jeudi 16 octobre 2025

Des millions d'Ottawa pour angliciser nos soins de santé...

capture d'écran de CBC


Le gouvernement fédéral a annoncé, ce 15 octobre, une injection de 52 millions $ d'ici 2028 pour angliciser les soins de santé au Québec et favoriser l'apprentissage de l'anglais chez les francophones qui les dispensent. A-t-on lu cette nouvelle dans La Presse, Le Devoir, le Journal de Montréal, à Radio-Canada? Moi, je n'ai rien vu. Absence quasi totale des médias de langue française, pendant que CBC et la Gazette de Montréal en faisaient une de leurs manchettes!

Je me demande ce qui est le plus scandaleux. Les millions que le gouvernement de la majorité anglo-canadienne dépense pour saper nos efforts de francisation au Québec? L'inertie des salles de rédaction québécoises qui, trop souvent, ferment les yeux sur les urgences linguistiques même quand celles-ci crèvent les yeux? Ou même l'élection par de fortes majorités francophones de députés libéraux qui, clairement, sont voués à la cause des Anglo-Québécois?

Si le gouvernement québécois avait vraiment nos intérêts à coeur, il aurait émis une vive protestation devant cet empiétement fédéral (avec nos taxes) dans deux domaines - l'administration des établissements de santé québécois et l'éducation - où Ottawa n'a manifestement aucune compétence. Il ferait aussi savoir au Canada tout entier qu'ici, le droit pour les francophones de travailler en français primera toujours sur les exigences de la minorité linguistique la plus choyée au pays.

Les Anglo-Québécois, dans une proportion de plus de 60%, ont déjà facilement accès à des soins de santé dans leur langue, contre moins de 40% des francophones ailleurs au Canada. Dans les grandes régions de Montréal et Gatineau, les services en anglais sont généralisés. Hors Québec, à l'exception du Nouveau-Brunswick et de quelques régions de l'Ontario, la grande majorité des francophones (à 90% bilingues) s'accommode des services en anglais. Et rien ne changera. Les anglos, là comme chez nous, ont peu d'affection pour la langue française.

Je demeure à la frontière linguistique. Un passé franco-ontarien à Ottawa, Hullois et Gatinois depuis 1975. Ici on voit toute la différence. Un microcosme de ce pays sans bon sens. Sur la rive ontarienne, l'obligation constante de demander «Parlez-vous français?» si vous êtes disposé à faire l'effort, puis de switcher à l'autre langue dans ce milieu très majoritairement unilingue anglais, ou encore de s'adresser tout de go en anglais si vous craignez d'offusquer votre interlocuteur ou si votre niveau d'assimilation a atteint le point de non-retour. 

Pendant ce temps, sur la rive québécoise, dans ce grand Gatineau où l'anglicisation galope à vitesse grand v, je vois les anglophones (y compris les allophones qui préfèrent l'anglais) s'adresser en anglais sans hésitation dans les commerces et les établissements de santé, souvent sur un ton qui n'invite pas la réplique. Jamais en 50 ans je n'ai entendu un anglo demander poliment «Do you speak English?» Ils s'attendent d'être servis dans leur langue comme si le Québec était officiellement bilingue. Cette perception est renforcée à chaque fois qu'ils arrivent à un comptoir et que nos colonisés lancent un Bonjour-Hi sans même savoir s'il s'agit d'un anglophone...

Ce 52 millions de dollars d'Ottawa viendra renforcer notre état d'infériorité en encourageant les anglophones et les anglicisés à réclamer davantage d'être servis en anglais dans le domaine de la santé (plutôt que d'apprendre le français, supposément la langue d'intégration), et à exiger que les francophones qui les accueillent connaissent davantage l'anglais pour les accommoder. Le député de Vaudreuil-Soulanges, Peter Schiefke, a clairement indiqué à CBC que les dollars fédéraux pour les soins de santé en anglais aideraient à répondre aux besoins des «communautés anglophones et allophones». Ainsi, pour Ottawa, les allophones ont le droit d'être servis en anglais au Québec. D'ailleurs, dans Vaudreuil-Soulanges, où la majorité francophone rétrécit à chaque année, la plupart des allophones s'intègrent à la collectivité anglophone... 

Les zélés du bilinguisme/multiculturalisme Canadian rétorqueront qu'Ottawa a investi 78 millions $ pour empiéter dans les mêmes champs de compétence des provinces anglaises, question de favoriser cette fois l'accès aux soins de santé en français. Le problème, bien sûr, dans un pays où le français est menacé partout (même au Québec), c'est qu'un dollar anglicisant au Québec est bien plus efficace qu'un dollar francisant au Canada anglais où les effectifs de langue française chutent de façon dramatique de recensement en recensement. Même à l'hôpital Montfort (symbole de la résistance franco-ontarienne), il arrive qu'on se bute à des unilingues anglais...

Alors, messieurs dames du gouvernement de la majorité anglo-canadienne, continuez à donner des millions tous les ans à McGill pour que cette université poursuive partout au Québec ce qu'elle a tenté de faire en Outaouais il y a une dizaine d'années. L'université de langue anglaise de Montréal avait alors voulu imposer l'anglais comme langue d'enseignement aux étudiants francophones dans sa nouvelle faculté satellite de médecine à Gatineau... avec la complicité des députés libéraux aplaventristes du coin et surtout celle du premier ministre Philippe Couillard qui aurait souhaité que tous les jeunes francophones québécois apprennent l'anglais...

Je sais que je crie dans le désert. Pour que l'opinion publique s'éveille à l'importance de cette nouvelle invasion fédérale dans nos plates-bandes, il faudrait qu'elle en soit informée... Diable, où sont nos médias???


jeudi 9 octobre 2025

Le silence de la profession reste assourdissant...

Pour la sauver, il faut mettre le doigt sur les vrais bobos...


Ce matin, comme tous les matins sauf le dimanche, j'ai cueilli l'édition papier du journal Le Devoir, livrée chez moi à Gatineau. Jusqu'au début de la pandémie, je recevais également à domicile mon journal local, Le Droit, aujourd'hui disparu. 

Il y a dix ans à peine, dans la plupart des régions de notre demi-pays, une dizaine de quotidiens de langue française livraient des éditions imprimées à la porte de centaines de milliers de Québécois. Depuis plus de cent ans pour certains journaux! Les lecteurs y voyaient la source d'information la plus crédible, la plus fiable. Plus que la télé, bien plus que l'Internet. Et ça reste vrai en 2025.*

Mais voilà... Le 24 mars 2020, donnant faussement la pandémie de COVID 19 comme justification, mon quotidien a brutalement mis fin au papier. Temporairement, disait-on au début. Puis, pour de bon. Je n'aurais plus jamais mon Droit sur la table de cuisine en déjeunant. Les kiosques à l'épicerie seraient désormais vides. Les camelots et les pressiers, sans travail.

Pour moi, défenseur de l'imprimé contre l'envahissement excessif des écrans, ce fut un drame. Mais je crois pouvoir affirmer que l'abandon du journal papier fut aussi un coup dur pour l'ensemble du lectorat des cinq autres quotidiens de la Coop CN2i (Le Soleil, Le Quotidien du Saguenay, Le Nouvelliste, La Tribune et La Voix de l'Est) qui ont subi en mars 2020 le même sort que Le Droit.

Sur le plan journalistique, ce fut une catastrophe. Sans papier, nos quotidiens déjà hypothéqués (souvent par leur propre faute) étaient relégués à la jungle sans merci du Web. Trois ans plus tard, en avril 2023, les six quotidiens coopératifs larguaient leur édition numérique quotidienne. Les coopératives locales ont été dissoutes. Il ne reste aujourd'hui que de vastes babillards Internet portant les anciens logos des six journaux, mis à jour en temps réel par de braves équipes de journalistes qui ont survécu aux coupes successives.

La disparition simultanée de six des dix quotidiens imprimés du Québec, à laquelle s'ajoute l'abandon du papier à La Presse, aurait dû provoquer une levée de boucliers dans la société et un débat de fond au sein de la profession. Dans n'importe quel autre pays démocratique, on aurait lancé des SOS si plus de la moitié des journaux papier étaient supprimés. Ici, à part quelques cris ça et là, l'abandon de l'imprimé est passé comme un couteau dans le beurre. La suppression des éditions numériques trois ans plus tard est passée inaperçue!

La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) aurait été justifiée de convoquer un congrès d'urgence devant cette tragédie de portée civilisationnelle. Non, pas de congrès spécial. Même pas d'atelier sur cet enjeu à un congrès régulier. Et le désert laissé par la suppression des quotidiens imprimés dans toutes les régions du Québec (sauf pour les deux Québecor et Le Devoir) n'est très certainement pas à l'ordre du jour du congrès de novembre 2025 à la FPJQ... Le silence de la profession reste assourdissant...

J'ai appris fin septembre par un article du Devoir que la Fédération nationale des communications et de la culture de la CSN (qui regroupe plusieurs syndicats de travailleurs de l'information) avait entrepris une tournée québécoise (y compris à Gatineau) à l'automne 2024 et l'hiver 2025 pour tâter l'opinion sur l'affaiblissement des médias québécois. Il n'y a rien dans le rapport sur cette tournée de la FNCC-CSN qui porte sur l'abandon du papier (autre que d'en faire mention à l'occasion) ou la disparition de six journaux quotidiens (imprimés et numériques).** 

Les écrans sont en voie de tuer l'imprimé au Québec. Ils sont aussi en train de tuer l'information. Entre les modèles d'affaires capitalistes en quête constante de profits excessifs, un milieu journalistique en perte de combativité, un fatalisme qui voit dans le seul numérique l'avenir de l'information et un public de moins en moins informé, embourbé dans un océan de désinformation qui sera multiplié à l'infini par les abus de l'intelligence artificielle, ça va très mal à la shoppe...

Demain matin, j'aurai confiance que les textes de l'édition papier Le Devoir ont été préparés par des professionnels bien encadrés. Je sais aussi que le lendemain, le mois suivant, l'année suivante, l'information qui s'y trouve n'aura pas changé. Si je conserve une coupure de presse, personne ne peut la tripoter ou la détruire, comme cela arrive avec des nouvelles sur le Web. Ces écrits restent. L'imprimé est un socle de notre civilisation depuis plus d'un demi-millénaire. Il est aujourd'hui menacé par des hordes barbares habitant les médias sociaux...

Je n'ai rien contre l'information numérique en soi. Elle est devenue incontournable depuis le milieu des années 1990. Mais je l'apprécie pour ce qu'elle ajoute à la connaissance, et non pour ce qu'elle prétend remplacer. L'imprimé, j'en ai la conviction, est et sera irremplaçable. Le majorité de nos journalistes ne semblent pas de cet avis... mais je continue d'espérer...

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https://www.ledevoir.com/culture/medias/920595/consensus-sauver-information-bien-public

** https://fncc.csn.qc.ca/wp-content/uploads/2025/08/2025.05_CSN-FNCC_Tournee-Rapport_VF-Num.pdf

mercredi 8 octobre 2025

À la mémoire de Gilberte Prud'homme-Dugas

La mort de Gilberte Prud'homme-Dugas vers la fin de septembre est passée relativement inaperçue à l'extérieur de son cercle de proches et d'amis. Décédée à l'âge de 87 ans, cette Franco-Ontarienne méritait pourtant qu'on se souvienne de son importante contribution au petit quartier jadis francophone d'Ottawa qu'elle habitait.

Entre la grand-rue (rue Wellington) et la rivière des Outaouais, à l'ouest des plaines Lebreton, les paroisses St-François d'Assise et Notre-Dame des Anges abritaient depuis la fin du 19e siècle une communauté canadienne-française tricotée serré d'environ 6000 habitants. Un gros village urbain où la langue de la rue est restée le français jusqu'à la fin des années 1960. J'y ai grandi.

La collectivité participait activement au réseau institutionnel franco-ontarien depuis longtemps. Une des réunions de fondation de l'Ordre de Jacques-Cartier (La Patente) avait eu lieu au sous-sol de l'église St-François d'Assise. On y trouvait des groupes et associations de tous genres, principalement religieux, et même un régiment de zouaves pontificaux. Vers 1958, il ne manquait qu'une association patriotique pour les jeunes Franco-Ontariens.

Entre alors en scène Gilberte Prud'homme. Alors âgée de 19 ans, elle pilota le projet de fonder un cercle local de l'Association de la jeunesse franco-ontarienne (AJFO), au sein duquel quelques centaines de jeunes de l'ouest d'Ottawa allaient évoluer pendant près d'une décennie. Les archives du cercle St-François de l'AJFO, que j'ai précieusement conservées et que j'espère offrir à l'Université d'Ottawa, constituent le seul témoignage écrit de son existence et de ses réalisations.

Lors d'une rencontre de retrouvailles en 1977 (la seule), une édition souvenir du journal Le Pingouin de cette association a été publiée. Je laisse ici deux extraits, un signé par Gilberte Prud'homme-Dugas, l'autre par un de ses collègues, Yvon Dugas. Ces textes ont été rédigés en 1963 et en 1965.



Je laisse ici le lien à l'avis de décès de Gilberte. https://www.dignitymemorial.com/fr-ca/obituaries/ottawa-on/gilberte-dugas-12530733


mardi 7 octobre 2025

Un francophone assimilé n'est plus un francophone...



Ah. les statistiques linguistiques... En principe claires... En pratique trop souvent maquillées, nuancées, parfois trompeuses... au point où l'on peine à distinguer le vrai du faux, le plausible de l'improbable...

À cet égard, je lisais aujourd'hui sur le site Web du Droit un texte fort instructif du journaliste Sébastien Pierroz (Réseau.Presse - Le Droit), portant sur la «sous-utilisation» du Service 3-1-1 de la ville d'Ottawa par les francophones de la capitale canadienne.

Au départ, le texte présente une statistique implacable, incontestable: des 390 190 appels reçus au service municipal 3-1-1 en 2024, on compte 358 486 demandes faites en anglais (91,16% du total), contre 31 704 reçues (8,84%) en français.

L'auteur du texte en conclut à une «sous-utilisation» du service par les francophones en adoptant comme repère identitaire la «première langue officielle parlée» (PLOP), une variable créée par Statistique Canada à partir des données du recensement sur la connaissance des langues officielles, la langue maternelle et la langue la plus souvent parlée à la maison (langue d'usage).

Selon cette variable, que j'estime fort contestable mais que Statistique Canada a choisie comme mesure officielle des collectivités de langue officielle en situation minoritaire, il y aurait près de 155 000 francophones PLOP à Ottawa sur une population totale de 1 006 790 en 2021. Cela donne une proportion de 15,3%.

Si on accepte la validité de cette affirmation, il faut conclure que plus de 40% des «francophones» ottaviens s'adressent en anglais au service bilingue 3-1-1 de la ville. Mais la question se pose. Y a-t-il à Ottawa 15,3% de Franco-Ontariens? Plus? Moins? Ici la bisbille règne!

Selon la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada, toutes les personnes capables de s'exprimer en français doivent être comptées comme francophones! C'est absolument ahurissant mais avec cette méthode de calcul, il y aurait à Ottawa 37,9% de francophones (381,310 personnes). Un non-sens total!

Pour sa part, en vertu d'un calcul dont le lien avec la réalité m'échappe, l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) estime à 795 760 le nombre de Franco-Ontariens, soit 5,6% de la population totale de l'Ontario. Cela ajoute environ 50% au nombre de francophones PLOP établi par Statistique Canada. Avec cette «méthode???», Ottawa compterait plus de 230 000 Franco-Ontariens... Hallucinant!

Si on s'en tient aux données du recensement sur la langue maternelle (la première langue apprise et encore comprise), le nombre de «francophones» de la capitale fédérale dépasse de peu le seuil des 140 000, soit 14% de la population de la ville. Un peu moins que le décompte PLOP, mais correspondant au moins à de vraies réponses faites par les répondants au formulaire du recensement.

Enfin, le nombre d'Ottaviens qui donnent le français comme langue d'usage unique (langue la plus souvent parlée) à la maison se situe à près de 83 000, soit 8,2% de la population. En y ajoutant et en pondérant les réponses multiples (plus d'une langue d'usage à domicile dont le français), on peut ajouter un peu plus de 12 500 personnes, pour un grand total d'environ 95 500, ce qui représente 9,5% de la population totale d'Ottawa.

J'ai toujours considéré la langue d'usage comme meilleur indicateur du nombre véritable de francophones dans une collectivité au Québec et au Canada. Il y a quelque 60 ans, les auteurs de la Commission B-B (bilinguisme et biculturalisme) étaient du même avis.

Cela nous ramène donc au point de départ. Si la langue d'usage constitue effectivement le meilleur critère pour dénombrer les francophones d'ici, alors un taux de 8,84% de demandes en français au service 3-1-1 n'est pas une sous-représentation de la francophonie ottavienne actuelle. Ce serait plutôt un portrait fidèle de ce qui reste de la Franco-Ontarie d'Ottawa...

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De l'autre côté de la rivière des Outaouais, chez moi, à Gatineau qui s'anglicise à vue d'oeil, je serais curieux de connaître la proportion d'appels en anglais à notre service 3-1-1, et de le comparer aux données du recensement de 2021. 


mardi 30 septembre 2025

CRCCF: un rendez-vous manqué pour nos médias...



Jeudi dernier, 25 septembre, Jour des Franco-Ontariens, j'ai traversé la rivière des Outaouais pour une rare incursion au campus de mon alma mater, l'Université d'Ottawa, question d'assister au lancement de la saison 2025-2026 du Centre de recherche sur les francophonies canadiennes (une émanation de l'Université, toujours connu sons son ancien sigle, CRCCF, signifiant Centre de recherche en civilisation canadienne-française).

Ayant garé ma voiture au sous-sol de la Résidence Brooks en plein coeur du campus, dans le quartier Côte-de-sable, j'ai eu droit à mon premier Sorry, I don't speak French en demandant à un passant l'emplacement du guichet de péage. Me rendant à pied au pavillon Morisset, où l'événement avait lieu, j'ai croisé des centaines d'étudiants dans l'achalandage de 17 heures. Mes oreilles ont capté des dizaines de langues, l'anglais surtout, mais pas un mot de français. À l'intérieur de l'édifice, ma recherche du local du CRCCF m'a valu deux Pardon me?

Me voilà enfin arrivé aux bureaux exigus du Centre, évocation ottavienne du village gaulois assiégé. Une soixantaine de personnes s'y entassent, la plupart Franco-Ontariens j'imagine, mais on y rencontre aussi des Québécois, des Acadiens et des francophones de l'Ouest.  Certains participants portent le vert, couleur du drapeau de l'Ontario français, qui fête ce jour-là son 50e anniversaire. Au menu: un panel sur la mobilisation politique franco-canadienne depuis la fondation, en 1975, de la Fédération des francophones hors Québec (FFHQ, devenue en 1991 la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA).

Tenant compte du rôle névralgique joué par le CRCCF et de la qualité des membres du panel (tous anciens ou actuels dirigeants de la FFHQ-FCFA, couvrant l'entièreté de son demi-siècle), je me serais attendu à une présence médiatique et à des reportages dans la presse et autres réseaux Web le lendemain. Pourquoi n'y avait-il aucun journaliste en devoir? Poser la question, c'est étaler au grand jour l'état lamentable de nos salles de rédaction dégarnies et désorientées. Avoir repris le métier ce 25 septembre, j'aurais pu facilement en tirer quelques textes dignes des premières pages du Droit (si le journal existait toujours) ou des bulletins de nouvelles électroniques.

Entre les questions identitaires exacerbées par les États généraux du Canada français à la fin des années 1960, les rapports avec Ottawa et Québec sur fond de guerre constitutionnelle, les luttes incessantes devant les tribunaux pour obtenir des écoles françaises à travers le Canada et surtout en assumer la gestion, entre l'effet croissant de l'immigration francophone dans un contexte de déclin démographique et la modernisation récente de la Loi sur les langues officielles, les panélistes ne manquaient pas de pain sur leurs planches historiques. Ce qu'ils ont dit sur le dernier demi-siècle aurait pu remplir un calepin de notes. Ce qu'ils n'ont pas dit aurait pu en faire déborder un second...

«LE» mot clé pour comprendre la dynamique de la francophonie hors Québec n'a pas été prononcé... Je parle bien sûr de l'assimilation, de l'anglicisation. En insistant sur l'intensification de l'immigration francophone hors Québec, personne n'a tenté d'expliquer pourquoi l'apport de nouveaux arrivants était devenu essentiel. Les collectivités francophones historiques s'effritent et s'effondrent un peu partout au pays (même le Québec est menacé), mais personne n'en a parlé jeudi soir. On dirait qu'assimilation est devenu un mot tabou... Sans faire face à cette réalité, il deviendra vite inutile de poursuivre les combats politiques, juridiques et constitutionnels. Tous les droits de la francophonie hors Québec reposent sur une sinistre condition: là où le nombre le justifie...

Un maquillage plus épais ne changera rien à un mal en profondeur. Ce n'est pas en «repensant ce que ça veut dire d'être francophone» à l'extérieur du Québec, ou en se «réinventant», qu'on améliorera les données de «langue d'usage» aux recensements fédéraux. Ne pas «se considérer comme minoritaires» ne changera rien au fait de l'être, surtout pas aux élections... Ce dont les organismes de la francophonie hors Québec ont besoin pour au moins tenter de relever les défis du présent et de l'avenir, ce sont des portraits réalistes des collectivités qu'ils disent représenter auprès des gouvernements (y compris celui d'Ottawa), tous issus de majorités anglophones, historiquement hostiles.

Il me semble avoir entendu le vice-recteur associé à la francophonie, Yves Pelletier, annoncer jeudi dernier que la nouvelle rectrice de l'Université d'Ottawa, Marie-Ève Sylvestre, avait demandé une étude de fond sur la présence du fait français au campus ottavien. Si cela s'avère vrai (excusez le pléonasme), il s'agit d'une bonne nouvelle. Ça permettra de relancer avec vigueur le débat inachevé sur la gestion franco-ontarienne à l'universitaire, débat saboté par l'octroi d'un micro-campus à Toronto qu'on a pompeusement baptisé Université de l'Ontario français.

En quittant les locaux du CRCCF, vers 20 h 15, j'ai reçu en pleine figure deux autres Sorry I don't speak French en cherchant le bon escalier vers ma sortie de l'édifice...

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Lien au CRCCF - https://www.uottawa.ca/recherche-innovation/crccf


mardi 26 août 2025

Un prix Robertine-Barry?



Suis-je fier de ma profession? Oui, quand je vois tous les jours des journalistes risquer leur vie pour faire leur boulot ou croupir dans des prisons par centaines, victimes de répression d'un bout à l'autre de la planète. Non, quand j'assiste au triste spectacle de pantouflards dormant au gaz depuis des décennies pendant que la presse québécoise dépérit et, désormais, agonise sous nos yeux.

Au cours des dix dernières années, le Québec a perdu pas moins de sept quotidiens imprimés (sur un total de 10). Six de leurs successeurs numériques ont rendu l'âme. Ne reste qu'un quotidien tout-numérique, La Presse et, côté papier, les deux Québécor ainsi que Le Devoir qui semble s'acharner à saboter son édition imprimée depuis quelques années au profit du contenu numérique, plus complet.

Cette catastrophe médiatique a-t-elle au moins suscité quelques débats d'urgence au sein d'instances syndicales ou aux divers congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec? Non! Aucune levée de boucliers pour défendre des acquis durement arrachés, à peine quelques mentions, peu de regrets. Demandez à des bonzes de la profession s'ils savent à quelle date précise les six journaux coopératifs de CN2i (ex-Gesca, ex-Capitales Médias) ont cessé de publier leur édition quotidienne numérique. La plupart l'ignorent sans doute...

Si je garroche ici mes frustrations devant le sort de notre presse écrite et la trop grande indifférence de ma profession, c'est que je viens de lire le Tome 1 du livre Elles ont fait l'Amérique de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque. Le dernier chapitre porte sur Robertine Barry, la première femme journaliste de l'histoire du Québec. Elle avait enfreint toutes les règles religieuses et sociétales de l'époque (1891) pour exercer avec brio un métier jusque là réservé aux hommes et qui, par surcroit, était plutôt mal vu au sein de la population. 

Embauchée au journal La Patrie, elle signa pendant plus de dix ans une chronique à la une sous le pseudonyme Françoise. Mme Barry y fit la promotion des droits des femmes, réclama des refuges pour filles-mères, dénonça les enfants en haillons obligés de travailler à l'usine, se soucia de la piètre qualité de l'eau propagatrice de maladies, protesta contre l'état chaotique des rues de Montréal et s'attaqua à toutes formes d'injustices. 

En 1902, elle fonda Le journal de Françoise sous la maxime Dire vrai et faire bien. Cette revue «devint aussitôt le haut lieu des esprits modernes et progressistes du temps», écrivent Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque. Au grand dam des autorités religieuses, sa renommée a largement franchi les frontières du Québec et de l'Amérique. Battante jusqu'au bout, elle plaida en faveur de l'éducation laique au Québec dans une ultime conférence devant la Fédération nationale Saint-Jean Baptiste. Elle devait mourir quelques mois plus tard, au début de 1910, d'un AVC.

Mais la célébrité dans la vie n'est pas garante d'une place dans l'histoire ou même au sein de sa profession. Robertine Barry fut vite oubliée, et au moment de la publication du livre de M. Bouchard et Mme Lévesque en 2011, sa tombe au cimetière Côte-des-Neiges, à Montréal, est couverte de mauvaises herbes, sans monument, sans inscription. Mon ex-quotidien, Le Droit, a subi le même sort, comme les cinq autres ex-membres de la coopérative CN2i (Le Soleil, La Tribune, Le Nouvelliste, Le Quotidien du Saguenay, La Voix de l'Est)... Morts dans l'indifférence, sans pierre tombale, sur le chemin de l'oubli, réduits à de grands babillards dans la jungle de l'Internet.

En 2021, enfin, le gouvernement québécois a reconnu en Mme Barry un «personnage historique». Ne serait-il pas temps que les journalistes eux-mêmes ressuscitent pour de bon la mémoire de cette pionnière, d'une battante comme Robertine Barry, en créant un prix portant son nom, dont le mandat serait à définir mais qui aurait pour but d'encourager des projets ou des études visant à chauffer les braises d'un véritable combat pour sauver le journalisme et les médias d'information au Québec? Une étincelle opportune dans cette nuit sans fin de mauvaises nouvelles...


jeudi 7 août 2025

Je suis déçu...



Deux jours après l'élection québécoise du 3 octobre 2022, je voyais l'avenir avec un certain optimisme même si le PQ n'avait raflé que trois sièges. J'écrivais entre autres ce qui suit:

«Le Parti québécois a enfin un chef qui a su rallier les troupes autour de l'objectif clé: un Québec français et indépendant. Au début de la campagne électorale, les sondages donnaient moins de 10% des intentions au vaisseau amiral de la souveraineté. Sous l'habile direction de Paul St-Pierre Plamondon, la cote du PQ a grimpé à près de 15% le soir des élections. Les images de cercueils péquistes dans les caricatures médiatiques ont été rangées, mais on ne prendra pas le pouvoir à 15%, ni même à 20 ou 25%.

«D'ici le scrutin de 2026, il, faudra tripler les résultats de 2022. et cela ne se fera pas en quelques mois de campagne électorale. Ceux qui diront que je rêve en couleurs auront parfaitement raison. Mais comme le disait Pierre Falardeau, on va toujours trop loin pour ceux qui ne vont nulle part. Un vote à la fois. Un jour à la fois. Tous les jours, à compter de maintenant. Nous n'avons pas le choix. Si nous n'avons rien fait d'ici 4 ans, notre aventure de 400 ans prendra fin.»

Depuis lors, le Parti québécois s'est hissé en première place des intentions de vote. La formation de Paul St-Pierre Plamondon a remporté haut-la-main deux partielles, dans Jean-Talon (Québec) et Terrebonne. Les sondages démontrent un regain de l'appui à l'indépendance chez les jeunes. Si une élection générale avait lieu aujourd'hui, il y a fort à parier qu'un gouvernement majoritaire péquiste succéderait à la CAQ.

Nous voici donc à quelques jours de la partielle d'Arthabaska-L'érable, un maillon essentiel dans cet ultime cheminement vers la souveraineté. La nation québécoise de langue française titube au bord de l'abime. La majorité francophone de notre seule métropole est menacée. Le temps joue contre nous dans un contexte de croissance accélérée du nombre d'anglophones et d'anglicisés dans plusieurs régions. Il n'y a plus de détours possibles. Ou nous filons droit au but sans trébucher, ou c'est la «louisianisation» à moyen terme...

Or, en lisant un texte d'un journal de Victoriaville (La Nouvelle Union), j'apprends de la bouche même du candidat du PQ, Alex Boissonneault, que la souveraineté n'est «pas l'enjeu de la présente élection partielle». Voyez la capture d'écran, tirée d'un article du journaliste Claude Thibodeau dans l'édition du 7 août 2025: 

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Je n'en reviens pas! Après une remontée spectaculaire d'un PQ résolument indépendantiste depuis 2022, on met le pays sur une tablette dans l'espoir de grignoter quelques votes à une élection partielle? Je resterai péquiste jusqu'à mon dernier souffle, peu importe les désaccords qui peuvent survenir de temps à autre. Mais qu'on me permette de dire tout haut: je suis déçu!


mardi 22 juillet 2025

Université franco-ontarienne: sources médiatiques polluées

article du journal Le Droit du 2 décembre 2013, bien plus fidèle aux faits

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Si les médias diffusent une fausseté assez longtemps, elle finira par devenir vérité, tant pour le public que pour les journalistes. Ainsi en va-t-il de la saga interminable du projet d'université franco-ontarienne qui va et vient dans le décor de puis plus d'un demi-siècle.

La plus récente mouture, et la plus cohérente oserais-je dire, avait été lancée au début des années 2010 par le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO). Cet organisme regroupant les étudiants francophones du collégial et de l'universitaire, rapidement soutenu par la FESFO (élèves du secondaire franco-ontarien) et l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario), réclamait une gouvernance francophone de tous les programmes collégiaux et universitaires de langue française.

Cette gouvernance, s'appuyant sur le principe du «par et pour les francophones» affirmé par la Cour suprême dans l'affaire Mahé en 1990, était au coeur des priorités élaborées lors des États généraux du postsecondaire tenus à travers l'Ontario en 2013. Bien sûr, il fallait colmater des brèches régionales (notamment dans le sud-ouest ontarien), sans toutefois porter atteinte à l'objectif global d'une gouvernance pan-ontarienne, y compris - et surtout - sur les programmes de langue française des deux monstres bilingues, l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne.

Ce grand projet d'université franco-ontarienne a été torpillé par le gouvernement libéral de Mme Wynne en 2015 dans des circonstances qui restent encore aujourd'hui à éclaircir. Le résultat, cependant, fut un micro-campus de langue française à Toronto qu'on a pompeusement baptisé Université de l'Ontario français. Depuis ce temps, on tente un peu partout de faire croire que ce campus constitue la victoire recherchée par le RÉFO et ses alliés. Encore récemment (voir lien à l'article du 20 juillet dans Le Droit en bas de page), l'analyste Sébastien Pierroz écrit: 

Je ne blâme pas ce journaliste plus que les autres, s'abreuvant aux mêmes sources médiatiques polluées. Pour la nième fois, je me permets de rappeler mon texte de blogue de janvier 2020 (voir lien en bas de page), publié après l'annonce d'un financement fédéral-provincial pour la soi-disant Université de l'Ontario français à Toronto...

L'annonce d'États généraux de la francophonie ontarienne constitue une bonne nouvelle en soi. Il est grand temps. Mais les chances de réussite sont faibles ou nulles si on continue de se raconter des histoires comme celles que colportent les médias sur l'Université de l'Ontario français. Le projet d'université franco-ontarienne couve toujours sous les braises. Avec la renaissance de l'Université de Sudbury, il pourrait de nouveau s'enflammer.

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Lien à l'article du Droit intitulé «Un grand dialogue franco-ontarien se pointe è l'horizon», 20 juillet 2025 - https://www.ledroit.com/chroniques/sebastien-pierroz/2025/07/20/un-grand-dialogue-franco-ontarien-se-pointe-a-lhorizon-3VQ37P4OZBDRRHBQUVAAAF3LMM/

Lien à mon texte de blogue du 24 janvier 2020 intitulé «Université de l'Ontario français: un mensonge historique» - https://lettresdufront1.blogspot.com/2020/01/universite-de-lontario-francais-un.html


vendredi 11 juillet 2025

Le déclin du Moulin-à-Fleur de Sudbury



J'écris depuis des années que la disparition de tous les territoires urbains à majorité francophone depuis les années 1960 constitue l'un des plus grands drames de l'Ontario français. Privés de leurs quartiers historiques, les Franco-Ontariens des villes (Ottawa, Sudbury, Cornwall, Welland, Windsor, etc.) doivent partout composer avec des majorités anglophones. Il en est résulté une accélération appréciable de l'anglicisation, qui frôle aujourd'hui le point de non-retour. Trop de chercheurs ne semblent pas comprendre l'importance de ce phénomène, et n'en tirent pas les conclusions qui s'imposent.

J'ai repensé à tout cela en lisant attentivement le livre Le Moulin-à-Fleur de Sudbury; quartier ouvrier, territoire canadien-français, publié cette année aux Presses de l'Université d'Ottawa par l'historien Serge Dupuis et le psychiatre Normand Carrey. Ce type d'étude ne figurera jamais aux palmarès des meilleurs vendeurs en librairie, et c'est bien dommage. Sur 320 pages on y voyage dans le temps, depuis la fin du 19e siècle aux années 2020, avec ces milliers de Canadiens français qui s'étaient acharnés à transplanter dans la région de Sudbury leurs us et coutumes du grand bassin du Saint-Laurent..

S'appuyant beaucoup sur des archives médiatiques ainsi que des interviews et un sondage d'anciens résidents du quartier Moulin-à-fleur de Sudbury, l'oeuvre de MM. Dupuis et Carrey nous plonge dans la vie quotidienne des gens autant que dans l'évolution du cadre religieux, scolaire et municipal dans lequel ils ont vécu. Mais il déborde parfois pour effleurer les dossiers plus généraux de la résistance linguistique franco-ontarienne, ainsi que l'importance de la territorialité pour assurer la pérennité du français dans une province hostile qui interdit à partir de 1912 (règlement 17) l'enseignement du français après la 2e année du primaire dans les écoles ontariennes.

Évoquant les recherches des historiens Fernand Ouellet et Gaétan Gervais, les auteurs rappellent qu'au recensement de 1911 (l'année précédant la mise en oeuvre du règlement 17), un peu plus de 61% des 202 000 Franco-Ontariens étaient unilingues français. Regroupés en grande majorité sur des territoires ruraux mais aussi urbains où elles formaient des majorités souvent homogènes, ces collectivités pouvaient, pour la plupart, vivre en français sans avoir à devenir bilingues. Les Canadiens français formaient ainsi en Ontario une «minorité nationale» viable et relativement autonome, avec une centaine de paroisses francophones et 200 écoles franco-ontariennes.

C'est dans cette mouvance qu'avait pris forme le quartier Moulin-à-fleur de la ville minière de Sudbury. Un territoire où des milliers de Franco-Ontariens se sentent chez eux. «En effet, des décennies 1910 à 1960, environ 80% de ses résidents sont de langue maternelle française, 90% sont catholiques et une proportion semblable appartient à la classe ouvrière», rapporte-t-on. Un peu comme le quartier de la Basse-Ville, à Ottawa. Les francophones s'y reconnaissent, et les anglophones des autres quartiers le voient comme le secteur canadien-français de la ville. Un territoire où le français est la langue de la rue, la langue d'intégration, la langue que l'on transmet d'une génération à l'autre. Un point d'appui culturel (et institutionnel) pour les petites municipalités francophones rurales à l'ouest du lac Nipissing.

L'érosion s'est faite lentement au départ, avec l'imposition du règlement 17 qui, même combattu, souvent avec succès, a contribué à bilinguiser les jeunes générations franco-ontariennes. L'émergence d'une classe moyenne et d'une élite bourgeoise a favorisé un certain éparpillement de francophones dans les quartiers à majorité anglaise. Puis, avec les années 1960, des «rénovations urbaines» de tous genres, petites et grandes, n'ayant aucun égard pour le tissu social et culturel des populations touchées, ont contribué à disloquer les communautés traditionnelles. À Sudbury et encore davantage à Ottawa.

«Dans le Moulin-à-fleur, expliquent MM. Dupuis et Carrey, la population de langue française s'élevait toujours au-dessus de 70% en 1971, mais elle a baissé à 56% en 1986, puis à 32% en 2011.» Les conséquences sont dramatiques pour la francophonie sudburoise, comme elles l'ont été pour les Franco-Ontariens de la Basse-Ville, de Vanier et de mon quartier de St-François d'Assise à Ottawa. Le sommet de la pyramide de l'Ontario français se trouvait décapité.

Les auteurs ont fort bien saisi cette dynamique. «Alors que, historiquement, le quartier (Moulin-à-fleur) permettait aux ouvriers et aux familles de vivre en français au quotidien et c'était à l'élite professionnelle de maîtriser les codes en anglais, l'équation semble s'être renversée depuis les années 1970; l'érosion d'un territoire majoritairement francophone a privé plusieurs familles ouvrières d'un espace de vie qui n'est pas anglo-dominant.»

Ce phénomène, qui peine à percer dans les savantes études sur l'état des minorités franco-canadiennes, semble avoir bien capté l'attention de Serge Dupuis et Normand Carrey. «L'existence de quartiers francophones en milieu minoritaire contribue à accroître la présence du français dans l'espace urbain et, par ricochet, à cultiver un sentiment d'appartenance chez les jeunes familles qui pourraient voir la langue française comme une langue du quotidien, dotée d'une "présence naturelle"qui appartient au présent et à l'avenir.»

L'effet glacial est mesuré par Statistique Canada: un taux d'anglicisation d'environ 20% des Franco-Sudburois en 1971 (et probablement moins dans le Moulin-à-fleur où les francophones étaient majoritaires à 70%), contre un taux d'anglicisation de plus de 55% au recensement de 2021. Et la proportion de personnes ayant le français comme langue d'usage (langue la plus souvent parlée à la maison) a chuté de 21,5% en 1971 dans l'ancienne ville de Sudbury (26,4% pour le Grand Sudbury) à 8,4% (11,7% pour le Grand Sudbury) en 2021. En chute libre! Comme à Ottawa, Cornwall, Welland, Windsor... 

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Serge Dupuis et Normand Carrey,  Le Moulin-à-Fleur de Sudbury, quartier ouvrier, territoire canadien-français, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 2025


lundi 7 juillet 2025

Vivre en français à Cornwall?



Quand j'ai lu la manchette de la Une du Devoir ce matin 7 juillet 2025 (l'édition papier que je reçois à la maison), j'ai sursauté. «Choisir l'Ontario pour vivre en français». Décision pour le moins étrange. Un peu comme cibler le mont Everest pour faire ses débuts en alpinisme. 

Après avoir lu attentivement le texte de leur journaliste Mathilde Beaulieu-Lépine, portant sur une famille camerounaise francophone installée à Cornwall, dans l'Est ontarien, je me suis rendu compte que finalement, le titre qui coiffe l'article était faux.

Non pas qu'il soit absolument impossible de «vivre en français» à Cornwall... On pourrait sans doute y arriver avec beaucoup d'efforts et une persévérance sans borne dans cette ville où les personnes ayant le français comme langue d'usage forment désormais une mini-minorité. 

Mais ce n'était pas l'objectif de la famille de Jeanne Edwige Ango Mguiamba. «Je voulais m'intégrer à la société anglophone aussi, mais sans toutefois perdre la culture française», explique-t-elle au Devoir. Jeanne s'est même inscrite à des cours d'anglais. Elle envoie sa fille à l'école française, tout en étant convaincue qu'elle «va apprendre l'anglais, parce qu'on a une communauté anglophone ici».

Elle résume ainsi: «Je voudrais vraiment que mes enfants soient bilingues, et moi également.» Rien pour justifier le titre de la une du journal...

Au fond, elle tente de faire ce que tentent de faire les Franco-Ontariens de souche depuis plus d'un siècle avec un taux de succès désormais en chute libre: devenir bilingues en conservant la langue française comme marqueur identitaire principal. À cet égard, Cornwall pourrait constituer d'ailleurs un cas type en Ontario, où tous les anciens territoires urbains francophones sont disparus au cours du dernier demi-siècle.

Au recensement de 1971, on rapporte que les personnes «de langue maternelle française» forment près de 42% de la population de Cornwall, tandis que la proportion des personnes de langue d'usage française (langue la plus souvent parlée à la maison) dépasse 31%. En 2021, les francophones (langue maternelle) ne sont plus que 21,5% de la population totale (et non près de 30% comme l'écrit Le Devoir), à peine 9% selon le critère plus pertinent de la langue d'usage.

Le taux d'anglicisation des francophones de Cornwall est catastrophique. Supérieur à 50%. Hors de l'école et du foyer (et encore...), les francophones vivent à toutes fins utiles en anglais dans cette ville qui se veut bilingue. S'il y a déjà eu à Cornwall un quartier majoritairement francophone, il n'existe plus en 2025. La proportion d'anglophones (recensement de de 2021) dépasse les 75% selon les chiffres de langue maternelle (Le Devoir dit «plus de 60%) et atteint 86% selon le critère de la langue d'usage.

Je ne doute pas qu'il existe toujours quelques milliers de vrais francophones à Cornwall qui font leur possible pour protéger et promouvoir la langue française dans «un combat par trop inégal» (citation d'Omer Latour*, Presses de l'Université d'Ottawa, 1981). Mais ils vivent dans un univers médiatique anglais, dans des quartiers et des rues commerciales anglophones, dans un milieu institutionnel anglo-dominant, et font face à un gouvernement insensible, voire hostile.

Les élèves du secondaire ont dû se battre et même aller en grève en 1973 pour obtenir une école française bien à eux. La seule de la ville. Aujourd'hui, leurs petits-enfants luttent pour obtenir des locaux moins vétustes et plus grands. Leur conseil scolaire a demandé au ministère ontarien de l'Éducation des fonds pour une nouvelle construction. Le gouvernement Ford a dit non... C'est toujours la même chose...

L'arrivée d'immigrants francophones ne changera rien à la dynamique linguistique centenaire. Après une génération, ils s'angliciseront au même rythme que les anciens Franco-Ontariens. Il n'y a d'ailleurs que que 500 000 francophones en Ontario, et non 600 000 comme l'écrit Le Devoir. Selon le critère de la langue d'usage, ils sont moins de 300 000...

Je me réjouis que Le Devoir s'intéresse à la francophonie hors Québec. Et les trois textes d'aujourd'hui sur Cornwall offrent aux Franco-Ontariens un débouché qu'ils n'avaient plus avec la disparition des anciens quotidiens et hebdos de langue française dans l'Est ontarien. Mais le portrait des forces en présence est incomplet et inexact.

C'est important. Pour la francophonie ontarienne, qui ne pourra rien corriger avec des lunettes roses. Pour les Québécois aussi, qui doivent comprendre que ce qui arrive aux Franco-Ontariens leur arrivera un jour (c'est déjà commencé) à moins d'agir maintenant pour assurer l'avenir de la langue française au sein même du vaisseau amiral de la francophonie nord-américaine.

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* Omer Latour, Une bande de caves, Les Éditions de l'Université d'Ottawa, 1981 - voir aussi https://pierreyallard.blogspot.com/2014/02/bande-de-caves.html


jeudi 19 juin 2025

Quand un média d'information dissimule l'information...


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Obfuscation (emprunt de l'anglais): énonciation d'une affirmation fausse ou imprécise de manière à dissimuler l'information pertinente.

L'ancien premier ministre québécois Robert Bourassa en était maître. On lui posait une question, puis on pouvait écouter sa réponse quatre ou cinq fois pour tenter d'en saisir le sens.

L'ancien président Richard Nixon avait lui aussi maîtrisé la technique de brouiller les messages parlés ou écrits. On avait même inventé le terme «nixonspeak» pour le caractériser.

Évidemment, que des politiciens pratiquent l'art de l'obfuscation ne surprendra personne.

Il n'en va pas de même pour les médias d'information. Ayant pour mission de rapporter et décoder les faits, une entreprise de presse qui les fausse, les obscurcit ou les cache commet un péché mortel.

Et pourtant, cela ne semble pas déranger les dirigeants de nos entreprises de presse ces jours-ci. Depuis plusieurs décennies dans certains cas...

Mais tenons-nous en au temps présent. Je lisais ce 9 juin un «mot de l'éditeur» sur le site Web Le Droit. Un texte qui commence bien mal, tenant compte qu'il n'y a plus d'éditeur au Droit. Le message est signé par le directeur général de l'organisation médiatique, François Carrier.

J'attendais cette communication depuis au moins quelques jours, sachant que la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie avait quitté l'équipe (pas de son propre gré) le 7 juin. Un départ médiatisé par Le Devoir, Radio-Canada et ONFR, mais pas dans les pages du Droit.

L'annonce du départ de Mme Lortie s'accompagnait de la révélation qu'elle ne serait pas remplacée, le rédacteur en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières devenant responsable de la rédaction du Droit en plus de la sienne. Cette nouvelle a été confirmée par M. Carrier et commentée par Mme Lortie, qui a parlé de «restructuration».

Le président de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario, Fabien Hébert, s'est inquiété de voir un poste de direction si important confié à une personne qui ne connaît pas l'Outaouais et l'Ontario. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec craint «un effet négatif».

La table était mise pour une défense par le siège social des Coops de l'information (à Québec) ou par le d.g. du Droit de ces décisions et de leur effet appréhendé: une explication du départ, de l'abolition du poste de rédacteur en chef, une réponse aux appréhensions exprimées par l'AFO, la FPJQ et, sans doute, une partie du lectorat.

Puis vint l'obfuscation...

Et voilà que paraît, enfin, le 9 juin, deux jours après le départ de la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie, un texte signé par le d.g. François Carrier sur le site Web du Droit (voir lien en bas de page). Pas un mot sur Mme Lortie. Pas d'explication. Pas de remerciement pour ses années de service. Pas de précision sur l'abolition du poste de rédacteur en chef ou une quelconque restructuration. Pas un mot sur la direction bicéphale confiée au rédacteur en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières. Pas de réponse aux craintes exprimées par l'AFO et la FPJQ. 

Le message du directeur général (présenté comme un texte de nouvelles par ailleurs) commence ainsi: «La production journalistique du Droit est fondamentale pour le développement de notre région et la santé de sa francophonie». Après avoir endossé des coupes draconiennes dans les effectifs de rédaction depuis des décennies, une telle déclaration de la direction du Droit suinte de cynisme.

Ce propos plutôt dénué de fondement (du moins pour le développement régional) sert de préambule à l'annonce de la création d'un poste de journaliste dans l'Est ontarien (la région entre Ottawa et la frontière du Québec au nord et au sud de la 417) et au rappel de la création en Outaouais d'un poste de rédaction dans «la région de Papineau», une appellation plutôt étrange pour un territoire qui couvre surtout la Petite-Nation.

Ce qu'on ne dit pas, c'est que ces postes existaient autrefois et qu'on les avaient abolis. C'est donc un retour et non une innovation. Le paragraphe se termine avec une prédiction aussi nébuleuse qu'optimiste: «D'autres (postes) devraient s'ajouter sous peu.» Combien? Quand? Où? Pour combien de temps? «Le Droit est là pour rester» assure M. Carrier. C'est bon de l'entendre, mais...

Ces «nouvelles recrues», lit-on, pourront compter «au cours des prochains mois» sur l'encadrement d'un ancien rédacteur en chef du Droit, Patrice Gaudreault. Une affectation temporaire, donc, durant laquelle il portera le titre bizarre de «chef d'équipe aux contenus du Droit». J'ai beau me gratter la tête, j'ai de la difficulté à comprendre ce que fera un «chef d'équipe aux contenus» quand on a déjà en poste un «coordonnateur à l'information» (autre titre nébuleux), Jean-François Dugas. Ce dernier a, en plus, un adjoint, Patrick Woodbury.

«C"est ce trio, dit M. Carrier, qui prendra l'ensemble des décisions rédactionnelles touchant l'actualité de l'Outaouais et de l'Ontario français». Voilà une affirmation qui mériterait éclaircissement. Leur mandat inclut-il la rédaction publicitaire, comme celle d'un magazine spécial pour le 50e anniversaire du Festival franco-ontarien (12 au 14 juin 2025) et de magazines subséquents en collaboration avec la Chambre de commerce de Gatineau?

Petit à-côté... Toutes ces gens qui ne jurent que par le numérique, qui ne s'ennuient pas de l'imprimé, ont décidé de produire une version papier du magazine sur le Festival franco-ontarien. On se demande bien pourquoi, tout en s'en réjouissant.

Notons enfin que le texte de M. Carrier est suivi d'un encadré intitulé «Soutenez l'information locale» remplie d'information fausse. «Le Droit, c'est une coopérative de solidarité appartenant à ses employés»: c'est faux, la coopérative Le Droit a été dissoute, comme celle des autres anciens journaux régionaux. Il ne reste qu'une coopérative nationale. On invite ensuite les lecteurs à faire «un don à notre coopérative (locale)», qui n'existe plus...

Misère...

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Lien au texte du Droit - https://www.ledroit.com/actualites/2025/06/10/du-nouveau-pour-emle-droitem-TPQ6JMNKOBAKVABJKKWN32PAV4/




mercredi 18 juin 2025

Le cheval de Troie fédéral...

capture d'écran du projet de loi C-5

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Je ne suis pas juriste. Je ne suis pas constitutionnaliste. Je ne suis pas un de ces experts qu'on interviewe à la télé. Mais je sais lire. J'ai longuement étudié le fédéralisme canadien à l'université. Et j'ai une cinquantaine d'années d'expérience comme journaliste. Cela me donne, je crois, le droit de m'aventurer prudemment en droit constitutionnel.

Le Québec forme une nation, reconnue même par la Chambre des communes à Ottawa. Nous avons une Assemblée «nationale». Une capitale nationale. Des parcs nationaux. Une fête nationale. Notre premier ministre, François Legault, s'est souvent présenté comme «chef de la nation québécoise». Jusque là, ça va?

Mais qu'en est-il de la reconnaissance juridique et constitutionnelle de notre nation à l'extérieur des frontières du Québec? Cherchez dans les lois fédérales et les jugements des tribunaux. Vous allez revenir les mains vides. Pour la Cour suprême du Canada, ultime arbitre judiciaire de la question, s'appuyant toujours sur la Charte des longs couteaux de 1982 et l'AANB (loi britannique de 1867), le Québec n'est qu'une province. Une région. Parfois une localité. Maintenant. Toujours!

Pour ces juges fédéraux, «l'intérêt national», ce ne peut être que l'intérêt de l'ensemble du Canada. Une lecture du jugement de 2011 de la Cour suprême sur le valeurs mobilières suffira à vous convaincre. Seul Ottawa adopte des lois «nationales». Selon nos suprêmes, les compétences dites «provinciales (incluant celles du Québec» contiennent uniquement des «matières locales». Par définition, une loi provinciale, même provenant de l'Assemblée nationale du Québec, n'est jamais nationale!!! Ainsi l'Autorité des marchés financiers, organisme national au Québec, existe sur le plan constitutionnel canadien comme une affaire purement «locale».

Vous direz qu'il s'agit là tout simplement d'un différend verbal sans importance. Mais non! L'expression «intérêt national» a acquis ces dernières années un poids politique et juridique qui pourrait s'avérer décisif. Dans son jugement sur la taxe carbone en 2021, la Cour suprême explique que la théorie de «l'intérêt national» découle des pouvoirs résiduels laissés au fédéral par l'article 91 de l'AANB. 

Son emploi par Ottawa est rare (jusqu'à maintenant) et scruté à la loupe par les tribunaux, mais son effet est foudroyant. «L'effet de la reconnaissance d'une matière en tant que matière d'intérêt national est permanent et confère compétence exclusive au Parlement (fédéral) sur cette matière», écrivent les juges suprêmes. Vous savez comme moi que les décisions de la Cour suprême sont sans appel. En invoquant «l'intérêt national», Ottawa a désormais le pouvoir d'envahir à volonté les champs de compétence du Québec.

Vous pensez que les fédéraux n'en sont pas conscients? Que ceux qui ont inventé une insurrection en octobre 1970 pour nous envoyer l'armée, qui ont fomenté un coup d'État dans la cuisine du Château Laurier en 1981, qui ont sorti leurs sales tactiques pour torpiller le référendum de 1995, qui ont adopté une loi pour nous dire quelle question poser au prochain référendum et quelle majorité sera considérée acceptable, qui traînent encore aujourd'hui nos lois identitaires devant leurs juges suprêmes, vous croyez que ces gens ne lisent pas les décisions des tribunaux?

Et quoi de mieux qu'une crise déclenchée par le président fou des États-Unis pour relancer avec plus de force, jusque dans une grosse, grosse loi, le concept de «l'intérêt national». Lisez bien le projet de loi C-5 que l'on adoptera ces jours-ci sous le bâillon. Sa deuxième partie s'intitule «Loi visant à bâtir le Canada» (sic) et son principal sous-titre se lit comme suit : «Projets d'intérêt national». Je n'ai jamais auparavant vu de titre ou de sous-titre de loi fédérale traitant de «l'intérêt national». Est-ce une première dans l'histoire du pays?

Avec mes faibles moyens, j'ai effectué une recherche sur Internet et consulté quelques volumes sur le fédéralisme canadien sans trouver quoi que ce soit. Alors j'ai commis un péché mortel. J'ai interrogé l'intelligence artificielle de X-Twitter en lui demandant: «Au Parlement du Canada, y a-t-il déjà eu une loi ayant "intérêt national" dans le titre ou un sous-titre?» Voici sa réponse, sous toute réserve: «Aucune loi adoptée par le Parlement du Canada n'a inclus les mots "intérêt national" dans son titre ou sous-titre, selon les informations disponibles sur le site LEGISinfo du Parlement du Canada et d'autres sources législatives pertinentes», en soulignant que les archives numériques avant 2002 «peuvent être incomplètes».

Si ce n'est pas une première (ce l'est peut-être), c'est tout de même exceptionnel. Croyez-vous qu'il s'agit d'un hasard, alors que la Cour suprême, en 2021, a ouvert les vannes constitutionnelles à un envahissement des compétences «provinciales» via la théorie de «l'intérêt national»? Et quels sont ces grands projets d'intérêt national pour lesquels on crée une loi spéciale adoptée sous le bâillon? On nous dit d'aller voir l'annexe 1 où... aucun projet n'apparaît! La «liste» est vide. On ajoutera des projets au fur et à mesure, après l'adoption du projet de loi C-5. Et qui décidera de tous ces projets à placer sous juridiction fédérale, en fin de compte? Ottawa bien sûr!

Cette loi est un cheval de Troie fédéral imaginé par la Cour suprême, envoyé au combat de toute urgence par Mark Carney et ses sbires et ses collabos, y compris les 44 députés libéraux du Québec (les conservateurs itou) et apparemment, le «chef de la nation» québécoise, François Legault, qui a endossé la déclaration commune des premiers ministres fédéral, provinciaux et territoriaux à Saskatoon au début de juin, document qui insistait sur l'urgence de procéder à la mise en oeuvre rapide de grands projets «d'intérêt national». S'il a omis de souligner publiquement l'existence d'un autre «intérêt national», celui du Québec, et surtout de le défendre, M. Legault a trahi ses engagements comme «chef de la nation».

Le Bloc élèvera-t-il le ton à la Chambre des communes pour dénoncer cet «intérêt national» canadien qui nie l'existence et la légitimité constitutionnelle d'un «intérêt national» québécois? Le Parti québécois fera-t-il de même au cours des prochains jours? Ou mangera-t-on en silence cette pomme empoisonnée?


dimanche 15 juin 2025

On va payer cher l'envoi de 44 députés libéraux à Ottawa...

Yves-François Blanchet aux Communes (photo Presse canadienne)

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Ça recommence! On va payer cher l'envoi à Ottawa de 44 députés libéraux et la perte d'une dizaine de circonscriptions bloquistes! À tous ceux et celles qui s'interrogeaient sur l'utilité du Bloc québécois au Parlement, je me permets de sortir des boules à mite cet extrait d'un billet de novembre 2011 sur mon blogue, texte qui faisait écho à un de mes éditoriaux au quotidien Le Droit paru quelques mois plus tôt.

Le Bloc venait de manger la claque avec l'élection au Canada d'un gouvernement conservateur majoritaire (Stephen Harper) et au Québec d'une soixantaine de députés néo-démocrates transportés par la vague Layton. Il ne restait que quatre circonscriptions bloquistes et nombre de commentateurs de la scène politique creusaient la tombe du Bloc qui, croyait-on, avait fait son temps et ne servirait plus à grand chose...

Voyant là une erreur et un manque de vision, j'y suis allé de mon grain de poivre:

«Je vous convie au prochain débat important qui opposera le Québec au reste du pays, ou opposant les francophones à la majorité anglo-canadienne. Quand le gouvernement en place - qu'il soit conservateur, libéral ou néo-démocrate - nous opposera une fin de non-recevoir, il dira au Québec: voyez, nous avons sur nos bancs des dizaines de députés que vous avez élus sous notre bannière. Ils ont la même légitimité que les députés de l'Assemblée nationale du Québec. Trudeau (père), Chrétien et les autres ont fait ça souvent depuis les années soixante. Avec une majorité de députés du Bloc québécois aux Communes, ils n'avaient plus ce luxe.»

Avance rapide à juin 2025, où le nouveau premier ministre soi-disant «libéral» Mark Carney, ayant fait sien le programme de son adversaire Poilievre, s'apprête à sortir le bâillon pour faire adopter sous l'étendard de «l'intérêt national» (celui du Canada, pas celui du Québec) son projet de loi rouleau compresseur sur les grandes infrastructures, y compris les pipelines. Voici un extrait d'un texte de la Presse canadienne publié ce 12 juin à cet égard:

«Lors de la période des questions, la leader parlementaire du Bloc québécois, Christine Normandin, a accusé les libéraux de vouloir "gouverner par décret comme Donald Trump" à travers ce projet de loi qui ¨vide complètement de leur sens" les évaluations environnementales et qui menace les compétences du Québec.

«Le leader du gouvernement à la Chambre, Steven MacKinnon, lui a répondu que les Québécois ont élu 44 députés libéraux il y a seulement quelques semaines, soit le plus grand nombre "depuis "1980".

«Ils se sont tous présentés sous une plateforme libérale qui, à la première page, a parlé de la nécessité d'agir rapidement pour accélérer la croissance de notre pays, faire baisser les barrières entre les provinces et créer une seule économie canadienne, a-t-il dit. Nous agissons de façon démocratique.»

Et vlan! Que voulez-vous répondre à ça? Il a parfaitement raison! On a élu 44 libéraux pour qui «l'intérêt national» du Canada-à-majorité-anglophone passe avant «l'intérêt national» du Québec. De notre point de vue, des traîtres. Alors n'ayons pas l'air surpris qu'une fois au pouvoir, ils nous trahissent à la première occasion.

Si 44 députés du Bloc siégeaient aux Communes, nous n'en serions pas là...


mercredi 11 juin 2025

Quand un média d'information dissimule l'information...


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Obfuscation (emprunt de l'anglais): énonciation d'une affirmation fausse ou imprécise de manière à dissimuler l'information pertinente.

L'ancien premier ministre québécois Robert Bourassa en était maître. On lui posait une question, puis on pouvait écouter sa réponse quatre ou cinq fois pour tenter d'en saisir le sens.

L'ancien président Richard Nixon avait lui aussi maîtrisé la technique de brouiller les messages parlés ou écrits. On avait même inventé le terme «nixonspeak» pour le caractériser.

Évidemment, que des politiciens pratiquent l'art de l'obfuscation ne surprendra personne.

Il n'en va pas de même pour les médias d'information. Ayant pour mission de rapporter et décoder les faits, une entreprise de presse qui les fausse, les obscurcit ou les cache commet un péché mortel.

Et pourtant, cela ne semble pas déranger les dirigeants de nos entreprises de presse ces jours-ci. Depuis plusieurs décennies dans certains cas...

Mais tenons-nous en au temps présent. Je lisais ce 9 juin un «mot de l'éditeur» sur le site Web Le Droit. Un texte qui commence bien mal, tenant compte qu'il n'y a plus d'éditeur au Droit. Le message est signé par le directeur général de l'organisation médiatique, François Carrier.

J'attendais cette communication depuis au moins quelques jours, sachant que la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie avait quitté l'équipe (pas de son propre gré) le 7 juin. Un départ médiatisé par Le Devoir, Radio-Canada et ONFR, mais pas dans les pages du Droit.

L'annonce du départ de Mme Lortie s'accompagnait de la révélation qu'elle ne serait pas remplacée, la rédactrice en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières devenant responsable de la rédaction du Droit en plus de la sienne. Cette nouvelle a été confirmée par M. Carrier et commentée par Mme Lortie, qui a parlé de «restructuration».

Le président de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario, Fabien Hébert, s'est inquiété de voir un poste de direction si important confié à une personne qui ne connaît pas l'Outaouais et l'Ontario. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec craint «un effet négatif».

La table était mise pour une défense par le siège social des Coops de l'information (à Québec) ou par le d.g. du Droit de ces décisions et de leur effet appréhendé: une explication du départ, de l'abolition du poste de rédacteur en chef, une réponse aux appréhensions exprimées par l'AFO, la FPJQ et, sans doute, une partie du lectorat.

Puis vint l'obfuscation...

Et voilà que paraît, enfin, le 9 juin, deux jours après le départ de la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie, un texte signé par le d.g. François Carrier sur le site Web du Droit (voir lien en bas de page). Pas un mot sur Mme Lortie. Pas d'explication. Pas de remerciement pour ses années de service. Pas de précision sur l'abolition du poste de rédacteur en chef ou une quelconque restructuration. Pas un mot sur la direction bicéphale confiée au rédacteur en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières. Pas de réponse aux craintes exprimées par l'AFO et la FPJQ. 

Le message du directeur général (présenté comme un texte de nouvelles par ailleurs) commence ainsi: «La production journalistique du Droit est fondamentale pour le développement de notre région et la santé de sa francophonie». Après avoir endossé des coupes draconiennes dans les effectifs de rédaction depuis des décennies, une telle déclaration de la direction du Droit suinte de cynisme.

Ce propos plutôt dénué de fondement (du moins pour le développement régional) sert de préambule à l'annonce de la création d'un poste de journaliste dans l'Est ontarien (la région entre Ottawa et la frontière du Québec au nord et au sud de la 417) et au rappel de la création en Outaouais d'un poste de rédaction dans «la région de Papineau», une appellation plutôt étrange pour un territoire qui couvre surtout la Petite-Nation.

Ce qu'on ne dit pas, c'est que ces postes existaient autrefois et qu'on les avaient abolis. C'est donc un retour et non une innovation. Le paragraphe se termine avec une prédiction aussi nébuleuse qu'optimiste: «D'autres (postes) devraient s'ajouter sous peu.» Combien? Quand? Où? Pour combien de temps? «Le Droit est là pour rester» assure M. Carrier. C'est bon de l'entendre, mais...

Ces «nouvelles recrues», lit-on, pourront compter «au cours des prochains mois» sur l'encadrement d'un ancien rédacteur en chef du Droit, Patrice Gaudreault. Une affectation temporaire, donc, durant laquelle il portera le titre bizarre de «chef d'équipe aux contenus du Droit». J'ai beau me gratter la tête, j'ai de la difficulté à comprendre ce que fera un «chef d'équipe aux contenus» quand on a déjà en poste un «coordonnateur à l'information» (autre titre nébuleux), Jean-François Dugas. Ce dernier a, en plus, un adjoint, Patrick Woodbury.

«C"est ce trio, dit M. Carrier, qui prendra l'ensemble des décisions rédactionnelles touchant l'actualité de l'Outaouais et de l'Ontario français». Voilà une affirmation qui mériterait éclaircissement. Leur mandat inclut-il la rédaction publicitaire, comme celle d'un magazine spécial pour le 50e anniversaire du Festival franco-ontarien (12 au 14 juin 2025) et de magazines subséquents en collaboration avec la Chambre de commerce de Gatineau?

Petit à-côté... Toutes ces gens qui ne jurent que par le numérique, qui ne s'ennuient pas de l'imprimé, ont décidé de produire une version papier du magazine sur le Festival franco-ontarien. On se demande bien pourquoi, tout en s'en réjouissant.

Notons enfin que le texte de M. Carrier est suivi d'un encadré intitulé «Soutenez l'information locale» remplie d'information fausse. «Le Droit, c'est une coopérative de solidarité appartenant à ses employés»: c'est faux, la coopérative Le Droit a été dissoute, comme celle des autres anciens journaux régionaux. Il ne reste qu'une coopérative nationale. On invite ensuite les lecteurs à faire «un don à notre coopérative (locale)», qui n'existe plus...

Misère...

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Lien au texte du Droit - https://www.ledroit.com/actualites/2025/06/10/du-nouveau-pour-emle-droitem-TPQ6JMNKOBAKVABJKKWN32PAV4/


vendredi 6 juin 2025

Legault a reconnu la suprématie de l'intérêt «national» du Canada...Et «l'intérêt national» du Québec? Pas vu...

Photo publiée par la Chambre de commerce de Saskatoon

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Si la «Déclaration des premiers ministres du Canada, des provinces et des territoires» du 2 juin sur l'économie avait été endossée par des collabos anglophiles comme Jean Charest ou Philippe Couillard, je n'aurais pas trop sourcillé. Mais quand François Legault, celui-là même qui se dit «chef de la nation québécoise», y appose son sceau d'approbation, cela relève presque de la trahison.

Le premier ministre du Québec a convenu, comme ses «collègues», de «faire avancer les grands projets d'intérêt national», comme s'il était évident que les intérêts du Canada et de la «nation» sont synonymes, comme si le Québec-nation n'avait pas lui aussi son propre «intérêt national». Et au cas où tout cela ne soit pas suffisamment clair, on ajoute que l'objectif de l'avancement de ces «grands projets d'intérêt national» est de «bâtir un Canada fort, résilient et uni».

Que des mots, direz-vous? Absolument pas. L'expression «intérêt national», entre les mains du gouvernement fédéral, porte un contenu très réel et une valeur juridique confirmée par la Cour suprême du Canada, qui juge les enjeux québécois d'intérêt régional ou local. La décision de décembre 2011 des juges suprêmes (nommés par Ottawa) sur les valeurs mobilières constitue un excellent exemple du sens accordé à «l'intérêt national» (voir lien 1 en bas de page).

Mais il y a pire. Le 25 mars 2023, dans sa décision sur la taxe carbone, (voir lien 2 en bas de page) la Cour suprême a décidé qu'Ottawa pouvait légiférer dans les domaines de compétence «provinciale» s'il estimait l'intérêt national (comprendre l'intérêt du Canada) menacé par l'action ou l'inaction d'une province (y compris le Québec bien sûr).

Et ce n'est pas tout. Forts de l'autorité conférée par la Constitution des longs couteaux de 1982, les juges ont ajouté: «L'effet de la reconnaissance d'une matière en vertu de la théorie de l'intérêt national est permanent et confère compétence exclusive au Parlement fédéral en cette matière». Notez bien les précisions de «compétence exclusive» et du mot «permanent». 

Mark Carney répète sur toutes les plates-formes depuis l'éclosion de la folie orange à Washington qu'il veut «une économie» au Canada, et non 13. Qu'il y va de l'intérêt national. Pour un Canada «fort, résilient et uni». Pareil sur les plans identitaire et culturel où, disait Mark Carney-Charles III dans le Discours du Trône, la culture québécoise est désormais une composante de l'identité canadienne. Je n'ai pas entendu beaucoup de protestations...

Ainsi, en adhérant aux projets économiques d'intérêt «national», en reconnaissant l'application pan-canadienne du mot «national», Québec vient de donner à Ottawa un chèque en blanc pour envahir ses propres compétences, marginaliser son économie et même bloquer des projets conçus dans l'intérêt de la nation québécoise s'ils sont considérés par le premier ministre fédéral comme une menace à son intérêt national.

Tout au plus a-t-il obtenu l'engagement de respecter la «spécificité du Québec» en matière de la mobilité de la main-d'oeuvre... et ça, bien sûr, à moins qu'on y voit à Ottawa une menace à son «intérêt national»... Le rouleau compresseur de la centralisation se remettra aussitôt en marche...

Vivement l'élection du Parti québécois, dans notre «intérêt national»!

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