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Dans le contexte québécois et canadien, comment définit-on un francophone et comment fait-on pour savoir si les collectivités francophones sont en progression ou en régression?
Il n'y a pas de réponse parfaite à ce question, et dans la multitude d'experts, de soi-disant experts et d'observateurs de tous genres, on se lance et se relance des analyses variées, voire contradictoires. Le tout donne l'allure d'une tour de Babel...
Évidemment, ce sont les recensements fédéraux qui servent d'abreuvoir aux assoiffés des données sur la situation linguistique. On y trouve, entre autres, des statistiques sur:
*la langue maternelle (la première langue apprise et encore comprise)
*la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison)
*les langues officielles (la capacité de soutenir une conversation en anglais et/ou en français)
*la première langue officielle parlée (variable créée à partir des trois précédentes)
*langue de travail (données à venir en novembre 2017)
Rien de tout cela ne nous permet de définir un francophone...
*Une personne de langue maternelle française peut être en voie d'assimilation à l'anglais.
*Un individu qui donne l'anglais comme langue d'usage peut être en couple exogame et vivre en français à l'extérieur du foyer.
*Une personne qui comprend ou qui a appris le français (comme langue officielle) ne l'utilise peut-être jamais et risque de le perdre, éventuellement.
*Quant à la PLOP (première langue officielle parlée), elle ne vient qu'ajouter à la confusion...
Depuis 1971, l'année où Statistique Canada a introduit dans ses recensements le concept de langue d'usage, on établit le plus souvent la progression ou la régression du français en comparant la langue maternelle à la langue d'usage. La proportion de bilingues et d'unilingues constitue aussi un barème révélateur de la dynamique linguistique.
Prenons comme exemple Ottawa, ma ville natale. Pour une population totale de 923,375 habitants, on indique 127,225 personnes de langue maternelle française, soit 13,8% de la population (c'était 14,2% en 2011). Mais seulement 85 910 répondants disent avoir le français comme langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison), soit 9,3% de la population (c'était 9,9% en 2011).
En comparant une statistique à l'autre, on peut conclure qu'environ les deux tiers des gens de langue maternelle française utilisent surtout le français à la maison. Le taux d'assimilation actuel des francophones à Ottawa serait donc d'environ 33%. Faites cet exercice pour toutes les agglomérations du Québec et d'ailleurs au pays et tirez vos propres conclusions, qui seront encore plus précises si vous utilisez une combinaison de données et au moins quelques recensements...
C'est ce genre de calcul qui permet de conclure à un recul constant du français dans les provinces à majorité anglaise, mais aussi au Québec. C'est loin d'être parfait, mais faute de mieux, on peut s'y fier comme base d'analyse.
Évidemment, ce serait mieux si l'on bénéficiait d'une étude détaillée comme celle qu'ont réalisée en 2010 deux chercheurs de Statistique Canada, Jean-Pierre Corbeil et Sylvie Lafrenière, sur les Franco-Ontariens en utilisant les données de 2006. Au-delà des chiffres traditionnels, ils sont allés vérifier la proportion de mariages exogames, ainsi que l'utilisation du français dans divers domaines de la sphère publique et privée à travers la province.
On y apprend qu'à peine 50% des francophones de l'Ontario utilisent seulement ou surtout le français à la maison, et qu'entre amis, cette proportion chute à 35%... À peine 20% d'entre eux travaillent surtout ou seulement en français, ou s'expriment en français dans les institutions et commerces. Le plus dramatique, à peine plus de 10% des Franco-Ontariens utilisent surtout les médias de langue française. Seul l'Est ontarien, où les francophones sont majoritaires, échappe à ce constat dramatique.
Alors je repose la question: comment définit-on un francophone? Je proposerais trois éléments:
*savoir lire, écrire et parler le français;
*s'identifier comme francophone; et
*utiliser le français dans la vie quotidienne (famille, amis, médias, travail, produits culturels, etc.).
Une étude comme celle de Jean-Pierre Corbeil et Sylvie Lafrenière sur la grande région montréalaise serait sans doute fort révélatrice, et confirmerait probablement les progrès fragiles et reculs substantiels déjà constatés avec la comparaison des recensements depuis un demi-siècle...
Entre-temps, on n'a pas le choix. Il faudra continuer à compter les «têtes de pipe» et sortir les calculatrices... et continuer à tirer les sonnettes d'alarme.
Mon ancien patron au quotidien Le Droit, Christian Verdon (anciennement du Montréal-Matin), aurait simplifié les choses: «Rien qu'à ouère on oué ben», m'aurait-il lancé... Il y a du vrai là-dedans aussi...