vendredi 17 mai 2024

La lettre déshonorante de l'AFO...

Capture d'écran de Radio-Canada

En 1912, l'Ontario avait adopté un règlement (portant le numéro 17) interdisant l'enseignement en français à compter de la 2e année dans les écoles franco-ontariennes.

L'objectif du gouvernement conservateur de Sir James Whitney était clair, et énoncé comme tel. Dans des écoles anglaises, les jeunes francophones de l'Ontario s'angliciseraient et s'intégreraient à la majorité anglophone.

Des milliers de Franco-Ontariens sont montés aux barricades pour défendre l'enseignement en français, sachant que le gouvernement ontarien avait raison. Dans des écoles devenues anglaises, les enfants perdraient leur héritage français.

Après 15 ans de lutte, le règlement 17 a été suspendu et les Franco-Ontariens ont pu entretenir tant bien que mal un réseau séparé (comprendre catholique) d'écoles bilingues à l'élémentaire, jusqu'aux turbulences de la Révolution pas très tranquille au Québec.

À partir du milieu des années 1960, il était devenu clair qu'un milieu scolaire bilingue était insuffisant pour assurer l'identité française des jeunes Franco-Ontariens. Dans un contexte où le français est menacé, il fallait offrir aux jeunes générations un réseau primaire et secondaire d'écoles françaises (pas bilingues).

Le combat s'est ensuite étendu au collégial et à l'universitaire, où les milieux anglophones et/ou bilingues favorisaient l'anglicisation des Franco-Ontariens. En 1970, l'ACFO (prédécesseur de l'AFO) a demandé la francisation complète de l'Université d'Ottawa.

Au collégial, la fondation du collège La Cité à Ottawa découle de la constatation que la cohabitation de campus français et anglais sous un même toit ou sous un seule administration (l'ancien Collège Algonquin) était un facteur d'anglicisation.

Depuis 2012, l'AFO et les deux grandes associations étudiantes franco-ontariennes (RÉFO et FESFO) réclament une augmentation de l'offre et une gestion francophone de l'ensemble des programmes post-secondaires en français pour la totalité de l'Ontario.

Pourquoi, vous pensez? Parce qu'aller apprendre un métier, une profession ou quelque savoir en anglais entraîne un usage accru de l'anglais au moment d'exercer ce métier, cette profession et d'appliquer ce savoir. Ça s'appelle l'anglicisation.

Devant le comité fédéral des Langues officielles, le 6 mai, c'est essentiellement ce message qu'ont livré deux chercheurs québécois (relativement à la fréquentation de collèges et universités anglais par des francophones au Québec). Un message que l'AFO porte depuis plus de 100 ans!

Or, un député franco-ontarien, Francis Drouin, pour un motif qui n'apparaît toujours pas très clair, a traité ces chercheurs d'extrémistes et de pleins de marde! S'est excusé du bout des lèvres, mais continue de contredire le fond de leur témoignage.

Nos médias, qui ne connaissent à peu près rien à la dynamique de l'assimilation en milieu scolaire (ou ailleurs), relancent manchette sur manchette avec les injures que se garrochent de part et d'autres l'ensemble des partis politiques fédéraux.

Aucun journaliste (que je connaisse) n'a préparé de texte sur le fond du témoignage des chercheurs Frédéric Lacroix et Nicolas Bourdon, en y ajoutant des commentaires de la francophonie hors Québec pour obtenir son point de vue sur une problématique qu'elle vit au quotidien depuis 1867.

De leur côté, les grands porte-parole de cette même francophonie hors Québec, sans doute gênés par l'esclandre de Francis Drouin et sachant qu'il avait tort, mais dépendant des fonds fédéraux et voyant les libéraux comme un allié historique, ont gardé le silence pendant près d'une semaine.

Puis le président de l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario), Fabien Hébert, est entré dans le décor en livrant par lettre un témoignage de soutien** au député Drouin qui passe complètement sous silence la question du lien entre la fréquentation d'institutions scolaires anglaises par des francophones et leur anglicisation.

C'était pourtant le coeur de l'accrochage entre Francis Drouin et les deux chercheurs devant le comité des langues officielles. Or, dans sa lettre aux membres du comité parlementaire, M. Hébert dit essentiellement du député Drouin que c'est un bon gars, un ami de la francophonie, et qu'on devrait cesser de se chicaner pour une affaire somme toute banale.

Les médias ont repris des passages de la lettre sans vérification, sans interview, sans questions, accréditant au passage l'affirmation par l'AFO de l'existence de 800 000 Franco-Ontariens (un chiffre totalement farfelu - voir note en bas de page), et titrent en gros, du moins à Radio-Canada: «La francophonie ontarienne appuie Francis Drouin», ce que les députés libéraux n'ont pas manqué de reprendre à leur avantage au comité des langues officielles.

Pas un mot dans la lettre de M. Hébert sur le fait que, par ses paroles, M. Drouin a renié la raison d'être de l'AFO et de ses prédécesseurs, ainsi que les arguments qu'ils invoquent depuis 1912, les rangeant dans le camp des «extrémistes» et «pleins de marde». Et la lettre feint d'ignorer qu'à ce jour, le député de Glengarry-Prescott-Russell n'est pas revenu sur ses positions...

Si encore l'AFO avait dit apprécier l'appui historique du député Drouin mais que cette fois, il s'était trompé de cible et devait rectifier le tir... Mais non. Ce coup de tonnerre dans un silence autrement général et gêné déshonore l'AFO, qui contredit sa propre mission et prête flanc à des suggestions de complicité avec le parti au pouvoir, celui qui paie une grande partie des factures de l'association. 

Il fut une époque où une presse de langue française plus costaude et dynamique aurait gratté sous le vernis de la politicaillerie et sondé des porte-parole acadiens, franco-ontariens et franco-canadiens de l'Ouest pour obtenir le fond de leur pensée sur les témoignages des chercheurs Lacroix et Bourdon, et sur la réaction de Francis Drouin.

Les scribes auraient aussi demandé à l'AFO si elle avait consulté ses organisations membres avant d'envoyer la lettre, ou s'il s'agissait plutôt de la réaction d'une poignée de dirigeants, ou pire, d'une commande d'amis politiques. Au lieu de se contenter de recevoir une lettre dont on reproduit quelques citations, sans plus...

Le plus enrageant, c'est qu'une fois la poussière des injures retombée, on oubliera un peu partout que dans des collèges et universités de langue anglaise (ou bilingues), au Québec comme ailleurs au Canada, des milliers de jeunes francophones, nos futures générations, sont formés en anglais - avec les conséquences que cela implique - dans une indifférence quasi générale.

Et que s'en inquiéter peut vous valoir d'être traité d'extrémiste ou de plein de marde!

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* Selon le recensement de 2021, avec les critères de mesure traditionnels, il y a environ 525 000 personnes de langue maternelle française en Ontario, et un peu plus de 290 000 personnes ayant le français comme langue d'usage à la maison. Le nombre de Franco-Ontariens se situe quelque part entre 500 000 et 300 000, et probablement plus près du second que du premier. 

** Lien à la lettre de l'AFO - https://api.monassemblee.ca/wp-content/uploads/2024/05/Lettre-Arseneault-20240514-1.pdf?utm_source=2022+Tous+les+contacts&utm_campaign=29bdde66f6-EMAIL_CAMPAIGN_2022_09_16_05_01_COPY_02&utm_medium=email&utm_term=0_94d0e91ad6-29bdde66f6-182026209

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