jeudi 28 novembre 2024

Une nuit blanche à l'urgence...

Où étais-je, du début jusqu'à la fin de cette nuit blanche de samedi à dimanche? Dans une grande salle morose, sombre, aux couleurs fades... Sur les sièges, ça et là, des personnes souffrent en silence... D'un côté, un grand mur vitré laisse entrer les lueurs d'une froide nuit de novembre... De l'autre, une douzaine de portes fermées, interdites sauf par invitation... Inconfort généralisé, impossible de s'étendre pour fermer l'oeil... Aucun membre du personnel soignant visible... Seul un gardien de sécurité, là pour discipliner les souffrants, s'assurer qu'ils restent bien assis, ne haussent pas le ton et ne rodent pas trop près des portes interdites... Aucune petite musique ou écran télé, rien pour rassurer, réconforter ou se sustenter sauf quelques machines distributrices, où boissons et collations sont vendues à prix usurier... Bienvenue (!!!) à la salle d'attente (qui porte bien son nom) de l'urgence (qui porte mal son nom, parfois) de l'hôpital de Gatineau...

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Je n'ai aucunement l'intention de critiquer les préposés, infirmiers et médecins qui oeuvrent derrière les portes interdites de cet endroit lugubre. Ils font sûrement leur possible et dispensent d'excellents soins. Je veux plutôt m'en prendre à un système qui, chez nous à Gatineau et sans doute ailleurs, a transformé ce qu'on persiste à appeler une «urgence» en un lieu infernal où des citoyens (dont les impôts ont bâti ces centres de soins aigus) doivent attendre huit, douze, seize voire 24 heures et plus à l'occasion pour recevoir les traitements requis ou se faire dire d'aller ailleurs...

Samedi 9 novembre 2024, vers 17 h 15... Mon épouse chute dans notre garage et se blesse aux deux pieds... Le pied droit semble le plus touché... Impossible de se tenir debout et douleurs aiguës... N'ayant plus de médecin de famille (et de tout façon les bureaux seraient fermés), elle n'a plus qu'une option: se rendre à l'urgence de l'hôpital de Gatineau, à cinq minutes en voiture. Vers 18 h 30, on se décide. Arrivée à l'urgence vers 18 h 45 dans un grand couloir où. bien sûr, aucun humain ne vous accueille. Seulement un écran qui vous dit de presser sur le bouton pour obtenir un billet avec un numéro... (Surtout ne vous avisez pas d'oublier cette étape).

Je pousse mon épouse dans un fauteuil roulant jusqu'à la salle d'attente décrite ci-haut pour attendre qu'un haut-parleur appelle notre numéro de loterie. Aucun écran n'affichant les numéros appelés au triage ou aux salles d'examen, j'ai l'impression qu'un malentendant arrivant seul y serait foutu... Un malade, assis, perdant connaissance ou subissant une grave arythmie cardiaque, pourrait mourir sans qu'un seul membre du personnel soignant s'en rende compte... Enfin, ce n'est pas notre cas et de toute façon, en moins de 10 minutes nous voilà convoqués à l'une des salles de triage où l'infirmière conclut très vite à la nécessité d'une radiographie du pied.

Le service de radiologie de l'urgence étant inaccessible, il faudra se rendre au service principal de radiologie de l'hôpital, à l'étage, avec une requête à présenter au préposé. L'endroit est quasi désert. L'accueil est fermé et on nous conseille de nous rendre au bout d'un couloir adjacent. Pendant 10 ou 15 minutes, il n'y a absolument personne (sauf nous). N'importe qui aurait pu entrer et saccager l'endroit. Aucun gardien de sécurité ici. Finalement, la personne responsable nous retrouve et en quelques minutes, la radiographie du pied est complétée. Il n'est que 19 h 50 et déjà, une heure après notre entrée à l'urgence, l'hôpital a en mains l'image qui permettra à un médecin d'établir un diagnostic et, advenant une fracture, de transférer le dossier au service de l'orthopédie, à l'hôpital de Hull où nous retournerons lundi. C'est là que le calvaire commence...

Quelques heures plus tard, n'ayant toujours pas été convoqués à une salle d'examen, l'infirmière nous revoit à la salle de triage (ça semble être une procédure habituelle pour s'assurer de l'état des patients, ou pour savoir s'ils n'ont pas quitté, découragés). Nous sommes déjà fatigués, il est près de 23 h et nous savons que quoiqu'il advienne, on va nous renvoyer à la maison, avec ou sans plâtre. Nous indiquons notre volonté de rentrer chez nous s'il n'y a pas de fracture mais l'infirmière, qui voit la radiographie, n'a pas le droit de nous donner cette information. C'est le privilège du médecin et clairement, notre dossier n'a rien d'urgent. Devrait-on rester ici ou peut-on partir, demande mon épouse. «Vous devriez voir le médecin», lui répond-elle. Il y a donc fracture et on nous dit clairement que nous sommes à la bonne place...

Pendant les prochaines six ou sept heures, personne ne sera convoqué à une salle d'examen pour voir le médecin (après 11 h ou minuit il ne semble y avoir qu'un seul médecin à l'urgence d'un grand hôpital de la quatrième ville du Québec!) À l'oeil, dans la salle d'urgence, environ une douzaine de personnes attendent, espérant être traités. Certains sont arrivés bien avant nous, d'autres après. Combien de patients se trouvent derrière la douzaine de portes? Impossible de le dire, l'accès aux lieux est interdit aux simples détenteurs de billets numérotés. Ce qu'on sait, c'est que la patience a ses limites et que plus la nuit avance, certaines personnes qui auraient dû être vues, examinées et traitées par un médecin jugent préférable d'aller souffrir ailleurs. À la prochaine convocation au triage, des numéros appelés resteront sans réponse...

Je comprends pourquoi à l'hôpital, du moins à l'urgence, on devient des «patients». Il faut faire preuve d'une quantité substantielle de patience et à juger par les gens que j'ai côtoyés durant cette nuit blanche, nous sommes sûrement l'un des peuples les plus patients de la terre. Je comprends, au fond, que personne n'ait chialé ou élevé la voix. Qui ne craint pas de mettre en péril sa chance de recevoir des soins en confrontant un employé de l'hôpital? Mais il y a des limites et faut croire que je les atteint plus rapidement que d'autres. Un peu après minuit, je me suis risqué dans un couloir où se trouve le guichet «Inscription» (je ne sais pas qui s'inscrit là et pour quoi...). J'explique notre situation à la personne, qui semble submergée de paperasse, en ajoutant qu'on nous avait indiqué que nous n'aurions pas à passer la nuit à l'urgence pour obtenir le résultat d'une radiographie... Elle n'a aucune information utile à m'offrir et je commente: «Ça n'a pas de bon sens». C'est ça, «le système est pourri», dit-elle...

Nouvelle conversation de même type quelques heures plus tard au service de triage (notre troisième visite) avec un autre infirmier. On a beau plaider notre âge (septuagénaires), notre épuisement, mon état de santé (cardiaque), rien ne bouge. Semble-t-il qu'on devrait s'adresser au gouvernement, nous dit-on, plutôt qu'au personnel (oui, sans doute, mais avez-vous déjà essayé de rencontrer un humain du gouvernement pour porter plainte, en pleine nuit dans une salle d'urgence?). De toute façon, nous dit-on, vous n'êtes ici que depuis huit ou neuf heures. D'autres ont attendu jusqu'à 30 heures... Début de panique à l'idée de devoir passer une seconde nuit blanche devant les portes interdites!

Finalement, vers 6 heures du matin, plus de 10 heures après la radiographie, mon épouse commence à trouver que c'en est trop. Au bout du corridor «Inscription», elle réclame son dossier (qui lui appartient) à l'infirmier du triage précédent, qui nous avertit promptement de ne pas élever le ton! On aimerait bien lui parler comme si on jasait autour d'un bon café relax au resto, mais... Comme l'infirmier est occupé, nous attendons devant la porte de sa salle de triage où sans tarder, le gardien de sécurité vient nous demander ce que nous faisons là... Avant qu'il ait la chance de nous discipliner, et avant que la porte interdite s'ouvre de nouveau, on entend le nom de mon épouse, enfin invitée à se rendre à l'une des salles de traitement! Il est 6 h 30... Nous sommes ici depuis près de 12 heures.

D'autres personnes sont maintenant convoquées à des salles de traitement. Je dois en conclure qu'un ou quelques médecins se sont ajoutés aux effectifs. À partir de là, le processus interrompu pendant plus de 10 heures suit son cours. Examen par un médecin, fracture confirmée au pied droit, autre radiographie pour s'assurer qu'il n'y a pas fracture au pied gauche, pose d'un plâtre, renvoi à un orthopédiste à l'hôpital de Hull, ordonnance de médicament anti-douleur et nous voilà de retour à la maison vers 10 heures du matin, dimanche. Il s'est écoulé plus de 15 heures depuis notre départ pour l'hôpital la veille, dont 11 heures pour attendre le résultat d'une radiographie...

Ça n'a pas d'(série de jurons) de bon sens! Je répète: je ne blâme aucunement le personnel en devoir à l'urgence. Mais la configuration de ce qu'on appelle salle d'attente, à l'urgence de l'hôpital de Gatineau, démontre une absence totale d'humanité et de respect pour les usagers (qui se font dire, eux, d'être respectueux). Vous voulez que je mette des points sur les «i»? Voici quelques horreurs constatées en une nuit:

- l'accueil à l'entrée par une machine qui crache des billets numérotés, plutôt que par un être humain qui pourrait établir une communication sensorielle avec les usagers

- une salle d'attente impersonnelle où le seul humain visible rattaché à l'hôpital est un gardien de sécurité en uniforme, là pour discipliner les usagers et non pour les réconforter ou les informer

- vue constante d'un grand mur avec une douzaine de portes donnant accès aux soins, interdites aux usagers (sauf si expressément convoqués), assurant une séparation physique totale entre les souffrants détenteurs de billets numérotés et le personnel soignant

- l'impossibilité d'obtenir quelque renseignement fiable sur la durée probable ou possible de l'attente. Le système est ainsi fait. (Et surtout n'insistez pas; les membres du personnel, fatigués eux aussi, ne sont pas tenus d'être aussi patients que vous)

- l'impossibilité, si l'on doit passer une nuit entière en attente à l'urgence, de trouver un endroit où s'étendre pour fermer l'oeil. (N'allez pas improviser, le personnel de sécurité vous rappellera à l'ordre)

- des machines distributrices dont les prix sont exorbitants... dans une institution publique de santé québécoise - 3$ pour une bouteille d'eau, 4,50$ pour un biscuit à l'avoine. Scandaleux!

- la présence, pendant la nuit, d'un seul médecin à l'urgence d'un hôpital de grande ville; c'est en apparence le principal facteur de paralysie de ce service essentiel pour les personnes en salle d'attente. Pourquoi un seul médecin? Bonne question...

Si j'en avais le pouvoir, je traînerais le ministre de la Santé, le grand patron de Santé Québec et le PDG du CISSS de l'Outaouais (incognito bien sûr) jusqu'à l'urgence de l'hôpital de Gatineau pour y passer une nuit blanche en fin de semaine à observer l'absence de personnel soignant dans l'aire d'attente, à jaser avec les détenteurs patients et souvent découragés de billets numérotés, à fixer le mur des portes interdites, fermées pendant des heures, à compter les personnes qui finissent par quitter sans avoir été traitées, à constater l'efficacité disciplinaire du personnel de sécurité. Je ne suis pas expert, mais j'ai la conviction qu'ils n'auraient pas le sourire en sortant le matin suivant...

Toute l'attention, l'empathie, la diligence, la compétence et l'empressement de l'ensemble du personnel soignant, qu'ils auraient été à même de constater dans l'aire de soins, derrière les murs interdits, sont totalement absents de la grande salle murée et vitrée où des personnes malades, blessées ou souffrantes peuvent passer jusqu'à 12, 18 ou 24 heures accrochées à l'espoir que la voix métallique des haut-parleurs prononce leur nom et leur donne enfin accès au personnel médical...


lundi 4 novembre 2024

Voilà à quoi ressemble une ville sans journal quotidien...

Page une récente du seul «journal» qui reste chez nous, la feuille bilingue/bilingual «Bulletin de Gatineau». Mais cette «une» est tout de même percutante et fort opportune, surtout après la disparition du quotidien Le Droit... Gatineau, une ville de 300 000 personnes sans quotidien de langue française !!!
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Si mon ancien quotidien, Le Droit, publiait toujours une édition papier, je me plais à imaginer la manchette spectaculaire en gros caractères qui aurait sans doute orné les étalages de journaux dans les kiosques le lendemain de la publication d'une étude spéciale sur le déclin du français dans la région de Gatineau, ce 31 octobre 2024 (voir lien au texte de Radio-Canada en bas de page).

Avoir repris mon ancien poste de chef des nouvelles, j'aurais réservé le haut de la une à un titre qui se serait lu à peu près comme suit:

   À GATINEAU                                                                                                               «Plus facile pour un anglophone qu'un                                                             francophone de travailler dans sa langue!»

L'histoire n'est pas banale. Vous souvenez-vous de la dernière fois que Québec ait préparé et publié une étude portant spécifiquement sur la situation linguistique et la langue de travail à Gatineau? Moi pas. Et il y a aussi le fait que cette analyse provienne de Benoît Dubreuil, le tout nouveau Commissaire à la langue française du Québec, nommé en 2023. Qu'il se soit penché sur la problématique de Gatineau aussi rapidement rehausse l'impact de cette publication.

J'aurais affecté au moins deux ou trois journalistes (peut-être plus) à la rédaction de la nouvelle principale et des multiples suivis qui s'imposaient. Le résumé des données et conclusions de l'étude aurait été coiffé d'une entrevue en profondeur avec le Commissaire et l'un de ses experts pour dégager le sens des colonnes de chiffres accablantes.

D'autres reporters seraient allés chercher des réactions de députés (fédéraux et québécois), du maire de Gatineau, des conseillers municipaux et des personnes dans la collectivité gatinoise qui s'intéressent de près aux enjeux linguistiques. Sans oublier un bon vieux vox pop dans les rues de Gatineau... De quoi remplir au moins trois ou quatre pages du journal... avec un éditorial incisif et une caricature de l'éternel Bado...

Mais voilà. Le Droit n'a plus d'édition quotidienne imprimée. Même pas d'édition quotidienne numérique. Il reste un babillard en temps réel sur le Web avec une équipe amaigrie de journalistes, excellents par ailleurs. Mais quatre jours (4 novembre) après la diffusion du rapport du Commissaire à la langue française, rien n'indique qu'un reporter au Droit ait lu et décortiqué le rapport. Aucun texte maison n'a été publié, sauf par Radio-Canada, et même ce dernier laissait nettement à désirer. Jamais l'image de la une du «Bulletin de Gatineau» (bi-mensuel bilingue) illustrée en haut de cette page ne m'aura paru si opportune: «Voilà à quoi ressemble une communauté sans journal local»... 

Le résultat, c'est que cette importante étude est tombée à plat. Une petite déclaration ça et là, et vite le chemin des oubliettes. Personne ne verra cette page une qui aurait existé jadis, ni dans les kiosques, ni dans les restos et hôtels, ni sur les tables de cuisine. Et Gatineau, du moins son centre-ville, continuera de se transformer en Ottawa-Nord... 

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Lien au texte de Radio-Canada - https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2116894/commissaire-langue-francais-recul-fonction-publique-federale

Lien au texte de la Presse canadienne, reproduit sur le site du Droit - https://www.ledroit.com/actualites/2024/10/31/le-francais-recule-de-maniere-preoccupante-au-travail-et-dans-la-culture-SUQW2OGHGZF2PMIWN2ZYP75W5I/

Lien au rapport du Commissaire à la langue française du Québec - https://www.commissairelanguefrancaise.quebec/wp-content/uploads/2024/10/Situation-francais-etudes-complementaires.pdf