir et le terrain n'est pas trop trempe. Dehors, allons reprendre la tâche qui ne termine jamais.

Peut-être, au printemps prochain, avant la floraison, finirai-je enfin par cueillir des feuilles de pissenlit pour les goûter en salade. Ça fait 40 ans que j'y pense...

Est-ce que je vous ai dit que j'aimais les pissenlits?


vendredi 7 mai 2021

Que faisons-nous, au Québec, pendant que la Franco-Ontarie se fait matraquer à Sudbury?



«Un jour, prédit le dernier des franco-ontariens                                                                                                       il y aura peut-être le dernier des québécois.»

Pierre Albert, Le Dernier des Franco-Ontariens, Éditions Prise de parole, Sudbury, Ontario, 1992

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Imaginez un avenir (peut-être-pas-trop) lointain...

Des Québécois francophones, désormais minoritaires sur leur propre territoire, en sont rendus à fonder l'Université libre du Québec (ULQ), ultime résistance après le saccage des programmes de langue française dans nos anciennes universités, devenues bilingues au fil des décennies...

Invraisemblable comme scénario? Pas si sûr...

Les Québécois devraient garder les yeux rivés sur les événements récents à Sudbury, en Ontario, où des profs d'université franco-ontariens ont été la bougie d'allumage de l'ULNO (Université libre du Nouvel-Ontario), un mouvement de résistance lancé après les coupes sauvages de programmes en français par la Laurentian University...

Si la tendance se maintient, pour citer Bernard Derome, ce qui se passe en «Franco-Ontarie» doit être vu comme un présage du sombre avenir qui guette le Québec français. Chaque Québécois doit comprendre que le combat à Sudbury risque fort d'être celui que mèneront un jour ses arrière-petits-enfants en terre québécoise.

Si on en arrive là, «le dernier des Franco-Ontariens» aura succombé, et «le dernier des Québécois» sera en vue, à l'horizon...

Nos médias, du moins ce qui en reste, doivent suivre de près la saga de l'ULNO, si ce n'est que pour faire comprendre au Québec le traitement que la majorité anglo-canadienne finit toujours par réserver aux Acadiens et Canadiens français minoritaires. Le même sort que nous subirons peut-être un jour, sur les rives du Saint-Laurent...

La lutte plus que centenaire des Franco-Ontariens contre un ethnocide planifié n'est qu'une excroissance de l'oeuvre entreprise par Lord Durham pour angliciser le petit peuple rebelle et français conquis en 1760. À Montréal ou à Sudbury, le mal qu'on nous veut est le même, comme la résistance qui en découle et le remède qu'il appelle: des solutions «par et pour» les collectivités de langue française.

Depuis 1912, les gouvernements de la majorité anglo-ontarienne ont tour à tour interdit l'enseignement en français dans les écoles puis toléré jusqu'aux années 1960 des écoles «bilingues» pour les francophones en les privant d'un financement suffisant, en surtaxant les contribuables franco-ontariens, pour enfin céder - grâce en partie aux pressions venant du Québec - un réseau scolaire de langue française au primaire et au secondaire.

Il a fallu attendre une vingtaine d'années de plus, jusqu'aux années 1990, pour obtenir quelques collèges de langue française ainsi qu'une pleine gestion scolaire  «par et pour» les Franco-Ontariens au primaire et au secondaire. À l'universitaire, cependant, les francophones de l'Ontario restent captifs de deux grandes universités dites bilingues (Université d'Ottawa, Université Laurentienne) où ils sont minoritaires. 

En Ontario, la majorité anglaise n'a jamais fait de quartier et si, un jour, les anglophones s'imposent au Québec, on n'a qu'à regarder ce qui s'est passé sur l'autre rive de l'Outaouais pour savoir ce qui nous attend. En 2015, après avoir volé pendant 100 ans des centaines de millions de dollars en impôts des Franco-Ontariens pour engraisser les écoles anglaises, un gouvernement libéral se disant francophile a affirmé sans gêne qu'il ouvrirait un petit campus universitaire de langue française à Toronto «quand le budget le permettrait»... Non mais...

Et que faisons-nous au Québec pendant que les Ontariens francophones se font effrontément éconduire pour avoir osé demander une seule université de langue française? En bons colonisés, on surfinance le secteur universitaire québécois de langue anglaise, et on laisse les collèges anglais assimiler des milliers d'allophones et de francophones avec des deniers publics. Pas de quoi attirer le respect de nos anciens Rhodésiens...

Plus que jamais, avant qu'il ne soit trop tard, il faut suivre de près - et soutenir - les activités de résistance en Ontario français. Pour le moment, des profs congédiés par l'Université Laurentienne attisent les braises de la mobilisation avec leur projet d'université libre et la tenue d'un troisième colloque Franco Parole à Sudbury en juin, à la St-Jean.

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Matière à lire:

* Des anciens de la Laurentienne créent l'Université libre du Nouvel-Ontario, dans Le Droitbit.ly/3vUKSrh

* Une université libre créée par d'anciens professeurs de la Laurentienne. Texte de Radio-Canada. bit.ly/3efOUEy

* Un projet de fausse université francophone «pour faire rêver», par ONFR. bit.ly/33pQL3u

* En attendant vraie université francophone, en voici une fausse, dans La Voix du Nordbit.ly/3nQW19I

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Que se passerait-il si des professeurs d'universités anglaises du Québec, congédiés parce qu'on avait coupé sauvagement le financement de programmes de langue anglaise, étaient acculés à créer une «université libre» et offrir en ligne des cours gratuits dans le but de mousser des appuis au sein de l'opinion publique? Toute la presse anglo-canadienne serait mobilisée, ainsi que les Nations unies, pour dénoncer notre «racisme», notre «xénophobie», et scruter nos moindres gestes.

Les Québécois doivent être tenus informés des luttes franco-ontariennes, et notamment de cette dernière, à Sudbury. Pour les soutenir bien sûr, mais aussi pour apprendre et en tirer les enseignements qui s'imposent. Si nous passions quelques semaines ou quelques mois à subir ce qu'ont subi les collectivités francophones hors-Québec, la Loi 101 retrouverait toute sa vigueur, et bien plus!

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«pour sa mort, le dernier des franco-ontariens a déjà souhaité la tenue d'un grand congrès ou la création d'une coalition, peut-être la publication d'un album souvenir... peut-être aussi l'organisation d'un grand gala, d'une performance, etc.» Extrait du grand poème Le Dernier des Franco-Ontariens, par Pierre Albert (Éditions Prise de parole, Sudbury, 1992)




jeudi 6 mai 2021

Enrichir notre vocabulaire...



Il y a quelques jours, sur Twitter, j'ai gazouillé ce qui suit:


J'ai dû toucher une corde sensible. Le gazouillis a attiré près de 300 commentaires sous forme de «J'aime», de re-tweets et de réponses. J'en conclus qu'il existe au sein du public québécois certaines inquiétudes pour la qualité de la langue parlée (et écrite sans doute) sur les ondes de notre diffuseur public.

Il serait grand temps qu'on s'en parle, et tant qu'à y être, que la discussion s'étende à tous nos médias et milieux de vie. 

La plupart des débats linguistiques au Québec (et ailleurs au Canada) sont bardés de chiffres démontrant, à partir de données des recensements, les reculs statistiques du français comme langue maternelle, comme langue d'usage, comme langue de travail, etc. La façon dont nous parlons et écrivons le français fait plus rarement partie de la donne. Et c'est bien dommage...

L'infiltration des mots et expressions anglais, ainsi que des anglicismes et calques de l'anglais, fait sans doute partie du processus d'anglicisation auquel nous sommes soumis depuis quelques siècles. Mais je persiste à croire que la pauvreté de notre vocabulaire y est aussi pour beaucoup. De tous les mots appris à l'école et ailleurs depuis l'enfance, combien en avons-nous retenus? Combien servent dans nos conversations et nos écrits?

J'y pense parfois en écoutant les conversations autour de moi à l'épicerie (là où notre univers prend fin ces jours-ci), en lisant les textes sur les médias sociaux, ou même en écoutant la télé de Radio-Canada... Ce que j'entends et je vois m'a convaincu que la qualité de la langue française, notre principal outil de communication, n'intéresse pas grand monde...

La prolifération de publicités télévisées avec fond de chansons anglaises, et même à l'occasion de dialogue anglais avec sous-titres, constitue l'un des symptôme les plus inquiétants de cette indifférence. Les entreprises sont très sensibles aux réactions des consommateurs ciblés et leurs coups de sonde doivent avoir confirmé une perception que l'anglicisation de leurs pubs serait sans conséquence... 

Que peut-on faire face à cette anglomanie systémique? Les protestations ne semblent rien donner. De toute évidence, Radio-Canada ainsi que les autres télés et radios ne s'intéressent pas à la qualité du français parlé sur leurs ondes. Nos gouvernements, ces jours-ci, font davantage partie du problème que de la solution. Et ce n'est pas demain qu'on va voir 20 000 personnes dans les rues de Montréal pour réclamer une amélioration du français parlé et écrit...

Faute d'abandonner ou d'attendre le grand soir du grand réveil (qui ne viendra pas à temps), il faut bien commencer quelque part. J'ai toujours cru qu'il n'y avait pas d'action collective possible sans un engagement individuel. L'histoire de l'humanité a démontré à maintes reprises qu'une personne seule pouvait, par l'exemple donné, changer le monde.

Et tant qu'à rêver, aussi bien rêver en couleur...

Serait-ce trop demander à ceux et celles qui aiment et respectent la langue française de s'engager davantage? Les moyens abondent. En ce qui me concerne, j'ai pris la résolution de diversifier mes lectures, tâchant d'apprendre tous les jours un ou deux mots de plus, et si possible, les utiliser dans des textes ou, plus rarement, dans des échanges verbaux. 

Les livres et publications politiques que j'affectionne n'étant pas de nature à varier substantiellement mon réservoir de mots, j'ai regardé ailleurs. Heureusement, mon épouse, avec quelques-unes de ses soeurs et amies, avaient mis sur pied un club de lecture qui favorise depuis plusieurs mois l'entrée chez nous de titres d'autres genres littéraires.

Un des récents, Le liseur de 6 h 27 (de Jean-Paul Didierlaurent), aura été un excellent tremplin. Au-delà d'une histoire absolument délicieuse, j'ai dû utiliser le dictionnaire une quinzaine de fois et fait quelques trouvailles que je vais tâcher d'intégrer à mes textes de blogue et à mes conversations.

D'autres me trouveront peut-être incultes de ne pas avoir connu ces mots mais que voulez-vous? Entre une éducation bilingue en Ontario au primaire et au secondaire, six années de science politique et 45 ans de journalisme, mes lectures ont été largement un concentré d'histoire, de politique et d'actualités.

Toujours est-il que Le liseur de 6 h 27 traînait sur la table de salon, et mon épouse Ginette me l'avait recommandé. J'ai accroché dès la première page de ce roman mettant en vedette un type qui réchappe des pages de vieux livres broyés par une machine à fabriquer de la pulpe à papier, et qui les lit au hasard, à voix haute, tous les matins, sur le train RER de 6 h 27 en route pour son travail dans la région parisienne.

Dès la première page j'ai découvert le mot «contrepèterie», que je n'avais jamais vu. Vite le Larousse (papier): une inversion de lettres ou syllabes dans un groupe de mots, créant une nouvelle expression. Un exemple? Le héros du roman, Guylain Vignolles, se fait souvent appeler Vilain Guignol... C'est une contrepèterie...

D'autres trouvailles m'attendaient... Politicard (personne dépourvue de scrupule et d'envergure politique)... Gueulante (clameur de protestation)... Échalas (personne grande et maigre)... Araser (user un relief jusqu'à disparition des saillies)... Turgescent (enflé, rigide)... Strapontin (siège d'appoint avec abattant, dans un autobus ou un train)... Etc.

Je vais tâcher d'utiliser quelques-uns de ces mots, et d'en ajouter au fil des mois et des années. Les entendre la première fois peut paraître étrange, mais on s'habitue et, sait-on jamais, d'autres finiront peut-être par les ajouter à leur vocabulaire. Si un nombre suffisant de Québécois s'adonnent au même exercice, peut-être les gouttes finiront-elles par créer une vague...

Je lance l'idée, comme ça, sur les réseaux sociaux. Un peu comme une bouteille à la mer... en espérant qu'un jour la qualité de notre langue devienne un enjeu pour tous et toutes...