vendredi 31 mai 2024

Au fond des yeux, la peur!

Comme le reste de la planète, hier 30 mai, j'attendais avec impatience le verdict dans le procès historique de Donald Trump, me demandant ce qui serait pire: culpabilité ou acquittement?

Finalement, devant un juge coriace et douze jurés dont je salue la bravoure, les injures et les provocations de l'ancien président des États-Unis n'ont pas eu l'effet escompté. Coupable! Pour les 34 chefs d'accusation!

Je me suis rué sur mon téléviseur et sur ma tablette pour entendre les reportages et commentaires, notamment sur les réseaux américains, CNN surtout, et quelques chaînes YouTube.

Après deux heures d'écoute où chacun, chacune y allait de son point de vue, le plus souvent informé, j'avais le sentiment étrange que tout ce beau monde cachait quelque chose...

Finalement, j'ai flairé ce qui me dérangeait. Derrière les mines tantôt réjouies, tantôt sérieuses, derrière les efforts poreux d'objectivité suintait la peur. Une véritable peur émanant des tripes, qu'on ne dit pas, qu'on ne nomme pas, mais qu'on peine à cacher.

Ces analystes qui décortiquent le processus judiciaire, qui tentent de prédire les effets du verdict de culpabilité sur l'opinion publique et, ultimement, sur l'élection présidentielle sont glacés de terreur.

Tous et chacun, dans les recoins les plus sombres de leurs cerveaux, entrevoient le jour où les hordes de Trump, au pouvoir ou en insurrection, les forceront à monter aux barricades pour sauver ce qui reste de démocratie.

Ils savent que Donald Trump est fou à lier, qu'il a une âme de dictateur, et qu'il voudra se venger du juge, du juré, des médias et du président Biden qu'il tient responsable de ses malheurs actuels.

Mais pire, l'ancien président dirige le Parti républicain comme une secte où les fidèles suivront aveuglément les consignes du chef. Ce parti est devenu une organisation criminelle et compte sur l'appui de près de la moitié de la population américaine.

Trump a déjà fomenté une insurrection dans les derniers jours de sa présidence, en janvier 2021 et ses troupes de choc ont déjà fait des morts dans l'attaque du Capitole.

On sait qu'il recommencera, que ses disciples fanatisés, même les élus au Congrès, se laisseront entraîner dans la violence. Son langage est déjà violent: le libelle diffamatoire est son pain quotidien. Et ses partisans en rajoutent. La haine est au menu.

Avec Trump, on est ami ou ennemi. Il n'existe pas de neutralité. Ce qui range la plupart des médias dans le camp des adversaires de Donald J. Trump. L'horreur se profile à l'horizon à mesure que le ton monte.

Personne n'ose trop soulever la question aux heures de grande écoute, mais nous assistons à un début de guerre civile aux États-Unis. Tout dialogue raisonnable apparaît désormais impossible parce que Trump a depuis longtemps perdu la raison.

Alors j'ai la conviction que les chefs d'antenne de CNN, derrière leurs complets cravate, leurs tailleurs et leurs efforts de paraître décontractés, s'imaginent déjà par moments vêtus de kaki, fusil en bandoulière, luttant pour empêcher l'inimaginable de se produire.

Près de la moitié des Américains croient que le président actuel a détourné le système judiciaire pour s'en servir comme arme contre leur chef, saint et martyr, Donald Trump. Aucun fait, aucune vérité ne réussira à les convaincre du contraire.

Le régime est sérieusement fissuré et ce que fomente Trump risque de le fracasser. Et il n'y a rien que les adversaires de Donald Trump puissent faire pour colmater les fissures. L'apaisement ne fonctionnera pas. Ne fonctionne jamais. Reste l'affrontement.

C'est ce que j'ai compris en lisant entre les lignes des reportages et des interviews. Au fond des yeux de toutes ces bonnes gens qui paradent sur les grandes chaînes d'information brûle une étincelle. La PEUR!

Auront-ils, auront-elles le courage de la surmonter?


mardi 28 mai 2024

Les faux francophones…

Capture d'écran du site Internet de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario

---------------------------------------------------------------------

La semaine dernière, un certain nombre de députés libéraux non francophones (unilingues anglais, de fait) se sont inscrits à l'Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) pour gonfler les rangs de ceux et celles qui favorisaient le maintien de leur collègue franco-ontarien Francis Drouin à la présidence de la section canadienne de l'APF. On sait pourquoi...

Ce recours à de faux francophones comme levier stratégique a été dûment noté par la presse de langue française parce qu'il était flagrant. Mais ce stratagème n'est pas unique au milieu parlementaire. Dans un pays où les francophones sont minoritaires partout à l'extérieur du Québec, le dénombrement revêt un caractère essentiel. Pour obtenir des écoles, des services, pour faire respecter des droits, rien ne remplace en bout de ligne la force du nombre.

Le problème, évidemment, c'est que le français décline partout, même au Québec. Les recensements fédéraux en font état avec une précision chirurgicale à tous les cinq ans. Dans l'univers du «là-où-le-nombre-le-justifie» des francophones hors Québec, une chute des effectifs met en péril tout l'appareil de soutien à la francophonie. Il ne reste qu'une issue aux organisations de langue française: mentir, ou tout au moins dissimuler! Inventer des milliers de francophones là où il n'y en a pas. C'est plutôt facile dans un pays où à peu près personne - même au sein des médias - ne lit les colonnes de chiffres des recensements.

On en a eu la preuve dans le récent débat autour du brouhaha récent au Parlement après que le député libéral franco-ontarien Francis Drouin eut traité d'extrémiste et de plein de marde un témoin québécois au comité des Langues officielles, Frédéric Lacroix, pour avoir affirmé un lien de cause à effet entre fréquenter un collège ou une université anglais et la probabilité de travailler et de vivre en anglais.

Seulement deux organisations de la francophonie hors Québec, l'AFO (Franco-Ontariens) et l'ACFA (Franco-Albertains) sont intervenues par voie de lettre publique, celle des francophones de l'Ontario au comité fédéral des Langues officielles, celle de la francophonie albertaine au chef du Bloc québécois. Aucune des deux lettres n'abordait le fond du débat, c'est-à-dire le rapport entre étudier en anglais et vivre en anglais (voir liens en bas de page).

Mais il ne s'agit pas de décortiquer l'argumentaire ici. Ce sont plutôt leurs affirmations concernant l'importance de la minorité de langue française dans leur province respective. L'AFO se disait porte-parole de 795 760 Franco-Ontariens, pendant que l'ACFA évoquait l'existence de 261 000 «Albertains d'expression française». Quand on songe au fait que Statistique Canada n'a dénombré en 2021 qu'un million de personnes de langue maternelle française dans les neuf provinces et trois territoires anglo-dominants, on se demande quoi faire des prétentions de l'AFO et de l'ACFA, qui se proposent comme porte-parole à elles seules de près de 1 060 000 francophones...

Les journalistes de 2024, aux prises avec une heure de tombée immédiate depuis que les partisans du tout numérique ont relégué l'imprimé à l'arrière-plan, ont généralement moins de temps pour vérifier l'information reçue et le chef des nouvelles qui veut mettre un texte en ligne avant les concurrents ne verra pas d'un très bon oeil son scribe en train de fouiller dans les labyrinthes de Statistique Canada pour savoir s'il y a ou non 800 000 Franco-Ontariens. Il prend le plus souvent la parole de l'AFO comme vérité d'évangile et va au plus pressé. Avec des résultats prévisibles.

Selon le recensement le plus récent (2021), environ 525 000 Ontariens se disent de langue maternelle française (première langue apprise et encore comprise), et à peine 292 000 ont le français comme langue d'usage (langue la plus souvent parlée à la maison). Cette dernière étant considérée comme le meilleur reflet de la réalité, nous sommes très loin de 800 000 Franco-Ontariens. Même chose pour l'Alberta, où l'on trouve environ 75 000 personnes de langue maternelle française, et près de 28 000 francophones selon le critère de la langue d'usage.

D'où vient le chiffre de 261 000 avancé par l'ACFA? Il inclut tous les Albertains anglophones et allophones capables de s'exprimer en français. Sur son site Web, l'ACFA avoue entendre par «francophone» toute personne parlant français. Elle ajoute donc à la colonne des francophones près de 200 000 anglophones bilingues qui ne devraient pas y figurer. Pensez-y un instant. Si les anglos imitaient l'ACFA, ils incluraient comme anglophones tous les Franco-Albertains capables de s'exprimer en anglais (plus de 95%). Selon cette méthode, du point de vue des anglophones, il ne resterait dans la colonne des francophones que les 3 000 unilingues français... Ça n'a aucun sens!

L'organisme franco-albertain refait le coup, à un moindre degré, avec la langue de travail, le sujet qui l'oppose au chef du Bloc Québécois. Ce dernier avait malheureusement déclaré que seulement les profs de français travaillaient en français en Alberta. Une erreur que l'ACFA s'est empressée de dénoncer avec des chiffres pas très clairs. Elle parle de «25 000 personnes qui travaillent au quotidien en français» en Alberta. Selon Statistique Canada, c'est plutôt 22 000, et de ce nombre,  à peine 6 000 travaillent uniquement ou surtout en français. Les autres utilisent le français «à égalité» ou «régulièrement». Et de ceux qui utilisent surtout le français à l'ouvrage, plus de la moitié proviennent du secteur de l'enseignement. Ainsi, il serait utile de savoir que près de 14 000 des 22 000 travaillent surtout en anglais...

Je ne blâme pas les dirigeants des organisations francophones hors Québec de s'armer de cohortes de faux francophones pour impressionner des médias qui, le plus souvent, manifestent envers eux une indifférence coupable. Les combats qu'is mènent pour protéger et promouvoir la langue française dans des milieux hostiles relèvent de l'héroïsme. Mais il y a des limites. Même un journaliste peu informé devrait voir la contradiction entre l'affirmation de la vitalité et du dynamisme d'une collectivité dont les taux d'anglicisation dépassent parfois les 60%, et comprendre les différences entre les collectivités francophones hors Québec et les organismes qui parlent en leur nom.

Dans ce fol effort de propulser des nouvelles à toute vitesse sur Internet, nos salles de presse de plus en plus dégarnies ont tendance à devenir trop souvent des courroies de transmission.

--------------------------------------

Liens

La lettre déshonorante de l'AFO - https://lettresdufront1.blogspot.com/2024/05/la-lettre-deshonorante-de-lafo.html

Lettre de l'ACFA au chef du Bloc québécois - https://acfa.ab.ca/lettre-ouverte-de-la-presidente-de-lacfa-au-chef-du-bloc-quebecois/


lundi 27 mai 2024

Les médias et Francis Drouin - quel gâchis!

Capture d'écran de mon compte X-Twitter du 22 mai 2024

------------------------------------------------------------------

Justement, j'y reviens!

Vous vous souvenez de «l'incident» survenu le lundi 6 mai au comité des Langues officielles de la Chambre des Communes?

Le député franco-ontarien Francis Drouin avait traité d'«extrémiste» et de «plein de marde» le chercheur Frédéric Lacroix, après que ce dernier eut témoigné du lien entre le fait - pour un francophone ou un allophone - d'étudier en anglais au post-secondaire et la probabilité accrue de travailler et de vivre par la suite en anglais.

La couverture médiatique de langue française a été relativement abondante, mais lamentable par ses omissions en axant textes et reportages sur la vulgarité du langage employé par M. Drouin, sur la qualité des excuses offertes par le député libéral et sur le brouhaha partisan autour de l'affaire.

En chemin, les journalistes ont oublié le coeur de cette chicane, c'est-à-dire la valeur du témoignage de M. Lacroix, qualifié d'extrémiste et faux par le député de Glengarry-Prescott-Russell. Les francophones sont-ils ou pas à risque de s'angliciser en fréquentant un collège ou une université de langue anglaise?

Voilà le noeud de l'affaire. Le lendemain de la réunion, le 7 mai, le député Drouin avait modéré le ton mais soutenait toujours - et continue de le faire - que les propos de Frédéric Lacroix «ne faisaient pas de sens (sic)». Que poursuivre ses études à Dawson, McGill ou Concordia ne met pas à risque la langue et la culture des francophones.

Avoir été directeur d'une salle de rédaction dans un journal ou une station de télé et, bien sûr, avoir eu suffisamment de personnel pour s'en occuper, j'aurais exigé en priorité:

* d'écouter l'enregistrement de la réunion du 6 mai au Parlement, deux fois s'il le faut (15 minutes max.). Combien de journalistes, pensez-vous, se sont donné cette peine? Si certains l'ont fait, cela n'a pas beaucoup paru dans les textes diffusés;

* de réaliser un suivi auprès de Frédéric Lacroix, pour offrir à l'auditoire du média plus d'information sur les études de Statistique Canada citées par le chercheur, et la méthode utilisée pour en arriver aux conclusions proposées au comité des Langues officielles;

* d'effectuer un suivi auprès d'un échantillonnage de cadres universitaires et collégiaux québécois, et d'autres chercheurs, pour confirmer ou infirmer le témoignage de M. Lacroix, et pour voir si on considère tel témoignage «extrémiste»;

* et surtout, un suivi auprès des grandes organisations de francophones hors Québec, notamment l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) qui, avec ses prédécesseurs, réclame des écoles françaises (même au post-secondaire) depuis plus de 100 ans parce qu'étudier en anglais en situation minoritaire entraîne une anglicisation certaine;

Le bordel déclenché par l'incident «plein de marde» dure depuis plus de deux semaines et rien de ce que j'ai lu ou entendu (je n'ai pas tout lu, je n'ai pas tout entendu) me permet de croire qu'un ou plusieurs journalistes de nos grands médias aient reçu une telle affectation de leurs patrons. Pourquoi? Manque d'effectifs? Ignorance? Négligence? Pire?

Le 7 mai, aux Communes, selon les reportages, le premier ministre Trudeau, en plus de soutenir les écarts de son député de Glengarry-Prescott-Russell, s'en est pris au Bloc québécois qu'il a accusé de «ne jamais défendre les francophones hors Québec». Son ministre Pablo Rodriguez a tenu lui aussi des propos similaires.

Encore là, les médias ont lamentablement échoué à la tâche. A-t-on demandé à un seul journaliste de donner un coup de fil à la FCFA (Fédération des communautés francophones et acadienne), ou à d'autres organisations de la francophonie hors Québec, pour connaître l'état de leurs rapports avec le Bloc québécois?

Et bien sûr pendant ce temps, les dirigeants des francophones vivant au Canada anglais se taisaient, sachant sans doute que Frédéric Lacroix avait raison mais ne voulant pas mordre la main fédérale qui les finance, ou offusquer l'un des leurs, en l'occurrence le député Francis Drouin.

La première organisation à se manifester (le 14 mai), l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario, s'est contentée - par la voix de son président Fabien Hébert - d'apporter son soutien au député de Glengarry-Prescott-Russell, vu comme ami de la cause franco-ontarienne. Un appui bien personnel, sans mention aucune de la question du lien entre étudier en anglais et s'angliciser (la raison d'être de l'organisation depuis 1910).

Y a-t-il au moins un journaliste qui ait tenté d'obtenir puis publié des explications de M. Hébert ou de la direction générale de l'AFO? Un appel à Hearst ou à Ottawa? Une réponse quelconque? Bruits de criquets. Y a-t-il au moins un journaliste qui soit allé rencontrer des gens dans la circonscription de M. Drouin pour obtenir des réactions à ses propos?

Où était Le Droit, qui couvre cette région de l'Est ontarien depuis plus de 100 ans? Où étaient les grands médias montréalais, à moins d'une heure de route? La Presse? Le Journal de Montréal? Radio-Canada? TVA? Une journaliste du Devoir avait signé un texte le 9 mai sur les réactions des parlementaires, avant d'être affectée à la rédaction d'une série d'articles sur la région de Timmins, en Ontario? Pourquoi pas la circonscription de Francis Drouin, voisine de la capitale fédérale?

Deux jours plus tard, au tour de l'ACFA (Franco-Albertains) de publier une lettre de sa présidente, Nathalie Lachance, en réplique aux propos du chef du Bloc québécois. Une lettre qui n'aborde ni l'affaire Drouin, ni le lien entre les études en  anglais et l'assimilation des francophones. Tout au plus se limite-t-on à affirmer la légitimité des craintes au sujet de l'anglicisation du Québec et des francophones ailleurs au pays. C'est déjà quelque chose.

Par contre, relativement au processus récent de modification de la Loi sur les langues officielles, Mme Lachance écrit ce qui suit: «Nous sommes d'ailleurs très reconnaissants de l'appui du Bloc québécois envers des modifications souhaitées par nos communautés.» Aucun média ne semble avoir saisi qu'on venait de contredire les propos tenus par Justin Trudeau, Pablo Rodriguez et d'autres. Je n'ai vu aucun suivi dans nos grands médias d'information.

Plus récemment, lors du vote sur la présence et la présidence de Francis Drouin à l'Association parlementaire de la francophonie, le 23 mai, la question centrale du lien entre étudier en anglais et s'angliciser (ce qui a déclenché le brouhaha) brillait par son absence dans les priorités journalistiques. On assistait désormais au procès du député Drouin, dans l'oubli quasi total de la problématique qui avait donné naissance à cette affaire... 

Quel gâchis !


vendredi 17 mai 2024

La lettre déshonorante de l'AFO...

Capture d'écran de Radio-Canada

En 1912, l'Ontario avait adopté un règlement (portant le numéro 17) interdisant l'enseignement en français à compter de la 2e année dans les écoles franco-ontariennes.

L'objectif du gouvernement conservateur de Sir James Whitney était clair, et énoncé comme tel. Dans des écoles anglaises, les jeunes francophones de l'Ontario s'angliciseraient et s'intégreraient à la majorité anglophone.

Des milliers de Franco-Ontariens sont montés aux barricades pour défendre l'enseignement en français, sachant que le gouvernement ontarien avait raison. Dans des écoles devenues anglaises, les enfants perdraient leur héritage français.

Après 15 ans de lutte, le règlement 17 a été suspendu et les Franco-Ontariens ont pu entretenir tant bien que mal un réseau séparé (comprendre catholique) d'écoles bilingues à l'élémentaire, jusqu'aux turbulences de la Révolution pas très tranquille au Québec.

À partir du milieu des années 1960, il était devenu clair qu'un milieu scolaire bilingue était insuffisant pour assurer l'identité française des jeunes Franco-Ontariens. Dans un contexte où le français est menacé, il fallait offrir aux jeunes générations un réseau primaire et secondaire d'écoles françaises (pas bilingues).

Le combat s'est ensuite étendu au collégial et à l'universitaire, où les milieux anglophones et/ou bilingues favorisaient l'anglicisation des Franco-Ontariens. En 1970, l'ACFO (prédécesseur de l'AFO) a demandé la francisation complète de l'Université d'Ottawa.

Au collégial, la fondation du collège La Cité à Ottawa découle de la constatation que la cohabitation de campus français et anglais sous un même toit ou sous un seule administration (l'ancien Collège Algonquin) était un facteur d'anglicisation.

Depuis 2012, l'AFO et les deux grandes associations étudiantes franco-ontariennes (RÉFO et FESFO) réclament une augmentation de l'offre et une gestion francophone de l'ensemble des programmes post-secondaires en français pour la totalité de l'Ontario.

Pourquoi, vous pensez? Parce qu'aller apprendre un métier, une profession ou quelque savoir en anglais entraîne un usage accru de l'anglais au moment d'exercer ce métier, cette profession et d'appliquer ce savoir. Ça s'appelle l'anglicisation.

Devant le comité fédéral des Langues officielles, le 6 mai, c'est essentiellement ce message qu'ont livré deux chercheurs québécois (relativement à la fréquentation de collèges et universités anglais par des francophones au Québec). Un message que l'AFO porte depuis plus de 100 ans!

Or, un député franco-ontarien, Francis Drouin, pour un motif qui n'apparaît toujours pas très clair, a traité ces chercheurs d'extrémistes et de pleins de marde! S'est excusé du bout des lèvres, mais continue de contredire le fond de leur témoignage.

Nos médias, qui ne connaissent à peu près rien à la dynamique de l'assimilation en milieu scolaire (ou ailleurs), relancent manchette sur manchette avec les injures que se garrochent de part et d'autres l'ensemble des partis politiques fédéraux.

Aucun journaliste (que je connaisse) n'a préparé de texte sur le fond du témoignage des chercheurs Frédéric Lacroix et Nicolas Bourdon, en y ajoutant des commentaires de la francophonie hors Québec pour obtenir son point de vue sur une problématique qu'elle vit au quotidien depuis 1867.

De leur côté, les grands porte-parole de cette même francophonie hors Québec, sans doute gênés par l'esclandre de Francis Drouin et sachant qu'il avait tort, mais dépendant des fonds fédéraux et voyant les libéraux comme un allié historique, ont gardé le silence pendant près d'une semaine.

Puis le président de l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario), Fabien Hébert, est entré dans le décor en livrant par lettre un témoignage de soutien** au député Drouin qui passe complètement sous silence la question du lien entre la fréquentation d'institutions scolaires anglaises par des francophones et leur anglicisation.

C'était pourtant le coeur de l'accrochage entre Francis Drouin et les deux chercheurs devant le comité des langues officielles. Or, dans sa lettre aux membres du comité parlementaire, M. Hébert dit essentiellement du député Drouin que c'est un bon gars, un ami de la francophonie, et qu'on devrait cesser de se chicaner pour une affaire somme toute banale.

Les médias ont repris des passages de la lettre sans vérification, sans interview, sans questions, accréditant au passage l'affirmation par l'AFO de l'existence de 800 000 Franco-Ontariens (un chiffre totalement farfelu - voir note en bas de page), et titrent en gros, du moins à Radio-Canada: «La francophonie ontarienne appuie Francis Drouin», ce que les députés libéraux n'ont pas manqué de reprendre à leur avantage au comité des langues officielles.

Pas un mot dans la lettre de M. Hébert sur le fait que, par ses paroles, M. Drouin a renié la raison d'être de l'AFO et de ses prédécesseurs, ainsi que les arguments qu'ils invoquent depuis 1912, les rangeant dans le camp des «extrémistes» et «pleins de marde». Et la lettre feint d'ignorer qu'à ce jour, le député de Glengarry-Prescott-Russell n'est pas revenu sur ses positions...

Si encore l'AFO avait dit apprécier l'appui historique du député Drouin mais que cette fois, il s'était trompé de cible et devait rectifier le tir... Mais non. Ce coup de tonnerre dans un silence autrement général et gêné déshonore l'AFO, qui contredit sa propre mission et prête flanc à des suggestions de complicité avec le parti au pouvoir, celui qui paie une grande partie des factures de l'association. 

Il fut une époque où une presse de langue française plus costaude et dynamique aurait gratté sous le vernis de la politicaillerie et sondé des porte-parole acadiens, franco-ontariens et franco-canadiens de l'Ouest pour obtenir le fond de leur pensée sur les témoignages des chercheurs Lacroix et Bourdon, et sur la réaction de Francis Drouin.

Les scribes auraient aussi demandé à l'AFO si elle avait consulté ses organisations membres avant d'envoyer la lettre, ou s'il s'agissait plutôt de la réaction d'une poignée de dirigeants, ou pire, d'une commande d'amis politiques. Au lieu de se contenter de recevoir une lettre dont on reproduit quelques citations, sans plus...

Le plus enrageant, c'est qu'une fois la poussière des injures retombée, on oubliera un peu partout que dans des collèges et universités de langue anglaise (ou bilingues), au Québec comme ailleurs au Canada, des milliers de jeunes francophones, nos futures générations, sont formés en anglais - avec les conséquences que cela implique - dans une indifférence quasi générale.

Et que s'en inquiéter peut vous valoir d'être traité d'extrémiste ou de plein de marde!

--------------------------------------

* Selon le recensement de 2021, avec les critères de mesure traditionnels, il y a environ 525 000 personnes de langue maternelle française en Ontario, et un peu plus de 290 000 personnes ayant le français comme langue d'usage à la maison. Le nombre de Franco-Ontariens se situe quelque part entre 500 000 et 300 000, et probablement plus près du second que du premier. 

** Lien à la lettre de l'AFO - https://api.monassemblee.ca/wp-content/uploads/2024/05/Lettre-Arseneault-20240514-1.pdf?utm_source=2022+Tous+les+contacts&utm_campaign=29bdde66f6-EMAIL_CAMPAIGN_2022_09_16_05_01_COPY_02&utm_medium=email&utm_term=0_94d0e91ad6-29bdde66f6-182026209

lundi 13 mai 2024

Francis Drouin devrait s'excuser auprès des Franco-Ontariens...



Pauvre Francis Drouin (député libéral franco-ontarien)! Un héros l'an dernier quand il accusait ses collègues députés du West Island de mener un «show de boucane» de désinformation linguistique... Un zéro cette année quand il traite de «pleins de marde» et d'extrémistes des chercheurs québécois faisant état, à partir d'études de Statistique Canada, de liens très réels entre la fréquentation de collèges et universités anglaises et l'anglicisation des étudiants.

Dr Jekyll et Mr Hyde? Sans doute pas. Plutôt un député soupe-au-lait qui ne semble pas avoir lu ses dossiers, qui a écouté des témoignages d'une oreille tellement distraite qu'il n'en a pas saisi le sens, a attaqué sans prendre le temps de comprendre, lancé de façon irréfléchie le mot «extrémiste» puis, piqué au vif par la réplique du chercheur, qui lui demandait s'il s'agissait d'un langage «parlementaire», est sorti de ses gonds devant les caméras du Parlement.

Si le député Drouin avait été attentif, il aurait reconnu dans les interventions de MM. Frédéric Lacroix et Nicolas Bourdon des arguments qu'emploient, exactement pour les mêmes motifs, les groupes franco-ontariens depuis plus d'un demi-siècle pour tenter de s'assurer que les jeunes francophones puissent étudier dans des collèges et des universités «par et pour» les francophones. Non, il s'est lancé dans de délirantes diatribes contre le Bloc québécois et le PQ, auxquelles se sont associées avec une ignorance stupéfiante le ministre des Langues officielles Randy Boissonneault et le premier ministre Trudeau.

Je me permets de citer à l'attention de M. Drouin cet extrait d'un mémoire présenté en avril 1970 par l'Association canadienne-française de l'Ontario (ACFO) au Groupe de travail sur le bilinguisme à l'Université d'Ottawa, dans lequel l'association parapluie des Franco-Ontariens réclamait la francisation complète de l'université :

«Pourquoi une minorité, qui a besoin de toutes ses énergies pour survivre et vivre, devrait-elle se payer le luxe d'une université bilingue dont le coût serait peut-être une assimilation lente mais certaine? À moins de posséder intégralement son institution de haut savoir, le groupe francophone fortement minoritaire ne peut absolument pas se développer normalement dans un environnement anglophone où se côtoient deux cultures différentes.

«À titre d'exemple - parmi les centaines d'exemples possibles - citons les observations d'un étudiant en maîtrise qui distribuait, pour fin d'enquête, un questionnaire rédigé dans les deux langues. Quels ont été les résultats du côté linguistique? 30% des francophones fréquentant les facultés de langue anglaise préférèrent répondre en anglais. Si on ne déduit pas de ce fait une preuve d'assimilation, c'est-à-dire une preuve qu'il est impossible à un étudiant de conserver indéfiniment sa langue et sa culture dans un milieu linguistique différent du sien, toute lutte devient inutile et injustifiable. La paresse mentale s'installe et rapidement, peu s'en faut, pour que cet étudiant, pense, parle, écrive et vive en anglais.»

Cette constatation plutôt artisanale a été faite à une époque où les pressions vers l'anglais étaient moins intenses qu'aujourd'hui, dans une université bilingue où les francophones formaient une mince majorité, bien avant que la grosse machine de Statistique Canada se mette en marche et déploie des moyens beaucoup plus costauds pour qu'on puisse en arriver à des conclusions similaires, même au Québec, au 21e siècle. Les études du mathématicien Charles Castonguay, gourou de la démographie linguistique canadienne et québécoise, brossent un tableau encore plus dramatique des transferts linguistiques vers l'anglais chez les francophones et les allophones.

Le député Drouin représente une circonscription ontarienne (Glengarry-Prescott-Russell), située à la frontière du Québec, où l'assimilation grignote chaque année une proportion appréciable de la majorité francophone en rétrécissement. Il a vécu la lutte désespérée menée depuis 2012 - sans succès - par les organisations étudiantes franco-ontariennes du collégial et de l'universitaire pour obtenir une gestion «par et pour» les francophones des études post-secondaires en français dans sa province. Il a assisté à la disparition du seul collège agricole de langue française de l'Ontario, situé dans le village d'Alfred (dans sa circonscription). L'argumentaire linguistique présenté par les chercheurs québécois au comité des langues officielles aurait dû résonner comme un écho familier de son propre patelin, où les conséquences d'étudier en anglais se vivent au quotidien.

Mais à entendre ses réactions à froid, le lendemain de l'incident «plein de marde» au Parlement, M. Drouin semble vraiment avoir échappé le fond de l'affaire, un fond qui, par surcroit, niche désormais au coeur même de la nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles. Piqué à vif par la présentation des deux chercheurs québécois, Francis Drouin semblait avoir compris que l'anglicisation au Québec était causée par la simple présence d'universités comme McGill ou de collèges comme Dawson. Ce que MM. Lacroix et Bourdon n'avaient pas prétendu, d'ailleurs. Et pourtant, 24 heures plus tard, il reprenait la même trame, n'ayant sans doute pas relu le mémoire des chercheurs québécois ou réécouté les enregistrements de leur présentation aux députés.

«Imagines-tu si on était en train de dire que le collège La Cité, l'Université d'Ottawa* (sic) ou l'Université de l'Ontario français sont en train de franciser Toronto (sic)? Ça n'a pas de bon sens ce discours-là. C'est pour ça que j'ai perdu patience», déclarait le jour suivant M. Drouin. Effectivement ça n'a pas de bon sens, et personne ne l'aurait dit sans se couvrir de ridicule. Le député de Glengarry-Prescott-Russell semble avoir perdu de vue qu'au Québec comme en Ontario, la seule langue menacée est le français. L'existence du collège La Cité (à Ottawa, et non à Toronto) ne francise rien en Ontario. Il protège la langue française en milieu collégial dans une province où l'anglais exerce une omniprésence écrasante. Il existe pour empêcher les jeunes Franco-Ontariens de s'angliciser à l'école, comme cela arrivera aux Québécois francophones qui fréquentent Dawson, McGill ou Concordia.

Au lieu de dénoncer une «machine péquiste» imaginaire lancée à ses trousses dans le sillage de cette affaire, le député Drouin devrait se renseigner davantage sur les liens entre la fréquentation d'un collège ou d'une université en anglais et l'anglicisation, notamment auprès des organisations franco-ontariennes qui mènent dans ce domaine des combats le plus souvent infructueux depuis plusieurs décennies. Il leur doit des excuses tout autant qu'à MM. Lacroix et Bourdon. Avez-vous d'ailleurs noté le silence à peu près total des dirigeants de la francophonie hors Québec dans l'affaire des «pleins de marde»? Y a-t-il un seul journaliste qui ait sollicité leurs commentaires, sur le fond de la question mais aussi sur leurs relations à peu près constantes avec le Bloc québécois qui, quoiqu’en dise Justin Trudeau, ne cesse de s'intéresser et d'intervenir en faveur des francophones partout au Canada?

--------------------------------------

* L'Université d'Ottawa est une institution bilingue, pas française, et la proportion d'étudiants francophones oscille autour de 30%. Ce n'est pas un milieu de francisation, mais un lieu d'anglicisation. M. Drouin devrait aller y faire un tour...


mercredi 8 mai 2024

Qu'est-il arrivé au 1er mai?


Vieux syndicaliste, je suis sensible aux appels du 1er mai, Fête des travailleurs. Quand mon ancienne centrale, la Confédération des syndicats nationaux (CSN), a réservé une pleine page dans Le Devoir du 29 avril pour en souligner l'importance, j'ai entendu l'écho des fières solidarités d'antan. Jusqu'à ce que je lise le message, qui me parut triste et plutôt démoralisant...

«Pourquoi la CSN se mobilise-t-elle le 1er mai?», lance la centrale centenaire en gros caractères rouges: pour hausser le salaire minimum, jugé scandaleux, et améliorer les conditions de travail, «parce qu'un salaire minimum à 15,75$/h ne permettra jamais à quiconque de se sortir de la pauvreté». C'est tout. Rien de plus. C'est sans doute mieux que les autres centrales syndicales, absentes, mais tout de même!

Il y a 50 ans, quand je militais au Conseil central de l'Outaouais et au conseil confédéral de la CSN, le salaire minimum et les conditions de travail faisaient aussi partie des revendications. Mais il y avait bien plus que cela! Les syndicats proposaient alors des projets de société plus juste. Sous diverses bannières - socialisme, social-démocratie, coopératisme et variantes - se déroulaient de vifs débats visant à changer profondément ce monde qui permet, tolère et même encourage les injustices qu'on peine à corriger.

Dans son rapport intitulé Le deuxième front, vers la fin des années 1960, le président de la CSN de l'époque, Marcel Pepin exhortait les syndiqués à «prendre conscience que leurs conventions collectives n'existent pas en vase clos, mais bien dans une société, qui a aussi une emprise sur leurs conditions de vie. Que le rapport de force dans lequel ils sont impliqués peut être un moteur de changement pour tous. Il ne faut jamais perdre de vue qu'un travailleur, c'est aussi un citoyen!»

Négocier des conventions collectives, c'est bien mais insuffisant. Quand les pétrolières et les chaînes d'alimentation vident vos poches avec des hausses de prix excessives; quand gouvernements et banques ne trouvent rien de mieux, pour combattre cette «inflation», que de hausser les taux d'intérêt et vider vos poches un peu plus; quand les syndicats se contentent de négocier des hausses de salaire pour tenter de rattraper le pouvoir d'achat perdu, les coupables grassement enrichis restent impunis avec la complicité de nos représentants élus, et les victimes restent victimes, proies faciles pour la prochaine agression du grand capital.

En 2024, nos centrales syndicales semblent avoir capitulé devant un système économique jugé hors d'atteinte, tout comme chez Desjardins, vaisseau amiral d'un mouvement coopératif qui n'en a guère plus que le nom. Et encore... on s'est même débarrassé du mot «populaire» et vidé le logo de sa ruche. Pendant que Desjardins dépense des centaines de milliers de dollars en pubs qui font parfois paraître les membres comme des idiots et des égoïstes*, ses dirigeants des bunkers montréalais ferment allègrement des guichets et des centres de services un peu partout.

Dans Le Devoir du 29 avril 1972, à l'avant-veille du 1er mai, le nouveau président du Mouvement des caisses populaires (oui, populaires) Desjardins, Alfred Rouleau, parlait d'unir les quelque trois millions de membres «autour d'objectifs sociaux et économiques qui permettent à l'ensemble du mouvement d'être en mesure d'assumer pleinement son rôle d'agent de changement» au sein de la société, le tout en répondant aux «exigences démocratiques de la coopération». Il proposait aux caisses populaires locales d'accentuer leur visage humain et «à s'identifier davantage aux problèmes sociaux de leur milieu». Aujourd'hui, le projet social - et l'espoir qu'il portait - a été rangé et Desjardins se donne de plus en plus des allures de banque...

Décidément, en ce début de 21e siècle, le 1er mai Fête des travailleurs a troqué l'avenir pour le souvenir... «ne jamais oublier les sacrifices de ceux et celles qui ont lutté pour améliorer le sort de la classe ouvrière»... Reste-t-il quelqu'un pour reprendre le flambeau, pour rougir les braises d'une rébellion démocratique contre la dictature du capital? Ou seulement quelques vieux comme moi qui s'ennuient des barricades où se dressait l'espoir d'un monde meilleur?

------------------------------------

*Lien au texte «Desjardins: des $$$ pour des pubs insipides sur fond de fermetures...». Sur mon blogue. https://lettresdufront1.blogspot.com/2024/04/desjardins-des-pour-les-pubs-sur-fond.html


vendredi 3 mai 2024

Heureusement qu'on n'était pas en 1755...

PETIT RAPPEL HISTORIQUE ESSENTIEL...

En juillet 1755, à Halifax, lors de rencontres avec les Acadiens, le gouverneur britannique Charles Lawrence presse leurs délégués de prêter un serment d'allégeance inconditionnel au roi Georges II de Grande-Bretagne. Devant leur refus, il les enferme et donne l'ordre fatidique de la déportation.

Des soldats rassemblent des civils terrifiés, les expulsent de leurs terres, brûlent leurs maisons et leurs cultures. Sous la supervision de l'officier Robert Monckton, ces Acadiens sont entassés dans des bateaux et déportés. La tentative de génocide est en marche. En récompense, Monckton est nommé lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse...

(Extraits de l'Encyclopédie canadienne, 2015 et Wikipédia)

---------------------------------------------------------------------

René Arseneault - Capture d'écran de ParVu (Chambre des Communes)

RETOUR VERS LE PRÉSENT...

Le 10 avril 2024, un député acadien, René Arseneault, s'est levé à la Chambre des Communes pour voter en faveur du projet de loi C-347 dont il est le parrain, visant à permettre enfin aux députés fédéraux de siéger sans avoir à prêter serment au roi de Grande-Bretagne.

Le député libéral de Madawaska-Restigouche porte toujours en mémoire le sort cruel réservé  à ses ancêtres, et la cicatrice collective de la déportation reste vivement ressentie en Acadie, ainsi qu'au Québec et dans les collectivités francophones ailleurs au Canada. 

Près de 270 ans après «le grand dérangement», permettrait-on enfin aux députés acadiens (et les autres) de pouvoir jurer fidélité au pays sans se faire enfoncer Charles III dans la gorge? Etait-ce trop demander pour mettre un baume symbolique sur les crimes de guerre infligés jadis à son peuple par les «habits rouges» britanniques?

La réponse est simple. NON! M. Arseneault savait que les députés monarchistes gémiraient d'horreur mais il pouvait espérer un soutien des quelque 80 francophones siégeant aux Communes, alliés naturels, et des collègues anglophones qui préfèrent la suprématie citoyenne à la génuflexion coloniale devant un roi étranger. Il a finalement été trahi!

Et la trahison est venue de l'intérieur, de son propre parti. Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, qui ose se dire «fier Québécois», a donné l'ordre à tous les membres de son conseil des ministres - y compris les francophones - de s'opposer au projet de loi Arseneault, et ainsi maintenir l'exigence du serment à Charles III pour pouvoir occuper un siège aux Communes.

La réaction du député franco-ontarien Marc Serré, ne s'est pas fait attendre. Le député de la circonscription nord-ontarienne de Nickel Belt est allé jusqu'à demander publiquement «quel francophone» pourrait bien s'objecter à ce projet de loi. Faudrait qu'il pose la question à Justin Trudeau. Sans l'ordre de solidarité ministérielle, tous les membres francophones de son cabinet (et probablement quelques anglos) auraient voté contre l'obligation du serment monarchique.

Mais le geste le plus honteux du premier ministre est d'avoir obligé ses deux ministres acadiens, Dominic LeBlanc et Ginette Petitpas Taylor, ainsi que Diane Lebouthillier (qui représente les Acadiens des Îles-de-la-Madeleine) à enfiler les «habits rouges», le temps d'un vote, et à honorer la mémoire des Lawrence et Monckton devant leurs collègues acadiens René Arseneault, Darrell Samson et Chris d'Entremont...

Les comptes rendus médiatiques que j'ai lus ne font pas état de commentaires de ministres, et notamment des Acadiens, obligés de se positionner du côté sombre de la force. Alors j'ai voulu voir en consultant les enregistrements vidéo du vote sur la deuxième lecture du projet de loi C-347. Ce n'est pas édifiant.

Les caméras des Communes n'offrent pas (ou très peu) de plans rapprochés des députés qui votent, mais ils permettent de voir l'ensemble de la salle qu'avaient désertée la majorité des députés, y compris les collègues libéraux de René Arseneault. Les sièges réservés aux membres du cabinet Trudeau étaient largement vides...

J'aurais voulu examiner les expressions des Joly, Champagne, Rodriguez, Duclos, Guilbeault, Saint-Onge, LeBlanc, Boissonneault et autres alors qu'ils s'agenouillaient devant Charles III à la face de M. Arseneault. Mais ils s'étaient pour la plupart absentés des Communes, se contentant d'enregistrer un vote électronique à distance. Justin n'y était pas. Ginette Petitpas Taylor, députée de Moncton-Riverview-Dieppe, s'est cependant levée en personne pour rejeter, sourire aux lèvres, le projet de son collègue acadien...

Je me demande ce que ces ministres francophones ont ressenti, si effectivement ils ont ressenti quelque chose, quand un groupe de députés anglophones (conservateurs je crois, la caméra ne les montrait pas) s'est levé pour entonner le God Save the King. Tiens, Arseneault, prends ça!!! Si ces députés avaient été là en 1755, ils auraient probablement déporté les Arseneault de l'époque...

Les faux-fuyants de Justin Trudeau pour s'opposer à C-347 ne tiennent pas la route. Le Parlement canadien reste maître de sa procédure et a parfaitement le droit de modifier le serment d'entrée en fonction de ses députés sans avoir à entamer des négociations constitutionnelles. L'Assemblée nationale du Québec a supprimé le serment d'allégeance au roi l'an dernier, modifiant unilatéralement l'AANB de 1867, parce que sa procédure et ses rapports avec la monarchie relèvent de sa compétence. Il en va de même à Ottawa.

Je soupçonne que les motifs du gouvernement avaient plutôt tout à voir avec la position des libéraux dans les sondages et leur désir de ne pas donner de bois d'allumage à Pierre Poilievre. C'était un mauvais calcul. Piétiner des principes tout en humiliant de nouveau l'Acadie à la face du monde leur collera à la peau comme une tache... permanente.