jeudi 14 janvier 2021

Fonction publique fédérale... Le «droit» de travailler en français... L'«obligation» de travailler en anglais...


Le «droit» d'utiliser le français au travail ne fait pas le poids face à «l'obligation» d'utiliser l'anglais dans la fonction publique fédérale. La langue française y est inévitablement perdante, et le résultat sera toujours l'assimilation plus ou moins rapide des francophones, un phénomène que peu de gens osent appeler par son nom, préférant se gargariser d'expressions plus anémiques, telle l'«insécurité linguistique»...

Le commissaire actuel aux langues officielles, Raymond Théberge, spécialiste du défonçage de portes ouvertes, vient de publier un sondage2 révélant que «près de la moitié des francophones (44%) qui travaillent pour la fonction publique fédérale dans des régions bilingues du Canada sont mal à l'aise d'utiliser le français dans le cadre de leur travail»1.

Ce «malaise» (aussi appelé insécurité linguistique) n'est qu'une des multiples manifestations d'une situation qui crève les yeux depuis un siècle et demi dans la capitale fédérale (et sans doute ailleurs). Le français y demeure essentiellement une langue seconde (je dirais même secondaire), surtout réservée à la traduction, et le milieu de travail reste anglo-dominant. Les francophones qui veulent y travailler dans leur langue, même les plus braves, finissent par frapper un mur. Seul l'anglais demeure vraiment obligatoire.

Mais il y a aussi un problème plus sombre, que les francophones surtout peinent à avouer. Les Canadiens français, particulièrement hors-Québec, subissent l'assaut quotidien de l'anglais depuis un siècle et demi et les taux d'anglicisation sont aujourd'hui effarants. Aussi, un grand nombre de ceux et celles qui se disent «francophones» dans la fonction publique fédérale se sentent souvent plus à l'aise en anglais que dans leur langue maternelle. Voilà une question qu'on ne pose pas dans un sondage du Commissariat aux langues officielles... mais qui exerce une influence réelle sur la langue de travail.

À cet égard, certains résultats du sondage - non rapportés par les médias - sont révélateurs. À la question «Quelle est votre langue de préférence» pour rédiger, être supervisé, parler en réunion ou discuter avec des collègues, les sondés anglophones de la région de la capitale fédérale répondent massivement l'anglais (jusqu'à 88%, pour la préférence en rédaction) alors que seule une minorité des francophones indiquent une préférence pour le français... Environ 20% des francophones affirment même préférer l'anglais pour rédiger un document! Les préférences pour le français, chez les anglos, oscillent autour de zéro...

En matière de préférences linguistiques, la situation est aussi dramatique au Nouveau-Brunswick, seule province officiellement bilingue au Canada. Pendant que 0% des anglophones disent préférer d'écrire, de parler ou d'être supervisé en français, optant pour l'unilinguisme anglais dans des proportions variant entre 75% et 92%, les Acadiens et autres francophones du Nouveau-Brunswick optent en minorité pour leur propre langue (entre 21% et 35% selon les catégories)! Pire, un plus grand nombre de répondants francophones (37%) indique une préférence pour la rédaction en anglais que pour la rédaction en français (21%). C'est un peu désespérant...

Par ailleurs, le gouvernement fédéral utilise des tests pour mesurer les compétences linguistiques des fonctionnaires dans des régions ou pour des postes bilingues. Ceux et celles dont les compétences sont jugées suffisantes sont exemptés de ces examens. Le sondage a demandé aux anglophones d'évaluer leurs compétences en français, et aux francophones d'évaluer leurs compétences en anglais. On y découvre que plus de la moitié des francophones de la région de la capitale canadienne n'ont pas eu à subir les tests linguistiques, alors qu'à peine 16 à 17% des anglophones ont été jugés suffisamment compétents pour une exemption en expression orale et écrite en français. Je ne sais pas si on impose aux francophones et anglophones des tests de compétence dans leur propre langue. Les résultats seraient peut-être surprenants.

Au Nouveau-Brunswick, la situation est pire qu'à Ottawa. Environ trois-quarts des Acadiens oeuvrant dans la fonction publique fédérale connaissaient l'anglais assez bien pour être exemptés des examens linguistiques, contre seulement 14% (expression écrite en français) et 19% (expression orale en français) chez les fonctionnaires anglophones...

Les chiffres sur la réalité linguistique au travail sont tout aussi saisissants. Dans la région de la «national capital» (Ottawa et Gatineau), le sondage révèle que 76% des fonctionnaires anglophones travaillent en anglais seulement ou surtout en anglais. Et les francophones? 58% d'entre eux travaillent uniquement ou surtout... en anglais!!! Seulement 1% des francophones de la capitale canadienne travaillent uniquement en français... et 15% surtout en français... Et après, on vient nous parler d'insécurité linguistique... Non mais, dans quel monde vivent ces gens?

On n'a qu'à lire les réponses aux questions du sondage qui portent sur les motifs de se sentir mal à l'aise de parler ou d'écrire en français. Il apparaît clair que dans la majorité des cas, cela est dû à l'unilinguisme des collègues anglophones ou à l'acceptation que de facto, l'anglais est la langue de travail. Dans un tel milieu, la majorité des francophones apprennent vite à travailler dans la langue dominante, qui s'infiltre dans leur expression orale et écrite par l'emploi fréquent de mots et expressions anglais, ou d'anglicismes. Puis, un bon jour, le français devient la langue seconde, et la génération suivante est à toutes fins utiles unilingue anglaise...

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1 Article d'Émilie Bergeron dans le Journal de Montréal, 11 janvier 2021

2 Commissariat aux langues officielles, (In)sécurité linguistique au travail - Sondage exploratoire sur les langues officielles auprès des fonctionnaires du gouvernement fédéral du Canada (2021)

1 commentaire:

  1. Ce n'est pas « un peu » désespérant, c'est carrément TRÈS désespérant, mais les Jean-Marc Fournier de ce monde, avec leurs lunettes roses persistent à faire accroire aux naïfs québécois et canadiens-français que tout va bien, pendant que Statistiques Canada nous prouve le contraire de façon magistrale. C'est consternant !!!

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