lundi 13 mai 2024

Francis Drouin devrait s'excuser auprès des Franco-Ontariens...



Pauvre Francis Drouin (député libéral franco-ontarien)! Un héros l'an dernier quand il accusait ses collègues députés du West Island de mener un «show de boucane» de désinformation linguistique... Un zéro cette année quand il traite de «pleins de marde» et d'extrémistes des chercheurs québécois faisant état, à partir d'études de Statistique Canada, de liens très réels entre la fréquentation de collèges et universités anglaises et l'anglicisation des étudiants.

Dr Jekyll et Mr Hyde? Sans doute pas. Plutôt un député soupe-au-lait qui ne semble pas avoir lu ses dossiers, qui a écouté des témoignages d'une oreille tellement distraite qu'il n'en a pas saisi le sens, a attaqué sans prendre le temps de comprendre, lancé de façon irréfléchie le mot «extrémiste» puis, piqué au vif par la réplique du chercheur, qui lui demandait s'il s'agissait d'un langage «parlementaire», est sorti de ses gonds devant les caméras du Parlement.

Si le député Drouin avait été attentif, il aurait reconnu dans les interventions de MM. Frédéric Lacroix et Nicolas Bourdon des arguments qu'emploient, exactement pour les mêmes motifs, les groupes franco-ontariens depuis plus d'un demi-siècle pour tenter de s'assurer que les jeunes francophones puissent étudier dans des collèges et des universités «par et pour» les francophones. Non, il s'est lancé dans de délirantes diatribes contre le Bloc québécois et le PQ, auxquelles se sont associées avec une ignorance stupéfiante le ministre des Langues officielles Randy Boissonneault et le premier ministre Trudeau.

Je me permets de citer à l'attention de M. Drouin cet extrait d'un mémoire présenté en avril 1970 par l'Association canadienne-française de l'Ontario (ACFO) au Groupe de travail sur le bilinguisme à l'Université d'Ottawa, dans lequel l'association parapluie des Franco-Ontariens réclamait la francisation complète de l'université :

«Pourquoi une minorité, qui a besoin de toutes ses énergies pour survivre et vivre, devrait-elle se payer le luxe d'une université bilingue dont le coût serait peut-être une assimilation lente mais certaine? À moins de posséder intégralement son institution de haut savoir, le groupe francophone fortement minoritaire ne peut absolument pas se développer normalement dans un environnement anglophone où se côtoient deux cultures différentes.

«À titre d'exemple - parmi les centaines d'exemples possibles - citons les observations d'un étudiant en maîtrise qui distribuait, pour fin d'enquête, un questionnaire rédigé dans les deux langues. Quels ont été les résultats du côté linguistique? 30% des francophones fréquentant les facultés de langue anglaise préférèrent répondre en anglais. Si on ne déduit pas de ce fait une preuve d'assimilation, c'est-à-dire une preuve qu'il est impossible à un étudiant de conserver indéfiniment sa langue et sa culture dans un milieu linguistique différent du sien, toute lutte devient inutile et injustifiable. La paresse mentale s'installe et rapidement, peu s'en faut, pour que cet étudiant, pense, parle, écrive et vive en anglais.»

Cette constatation plutôt artisanale a été faite à une époque où les pressions vers l'anglais étaient moins intenses qu'aujourd'hui, dans une université bilingue où les francophones formaient une mince majorité, bien avant que la grosse machine de Statistique Canada se mette en marche et déploie des moyens beaucoup plus costauds pour qu'on puisse en arriver à des conclusions similaires, même au Québec, au 21e siècle. Les études du mathématicien Charles Castonguay, gourou de la démographie linguistique canadienne et québécoise, brossent un tableau encore plus dramatique des transferts linguistiques vers l'anglais chez les francophones et les allophones.

Le député Drouin représente une circonscription ontarienne (Glengarry-Prescott-Russell), située à la frontière du Québec, où l'assimilation grignote chaque année une proportion appréciable de la majorité francophone en rétrécissement. Il a vécu la lutte désespérée menée depuis 2012 - sans succès - par les organisations étudiantes franco-ontariennes du collégial et de l'universitaire pour obtenir une gestion «par et pour» les francophones des études post-secondaires en français dans sa province. Il a assisté à la disparition du seul collège agricole de langue française de l'Ontario, situé dans le village d'Alfred (dans sa circonscription). L'argumentaire linguistique présenté par les chercheurs québécois au comité des langues officielles aurait dû résonner comme un écho familier de son propre patelin, où les conséquences d'étudier en anglais se vivent au quotidien.

Mais à entendre ses réactions à froid, le lendemain de l'incident «plein de marde» au Parlement, M. Drouin semble vraiment avoir échappé le fond de l'affaire, un fond qui, par surcroit, niche désormais au coeur même de la nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles. Piqué à vif par la présentation des deux chercheurs québécois, Francis Drouin semblait avoir compris que l'anglicisation au Québec était causée par la simple présence d'universités comme McGill ou de collèges comme Dawson. Ce que MM. Lacroix et Bourdon n'avaient pas prétendu, d'ailleurs. Et pourtant, 24 heures plus tard, il reprenait la même trame, n'ayant sans doute pas relu le mémoire des chercheurs québécois ou réécouté les enregistrements de leur présentation aux députés.

«Imagines-tu si on était en train de dire que le collège La Cité, l'Université d'Ottawa* (sic) ou l'Université de l'Ontario français sont en train de franciser Toronto (sic)? Ça n'a pas de bon sens ce discours-là. C'est pour ça que j'ai perdu patience», déclarait le jour suivant M. Drouin. Effectivement ça n'a pas de bon sens, et personne ne l'aurait dit sans se couvrir de ridicule. Le député de Glengarry-Prescott-Russell semble avoir perdu de vue qu'au Québec comme en Ontario, la seule langue menacée est le français. L'existence du collège La Cité (à Ottawa, et non à Toronto) ne francise rien en Ontario. Il protège la langue française en milieu collégial dans une province où l'anglais exerce une omniprésence écrasante. Il existe pour empêcher les jeunes Franco-Ontariens de s'angliciser à l'école, comme cela arrivera aux Québécois francophones qui fréquentent Dawson, McGill ou Concordia.

Au lieu de dénoncer une «machine péquiste» imaginaire lancée à ses trousses dans le sillage de cette affaire, le député Drouin devrait se renseigner davantage sur les liens entre la fréquentation d'un collège ou d'une université en anglais et l'anglicisation, notamment auprès des organisations franco-ontariennes qui mènent dans ce domaine des combats le plus souvent infructueux depuis plusieurs décennies. Il leur doit des excuses tout autant qu'à MM. Lacroix et Bourdon. Avez-vous d'ailleurs noté le silence à peu près total des dirigeants de la francophonie hors Québec dans l'affaire des «pleins de marde»? Y a-t-il un seul journaliste qui ait sollicité leurs commentaires, sur le fond de la question mais aussi sur leurs relations à peu près constantes avec le Bloc québécois qui, quoiqu’en dise Justin Trudeau, ne cesse de s'intéresser et d'intervenir en faveur des francophones partout au Canada?

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* L'Université d'Ottawa est une institution bilingue, pas française, et la proportion d'étudiants francophones oscille autour de 30%. Ce n'est pas un milieu de francisation, mais un lieu d'anglicisation. M. Drouin devrait aller y faire un tour...


mercredi 8 mai 2024

Qu'est-il arrivé au 1er mai?


Vieux syndicaliste, je suis sensible aux appels du 1er mai, Fête des travailleurs. Quand mon ancienne centrale, la Confédération des syndicats nationaux (CSN), a réservé une pleine page dans Le Devoir du 29 avril pour en souligner l'importance, j'ai entendu l'écho des fières solidarités d'antan. Jusqu'à ce que je lise le message, qui me parut triste et plutôt démoralisant...

«Pourquoi la CSN se mobilise-t-elle le 1er mai?», lance la centrale centenaire en gros caractères rouges: pour hausser le salaire minimum, jugé scandaleux, et améliorer les conditions de travail, «parce qu'un salaire minimum à 15,75$/h ne permettra jamais à quiconque de se sortir de la pauvreté». C'est tout. Rien de plus. C'est sans doute mieux que les autres centrales syndicales, absentes, mais tout de même!

Il y a 50 ans, quand je militais au Conseil central de l'Outaouais et au conseil confédéral de la CSN, le salaire minimum et les conditions de travail faisaient aussi partie des revendications. Mais il y avait bien plus que cela! Les syndicats proposaient alors des projets de société plus juste. Sous diverses bannières - socialisme, social-démocratie, coopératisme et variantes - se déroulaient de vifs débats visant à changer profondément ce monde qui permet, tolère et même encourage les injustices qu'on peine à corriger.

Dans son rapport intitulé Le deuxième front, vers la fin des années 1960, le président de la CSN de l'époque, Marcel Pepin exhortait les syndiqués à «prendre conscience que leurs conventions collectives n'existent pas en vase clos, mais bien dans une société, qui a aussi une emprise sur leurs conditions de vie. Que le rapport de force dans lequel ils sont impliqués peut être un moteur de changement pour tous. Il ne faut jamais perdre de vue qu'un travailleur, c'est aussi un citoyen!»

Négocier des conventions collectives, c'est bien mais insuffisant. Quand les pétrolières et les chaînes d'alimentation vident vos poches avec des hausses de prix excessives; quand gouvernements et banques ne trouvent rien de mieux, pour combattre cette «inflation», que de hausser les taux d'intérêt et vider vos poches un peu plus; quand les syndicats se contentent de négocier des hausses de salaire pour tenter de rattraper le pouvoir d'achat perdu, les coupables grassement enrichis restent impunis avec la complicité de nos représentants élus, et les victimes restent victimes, proies faciles pour la prochaine agression du grand capital.

En 2024, nos centrales syndicales semblent avoir capitulé devant un système économique jugé hors d'atteinte, tout comme chez Desjardins, vaisseau amiral d'un mouvement coopératif qui n'en a guère plus que le nom. Et encore... on s'est même débarrassé du mot «populaire» et vidé le logo de sa ruche. Pendant que Desjardins dépense des centaines de milliers de dollars en pubs qui font parfois paraître les membres comme des idiots et des égoïstes*, ses dirigeants des bunkers montréalais ferment allègrement des guichets et des centres de services un peu partout.

Dans Le Devoir du 29 avril 1972, à l'avant-veille du 1er mai, le nouveau président du Mouvement des caisses populaires (oui, populaires) Desjardins, Alfred Rouleau, parlait d'unir les quelque trois millions de membres «autour d'objectifs sociaux et économiques qui permettent à l'ensemble du mouvement d'être en mesure d'assumer pleinement son rôle d'agent de changement» au sein de la société, le tout en répondant aux «exigences démocratiques de la coopération». Il proposait aux caisses populaires locales d'accentuer leur visage humain et «à s'identifier davantage aux problèmes sociaux de leur milieu». Aujourd'hui, le projet social - et l'espoir qu'il portait - a été rangé et Desjardins se donne de plus en plus des allures de banque...

Décidément, en ce début de 21e siècle, le 1er mai Fête des travailleurs a troqué l'avenir pour le souvenir... «ne jamais oublier les sacrifices de ceux et celles qui ont lutté pour améliorer le sort de la classe ouvrière»... Reste-t-il quelqu'un pour reprendre le flambeau, pour rougir les braises d'une rébellion démocratique contre la dictature du capital? Ou seulement quelques vieux comme moi qui s'ennuient des barricades où se dressait l'espoir d'un monde meilleur?

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*Lien au texte «Desjardins: des $$$ pour des pubs insipides sur fond de fermetures...». Sur mon blogue. https://lettresdufront1.blogspot.com/2024/04/desjardins-des-pour-les-pubs-sur-fond.html


vendredi 3 mai 2024

Heureusement qu'on n'était pas en 1755...

PETIT RAPPEL HISTORIQUE ESSENTIEL...

En juillet 1755, à Halifax, lors de rencontres avec les Acadiens, le gouverneur britannique Charles Lawrence presse leurs délégués de prêter un serment d'allégeance inconditionnel au roi Georges II de Grande-Bretagne. Devant leur refus, il les enferme et donne l'ordre fatidique de la déportation.

Des soldats rassemblent des civils terrifiés, les expulsent de leurs terres, brûlent leurs maisons et leurs cultures. Sous la supervision de l'officier Robert Monckton, ces Acadiens sont entassés dans des bateaux et déportés. La tentative de génocide est en marche. En récompense, Monckton est nommé lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse...

(Extraits de l'Encyclopédie canadienne, 2015 et Wikipédia)

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René Arseneault - Capture d'écran de ParVu (Chambre des Communes)

RETOUR VERS LE PRÉSENT...

Le 10 avril 2024, un député acadien, René Arseneault, s'est levé à la Chambre des Communes pour voter en faveur du projet de loi C-347 dont il est le parrain, visant à permettre enfin aux députés fédéraux de siéger sans avoir à prêter serment au roi de Grande-Bretagne.

Le député libéral de Madawaska-Restigouche porte toujours en mémoire le sort cruel réservé  à ses ancêtres, et la cicatrice collective de la déportation reste vivement ressentie en Acadie, ainsi qu'au Québec et dans les collectivités francophones ailleurs au Canada. 

Près de 270 ans après «le grand dérangement», permettrait-on enfin aux députés acadiens (et les autres) de pouvoir jurer fidélité au pays sans se faire enfoncer Charles III dans la gorge? Etait-ce trop demander pour mettre un baume symbolique sur les crimes de guerre infligés jadis à son peuple par les «habits rouges» britanniques?

La réponse est simple. NON! M. Arseneault savait que les députés monarchistes gémiraient d'horreur mais il pouvait espérer un soutien des quelque 80 francophones siégeant aux Communes, alliés naturels, et des collègues anglophones qui préfèrent la suprématie citoyenne à la génuflexion coloniale devant un roi étranger. Il a finalement été trahi!

Et la trahison est venue de l'intérieur, de son propre parti. Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, qui ose se dire «fier Québécois», a donné l'ordre à tous les membres de son conseil des ministres - y compris les francophones - de s'opposer au projet de loi Arseneault, et ainsi maintenir l'exigence du serment à Charles III pour pouvoir occuper un siège aux Communes.

La réaction du député franco-ontarien Marc Serré, ne s'est pas fait attendre. Le député de la circonscription nord-ontarienne de Nickel Belt est allé jusqu'à demander publiquement «quel francophone» pourrait bien s'objecter à ce projet de loi. Faudrait qu'il pose la question à Justin Trudeau. Sans l'ordre de solidarité ministérielle, tous les membres francophones de son cabinet (et probablement quelques anglos) auraient voté contre l'obligation du serment monarchique.

Mais le geste le plus honteux du premier ministre est d'avoir obligé ses deux ministres acadiens, Dominic LeBlanc et Ginette Petitpas Taylor, ainsi que Diane Lebouthillier (qui représente les Acadiens des Îles-de-la-Madeleine) à enfiler les «habits rouges», le temps d'un vote, et à honorer la mémoire des Lawrence et Monckton devant leurs collègues acadiens René Arseneault, Darrell Samson et Chris d'Entremont...

Les comptes rendus médiatiques que j'ai lus ne font pas état de commentaires de ministres, et notamment des Acadiens, obligés de se positionner du côté sombre de la force. Alors j'ai voulu voir en consultant les enregistrements vidéo du vote sur la deuxième lecture du projet de loi C-347. Ce n'est pas édifiant.

Les caméras des Communes n'offrent pas (ou très peu) de plans rapprochés des députés qui votent, mais ils permettent de voir l'ensemble de la salle qu'avaient désertée la majorité des députés, y compris les collègues libéraux de René Arseneault. Les sièges réservés aux membres du cabinet Trudeau étaient largement vides...

J'aurais voulu examiner les expressions des Joly, Champagne, Rodriguez, Duclos, Guilbeault, Saint-Onge, LeBlanc, Boissonneault et autres alors qu'ils s'agenouillaient devant Charles III à la face de M. Arseneault. Mais ils s'étaient pour la plupart absentés des Communes, se contentant d'enregistrer un vote électronique à distance. Justin n'y était pas. Ginette Petitpas Taylor, députée de Moncton-Riverview-Dieppe, s'est cependant levée en personne pour rejeter, sourire aux lèvres, le projet de son collègue acadien...

Je me demande ce que ces ministres francophones ont ressenti, si effectivement ils ont ressenti quelque chose, quand un groupe de députés anglophones (conservateurs je crois, la caméra ne les montrait pas) s'est levé pour entonner le God Save the King. Tiens, Arseneault, prends ça!!! Si ces députés avaient été là en 1755, ils auraient probablement déporté les Arseneault de l'époque...

Les faux-fuyants de Justin Trudeau pour s'opposer à C-347 ne tiennent pas la route. Le Parlement canadien reste maître de sa procédure et a parfaitement le droit de modifier le serment d'entrée en fonction de ses députés sans avoir à entamer des négociations constitutionnelles. L'Assemblée nationale du Québec a supprimé le serment d'allégeance au roi l'an dernier, modifiant unilatéralement l'AANB de 1867, parce que sa procédure et ses rapports avec la monarchie relèvent de sa compétence. Il en va de même à Ottawa.

Je soupçonne que les motifs du gouvernement avaient plutôt tout à voir avec la position des libéraux dans les sondages et leur désir de ne pas donner de bois d'allumage à Pierre Poilievre. C'était un mauvais calcul. Piétiner des principes tout en humiliant de nouveau l'Acadie à la face du monde leur collera à la peau comme une tache... permanente.


mardi 30 avril 2024

Il n'y a pas de façon amicale d'imposer le français au Québec

Capture d'écran du Devoir

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Le titre du Devoir du 29 avril 2024 m'a fait sursauter (voir lien en bas de page). En gros caractères: «Le déclin du français sera "rapidement inversé", dit Québec.» La source? Le ministre Jean-François Roberge, qui devait en avoir fumé du bon avant d'élucubrer en conférence de presse la veille... Même avec des mesures massue que le gouvernement Legault évitera comme la peste - appliquer la Loi 101 aux cégeps, franciser l'immigration pour vrai, réellement imposer le français comme langue de travail - inverser le déclin serait lent et ardu...

Qu'on l'admette ou pas, la dynamique linguistique a toujours eu des allures de guerre ici, et ce, depuis plus de 200 ans. La langue française a été traitée en ennemi depuis la Conquête. Bon dieu, étudiez l'histoire. On a interdit notre langue au Canada-Uni de 1840, et les Canadiens français et Acadiens ont été persécutés dans toutes les provinces à majorité anglaise après la Confédération de 1867. L'objectif a toujours été clair: nous effacer comme peuple, comme nation, en nous anglicisant. Et nous en subissons toujours les séquelles en 2024.

Après un sursaut national à l'époque de la Révolution tranquille, qui nous a valu l'élection du PQ en 1976 et la Loi 101 l'année suivante, les coups de matraque fédéraux ont rétabli l'ordre. Les générations rebelles de fin du 20e siècle vieillissent et l'esprit de colonisé a nettement repris le dessus. De moins en moins de guerriers montent aux barricades pour défendre le français contre la vague oppressive et trop souvent haineuse qui rétrécit notre îlot gaulois nord-américain. Et nos gouvernants se rendent au front en pantoufles...

Dépenser des centaines de millions de dollars pour accroître et mieux encadrer l'offre de francisation à un nombre d'immigrants excessif ne donnera pas les résultats escomptés si l'on n'agit pas pour modifier les milieux où une forte proportion de ces arrivants feront face à l'omniprésence de l'anglais et finiront par hériter de préjugés tenaces et haineux envers «nous», envers notre culture et notre histoire. Pas besoin de leur faire un dessin pour comprendre que l'anglais domine en Amérique du Nord, au Canada et sur une grande partie de l'île et de la couronne de Montréal, et ailleurs (p. ex. Gatineau). La masse des francophones, loin de s'affirmer, se bilinguise à vitesse grand V. Chez les plus jeunes (et les moins jeunes), un «chiac» anglicisé corrompt de plus en plus le langage et l'écriture. Nous alimentons le mépris dont nous sommes victimes, au lieu de le combattre.

Pendant qu'il nous reste du temps et une majorité, il faut se tenir debout «sans jamais fléchir les genoux», comme le chante Jacques Michel. Il n'y a pas de façon amicale d'imposer le français. La nation, si elle doit survivre, doit faire la loi et la faire respecter. Au Canada, nous sommes minoritaires et les anglophones n'ont jamais raté une chance de nous le rappeler. Ils font les lois, nomment les juges, distribuent les dollars fédéraux, sabotent nos référendums et nous imposent une constitution. Nous devons en tirer des leçons. La majorité d'ici doit s'affirmer: le Québec sera français, tenez-vous le pour dit! Nous sommes chez nous, ici, depuis des siècles et la nation métissée dont nous sommes les héritiers a le droit de se perpétuer.

Si cela signifie que les nouveaux arrivants et les francophones n'auront  pas accès aux cégeps de langue anglaise, qu'il en soit ainsi. Si pour éliminer le «bonjour-hi» et les «hi» tout courts il faut mettre des commerces à l'amende, qu'on le fasse. Nous avons toujours ouvert les bras aux immigrants qui ont choisi de s'intégrer, en apportant du leur à notre parcours de petite nation francophone. Nous continuerons de le faire. Mais on doit cesser d'organiser des «love-in» pour ceux et celles qui nous méprisent et jouent les victimes à chaque fois que nous tentons de résister au bulldozeur anglo-américain. 

Au rythme actuel, le français perdra sa suprématie numérique au Québec d'ici un demi-siècle. Quand nous serons minoritaires et que les collectivités francophones hors-Québec auront à peu près disparu, le sort qui nous attend ne sera pas beau à voir. La désintégration de notre nation sera douloureuse. On voit déjà le précipice à l'horizon, droit devant, à Montréal, en Outaouais. Nous n'irons nulle part avec la CAQ. Il nous reste une élection. Celle de 2026. Une ultime chance de réaliser notre souveraineté culturelle et politique.

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Lien au texte du Devoir - https://www.ledevoir.com/politique/quebec/811818/francisation-coeur-plan-action-quebec-langue-francaise


dimanche 28 avril 2024

Merci pour Sainte-Adèle, P.Q.



Parmi les hommages à Jean-Pierre Ferland que j'ai lus, vus ou entendus ce dimanche 28 avril 2024, personne n'a évoqué la chanson qui m'a non seulement fait découvrir et aimer son répertoire, mais qui constitue pour moi le chaînon essentiel entre le Ferland d'avant Charlebois et celui d'après Jaune. Une chanson qui, dans sa version originale, n'a été produite qu'en 45 tours puis incluse dans une compilation de 1972, et dont le nom est mal épelé sur l'un et l'autre*...

Je m'en souviens comme si c'était hier. C'était à l'automne 1969 et avec l'arrivée récente du Charlebois chevelu et de sa bande, je commençais à m'intéresser aux radios de langue française. J'étais Franco-Ontarien, accro des stations rock et rhythm and blues américaines, mais aussi indépendantiste, vibrant aux offrandes des Gilles Vigneault, Claude Léveillée, Claude Gauthier, Pauline Julien et Georges Dor.  Les chansons de Jean-Pierre Ferland, pas rock du tout et le plus souvent apolitiques, n'avaient rien pour m'attirer.

Puis, un bon matin, j'entends sur les ondes de la radio locale (CKCH? CJRC?) une mélodie accrocheuse avec juste assez de guitare électrique, de basse et de batterie pour m'inciter à poursuivre l'écoute. «Les arbres ont-ils de quoi mentir? Le ciel est-il plus haut qu'ailleurs? À Sainte-Adèle, PQ. La montagne a-t-elle un sourire et la rivière, quelques pleurs? À Sainte-Adèle, PQ. À Sainte-Adèle, PQ.» Ce n'était plus le Ferland des Fleurs de Macadam ni même celui du Je reviens chez nous de l'année précédente. Et pas encore celui de Jaune.

En 1968, on pressentait que le «chez nous» chanté par Jean-Pierre Ferland se situait quelque part dans le bassin du Saint-Laurent mais dans Je reviens chez nous les références géographiques sont françaises - Paris, Chamonix, la Seine, la Garonne... Avec Sainte-Adèle, P.Q., où son flirt avec le rock devient clairement matière à palmarès pour les radios pop, il est réellement revenu «chez nous», dans les Laurentides, «pour que je ne puisse passer un seul jour sans m'y retrouver», «pour que j'en parte sans partir, que je veuille tant y mourir».

Nos chansonniers avaient abondamment nommé le Québec, ses villes et ses villages dans leurs répertoires, mais il était inhabituel de voir une chanson portant le nom d'une petite ville québécoise concurrencer les Johnny Hallyday, Mireille Mathieu, Robert Charlebois et autres au sommet des palmarès de musique pop en 1969. Et ce martèlement des lettres «PQ» une dizaine de fois dans Sainte-Adèle, qu'on aurait traduit par «province de Québec» quelques années plus tôt, prenait une toute autre sonorité depuis la fondation récente du Parti québécois.

J'étais conquis. Cette chanson de Ferland incarnait parfaitement la nouvelle fierté qui façonnait le Québec d'après-Révolution tranquille, y compris la fierté de chanter ce que nous sommes, de nommer nos lieux en chanson à la face du monde, s'il le faut en déviant des sentiers battus comme l'a fait celui qui accoucherait d'un album encore plus novateur, Jaune, l'année suivante, en 1970. J'ai souvent fredonné Sainte-Adèle, PQ au fil des décennies, m'imaginant à chaque fois le Québec que j'espérais à mes 23 ans, vu des sommets et vallées de nos pays-d'en-haut, «la tête dans les cerisiers, en été, la tête dans les sapins verts, en hiver». Cette chanson trop souvent négligée conserve toute sa puissance en 2024.

Je ne sais pas ce que Jean-Pierre Ferland pensait de cette composition mais pour moi, ce fut une clef pour déverrouiller l'ensemble de son oeuvre, une porte ouverte qui me poussa à débusquer ses vieux albums Mono chez des disquaires d'occasion et à dévorer Jaune, SoleilLes vierges du Québec et les autres par la suite. Si, à son décès, Jean-Pierre Ferland est allé un peu plus haut, un peu plus loin, son esprit rôde peut-être aux alentours de Sainte Adèle, P.Q. où «le ciel est plus haut qu'ailleurs».

Palmarès du 2 novembre 1969 dans «Le petit Journal»

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* Sur le 45 tours, on écrit Ste. Adèle au lieu de Sainte-Adèle, et sur le 33 tours on écrit St Adèle, au masculin... Et la version disponible sur Internet est une réédition où la basse électrique et la batterie sont absentes...


mercredi 24 avril 2024

Desjardins: des $$$ pour des pubs insipides sur fond de fermetures...



Vous avez vu ces publicités de Desjardins qui roulent sans arrêt à la télé depuis au mois quatre mois? Celle du gars qui regarde un match à la télé avec un chien déguisé en joueur de hockey et sa conjointe servile qui change l'uniforme du chien sur demande? Ou la pub de cette femme qui lance «As-tu le jus de tomate?» à son chum éberlué et ses enfants pour les renvoyer au tohu-bohu du supermarché une seconde fois pendant qu'elle roupille dans sa voiture sur un fauteuil inclinable? (Regardez-les - les liens sont en bas de page).

Mas quel genre de public visent ces messages télévisés, apparemment liés à l'habitation? Desjardins nous prend-il, tous et toutes, pour des imbéciles? Poser la question, ces jours-ci, c'est un peu y répondre quand on voit notre grande coopérative fermer des centres de service et des guichets un peu partout sans même consulter les «membres», qu'on traite d'ailleurs comme des moins-que-rien en leur lançant un charabia d'excuses qui n'ont rien de très clair. Mais revenons à ces publicités...

Combien d'argent, pensez-vous, faut-il investir pour concevoir, réaliser et diffuser des milliers de fois ces messages publicitaires de gars-avec-chien-en-gilet-de-hockey-de-la-bonne-couleur et de femme-égoïste-et-sans-allure-dans-son-char? Je n'en ai aucune idée mais ça doit coûter pas mal plus cher que de conserver le guichet automatique de Luskville (en Outaouais) ou d'entretenir le centre de services de St-Fabien (Bas Saint-Laurent). On doit payer l'agence qui fera la conception des pubs, la maison de production et les «acteurs», et peut-être surtout, les innombrables heures de temps d'antenne nécessaires pour passer à répétition on ne sait trop quel message. La facture est-elle de 100 000 $? Plus? Bien plus?

Une chose est sûre. Notre historique mouvement coopératif, nos caisses jadis populaires se donnent des allures de banque. Tout ce qui a fait de nos caisses ce qu'elles étaient devenues est maintenant à la dérive, y compris - et surtout - l'esprit coopératif qui animait toutes ces gens qui, depuis plus d'un siècle, avaient travaillé d'arrache-pied pour créer dans nos villes et villages ces outils économiques indépendants des usuriers bancaires, qu'on ferme aujourd'hui avec un mépris total pour les plus de cinq millions de membres de Desjardins.

Je ne vis pas au 19e siècle. Je travaille avec des ordis et des tablettes depuis le début des années 1980 et je suis enthousiaste devant toutes les possibilités et la plus-value offertes par l'ère numérique. Mais je redoute aussi avec raison ses excès et sa prétention de remplacer le contact humain et la maniement d'objets physiques (guichet, argent comptant] par un recours quasi total à des cartes plastifiées ou des écrans de cellulaires, de tablettes et d'ordinateurs. On s'aperçoit déjà dans les écoles des dégâts causés par l'omniprésence des écrans. On finira aussi par le constater dans notre mouvement coopératif mais peut-être alors sera-t-il trop tard.

Desjardins vient d'annoncer une nouvelle ronde de fermetures de centres de service et de guichets, cette fois dans le Bas Saint-Laurent. Il y a quelques semaines, c'était le guichet du coeur francophone de la municipalité de Pontiac (Luskville) en Outaouais. Et partout on nous lance la même boue pour justifier la disparition d'une présence physique historique des caisses jadis populaires Desjardins. Les excuses qu'on nous offre sont dignes d'un ministre des Finances qui défend avec des arguments embrouillés les motifs d'impôts accrus ou de déficits imprévus. La meilleure, et celle-là on l'entend à chaque fois qu'on met des employés à la porte ou qu'on envoie au recyclage un guichet automatique: seulement 1% des transactions des membres sont désormais effectuées à la caisse même et 3% aux guichets... Mais ça veut dire quoi?

Ça, on ne le dit pas. Si j'utilise ma carte Visa Desjardins une soixantaine de fois par mois, que mes factures d'électricité, de câble, d'assurances, etc. sortent directement de mon compte, sans compter toutes les transactions diverses passant par Desjardins, mais que je me rends à la caisse en personne deux fois par mois et au guichet deux ou trois fois par mois, je suis dans le 1% et le 3% de la propagande des dirigeants de Desjardins. Combien d'autres font comme moi? Des pourcentages, ça ne dit absolument rien du nombre véritable de membres qui se rendent physiquement à la caisse jadis pop ou au guichet pour effectuer des transactions devant des humains ou pour obtenir de l'argent comptant. Ça ne dit rien de leur âge non plus. 

Jusqu'à l'an dernier, j"avais un livret de caisse que je mettais à jour régulièrement au guichet ou parfois même à la caisse, devant le regard étonné du caissier ou de la caissière qui me rappelait que j'aurais pu aller au guichet automatique. C'est rendu difficile aujourd'hui de voir des humains, répondais-je, et pour pouvoir continuer à le faire, je dois aider à sauver votre emploi. J'appelle ça un petit morceau de l'esprit coopératif que Desjardins s'acharne à détruire. Aujourd'hui, je reçois par la poste un compte-rendu mensuel de mes transactions. Cela coûte le papier, l'impression, a manutention et le coût de l'envoi postal... Et l'abandon du livret a aussi pour effet de diminuer le nombre de fois où les membres ont recours aux services des guichets et des caisses. Un clou de plus dans le cercueil.

À chaque fermeture, on entend invariablement un innocent comme moi s'exclamer: mais voyons, les caisses sont censées appartenir à leurs membres. On ne m'a pas consulté... Là on touche au coeur du problème, au péché mortel de Desjardins. Dans mon ancienne paroisse, au début des années 1940, des centaines de personnes d'origine modeste s'étaient réunies pour fonder une coopérative d'épargne et de crédit pour se donner un levier économique (en français) indépendant des grandes banques. Les membres étaient attachés à leur caisse populaire de taille humaine, s'y rencontraient, l'encourageaient, assistaient aux assemblées. Comme partout au Québec et même ailleurs au Canada. C'était l'âme du mouvement, et c'est cette âme que Desjardins-se-donnant-des-allures-de-banque démantèle depuis des décennies en abolissant des caisses locales, en fusionnant le reste et en privilégiant le numérique au détriment de l'humain et du coopératisme.

Une coopérative ne se conçoit pas sans participation des membres, sans une vie coopérative. Au lieu d'éloigner les membres des centres de service, les caisses Desjardins devraient favoriser leur présence. Prévoir des locaux pour des activités (assemblées, conférences, colloques, etc.), utiliser les fonds à sa disposition pour animer l'esprit coopératif régional (fonder de nouvelles coops - alimentation, habitation, etc.). Desjardins donne des millions chaque année à des oeuvres de bienfaisance et c'est tant mieux. Mais combien les caisses investissent-elles dans le développement coopératif régional? Vous souvenez-vous de la dernière campagne publicitaire nationale pour vanter les mérites du coopératisme et en faire la promotion? Dans le contexte actuel, une telle campagne relèverait de l'indécence.

On me dire sans doute, comme depuis mon enfance, que je rêve en couleurs. Et je dirai, comme depuis mon enfance, merci! Le jour où j'arrêterai de rêver en couleurs, de me rebeller contre ce que je perçois comme l'injustice, de m'indigner contre le mépris qui nous entoure, ce jour-là on m'enterrera. Mais contrairement à ce Desjardins en voie de devenir monstre, je n'aurai pas perdu mon âme.

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jeudi 18 avril 2024

Les Acadiens et le serment d’allégeance… de 1755 à 2024…

Capture d’écran d’ONFR

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Les images des trois mousquetaires péquistes, Paul St-Pierre Plamondon en tête, se faisant interdire l'accès à l'Assemblée nationale pour avoir refusé de prêter serment d'allégeance au roi Charles III, ont fait le tour du monde en décembre 2022. Leur entrée au Salon bleu après l’adoption d’un projet de loi mettant fin à cette exigence colonialiste fut tout aussi médiatisée.

Au-delà du débat éternel sur les rapports entre les Québécois francophones et la monarchie britannique, cet épisode historique mettait en lumière la capacité d’un peuple de prendre ses propres décisions quand il est majoritaire sur son territoire et à sa législature. Un pouvoir dont nous sommes privés dans un pays anglo-majoritaire comme le Canada.

À preuve, l’effort  rabroué de rendre optionnel le serment de fidélité monarchique au Parlement fédéral, initiative du député acadien René Arseneault, devenu l’écho dramatique du traitement réservé aux parlant français de ce pays depuis les conquêtes britanniques du 18e siècle. Pour les ressortissants de l’Acadie, le serment au roi brûle comme un fer rouge dans une plaie mal cicatrisée. À partir de 1755, les Anglais avaient répondu au refus des Acadiens de prêter serment à leur monarque par une déportation génocidaire.

Avec l’arrivée de la Confédération en 1867, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB) avait créé une obligation constitutionnelle de jurer fidélité au monarque pour pouvoir siéger au Parlement fédéral. Les députés québécois, qui n’ont jamais apprécié cette génuflexion colonialiste, peuvent au moins se réjouir que leurs homologues de l’Assemblée nationale s’en soient débarrassés. Mais pour les Acadiens, cela reste et restera un rappel douloureux des odieux Monckton, Lawrence et semblables… mais aussi de leur impuissance minoritaire.

Seule une poignée de députés acadiens siègent à la Chambre des Communes. Ils ne peuvent rien contre l’écrasante majorité anglophone qui occupe les bancs du gouvernement et de l’opposition. Même avec l’appui de la totalité des voix francophones (70 ou 75 des 338?) et des grappes républicaines du Canada anglais, le Parlement canadien reste acquis à la monarchie britannique… René Arseneault, fort d’un impitoyable réquisitoire contre 300 années d’oppression et d’injustice, ne plaidait pas seulement pour le droit de refuser de s’agenouiller devant Charles III, mais aussi - et surtout - pour le retrait d’une exigence qui avait valu à son peuple le déracinement et la déportation.

Mais il était seul, ou presque. Il a même été trahi par ses deux collègues ministres, Dominic LeBlanc et Ginette Petitpas, qui se sont opposés au projet de loi de René Arseneault sur l’ordre scandaleux d’un Québécois, Justin Trudeau, qui s’est souvenu qu’à titre de premier ministre du Canada, il incarne la majorité anglophone et son héritage francophobe. Le temps d’un vote, Trudeau, LeBlanc, Petitpas et les autres ministres collabos ont symboliquement endossé les anciens «habits rouges», envoyant promener (au sens figuré cette fois) les descendants de ces Acadiens qui avaient, au 18e siècle, refusé coûte que coûte de jurer fidélité à la Couronne britannique. Et pour doubler le tort d’un affront, on leur a chanté le God Save the King en pleine face, à la Chambre des Communes… 

Ce jour de honte doit servir à rappeler que les minorités n’ont aucun pouvoir contre une majorité hostile. Et que si la tendance se maintient, ce qu’on a fait à René Arseneault et aux Acadiens, on le fera un jour aux Québécois… et on nous infligera le God Save The King au Salon bleu… Vivement la souveraineté avant que notre majorité déclinante nous prive du droit de décider…

jeudi 4 avril 2024

La «job» du fédéral de sauver l'Ontario français?

Capture d'écran d'ONFR

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J'ai lu des milliers de citations de dirigeants franco-ontariens au fil des décennies, mais je dois avouer que celle-ci m'a laissé bouche bée. Être militant de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario, j'exigerais une prompte rétractation ou carrément la démission de l'auteur de cette déclaration, le président de l'AFO en l'occurrence...

Prenez bien le temps de décortiquer ce qu'a dit Fabien Hébert, selon un texte du journaliste d'ONFR, Pascal Vachon (voir lien en bas de page):


Deux énormités sautent aux yeux.

La première: le sous-financement fédéral des organismes de l'Ontario français mettrait «en péril la survie de notre communauté franco-ontarienne». Ai-je bien compris? Des centaines de milliers de Franco-Ontariens risquent de perdre langue et culture parce qu'Ottawa refuse de donner 22 millions $ de plus au cours des quatre prochaines années à une centaine ou plus d'organismes francophones d'un bout à l'autre de la province? 

Ce que cela suggère plutôt, c'est que la structure organisationnelle de l'Ontario français, ou ce qui en reste hors des conseils scolaires, des caisses jadis populaires et de l'hôpital Montfort, tient avec «la broche» de Patrimoine canadien, faute d'appuis dans des collectivités qui s'anglicisent à la vitesse grand V. Je ne serais pas surpris d'apprendre que 90% des Franco-Ontariens n'ont jamais entendu parler de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario ou de son acronyme, l'AFO.

Ce ne fut pas toujours le cas. Quand j'ai commencé à militer dans les mouvements de l'Ontario français aux milieu des années 1960, l'ancêtre de l'AFO (alors appelé ACFEO pour Association canadienne-française d'éducation de l'Ontario) était en bonne partie financé à même les souscriptions et dons de milliers de citoyens dans une centaine de localités - d'Ottawa à Sudbury, de Blind River à Hawkesbury, de Cornwall à Windsor, de Hearst à Penetang. On cueillait des sous dans les écoles, les paroisses, les maisons. En 1965, les seules subventions gouvernementales ont été versées par l'Ontario (1085 $) et le Québec (30 $)... Le vaisseau amiral de la Franco-Ontarie était porté par une base citoyenne depuis sa fondation à l'époque du Règlement 17.

Au cours du dernier demi-siècle les taux d'assimilation se sont intensifiés, dépassant les 50% dans plusieurs régions, les quartiers urbains franco-ontariens ont disparu, le sentiment d'appartenance à une communauté nationale s'est effrité, pour ne laisser trop souvent que des structures avec des bureaux et des permanences qui tentent de sauver les meubles avec les maigres millions $ du fédéral. L'insuffisance des subventions d'Ottawa ne menace pas la survie des Franco-Ontariens, déjà compromise, elle menace de détruire ces façades qui dissimulent l'agonie d'une collectivité de plus en plus réduite au rang de groupe ethnique parmi tant d'autres... comme à Greenstone (voir lien en bas de page). 

La deuxième: «Les politiciens et Patrimoine canadien ne font pas leur job d'assurer la survie de la communauté linguistique francophone de l'Ontario.» Ai-je bien compris? Que la survie de la collectivité francophone de l'Ontario fait partie des tâches du ministère fédéral Patrimoine canadien? Je veux bien croire qu'en vertu de la loi sur les langues officielles, Patrimoine canadien doit intervenir à coups de millions pour favoriser l'épanouissement des minorités francophones, y compris les Franco-Ontariens, mais le ministère fédéral ne peut absolument rien contre les principaux facteurs d'anglicisation dans la société, à l'école, au travail, dans les commerces, les médias, les loisirs. On pourrait argumenter que c'est en partie sa job de donner un coup de main financier à ceux et celles qui interviennent sur le terrain, mais pas d'intervenir à leur place. Ça c'est la job de l'AFO et de ses membres dans les différentes régions de l'Ontario.

Par ailleurs, je trouve ironique qu'on puisse croire qu'un ministère fédéral ou que le gouvernement fédéral lui-même puisse se donner comme tâche de sauver la francophonie. Le gouvernement fédéral est l'incarnation de la nation anglo-canadienne très majoritaire, souvent francophobe, et les miettes arrachées dans un texte comme celui de la Loi sur les langues officielles sont davantage des concessions à la menace souverainiste québécoise qu'aux supplications des minorités acadiennes et canadiennes-françaises. Toujours, partout, les décisions appartiennent à la majorité anglophone du Canada. Les francophones peuvent négocier, menacer, quémander mais jamais décider. Alors croire qu'Ottawa puisse vouloir sauver l'Ontario français, c'est prendre ses rêves pour la réalité. Le federal government demeurera toujours une partie du problème, pas de la solution.

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Lien au texte de Pascal Vachon, d'ONFR - https://onfr.tfo.org/organismes-franco-ontariens-federal-financement-francophonie-langues-officielles/

Lien au texte: Greenstone... le drapeau franco-ontarien méprisé... https://lettresdufront1.blogspot.com/2024/02/greenstone-remet-les-franco-ontariens.html

samedi 30 mars 2024

Gatineau... Élection au pays de la peur...


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Peu importe le nombre de candidats et candidates au remplacement de France Bélisle à la mairie de Gatineau, j'ai la quasi certitude qu'on parlera abondamment de logement, de transport en commun, de gestion et de taxes. Il est cependant un thème qui brillera par son absence: la situation précaire du français dans la quatrième ville du Québec.

Certains s'abstiendront d'en parler par ignorance. D'autres feront semblant de ne pas savoir. D'autres l'éviteront comme la peste. De fait, le sujet est tabou ici, aux frontières de l'Ontario. Les élus municipaux, qui ne s'en souciaient pas avant, ne s'inquiéteront pas davantage maintenant, ni à l'avenir, de l'érosion de la langue commune du Québec. Les francophones de Gatineau sont des grenouilles (français pour frog) dans une eau chaude qui deviendra bouillante bientôt...

Les Gatinois, surtout dans le vieux Hull, ont pourtant vu l'historique secteur francophone de la Basse-Ville d'Ottawa, juste en face, s'angliciser à coups de bélier et d'expropriations en une génération. Le réveil vigoureux des Franco-Ontariens dans les années 1970 est venu trop tard. Pas que cela aurait fait une grande différence avec un conseil municipal francophobe... Mais qu'en est-il à Gatineau alors que tous les jours, quelques buches s'ajoutent aux braises sous notre marmite d'eau fumante?

Les tours d'habitation montent à vue d'oeil dans les secteurs riverains du centre-ville de Gatineau, devenus aux yeux des Ontariens une extension d'Ottawa où ils peuvent vivre, comme avant, en anglais. Le Vieux Hull, jadis à 90% francophone, l'est désormais à moins de 60% et à chaque maison allumette qu'abattent des promoteurs immobiliers aux yeux en signe de piastre, le visage français historique de ce quartier se fissure.

Passe encore si les nouveaux arrivants s'intégraient à la majorité francophone, mais pour la plupart, ils se présentent dans les commerces et dans les bureaux municipaux en parlant anglais, sur un ton qui n'invite pas la réplique. Et la plupart des francophones, bilingues bien sûr, se feront un devoir de les accommoder dans leur langue. Déjà qu'on accepte de se faire servir en anglais dans des commerces unilingues et qu'on ne cligne pas de l'oeil devant les multiples violations de la Loi 101 dans l'affichage commercial...

Quand les francophones seront minoritaires dans le centre-ville de Gatineau, et cela ne devrait guère tarder (quelques recensements?) il sera trop tard. Les grenouilles seront mortes, ébouillantées. Mais on ne parle pas de cela. On se presse de féliciter les Franco-Ontariens qui se battent pour sauver les meubles mais tout le monde, ici à Gatineau, sait que les défenseurs du français sur la rive québécoise ne sont qu'une bande de séparatistes xénophobes. Manifester de l'«ouverture» envers les anglos en leur permettant d'évoluer ici comme en Ontario, c'est vivre à genoux, en colonisé, jusqu'à ce jour, pas si lointain, où l'on érigera des monuments bilingues à la mémoire des anciennes grenouilles.

Y aura-t-il quelqu'un, dans cette campagne menant à l'élection d'un nouveau ou d'une nouvelle maire le 9 juin, pour parler d'identité linguistique et culturelle? Je l'espère sans trop d"espoir. Y aura-t-il quelqu'un sur les tribunes pour exprimer en public cette réalité d'anglicisation à vitesse grand V, pour demander qu'on en fasse tout au moins un débat, qu'on mette suffisamment de ressources pour brosser un portrait de l'état de notre francophonie dans un document officiel de la municipalité, qu'on cesse d'avoir peur de s'affirmer devant des anglos qui, eux, n'ont aucunement peur de s'affirmer devant nous?

Mais j'oubliais. Nous sommes ici au pays de la peur. Si le passé est garant du présent, personne n'osera mettre à l'avant-scène la question du français durant cette campagne à la mairie. Ni les libéraux déguisés en indépendants, ni Action-Gatineau. Seulement quelques vieux ex-Franco-Ontariens comme moi qui ont vécu le résultat de l'inaction collective, et une poignée d'autres qui ont appris à lire «les signes du temps». 

Enfin, Joyeuses Pâques tout de même en attendant ce lundi poisson d'avril...

jeudi 28 mars 2024

Assurance dentaire, locataires, etc... Feu le fédéralisme...

Capture d'écran du site Web de L'Actualité

Ne vous surprenez plus des incursions fédérales de plus en plus fréquentes dans les champs de compétence des États fédérés (appelés aussi provinces). Depuis le jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire de la taxe carbone le 25 mars 2021, Ottawa a le feu vert pour agir à sa guise si un enjeu devient, à ses yeux, «d'intérêt national»... Et vous savez de quelle «nation» parlent les suprêmes fédéraux... certainement pas la nôtre! 

La notion d'«intérêt national» n'existe pas dans la Constitution canadienne. Elle a été inventée comme concept constitutionnel par la Cour suprême du Canada. Et croyez-moi, le mot «national» ou l'expression «intérêt national» ne désignent jamais, mais au grand jamais, la nation québécoise. Quand un sujet devient «national» pour la plus haute cour du Canada, sa portée est pan-canadienne. La «nation», c'est le Canada, une nation à forte majorité anglophone. Au mieux, les enjeux québécois sont «provinciaux», voire «locaux».

De tout temps, le fédéral se sert de son «pouvoir de dépenser» illimité pour s'ingérer dans les priorités et programmes des États fédérés. Mais cela ne changeait rien à la répartition constitutionnelle des compétences entre Ottawa et les provinces. Le jugement de 2021 sur la taxe carbone permet au fédéral à la fois d'envahir et d'accaparer des compétences jusque là réservées aux État «provinciaux» en décrétant un enjeu «d'intérêt national». Les juges d'Ottawa ont été très clairs à cet égard: «L'effet de la reconnaissance d'une matière en tant que matière d'intérêt national est permanent et confère compétence exclusive au Parlement (fédéral) sur cette matière».

Alors si Justin Trudeau et ses alliés, agissant au nom d'une majorité anglo-canadienne de tendance nettement centralisatrice, décident que l'assurance dentaire et la création d'une Charte canadienne des locataires sont des matières «d'intérêt national», les carottes sont cuites. Le premier ministre fédéral a bien lu la décision de 2021 des suprêmes. Le Devoir rapportait le 27 mars ce qui suit: «Questionné par une journaliste sur la pertinence d'empiéter à nouveau sur les compétences des provinces, M. Trudeau a répondu que la crise du logement touchait tout le pays.1» La question est ainsi jugée «d'intérêt national»... Ce domaine appartient donc à Ottawa, dorénavant. Oust, le Québec... 

Les jugements de la Cour suprême, émis avec l'autorité de la Charte de 1982 qu'on nous a enfoncée dans la gorge après la nuit des longs couteaux, lui donnent toute latitude pour envoyer paître François Legault et la «nation québécoise» dont il affirme être le chef. Les décisions des juges suprêmes d'Ottawa sont sans appel pour le Québec, qui se trouve alors devant un mur de béton insurmontable dans le régime actuel. À bien des égards, depuis la décision de 2021, le fédéralisme n'existe plus. Comme le disait le juge dissident Russell Brown, Ottawa pratiquera maintenant un fédéralisme de supervision des provinces, désormais constitutionnellement inférieures.

La quasi-totalité des fédéralistes, les nôtres et les autres, ne comprenant pas grand chose aux principes mêmes d'un régime authentiquement fédéral, seuls les indépendantistes québécois proposent une stratégie politique permettant de contrer l'envahissement d'Ottawa, en attendant bien sûr de réaliser la souveraineté. Les provinces à majorité anglophone reconnaissent toutes au fédéral le statut de gouvernement «national» du pays. L'emploi de l'expression «intérêt national» par la Cour suprême est parfaitement compris et accepté au Canada anglais. L'idée de constitutionnaliser un concept d'intérêt national québécois n'effleure même pas l'esprit de la majorité anglo-canadienne.

La Constitution est toujours la loi fondamentale d'un État. La plus importante. Celle que toutes les autres lois doivent respecter.  Et pourtant, personne ne veut en parler. Ni l'opinion publique ni les gouvernements. L'idée de renégocier les textes constitutionnels rebute. Et pourtant, ce sont ces mêmes textes, imposés en 1982 par une coalition d'Anglo-Canadiens et collabos québécois, qui permettent aujourd'hui à Ottawa d'envahir nos champs de compétence, d'attaquer en justice nos lois lois sur la laïcité et sur la protection du français, et de dresser des obstacles judiciaires devant toutes nos tentatives d'affirmer les traits distincts de notre nation. Il n'y a qu'une seule porte de sortie: le refus d'obéir (à coups de nonobstant ou pire) aux textes constitutionnels adoptés sans notre consentement, et un cheminement - le plus rapide possible - vers l'indépendance.


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1- Lien au texte du Devoir - https://www.ledevoir.com/politique/canada/809814/trudeau-veut-creer-charte-canadienne-locataires


lundi 25 mars 2024

La langue de bois du CISSSO

Capture d'écran du site Web Le Droit

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«Jugeant qu’il y avait "urgence d’agir" pour le bien-être des usagers de deux résidences privées pour aînés (RPA), le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais (CISSSO) a octroyé un contrat de plus de 70 000 $ pour "accompagner" les exploitants de la Résidence et Château de l’Île et du Village Riviera.» (texte de Justine Mercier sur le site Web Le Droit, 24 mars 2024 - voir lien en bas de page

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Je crains toujours, avec la vieillesse, de perdre un jour la capacité de m'indigner... Puis je lis un texte comme celui de l'excellente Justine Mercier dans Le Droit et me revoilà, comme un ressort tout neuf, prêt à bondir sur les barricades comme à 20 ans... J'ai la certitude que Mme Mercier a inclus dans son article tout ce qui lui était permis d'écrire, mais ce qui n'y est pas, ce que l'on dissimule, ne peut manquer de rappeler les horreurs ayant marqué nos «usines de vieux» durant les premiers mois de la pandémie de COVID-19, en mars et avril 2020.

N'a-t-on rien appris de la tragédie qui a décimé des milliers de nos personnes âgées en RPA et CHSLD dans des conditions atroces exacerbées par les lourdes bureaucraties et l'opacité de l'information filtrant du réseau québécois de la santé, et notamment des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS et CIUSSS)? Or voilà qu'apparaissent dans deux résidences de Gatineau une «urgence d'agir» pour assurer la qualité des soins et la sécurité des résidents les plus vulnérables, ceux et celles en perte d'autonomie.

Mais n'essayez pas d'en savoir plus. On nous pardonnera de nous inquiéter un peu étant donné que le Groupe Katasa, propriétaire de ces deux résidences, le Village Riviera et la Résidence/Château de l'Île, est le même qui dirigeait le tristement célèbre CHSLD Herron, dans l'ouest de l'île de Montréal, où plus de 40 personnes sont mortes au printemps 2020. L'enquête publique avait démontré que les problèmes de pénurie d'équipements et de personnel existaient à cet endroit bien avant la prolifération de la COVID-19.

Le texte dans Le Droit indique l'octroi d'un contrat de 71 600 $ à un cabinet en gestion d'entreprise de la région montréalaise avec mandat «d'accompagner» (ça veut dire quoi?) la direction de ces résidences pendant au moins trois mois. Et que le motif du CISSSO était «l'urgence d'agir rapidement» dans le cadre juridique d'une «situation d'urgence où la sécurité des personnes ou des biens est en cause». Le CISSS fait état de «visites d'appréciation de la qualité» et de «certains constats», sans en dire davantage. Entre ça et cacher sciemment au public des faits dont il devrait être informé, la ligne est mince...

L'article du Droit est signé par une reporter de l'équipe d'enquête. L'information ne provient donc pas d'une conférence de presse ou d'un communiqué du centre intégré de santé et de services sociaux. Et même une fois interrogé par la journaliste, le CISSSO semble avoir fait tout pour révéler le moins possible à la population. On ressort l'éternelle langue de bois qui mine la crédibilité des déclarations officielles depuis trop longtemps: «mise en oeuvre d'un plan d'amélioration concerté», «établir un niveau de soins optimal et de qualité». Le charabia habituel des bureaucrates... inacceptable quand de l'avis même du CISSSO, on a jugé qu'il y avait «urgence d'agir»...

Faudrait qu'on attrape nos dirigeants de CISSS par le collet et qu'on leur dise: on se souvient des crises récentes, de nos vieux pris en otages dans un régime inefficace, souffrant, mourant seuls dans ces résidences et CHSLD. On aurait dû en savoir davantage, et plus vite. Alors si des personnes en perte d'autonomie cognitive ou physique sont de nouveau en danger dans des résidences qu'il faut «accompagner» pour assurer la qualité des services, des soins et leur sécurité, criez-le sur tous les toits. Convoquez la presse au lieu de la fuir. L'État et ses organismes doivent protéger avant tout les citoyens, les aînés en particulier, et non les entreprises et les établissements à qui l'on a confié, en partie ou en tout, leur garde.

Si ce n'est que pour obliger le groupe Katasa à honorer l'engagement proclamé dans son site Internet: «Chez KATASA, nous avons vos intérêts à cœur et nous traitons chacun comme un membre précieux de notre famille.» 

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mardi 19 mars 2024

«Le dernier Canadien français» - Mission impossible...



Selon son auteur Pascal Justin Boyer, le film documentaire Le dernier Canadien français, a pour but «de montrer qu'il est possible d'avoir un quotidien français un peu partout au Canada. Un quotidien complètement différent du nôtre à Québec ou à Montréal, mais qui assure une pérennité à des communautés super vibrantes.» - voir liens en bas de page.

S'il avait simplement voulu voyager d'un bout à l'autre du Canada pour rencontrer des gens et les interroger sur l'érosion, voire la disparition de l'ancienne identité canadienne-française, sans tenter de tirer de conclusions, M. Boyer aurait davantage fait oeuvre utile. Le danger survient quand on cueille une palette de témoignages ça et là, et qu'on croit avoir en mains un croquis proche de la réalité.

Avoir pris le temps de bien étoffer ses connaissances de la francophonie hors-Québec, le cinéaste aurait su qu'il est impossible «d'avoir un quotidien français un peu partout au Canada», que la pérennité des collectivités franco-canadiennes est menacée d'un océan à l'autre, et qu'à l'extérieur du coeur de l'Acadie et d'îlots francophones dans l'est et le nord de l'Ontario, les «communautés» de langue française «super vibrantes» n'existent à peu près pas.

Jaser avec deux ou trois francophones dans le magnifique décor du Yukon et filmer l'école Émilie-Tremblay à Whitehorse peuvent nous faire imaginer une collectivité franco-yukonnaise «vibrante» mais les données du recensement de 2021 nous rappellent vite à l'ordre. On dénombre à peine 2000 personnes de langue maternelle française (5% de la population) dans ce vaste territoire et plus de 40% d'entre eux ont l'anglais comme langue d'usage à la maison. Le français n'y a pas «le vent dans les voiles»...

Et le fait que plus de 300 000 Britanno-Colombiens comprennent le français ne permet pas de suggérer une quelconque vie française hors du foyer et des rares écoles franco-colombiennes qui peinent depuis toujours à obtenir la plus élémentaire justice de Victoria. De fait, moins de 70 000 personnes se disent de langue maternelle française en C.-B., et moins de 25 000 d'entre elles parlent surtout français à la maison. Un taux d'assimilation implacable, sans retour! Dans la ville de Coquitlam, grande banlieue de Vancouver, vous trouverez un quartier où les noms de rue sont étrangement familiers: Hachey, Proulx, Bégin, Therrien, Brunette, Laval, Cartier... L'unique localité canadienne-française de la province, appelée Maillardville, s'y trouvait jadis. Son histoire est fascinante. Mais il n'en reste guère plus que les noms de rues... Vivre au quotidien en français est impensable à l'ouest des Rocheuses.

Le dernier Canadien français ne s'est pas arrêté dans les Prairies, où l'histoire des francophones (blancs et Métis) a été marquée de combats déterminants au 19e et 20e siècles avant de sombrer dans un déclin qui apparaît aujourd'hui irréversible. De plus, le cinéaste n'a pas vraiment rencontré de Franco-Ontariens ou d'Acadiens (ordinaires ou militants), même dans des localités où l'on peut davantage espérer une collectivité de langue française «vibrante», comme à Caraquet, Edmudston, Hearst ou même Hawkesbury. 

Le documentaire passe cependant en sol ontarien pour aborder la question toujours actuelle des études post secondaires en français. Encore là, l'auteur du film s'égare (comme l'ensemble des médias d'ailleurs) en affirmant que des organisations franco-ontariennes militaient depuis plusieurs années pour l'implantation d'une université de langue française à Toronto. L'objectif central du combat était d'assurer une gouvernance francophone de l'ensemble des programmes universitaires ontariens en français, y compris ceux des grandes universités bilingues : une véritable université pan-ontarienne, dont le campus torontois aurait été une composante. 

L'interview avec Pierre Ouellette, recteur du campus de Toronto (qu'on a baptisé «Université de l'Ontario français»...) propose un portrait trompeur de ce qui reste de l'Ontario français. Je mets en doute son affirmation voulant qu'en Ontario, quatre francophones sur dix demeurent dans le centre-sud ouest de la province (Toronto, London, Niagara, Windsor, etc.). Trois sur dix me semble plus près de la réalité, et sa perception de croissance m'apparaît tout aussi douteuse. À l'extérieur de l'ancien Frenchtown de Welland (péninsule du Niagara), il n'y existe plus de quartier urbain franco-ontarien (ni ailleurs en Ontario). En tout cas, surtout pas dans le Grand Toronto où moins de 40 000 personnes ont le français comme langue d'usage à la maison (sur une population de plus de six millions!). Tout le monde sait que les coeurs de la francophonie ontarienne battent dans l'Est et le Nord ontarien, et que ses principales capitales sont Ottawa et Sudbury. Une université française à Toronto demeurera toujours marginale...

Le documentaire de M. Boyer ne pouvait bien sûr occulter l'enjeu de l'immigration francophone, vue ces jours-ci comme seul rempart possible contre le déclin de la langue française à l'extérieur du Québec. Comme si des dizaines de milliers de nouveaux arrivants de langue française dans les provinces anglaises allaient s'avérer imperméables au phénomène de l'assimilation. De fait, on les envoie à l'abattoir. Sur cette question, quelques témoignages dans le film donnent un son de cloche beaucoup plus réaliste. «Tu ne peux pas être francophone en Nouvelle-Écosse et ne pas apprendre l'anglais», note un immigrant africain. Ces nouveaux arrivants comprennent très vite la réalité, et anglicisent leurs enfants pour avoir du travail. «La tendance naturelle, c'est d'aller vers la majorité», entend-on. Et un professeur remarque que pour les immigrants de l'Afrique sub-saharienne, le français demeure la langue du colonisateur et plusieurs se diront: «Je ne suis pas ici pour mener des batailles pour le français»... Faudrait peut-être qu'on leur rappelle qu'ici, la langue du colonisateur c'est l'anglais et le français, celle des colonisés, et que par le passé les rapports entre Canadiens français et Autochtones n'ont pas été de colonisateur à colonisé mais bien davantage d'alliances et de métissage.

Parlant d'histoire, le film évoque à quelques reprises les États généraux du Canada français, et particulièrement les sessions de 1967 où les délégués avaient affirmé le droit à l'autodétermination du Québec. M. Boyer y voit la «source de la fracture» entre les Québécois et les autres Franco-Canadiens. J'y étais comme délégué franco-ontarien à Montréal, en 1967, et je me souviens que la majorité des délégués acadiens, et plus du tiers des délégués franco-ontariens, ont voté en faveur de cette résolution. Que ce vote ait eu d'importantes séquelles ne fait aucun doute, mais il était bien plus la confirmation (et non la source) d'une fracture amorcée depuis le début du 20e siècle.

Enfin, au début du documentaire, on parle de 7 800 000 francophones au Canada. Comme cela arrive souvent, on utilise la «première langue officielle parlée» (PLOP), une catégorie inventée par Statistique Canada à partir de différentes réponses et qui a ici pour effet de gonfler un peu les chiffres. Si on utilise le critère de la langue maternelle c'est plutôt 7 400 000 et avec le critère le plus fiable (selon la Commission B-B), celui de la langue d'usage à la maison, on chute à 7 240 000. Cela ne dit rien de la francophonie hors Québec, cependant, qui se chiffre à environ 1 000 000 (langue paternelle) mais à moins de 600 000 avec la langue d'usage. De ces six cents milles, environ 500 000 (84%) vivent en Ontario et au Nouveau-Brunswick. Cela laisse moins de 100 000 locuteurs du français à la maison dans les sept autres provinces et trois territoires. Avec le critère de langue maternelle, c'est 240 000... Sur un total de 13 350 000 personnes... 

Disons que si le but était de démontrer la possibilité de vivre en français au quotidien un peu partout au Canada, il n'a pas été atteint. C'était impossible au départ. Le film reste intéressant, divertissant même. Mais comme information, c'est mince. Très mince.

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samedi 16 mars 2024

Immigration: l'opération suicide...

Capture d'écran de Radio-Canada

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Parfois, je ne comprends tout simplement pas... Prenez cette demande d'obtenir pour le Québec les «pleins pouvoirs» en immigration, formulée par François Legault en prévision de son sommet du 15 mars avec Justin Trudeau... Le premier ministre québécois a beau avoir raison de réclamer le contrôle de l'immigration - pour l'avenir du français, pour protéger notre identité, nos valeurs - il n'a pas la moindre chance de l'obtenir et il le sait. Alors pourquoi s'y aventurer?

Serait-ce pour fanfaronner publiquement devant Ottawa et tenter ainsi de récupérer les franges d'opinion publique qui glissent depuis des mois vers le Parti Québécois et son chef Paul St-Pierre Plamondon? Si c'est le cas, voilà une stratégie qui ne peut que lui éclater en pleine figure. Il fait face à un premier ministre fédéral ayant en poche tous les atouts constitutionnels et un soutien quasi indéfectible de ses juges des tribunaux supérieurs. L'article 95 de l'AANB affirme clairement la prédominance législative du fédéral en immigration, et depuis le jugement de la Cour suprême sur la taxe carbone en 2021, Ottawa n'a qu'à déclarer un enjeu «d'intérêt national» pour qu'il devienne une compétence exclusive du fédéral. Dans ce dossier, Trudeau peut dire non, sans plus, et le Québec n'a qu'à rentrer chez lui tête basse.

Par ailleurs, François Legault s'adresse à un premier ministre fédéral qui suffoque de peur devant une opinion anglo-canadienne largement francophobe et anti-québécoise, que les sondeurs disent prête à propulser massivement au pouvoir la bande à Poilièvre au scrutin de l'an prochain. Pourquoi Justin Trudeau s'effondrerait-il devant le Québec dans un secteur essentiel au projet multiculturel fédéral où le Québec exerce déjà depuis 1991 des pouvoirs considérables arrachés à Ottawa? Comment réagirait le Canada anglais (après tout, Ottawa, c'est son gouvernement national) si «son» premier ministre s'agenouillait devant l'ultimatum québécois en immigration? En peu de temps, il y aurait un putsch chez les libéraux fédéraux.

Mais François Legault sait tout ça. Ça crève les yeux. Même avant de rencontrer Justin Trudeau, il évoquait la possibilité (la certitude?) d'un non d'Ottawa et disait envisager d'autres options, que ce «non» serait jugé inacceptable. Mais diable, quelle option lui reste-t-il ouverte? Il a exclu l'indépendance (bien sûr), mais il écarte tout autant un référendum sectoriel sur l'immigration (qui ne lui donnerait sans doute pas grand chose). Alors quoi? La constitution est contre lui, le fédéral se dressera comme un mur de béton, et les coffres de l'État québécois rougissent à vue d'oeil. Si, ce qui semble fort improbable avec la CAQ, Québec choisit la voie de l'affrontement, que pourra-il faire d'efficace devant le pouvoir politique, judiciaire, financier et militaire du gouvernement central? Pas grand-chose. Accumuler les échecs.

Redessiner la carte constitutionnelle de l'immigration ne sera pas aussi simple qu'abolir l'ancien Conseil législatif en 1968 ou le serment d'allégeance au roi Charles III (2022). Le Québec a alors modifié unilatéralement l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (AANB) de 1867, mais seulement dans des domaines qui ne concernaient pas vraiment Ottawa. Il en ira autrement si l'Assemblée nationale décide de modifier unilatéralement la répartition des compétences dans un secteur où la Constitution reconnaît la prééminence fédérale. La voie législative est donc également exclue. 

François Legault a cependant raison quant à l'urgence de la situation. Depuis la conquête, les Britanniques puis leurs successeurs à Ottawa ont utilisé l'immigration comme une arme pour angliciser le pays et nous assimiler. Au nombre des nouveaux arrivants de toutes catégories qui s'installent au Québec, la proportion de francophones baisse à vue d'oeil pendant que la majorité anglo-canadienne renforce sa présence en sol québécois. Aurons-nous survécu pendant 400 ans pour connaître une fin ignominieuse dans un bourbier multiculturel assassin qui impose l'anglais comme langue commune du pays? L'immigration, sous sa forme actuelle, ne favorise pas l'intégration des nouveaux arrivants, elle accélère la désintégration de la culture historique de la nation française et métissée qui a essaimé depuis des siècles à partir du bassin du St-Laurent.

Il n'y a qu'une solution à court terme: élire le Parti québécois en 2026 et cheminer vers l'indépendance. C'est la seule issue qui nous permettra d'exercer les pleins pouvoirs en immigration. D'exercer les pleins pouvoirs en «toutte», de fait! Enfin!