mardi 30 avril 2024

Il n'y a pas de façon amicale d'imposer le français au Québec

Capture d'écran du Devoir

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Le titre du Devoir du 29 avril 2024 m'a fait sursauter. En gros caractères: «Le déclin du français sera "rapidement inversé", dit Québec.» La source? Le ministre Jean-François Roberge, qui devait en avoir fumé du bon avant d'élucubrer en conférence de presse la veille... Même avec des mesures massue que le gouvernement Legault évitera comme la peste - appliquer la Loi 101 aux cégeps, franciser l'immigration pour vrai, réellement imposer le français comme langue de travail - inverser le déclin serait lent et ardu...

Qu'on l'admette ou pas, la dynamique linguistique a toujours eu des allures de guerre ici, et ce, depuis plus de 200 ans. La langue française a été traitée en ennemi depuis la Conquête. Bon dieu, étudiez l'histoire. On a interdit notre langue au Canada-Uni de 1840, et les Canadiens français et Acadiens ont été persécutés dans toutes les provinces à majorité anglaise après la Confédération de 1867. L'objectif a toujours été clair: nous effacer comme peuple, comme nation, en nous anglicisant. Et nous en subissons toujours les séquelles en 2024.

Après un sursaut national à l'époque de la Révolution tranquille, qui nous a valu l'élection du PQ en 1976 et la Loi 101 l'année suivante, les coups de matraque fédéraux ont rétabli l'ordre. Les générations rebelles de fin du 20e siècle vieillissent et l'esprit de colonisé a nettement repris le dessus. De moins en moins de guerriers montent aux barricades pour défendre le français contre la vague oppressive et trop souvent haineuse qui rétrécit notre îlot gaulois nord-américain. Et nos gouvernants se rendent au front en pantoufles...

Dépenser des centaines de millions de dollars pour accroître et mieux encadrer l'offre de francisation à un nombre d'immigrants excessif ne donnera pas les résultats escomptés si l'on n'agit pas pour modifier les milieux où une forte proportion de ces arrivants feront face à l'omniprésence de l'anglais et finiront par hériter de préjugés tenaces et haineux envers «nous», envers notre culture et notre histoire. Pas besoin de leur faire un dessin pour comprendre que l'anglais domine en Amérique du Nord, au Canada et sur une grande partie de l'île et de la couronne de Montréal, et ailleurs (p. ex. Gatineau). La masse des francophones, loin de s'affirmer, se bilinguise à vitesse grand V. Chez les plus jeunes (et les moins jeunes), un «chiac» anglicisé corrompt de plus en plus le langage et l'écriture. Nous alimentons le mépris dont nous sommes victimes, au lieu de le combattre.

Pendant qu'il nous reste du temps et une majorité, il faut se tenir debout «sans jamais fléchir les genoux», comme le chante Jacques Michel. Il n'y a pas de façon amicale d'imposer le français. La nation, si elle doit survivre, doit faire la loi et la faire respecter. Au Canada, nous sommes minoritaires et les anglophones n'ont jamais raté une chance de nous le rappeler. Ils font les lois, nomment les juges, distribuent les dollars fédéraux, sabotent nos référendums et nous imposent une constitution. Nous devons en tirer des leçons. La majorité d'ici doit s'affirmer: le Québec sera français, tenez-vous le pour dit! Nous sommes chez nous, ici, depuis des siècles et la nation métissée dont nous sommes les héritiers a le droit de se perpétuer.

Si cela signifie que les nouveaux arrivants et les francophones n'auront  pas accès aux cégeps de langue anglaise, qu'il en soit ainsi. Si pour éliminer le «bonjour-hi» et les «hi» tout courts il faut mettre des commerces à l'amende, qu'on le fasse. Nous avons toujours ouvert les bras aux immigrants qui ont choisi de s'intégrer, en apportant du leur à notre parcours de petite nation francophone. Nous continuerons de le faire. Mais on doit cesser d'organiser des «love-in» pour ceux et celles qui nous méprisent et jouent les victimes à chaque fois que nous tentons de résister au bulldozeur anglo-américain. 

Au rythme actuel, le français perdra sa suprématie numérique au Québec d'ici un demi-siècle. Quand nous serons minoritaires et que les collectivités francophones hors-Québec auront à peu près disparu, le sort qui nous attend ne sera pas beau à voir. La désintégration de notre nation sera douloureuse. On voit déjà le précipice à l'horizon, droit devant, à Montréal, en Outaouais. Nous n'irons nulle part avec la CAQ. Il nous reste une élection. Celle de 2026. Une ultime chance de réaliser notre souveraineté culturelle et politique.


dimanche 28 avril 2024

Merci pour Sainte-Adèle, P.Q.



Parmi les hommages à Jean-Pierre Ferland que j'ai lus, vus ou entendus ce dimanche 28 avril 2024, personne n'a évoqué la chanson qui m'a non seulement fait découvrir et aimer son répertoire, mais qui constitue pour moi le chaînon essentiel entre le Ferland d'avant Charlebois et celui d'après Jaune. Une chanson qui, dans sa version originale, n'a été produite qu'en 45 tours puis incluse dans une compilation de 1972, et dont le nom est mal épelé sur l'un et l'autre*...

Je m'en souviens comme si c'était hier. C'était à l'automne 1969 et avec l'arrivée récente du Charlebois chevelu et de sa bande, je commençais à m'intéresser aux radios de langue française. J'étais Franco-Ontarien, accro des stations rock et rhythm and blues américaines, mais aussi indépendantiste, vibrant aux offrandes des Gilles Vigneault, Claude Léveillée, Claude Gauthier, Pauline Julien et Georges Dor.  Les chansons de Jean-Pierre Ferland, pas rock du tout et le plus souvent apolitiques, n'avaient rien pour m'attirer.

Puis, un bon matin, j'entends sur les ondes de la radio locale (CKCH? CJRC?) une mélodie accrocheuse avec juste assez de guitare électrique, de basse et de batterie pour m'inciter à poursuivre l'écoute. «Les arbres ont-ils de quoi mentir? Le ciel est-il plus haut qu'ailleurs? À Sainte-Adèle, PQ. La montagne a-t-elle un sourire et la rivière, quelques pleurs? À Sainte-Adèle, PQ. À Sainte-Adèle, PQ.» Ce n'était plus le Ferland des Fleurs de Macadam ni même celui du Je reviens chez nous de l'année précédente. Et pas encore celui de Jaune.

En 1968, on pressentait que le «chez nous» chanté par Jean-Pierre Ferland se situait quelque part dans le bassin du Saint-Laurent mais dans Je reviens chez nous les références géographiques sont françaises - Paris, Chamonix, la Seine, la Garonne... Avec Sainte-Adèle, P.Q., où son flirt avec le rock devient clairement matière à palmarès pour les radios pop, il est réellement revenu «chez nous», dans les Laurentides, «pour que je ne puisse passer un seul jour sans m'y retrouver», «pour que j'en parte sans partir, que je veuille tant y mourir».

Nos chansonniers avaient abondamment nommé le Québec, ses villes et ses villages dans leurs répertoires, mais il était inhabituel de voir une chanson portant le nom d'une petite ville québécoise concurrencer les Johnny Hallyday, Mireille Mathieu, Robert Charlebois et autres au sommet des palmarès de musique pop en 1969. Et ce martèlement des lettres «PQ» une dizaine de fois dans Sainte-Adèle, qu'on aurait traduit par «province de Québec» quelques années plus tôt, prenait une toute autre sonorité depuis la fondation récente du Parti québécois.

J'étais conquis. Cette chanson de Ferland incarnait parfaitement la nouvelle fierté qui façonnait le Québec d'après-Révolution tranquille, y compris la fierté de chanter ce que nous sommes, de nommer nos lieux en chanson à la face du monde, s'il le faut en déviant des sentiers battus comme l'a fait celui qui accoucherait d'un album encore plus novateur, Jaune, l'année suivante, en 1970. J'ai souvent fredonné Sainte-Adèle, PQ au fil des décennies, m'imaginant à chaque fois le Québec que j'espérais à mes 23 ans, vu des sommets et vallées de nos pays-d'en-haut, «la tête dans les cerisiers, en été, la tête dans les sapins verts, en hiver». Cette chanson trop souvent négligée conserve toute sa puissance en 2024.

Je ne sais pas ce que Jean-Pierre Ferland pensait de cette composition mais pour moi, ce fut une clef pour déverrouiller l'ensemble de son oeuvre, une porte ouverte qui me poussa à débusquer ses vieux albums Mono chez des disquaires d'occasion et à dévorer Jaune, SoleilLes vierges du Québec et les autres par la suite. Si, à son décès, Jean-Pierre Ferland est allé un peu plus haut, un peu plus loin, son esprit rôde peut-être aux alentours de Sainte Adèle, P.Q. où «le ciel est plus haut qu'ailleurs».

Palmarès du 2 novembre 1969 dans «Le petit Journal»

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* Sur le 45 tours, on écrit Ste. Adèle au lieu de Sainte-Adèle, et sur le 33 tours on écrit St Adèle, au masculin... Et la version disponible sur Internet est une réédition où la basse électrique et la batterie sont absentes...


mercredi 24 avril 2024

Desjardins: des $$$ pour des pubs insipides sur fond de fermetures...



Vous avez vu ces publicités de Desjardins qui roulent sans arrêt à la télé depuis au mois quatre mois? Celle du gars qui regarde un match à la télé avec un chien déguisé en joueur de hockey et sa conjointe servile qui change l'uniforme du chien sur demande? Ou la pub de cette femme qui lance «As-tu le jus de tomate?» à son chum éberlué et ses enfants pour les renvoyer au tohu-bohu du supermarché une seconde fois pendant qu'elle roupille dans sa voiture sur un fauteuil inclinable? (Regardez-les - les liens sont en bas de page).

Mas quel genre de public visent ces messages télévisés, apparemment liés à l'habitation? Desjardins nous prend-il, tous et toutes, pour des imbéciles? Poser la question, ces jours-ci, c'est un peu y répondre quand on voit notre grande coopérative fermer des centres de service et des guichets un peu partout sans même consulter les «membres», qu'on traite d'ailleurs comme des moins-que-rien en leur lançant un charabia d'excuses qui n'ont rien de très clair. Mais revenons à ces publicités...

Combien d'argent, pensez-vous, faut-il investir pour concevoir, réaliser et diffuser des milliers de fois ces messages publicitaires de gars-avec-chien-en-gilet-de-hockey-de-la-bonne-couleur et de femme-égoïste-et-sans-allure-dans-son-char? Je n'en ai aucune idée mais ça doit coûter pas mal plus cher que de conserver le guichet automatique de Luskville (en Outaouais) ou d'entretenir le centre de services de St-Fabien (Bas Saint-Laurent). On doit payer l'agence qui fera la conception des pubs, la maison de production et les «acteurs», et peut-être surtout, les innombrables heures de temps d'antenne nécessaires pour passer à répétition on ne sait trop quel message. La facture est-elle de 100 000 $? Plus? Bien plus?

Une chose est sûre. Notre historique mouvement coopératif, nos caisses jadis populaires se donnent des allures de banque. Tout ce qui a fait de nos caisses ce qu'elles étaient devenues est maintenant à la dérive, y compris - et surtout - l'esprit coopératif qui animait toutes ces gens qui, depuis plus d'un siècle, avaient travaillé d'arrache-pied pour créer dans nos villes et villages ces outils économiques indépendants des usuriers bancaires, qu'on ferme aujourd'hui avec un mépris total pour les plus de cinq millions de membres de Desjardins.

Je ne vis pas au 19e siècle. Je travaille avec des ordis et des tablettes depuis le début des années 1980 et je suis enthousiaste devant toutes les possibilités et la plus-value offertes par l'ère numérique. Mais je redoute aussi avec raison ses excès et sa prétention de remplacer le contact humain et la maniement d'objets physiques (guichet, argent comptant] par un recours quasi total à des cartes plastifiées ou des écrans de cellulaires, de tablettes et d'ordinateurs. On s'aperçoit déjà dans les écoles des dégâts causés par l'omniprésence des écrans. On finira aussi par le constater dans notre mouvement coopératif mais peut-être alors sera-t-il trop tard.

Desjardins vient d'annoncer une nouvelle ronde de fermetures de centres de service et de guichets, cette fois dans le Bas Saint-Laurent. Il y a quelques semaines, c'était le guichet du coeur francophone de la municipalité de Pontiac (Luskville) en Outaouais. Et partout on nous lance la même boue pour justifier la disparition d'une présence physique historique des caisses jadis populaires Desjardins. Les excuses qu'on nous offre sont dignes d'un ministre des Finances qui défend avec des arguments embrouillés les motifs d'impôts accrus ou de déficits imprévus. La meilleure, et celle-là on l'entend à chaque fois qu'on met des employés à la porte ou qu'on envoie au recyclage un guichet automatique: seulement 1% des transactions des membres sont désormais effectuées à la caisse même et 3% aux guichets... Mais ça veut dire quoi?

Ça, on ne le dit pas. Si j'utilise ma carte Visa Desjardins une soixantaine de fois par mois, que mes factures d'électricité, de câble, d'assurances, etc. sortent directement de mon compte, sans compter toutes les transactions diverses passant par Desjardins, mais que je me rends à la caisse en personne deux fois par mois et au guichet deux ou trois fois par mois, je suis dans le 1% et le 3% de la propagande des dirigeants de Desjardins. Combien d'autres font comme moi? Des pourcentages, ça ne dit absolument rien du nombre véritable de membres qui se rendent physiquement à la caisse jadis pop ou au guichet pour effectuer des transactions devant des humains ou pour obtenir de l'argent comptant. Ça ne dit rien de leur âge non plus. 

Jusqu'à l'an dernier, j"avais un livret de caisse que je mettais à jour régulièrement au guichet ou parfois même à la caisse, devant le regard étonné du caissier ou de la caissière qui me rappelait que j'aurais pu aller au guichet automatique. C'est rendu difficile aujourd'hui de voir des humains, répondais-je, et pour pouvoir continuer à le faire, je dois aider à sauver votre emploi. J'appelle ça un petit morceau de l'esprit coopératif que Desjardins s'acharne à détruire. Aujourd'hui, je reçois par la poste un compte-rendu mensuel de mes transactions. Cela coûte le papier, l'impression, a manutention et le coût de l'envoi postal... Et l'abandon du livret a aussi pour effet de diminuer le nombre de fois où les membres ont recours aux services des guichets et des caisses. Un clou de plus dans le cercueil.

À chaque fermeture, on entend invariablement un innocent comme moi s'exclamer: mais voyons, les caisses sont censées appartenir à leurs membres. On ne m'a pas consulté... Là on touche au coeur du problème, au péché mortel de Desjardins. Dans mon ancienne paroisse, au début des années 1940, des centaines de personnes d'origine modeste s'étaient réunies pour fonder une coopérative d'épargne et de crédit pour se donner un levier économique (en français) indépendant des grandes banques. Les membres étaient attachés à leur caisse populaire de taille humaine, s'y rencontraient, l'encourageaient, assistaient aux assemblées. Comme partout au Québec et même ailleurs au Canada. C'était l'âme du mouvement, et c'est cette âme que Desjardins-se-donnant-des-allures-de-banque démantèle depuis des décennies en abolissant des caisses locales, en fusionnant le reste et en privilégiant le numérique au détriment de l'humain et du coopératisme.

Une coopérative ne se conçoit pas sans participation des membres, sans une vie coopérative. Au lieu d'éloigner les membres des centres de service, les caisses Desjardins devraient favoriser leur présence. Prévoir des locaux pour des activités (assemblées, conférences, colloques, etc.), utiliser les fonds à sa disposition pour animer l'esprit coopératif régional (fonder de nouvelles coops - alimentation, habitation, etc.). Desjardins donne des millions chaque année à des oeuvres de bienfaisance et c'est tant mieux. Mais combien les caisses investissent-elles dans le développement coopératif régional? Vous souvenez-vous de la dernière campagne publicitaire nationale pour vanter les mérites du coopératisme et en faire la promotion? Dans le contexte actuel, une telle campagne relèverait de l'indécence.

On me dire sans doute, comme depuis mon enfance, que je rêve en couleurs. Et je dirai, comme depuis mon enfance, merci! Le jour où j'arrêterai de rêver en couleurs, de me rebeller contre ce que je perçois comme l'injustice, de m'indigner contre le mépris qui nous entoure, ce jour-là on m'enterrera. Mais contrairement à ce Desjardins en voie de devenir monstre, je n'aurai pas perdu mon âme.

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Lien à la pub # 1- https://www.youtube.com/watch?v=oHKjEvQNJ-8

Lien à la pub # 2 - https://www.youtube.com/watch?v=kAxnS2bQSpQ


jeudi 18 avril 2024

Les Acadiens et le serment d’allégeance… de 1755 à 2024…

Capture d’écran d’ONFR

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Les images des trois mousquetaires péquistes, Paul St-Pierre Plamondon en tête, se faisant interdire l'accès à l'Assemblée nationale pour avoir refusé de prêter serment d'allégeance au roi Charles III, ont fait le tour du monde en décembre 2022. Leur entrée au Salon bleu après l’adoption d’un projet de loi mettant fin à cette exigence colonialiste fut tout aussi médiatisée.

Au-delà du débat éternel sur les rapports entre les Québécois francophones et la monarchie britannique, cet épisode historique mettait en lumière la capacité d’un peuple de prendre ses propres décisions quand il est majoritaire sur son territoire et à sa législature. Un pouvoir dont nous sommes privés dans un pays anglo-majoritaire comme le Canada.

À preuve, l’effort  rabroué de rendre optionnel le serment de fidélité monarchique au Parlement fédéral, initiative du député acadien René Arseneault, devenu l’écho dramatique du traitement réservé aux parlant français de ce pays depuis les conquêtes britanniques du 18e siècle. Pour les ressortissants de l’Acadie, le serment au roi brûle comme un fer rouge dans une plaie mal cicatrisée. À partir de 1755, les Anglais avaient répondu au refus des Acadiens de prêter serment à leur monarque par une déportation génocidaire.

Avec l’arrivée de la Confédération en 1867, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB) avait créé une obligation constitutionnelle de jurer fidélité au monarque pour pouvoir siéger au Parlement fédéral. Les députés québécois, qui n’ont jamais apprécié cette génuflexion colonialiste, peuvent au moins se réjouir que leurs homologues de l’Assemblée nationale s’en soient débarrassés. Mais pour les Acadiens, cela reste et restera un rappel douloureux des odieux Monckton, Lawrence et semblables… mais aussi de leur impuissance minoritaire.

Seule une poignée de députés acadiens siègent à la Chambre des Communes. Ils ne peuvent rien contre l’écrasante majorité anglophone qui occupe les bancs du gouvernement et de l’opposition. Même avec l’appui de la totalité des voix francophones (70 ou 75 des 338?) et des grappes républicaines du Canada anglais, le Parlement canadien reste acquis à la monarchie britannique… René Arseneault, fort d’un impitoyable réquisitoire contre 300 années d’oppression et d’injustice, ne plaidait pas seulement pour le droit de refuser de s’agenouiller devant Charles III, mais aussi - et surtout - pour le retrait d’une exigence qui avait valu à son peuple le déracinement et la déportation.

Mais il était seul, ou presque. Il a même été trahi par ses deux collègues ministres, Dominic LeBlanc et Ginette Petitpas, qui se sont opposés au projet de loi de René Arseneault sur l’ordre scandaleux d’un Québécois, Justin Trudeau, qui s’est souvenu qu’à titre de premier ministre du Canada, il incarne la majorité anglophone et son héritage francophobe. Le temps d’un vote, Trudeau, LeBlanc, Petitpas et les autres ministres collabos ont symboliquement endossé les anciens «habits rouges», envoyant promener (au sens figuré cette fois) les descendants de ces Acadiens qui avaient, au 18e siècle, refusé coûte que coûte de jurer fidélité à la Couronne britannique. Et pour doubler le tort d’un affront, on leur a chanté le God Save the King en pleine face, à la Chambre des Communes… 

Ce jour de honte doit servir à rappeler que les minorités n’ont aucun pouvoir contre une majorité hostile. Et que si la tendance se maintient, ce qu’on a fait à René Arseneault et aux Acadiens, on le fera un jour aux Québécois… et on nous infligera le God Save The King au Salon bleu… Vivement la souveraineté avant que notre majorité déclinante nous prive du droit de décider…

jeudi 4 avril 2024

La «job» du fédéral de sauver l'Ontario français?

Capture d'écran d'ONFR

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J'ai lu des milliers de citations de dirigeants franco-ontariens au fil des décennies, mais je dois avouer que celle-ci m'a laissé bouche bée. Être militant de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario, j'exigerais une prompte rétractation ou carrément la démission de l'auteur de cette déclaration, le président de l'AFO en l'occurrence...

Prenez bien le temps de décortiquer ce qu'a dit Fabien Hébert, selon un texte du journaliste d'ONFR, Pascal Vachon (voir lien en bas de page):


Deux énormités sautent aux yeux.

La première: le sous-financement fédéral des organismes de l'Ontario français mettrait «en péril la survie de notre communauté franco-ontarienne». Ai-je bien compris? Des centaines de milliers de Franco-Ontariens risquent de perdre langue et culture parce qu'Ottawa refuse de donner 22 millions $ de plus au cours des quatre prochaines années à une centaine ou plus d'organismes francophones d'un bout à l'autre de la province? 

Ce que cela suggère plutôt, c'est que la structure organisationnelle de l'Ontario français, ou ce qui en reste hors des conseils scolaires, des caisses jadis populaires et de l'hôpital Montfort, tient avec «la broche» de Patrimoine canadien, faute d'appuis dans des collectivités qui s'anglicisent à la vitesse grand V. Je ne serais pas surpris d'apprendre que 90% des Franco-Ontariens n'ont jamais entendu parler de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario ou de son acronyme, l'AFO.

Ce ne fut pas toujours le cas. Quand j'ai commencé à militer dans les mouvements de l'Ontario français aux milieu des années 1960, l'ancêtre de l'AFO (alors appelé ACFEO pour Association canadienne-française d'éducation de l'Ontario) était en bonne partie financé à même les souscriptions et dons de milliers de citoyens dans une centaine de localités - d'Ottawa à Sudbury, de Blind River à Hawkesbury, de Cornwall à Windsor, de Hearst à Penetang. On cueillait des sous dans les écoles, les paroisses, les maisons. En 1965, les seules subventions gouvernementales ont été versées par l'Ontario (1085 $) et le Québec (30 $)... Le vaisseau amiral de la Franco-Ontarie était porté par une base citoyenne depuis sa fondation à l'époque du Règlement 17.

Au cours du dernier demi-siècle les taux d'assimilation se sont intensifiés, dépassant les 50% dans plusieurs régions, les quartiers urbains franco-ontariens ont disparu, le sentiment d'appartenance à une communauté nationale s'est effrité, pour ne laisser trop souvent que des structures avec des bureaux et des permanences qui tentent de sauver les meubles avec les maigres millions $ du fédéral. L'insuffisance des subventions d'Ottawa ne menace pas la survie des Franco-Ontariens, déjà compromise, elle menace de détruire ces façades qui dissimulent l'agonie d'une collectivité de plus en plus réduite au rang de groupe ethnique parmi tant d'autres... comme à Greenstone (voir lien en bas de page). 

La deuxième: «Les politiciens et Patrimoine canadien ne font pas leur job d'assurer la survie de la communauté linguistique francophone de l'Ontario.» Ai-je bien compris? Que la survie de la collectivité francophone de l'Ontario fait partie des tâches du ministère fédéral Patrimoine canadien? Je veux bien croire qu'en vertu de la loi sur les langues officielles, Patrimoine canadien doit intervenir à coups de millions pour favoriser l'épanouissement des minorités francophones, y compris les Franco-Ontariens, mais le ministère fédéral ne peut absolument rien contre les principaux facteurs d'anglicisation dans la société, à l'école, au travail, dans les commerces, les médias, les loisirs. On pourrait argumenter que c'est en partie sa job de donner un coup de main financier à ceux et celles qui interviennent sur le terrain, mais pas d'intervenir à leur place. Ça c'est la job de l'AFO et de ses membres dans les différentes régions de l'Ontario.

Par ailleurs, je trouve ironique qu'on puisse croire qu'un ministère fédéral ou que le gouvernement fédéral lui-même puisse se donner comme tâche de sauver la francophonie. Le gouvernement fédéral est l'incarnation de la nation anglo-canadienne très majoritaire, souvent francophobe, et les miettes arrachées dans un texte comme celui de la Loi sur les langues officielles sont davantage des concessions à la menace souverainiste québécoise qu'aux supplications des minorités acadiennes et canadiennes-françaises. Toujours, partout, les décisions appartiennent à la majorité anglophone du Canada. Les francophones peuvent négocier, menacer, quémander mais jamais décider. Alors croire qu'Ottawa puisse vouloir sauver l'Ontario français, c'est prendre ses rêves pour la réalité. Le federal government demeurera toujours une partie du problème, pas de la solution.

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Lien au texte de Pascal Vachon, d'ONFR - https://onfr.tfo.org/organismes-franco-ontariens-federal-financement-francophonie-langues-officielles/

Lien au texte: Greenstone... le drapeau franco-ontarien méprisé... https://lettresdufront1.blogspot.com/2024/02/greenstone-remet-les-franco-ontariens.html

samedi 30 mars 2024

Gatineau... Élection au pays de la peur...


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Peu importe le nombre de candidats et candidates au remplacement de France Bélisle à la mairie de Gatineau, j'ai la quasi certitude qu'on parlera abondamment de logement, de transport en commun, de gestion et de taxes. Il est cependant un thème qui brillera par son absence: la situation précaire du français dans la quatrième ville du Québec.

Certains s'abstiendront d'en parler par ignorance. D'autres feront semblant de ne pas savoir. D'autres l'éviteront comme la peste. De fait, le sujet est tabou ici, aux frontières de l'Ontario. Les élus municipaux, qui ne s'en souciaient pas avant, ne s'inquiéteront pas davantage maintenant, ni à l'avenir, de l'érosion de la langue commune du Québec. Les francophones de Gatineau sont des grenouilles (français pour frog) dans une eau chaude qui deviendra bouillante bientôt...

Les Gatinois, surtout dans le vieux Hull, ont pourtant vu l'historique secteur francophone de la Basse-Ville d'Ottawa, juste en face, s'angliciser à coups de bélier et d'expropriations en une génération. Le réveil vigoureux des Franco-Ontariens dans les années 1970 est venu trop tard. Pas que cela aurait fait une grande différence avec un conseil municipal francophobe... Mais qu'en est-il à Gatineau alors que tous les jours, quelques buches s'ajoutent aux braises sous notre marmite d'eau fumante?

Les tours d'habitation montent à vue d'oeil dans les secteurs riverains du centre-ville de Gatineau, devenus aux yeux des Ontariens une extension d'Ottawa où ils peuvent vivre, comme avant, en anglais. Le Vieux Hull, jadis à 90% francophone, l'est désormais à moins de 60% et à chaque maison allumette qu'abattent des promoteurs immobiliers aux yeux en signe de piastre, le visage français historique de ce quartier se fissure.

Passe encore si les nouveaux arrivants s'intégraient à la majorité francophone, mais pour la plupart, ils se présentent dans les commerces et dans les bureaux municipaux en parlant anglais, sur un ton qui n'invite pas la réplique. Et la plupart des francophones, bilingues bien sûr, se feront un devoir de les accommoder dans leur langue. Déjà qu'on accepte de se faire servir en anglais dans des commerces unilingues et qu'on ne cligne pas de l'oeil devant les multiples violations de la Loi 101 dans l'affichage commercial...

Quand les francophones seront minoritaires dans le centre-ville de Gatineau, et cela ne devrait guère tarder (quelques recensements?) il sera trop tard. Les grenouilles seront mortes, ébouillantées. Mais on ne parle pas de cela. On se presse de féliciter les Franco-Ontariens qui se battent pour sauver les meubles mais tout le monde, ici à Gatineau, sait que les défenseurs du français sur la rive québécoise ne sont qu'une bande de séparatistes xénophobes. Manifester de l'«ouverture» envers les anglos en leur permettant d'évoluer ici comme en Ontario, c'est vivre à genoux, en colonisé, jusqu'à ce jour, pas si lointain, où l'on érigera des monuments bilingues à la mémoire des anciennes grenouilles.

Y aura-t-il quelqu'un, dans cette campagne menant à l'élection d'un nouveau ou d'une nouvelle maire le 9 juin, pour parler d'identité linguistique et culturelle? Je l'espère sans trop d"espoir. Y aura-t-il quelqu'un sur les tribunes pour exprimer en public cette réalité d'anglicisation à vitesse grand V, pour demander qu'on en fasse tout au moins un débat, qu'on mette suffisamment de ressources pour brosser un portrait de l'état de notre francophonie dans un document officiel de la municipalité, qu'on cesse d'avoir peur de s'affirmer devant des anglos qui, eux, n'ont aucunement peur de s'affirmer devant nous?

Mais j'oubliais. Nous sommes ici au pays de la peur. Si le passé est garant du présent, personne n'osera mettre à l'avant-scène la question du français durant cette campagne à la mairie. Ni les libéraux déguisés en indépendants, ni Action-Gatineau. Seulement quelques vieux ex-Franco-Ontariens comme moi qui ont vécu le résultat de l'inaction collective, et une poignée d'autres qui ont appris à lire «les signes du temps». 

Enfin, Joyeuses Pâques tout de même en attendant ce lundi poisson d'avril...

jeudi 28 mars 2024

Assurance dentaire, locataires, etc... Feu le fédéralisme...

Capture d'écran du site Web de L'Actualité

Ne vous surprenez plus des incursions fédérales de plus en plus fréquentes dans les champs de compétence des États fédérés (appelés aussi provinces). Depuis le jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire de la taxe carbone le 25 mars 2021, Ottawa a le feu vert pour agir à sa guise si un enjeu devient, à ses yeux, «d'intérêt national»... Et vous savez de quelle «nation» parlent les suprêmes fédéraux... certainement pas la nôtre! 

La notion d'«intérêt national» n'existe pas dans la Constitution canadienne. Elle a été inventée comme concept constitutionnel par la Cour suprême du Canada. Et croyez-moi, le mot «national» ou l'expression «intérêt national» ne désignent jamais, mais au grand jamais, la nation québécoise. Quand un sujet devient «national» pour la plus haute cour du Canada, sa portée est pan-canadienne. La «nation», c'est le Canada, une nation à forte majorité anglophone. Au mieux, les enjeux québécois sont «provinciaux», voire «locaux».

De tout temps, le fédéral se sert de son «pouvoir de dépenser» illimité pour s'ingérer dans les priorités et programmes des États fédérés. Mais cela ne changeait rien à la répartition constitutionnelle des compétences entre Ottawa et les provinces. Le jugement de 2021 sur la taxe carbone permet au fédéral à la fois d'envahir et d'accaparer des compétences jusque là réservées aux État «provinciaux» en décrétant un enjeu «d'intérêt national». Les juges d'Ottawa ont été très clairs à cet égard: «L'effet de la reconnaissance d'une matière en tant que matière d'intérêt national est permanent et confère compétence exclusive au Parlement (fédéral) sur cette matière».

Alors si Justin Trudeau et ses alliés, agissant au nom d'une majorité anglo-canadienne de tendance nettement centralisatrice, décident que l'assurance dentaire et la création d'une Charte canadienne des locataires sont des matières «d'intérêt national», les carottes sont cuites. Le premier ministre fédéral a bien lu la décision de 2021 des suprêmes. Le Devoir rapportait le 27 mars ce qui suit: «Questionné par une journaliste sur la pertinence d'empiéter à nouveau sur les compétences des provinces, M. Trudeau a répondu que la crise du logement touchait tout le pays.1» La question est ainsi jugée «d'intérêt national»... Ce domaine appartient donc à Ottawa, dorénavant. Oust, le Québec... 

Les jugements de la Cour suprême, émis avec l'autorité de la Charte de 1982 qu'on nous a enfoncée dans la gorge après la nuit des longs couteaux, lui donnent toute latitude pour envoyer paître François Legault et la «nation québécoise» dont il affirme être le chef. Les décisions des juges suprêmes d'Ottawa sont sans appel pour le Québec, qui se trouve alors devant un mur de béton insurmontable dans le régime actuel. À bien des égards, depuis la décision de 2021, le fédéralisme n'existe plus. Comme le disait le juge dissident Russell Brown, Ottawa pratiquera maintenant un fédéralisme de supervision des provinces, désormais constitutionnellement inférieures.

La quasi-totalité des fédéralistes, les nôtres et les autres, ne comprenant pas grand chose aux principes mêmes d'un régime authentiquement fédéral, seuls les indépendantistes québécois proposent une stratégie politique permettant de contrer l'envahissement d'Ottawa, en attendant bien sûr de réaliser la souveraineté. Les provinces à majorité anglophone reconnaissent toutes au fédéral le statut de gouvernement «national» du pays. L'emploi de l'expression «intérêt national» par la Cour suprême est parfaitement compris et accepté au Canada anglais. L'idée de constitutionnaliser un concept d'intérêt national québécois n'effleure même pas l'esprit de la majorité anglo-canadienne.

La Constitution est toujours la loi fondamentale d'un État. La plus importante. Celle que toutes les autres lois doivent respecter.  Et pourtant, personne ne veut en parler. Ni l'opinion publique ni les gouvernements. L'idée de renégocier les textes constitutionnels rebute. Et pourtant, ce sont ces mêmes textes, imposés en 1982 par une coalition d'Anglo-Canadiens et collabos québécois, qui permettent aujourd'hui à Ottawa d'envahir nos champs de compétence, d'attaquer en justice nos lois lois sur la laïcité et sur la protection du français, et de dresser des obstacles judiciaires devant toutes nos tentatives d'affirmer les traits distincts de notre nation. Il n'y a qu'une seule porte de sortie: le refus d'obéir (à coups de nonobstant ou pire) aux textes constitutionnels adoptés sans notre consentement, et un cheminement - le plus rapide possible - vers l'indépendance.


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1- Lien au texte du Devoir - https://www.ledevoir.com/politique/canada/809814/trudeau-veut-creer-charte-canadienne-locataires