samedi 30 mars 2024

Gatineau... Élection au pays de la peur...


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Peu importe le nombre de candidats et candidates au remplacement de France Bélisle à la mairie de Gatineau, j'ai la quasi certitude qu'on parlera abondamment de logement, de transport en commun, de gestion et de taxes. Il est cependant un thème qui brillera par son absence: la situation précaire du français dans la quatrième ville du Québec.

Certains s'abstiendront d'en parler par ignorance. D'autres feront semblant de ne pas savoir. D'autres l'éviteront comme la peste. De fait, le sujet est tabou ici, aux frontières de l'Ontario. Les élus municipaux, qui ne s'en souciaient pas avant, ne s'inquiéteront pas davantage maintenant, ni à l'avenir, de l'érosion de la langue commune du Québec. Les francophones de Gatineau sont des grenouilles (français pour frog) dans une eau chaude qui deviendra bouillante bientôt...

Les Gatinois, surtout dans le vieux Hull, ont pourtant vu l'historique secteur francophone de la Basse-Ville d'Ottawa, juste en face, s'angliciser à coups de bélier et d'expropriations en une génération. Le réveil vigoureux des Franco-Ontariens dans les années 1970 est venu trop tard. Pas que cela aurait fait une grande différence avec un conseil municipal francophobe... Mais qu'en est-il à Gatineau alors que tous les jours, quelques buches s'ajoutent aux braises sous notre marmite d'eau fumante?

Les tours d'habitation montent à vue d'oeil dans les secteurs riverains du centre-ville de Gatineau, devenus aux yeux des Ontariens une extension d'Ottawa où ils peuvent vivre, comme avant, en anglais. Le Vieux Hull, jadis à 90% francophone, l'est désormais à moins de 60% et à chaque maison allumette qu'abattent des promoteurs immobiliers aux yeux en signe de piastre, le visage français historique de ce quartier se fissure.

Passe encore si les nouveaux arrivants s'intégraient à la majorité francophone, mais pour la plupart, ils se présentent dans les commerces et dans les bureaux municipaux en parlant anglais, sur un ton qui n'invite pas la réplique. Et la plupart des francophones, bilingues bien sûr, se feront un devoir de les accommoder dans leur langue. Déjà qu'on accepte de se faire servir en anglais dans des commerces unilingues et qu'on ne cligne pas de l'oeil devant les multiples violations de la Loi 101 dans l'affichage commercial...

Quand les francophones seront minoritaires dans le centre-ville de Gatineau, et cela ne devrait guère tarder (quelques recensements?) il sera trop tard. Les grenouilles seront mortes, ébouillantées. Mais on ne parle pas de cela. On se presse de féliciter les Franco-Ontariens qui se battent pour sauver les meubles mais tout le monde, ici à Gatineau, sait que les défenseurs du français sur la rive québécoise ne sont qu'une bande de séparatistes xénophobes. Manifester de l'«ouverture» envers les anglos en leur permettant d'évoluer ici comme en Ontario, c'est vivre à genoux, en colonisé, jusqu'à ce jour, pas si lointain, où l'on érigera des monuments bilingues à la mémoire des anciennes grenouilles.

Y aura-t-il quelqu'un, dans cette campagne menant à l'élection d'un nouveau ou d'une nouvelle maire le 9 juin, pour parler d'identité linguistique et culturelle? Je l'espère sans trop d"espoir. Y aura-t-il quelqu'un sur les tribunes pour exprimer en public cette réalité d'anglicisation à vitesse grand V, pour demander qu'on en fasse tout au moins un débat, qu'on mette suffisamment de ressources pour brosser un portrait de l'état de notre francophonie dans un document officiel de la municipalité, qu'on cesse d'avoir peur de s'affirmer devant des anglos qui, eux, n'ont aucunement peur de s'affirmer devant nous?

Mais j'oubliais. Nous sommes ici au pays de la peur. Si le passé est garant du présent, personne n'osera mettre à l'avant-scène la question du français durant cette campagne à la mairie. Ni les libéraux déguisés en indépendants, ni Action-Gatineau. Seulement quelques vieux ex-Franco-Ontariens comme moi qui ont vécu le résultat de l'inaction collective, et une poignée d'autres qui ont appris à lire «les signes du temps». 

Enfin, Joyeuses Pâques tout de même en attendant ce lundi poisson d'avril...

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