mercredi 30 août 2017

Recul du français? À quoi se fier?

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Dans le contexte québécois et canadien, comment définit-on un francophone et comment fait-on pour savoir si les collectivités francophones sont en progression ou en régression?

Il n'y a pas de réponse parfaite à ce question, et dans la multitude d'experts, de soi-disant experts et d'observateurs de tous genres, on se lance et se relance des analyses variées, voire contradictoires. Le tout donne l'allure d'une tour de Babel...

Évidemment, ce sont les recensements fédéraux qui servent d'abreuvoir aux assoiffés des données sur la situation linguistique. On y trouve, entre autres, des statistiques sur:

*la langue maternelle (la première langue apprise et encore comprise)
*la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison)
*les langues officielles (la capacité de soutenir une conversation en anglais et/ou en français)
*la première langue officielle parlée (variable créée à partir des trois précédentes)
*langue de travail (données à venir en novembre 2017)

Rien de tout cela ne nous permet de définir un francophone...

*Une personne de langue maternelle française peut être en voie d'assimilation à l'anglais.
*Un individu qui donne l'anglais comme langue d'usage peut être en couple exogame et vivre en français à l'extérieur du foyer.
*Une personne qui comprend ou qui a appris le français (comme langue officielle) ne l'utilise peut-être jamais et risque de le perdre, éventuellement.
*Quant à la PLOP (première langue officielle parlée), elle ne vient qu'ajouter à la confusion...

Depuis 1971, l'année où Statistique Canada a introduit dans ses recensements le concept de langue d'usage, on établit le plus souvent la progression ou la régression du français en comparant la langue maternelle à la langue d'usage. La proportion de bilingues et d'unilingues constitue aussi un barème révélateur de la dynamique linguistique.

Prenons comme exemple Ottawa, ma ville natale. Pour une population totale de 923,375 habitants, on indique 127,225 personnes de langue maternelle française, soit 13,8% de la population (c'était 14,2% en 2011). Mais seulement 85 910 répondants disent avoir le français comme langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison), soit 9,3% de la population (c'était 9,9% en 2011).

En comparant une statistique à l'autre, on peut conclure qu'environ les deux tiers des gens de langue maternelle française utilisent surtout le français à la maison. Le taux d'assimilation actuel des francophones à Ottawa serait donc d'environ 33%. Faites cet exercice pour toutes les agglomérations du Québec et d'ailleurs au pays et tirez vos propres conclusions, qui seront encore plus précises si vous utilisez une combinaison de données et au moins quelques recensements...

C'est ce genre de calcul qui permet de conclure à un recul constant du français dans les provinces à majorité anglaise, mais aussi au Québec. C'est loin d'être parfait, mais faute de mieux, on peut s'y fier comme base d'analyse.

Évidemment, ce serait mieux si l'on bénéficiait d'une étude détaillée comme celle qu'ont réalisée en 2010 deux chercheurs de Statistique Canada, Jean-Pierre Corbeil et Sylvie Lafrenière, sur les Franco-Ontariens en utilisant les données de 2006. Au-delà des chiffres traditionnels, ils sont allés vérifier la proportion de mariages exogames, ainsi que l'utilisation du français dans divers domaines de la sphère publique et privée à travers la province.

On y apprend qu'à peine 50% des francophones de l'Ontario utilisent seulement ou surtout le français à la maison, et qu'entre amis, cette proportion chute à 35%... À peine 20% d'entre eux travaillent surtout ou seulement en français, ou s'expriment en français dans les institutions et commerces. Le plus dramatique, à peine plus de 10% des Franco-Ontariens utilisent surtout les médias de langue française. Seul l'Est ontarien, où les francophones sont majoritaires, échappe à ce constat dramatique.

Alors je repose la question: comment définit-on un francophone? Je proposerais trois éléments:
*savoir lire, écrire et parler le français;
*s'identifier comme francophone; et
*utiliser le français dans la vie quotidienne (famille, amis, médias, travail, produits culturels, etc.).

Une étude comme celle de Jean-Pierre Corbeil et Sylvie Lafrenière sur la grande région montréalaise serait sans doute fort révélatrice, et confirmerait probablement les progrès fragiles et reculs substantiels déjà constatés avec la comparaison des recensements depuis un demi-siècle...

Entre-temps, on n'a pas le choix. Il faudra continuer à compter les «têtes de pipe» et sortir les calculatrices... et continuer à tirer les sonnettes d'alarme.

Mon ancien patron au quotidien Le Droit, Christian Verdon (anciennement du Montréal-Matin), aurait simplifié les choses: «Rien qu'à ouère on oué ben», m'aurait-il lancé... Il y a du vrai là-dedans aussi...

mardi 29 août 2017

L'Université de l'Ontario français...


«Faut-il pleurer, faut-il en rire...
Fait-elle envie ou bien pitié...»*

Excusez cette citation très, très, très hors-contexte, mais elle va tellement bien à cette «Université de l'Ontario français» si mal nommée que je n'ai pu résister...

J'avoue. Je n'ai pas encore épluché (mais je vais le faire) le rapport complet du comité présidé par l'ex-Commissaire aux langues officielles, Dyane Adam, dont les principales conclusions semblent avoir été entérinées par le gouvernement Wynne, à Toronto.

Cependant, si les textes médiatiques que j'ai lus hier et aujourd'hui reflètent fidèlement la proposition sur la table, j'ai peine à comprendre les applaudissements - même timides - qui fusent, sauf rares exceptions, d'un peu partout.

Le projet d'université de langue française en Ontario ressurgit de temps en temps depuis un demi-siècle... Ça va vite en Ontario... La plus récente offensive remonte à 2012 avec l'apparition sur la scène publique du Regroupement étudiant franco-Ontarien (le RÉFO).

J'arrondis un peu les coins mais essentiellement, le RÉFO et ses partenaires éventuels, la FESFO (élèves du secondaire) et l'AFO (organisme parapluie de l'Ontario français), exigeaient la création d'une université pan-ontarienne qui aurait comme mandat:

*d'assurer aux Franco-Ontariens la gestion de l'ensemble des programmes post-secondaires en français, y compris ceux des universités bilingues existantes, partout en Ontario; et

*de compléter l'offre de programmes universitaires en français dans toutes les régions, et notamment dans celles où les besoins sont les plus criants.

Il était d'ailleurs ultra-clair qu'il s'agirait d'une institution de langue française, que les universités bilingues (Ottawa et Laurentienne) - vues comme des milieux d'assimilation - faisaient partie du problème, et non de la solution...

Or, en chemin, le gouvernement Wynne a détourné le projet du RÉFO, de la FESFO et de L'AFO pour n'y voir qu'un campus universitaire dans la région de Toronto, la moins bien desservie. Les médias mal informés aidant, ce campus était tout à coup devenu l'université franco-ontarienne...

À tel point qu'en mars 2017, les trois partenaires (RÉFO, FESFO, AFO) ont convoqué l'ensemble de la presse pour rappeler la véritable portée de leur projet, qui doit englober l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne, où sont inscrits l'immense majorité des étudiants franco-ontariens.

Or, le gouvernement libéral a persisté avec son comité de gens du centre sud-ouest (Toronto) dont le mandat portait d'ailleurs exclusivement sur les besoins de cette région, et a continué d'appeler ce projet l'université franco-ontarienne... Nouveau silence médias...

Et voilà qu'aujourd'hui, on nous annonce un campus universitaire plus que modeste, situé uniquement dans la Ville-Reine, qui accueillera au départ à peine quelques centaines d'étudiants et d'étudiantes, nombre appelé à croître modestement au cours de la suivante décennie...

Ce campus, on a le culot de l'appeler «l'Université de l'Ontario français» et pour doubler le tort d'un affront, on apprend que l'Université d'Ottawa, une université bilingue à forte majorité anglaise où les francophones se font assimiler, servira de mentor à la future institution de langue française...

Et j'entends, sauf quelques critiques, des applaudissements dans les milieux officiels franco-ontariens.  Avec un brin de prudence, pour sauver la dignité...

L'Ontario a persécuté les francophones pendant des décennies. Cette université devrait exister depuis une cinquantaine d'années, et on ne calcule pas le nombre de milliards de dollars qu'a épargnés la province en omettant d'offrir à la minorité franco-ontarienne des services éducatifs qui s'approcheraient tant soit peu de ceux reçus par la minorité anglo-québécoise choyée...

Ce qu'on va créer à Toronto d'ici 2020 (peut-être) mérite l'appui de tous. Mais dans le cadre de l'ensemble du projet et des demandes historiques, c'est un sac de pinottes... et quelqu'un doit le faire savoir énergiquement au gouvernement Wynne...

J'espère qu'au cours des prochains jours, le RÉFO, la FESFO et l'AFO vont tempérer leur enthousiasme et relire les documents qu'ils ont brandis avec fierté, et avec raison, depuis 2012... et qu'ils diront à Mme Wynne: merci bien pour Toronto, mais où est le reste???

Et à ceux qui croient à la politique des petits pas, où à la stratégie du pied dans la porte, je répondrais: c'est trop tard. La situation est critique. Il faut agir toute de suite sur l'ensemble de l'offre universitaire, dans le sud, dans le centre, dans le nord et dans l'est de la province.

Il est facile, voire naturel, de critiquer ses ennemis... Il est bien plus difficile de critiquer, quand il le faut, ceux et celles qui se disent vos amis... mais c'est le temps!



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Extrait de la chanson On ne voit pas le temps passer de Jean Ferrat (1965)