mardi 28 février 2023

La fin du papier? Pourquoi?

Certaines gens voient les choses telles qu'elles sont et disent: «pourquoi?» Je vois les choses telles qu'elles n'ont jamais été et je dis: «pourquoi pas?» (adaptation libre de Robert Kennedy)

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Le texte de François Cardinal, vice-président information de La Presse, intitulé La fin du papier? (voir lien en bas de page), m'a laissé une arête dans la gorge. Comme aurait dit Bobby Kennedy, M. Cardinal voit «les choses telles qu'elles sont» et tente, du mieux qu'il le peut, de les expliquer. On retrouve chez lui les repères habituels de l'argumentaire entourant la disparition des journaux papier - la rentabilité des «modèles d'affaires», les coûts du papier, les revenus publicitaires en chute, les coûts de distribution, les baisses de revenus provenant du tirage et ainsi de suite. «La marche inéluctable vers la fin d'un modèle d'affaires qui tient de moins en moins».

Et c'est justement là le noeud du problème. En tenant pour acquis l'existence de quotidiens se conformant aux règles de l'économie capitaliste, où sévit une concentration extrême des capitaux et du pouvoir qu'ils permettent d'exercer, la presse imprimée est à peu près condamnée. À moyen terme, les quotidiens numériques itou mais c'est un scénario qui se profile à peine pour le moment. Il surgira, j'en suis sûr, quand on aura fini d'achever les «produits» (les journaux papier) qui risquent dans l'immédiat de rougir l'encre des bilans financiers.

Vous remarquerez que dans ce genre d'analyse, on passe sous un rigoureux silence (parfois embarrassé) certains des enjeux les plus fondamentaux de la presse écrite y compris le droit du public à l'information, la mission de renseigner de nos quotidiens, les multiples avantages du papier comme support de lecture, les dangers inhérents à miser sur le seul numérique, les effets civilisationnels de l'abandon de l'imprimé, les médias d'information comme assise de la démocratie, et bien d'autres. Écoutez François Cardinal: «Le problème, il se situe surtout du côté des colonnes de chiffres.» Mais c'est faux!

Les colonnes de chiffres préoccupent essentiellement les propriétaires d'entreprises qui s'intéressent à leurs organisations médiatiques dans la mesure où elles remplissent les coffres. Je n'ai rien contre ça. C'est ainsi que le système capitaliste fonctionne. Si les profits sont au rendez-vous, vous aurez votre journal papier. Sinon, on ferme les portes ou on vous laisse un onglet sur votre tablette ou votre téléphone. Jusqu'au jour où même l'onglet ne sera pas suffisamment rentable et là, en bon citoyen corporatif, on mettra tout le monde à la porte en blâmant les conditions du marché... Écoutez François Cardinal, ciblant les coûts du papier, «qui explosent en raison d'un marché contrôlé par une poignée de grands acteurs». Le capitalisme fonctionne ainsi: au plus fort la poche. Les autres, arrangez-vous...

Il est grand temps d'aborder de front le coeur de l'affaire. Sans une information quotidienne de qualité, préparée librement par des journalistes professionnels sur les meilleures plates-formes possibles, ce sera la glissade vers l'ignorance collective et la fin de nos démocraties. Cette glissade est déjà amorcée. Si le système capitaliste est dans l'incapacité ou indisposé à envisager l'information ainsi, alors il faut trouver autre chose et vite!

L'information est de loin plus importante que les colonnes de chiffres. Elle l'a toujours été, le sera toujours. Un journal quotidien n'est pas une vulgaire boîte de conserve sur une tablette. C'est un bien essentiel pour tout citoyen qui veut resté informé. Et sans citoyens informés, nous sommes à la merci des plus vils propagandistes. Un débat de fond s'impose sans délai, pendant qu'il reste encore quelques lambeaux de presse écrite dans nos kiosques. Mais il faudra compter sur l'engagement de citoyens soucieux de l'avenir du droit à l'information, parce que ce qui reste de nos salles de rédaction d'antan marche vers le précipice dans un silence parfois assourdissant!

Tant qu'on abordera la crise des journaux imprimés sous l'angle exclusif des modèles d'affaires, aucune solution n'est possible. Il faut sans tarder imaginer «des choses telles qu'elles n'ont jamais été et dire: pourquoi pas?» Nous ne manquons pas de cerveaux. Il est grand temps d'en rassembler autour de nos tables. Quand il ne restera plus rien, et cela arrivera si la tendance actuelle se maintient, ce sera trop tard!

SOS!!!

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Lien au texte La fin du papier dans La Presse+ : http://plus.lapresse.ca/screens/4d945848-e18f-42ec-8c17-164a0871d4a0__7C___0.html?utm_content=facebook&utm_source=lpp&utm_medium=referral&utm_campaign=internal%20share&fbclid=IwAR0kbF1GK_vTARLwaVE4XT08cLdjQi3ouaJ7cLzGVvu-dunQEKbjNafRDSk)


lundi 27 février 2023

Pas perdus... ou pas perdus?

«Funeste danse,                                                                                                                                                        Triste tombeau de la pudeur,                                                                                                                                    Fatal écueil de l'innocence,                                                                                                                                            Le démon seul est ton auteur,                                                                                                                            Funeste danse.»

(Manuel des parents chrétiens, Abbé Alexis Mailloux, Québec, 1926)

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Sous des apparences dociles et soumises, nos ancêtres d'avant Révolution tranquille ont toujours eu un côté rebelle. Ils baptisaient des enfants Émile ou Napoléon, noms honnis au sein du clergé. Après la messe leurs jasettes sur le perron de l'église étaient émaillées de sacres, petits péchés mortels dans le dos des curés. Ils mettaient leur âme en péril en prenant un p'tit coup, parfois même un gros, et ce n'était pas du vin de messe... Ils fredonnaient parfois des chansons osées, métissages de leur vécu s'ajoutant au legs de la vieille France. Et ils aimaient danser au rythme des violons, accordéons, musiques à bouche et «tapeux» de pied, quoiqu'on dise du haut de la chaire...

Que reste-t-il aujourd'hui de ces temps, désormais anciens? À part le patrimoine bâti qu'on n'a pas encore démoli et les archives papier, sonores et visuelles qui accumulent trop souvent la poussière, nos ultimes trésors d'un passé pas si lointain résident dans la mémoire des derniers survivants de l'époque, et dans la volonté des générations actuelles de garder en vie ou de perdre à jamais ces composantes irremplaçables de notre tissu culturel, tant individuel que collectif.

«Quand un peuple perd sa mémoire, c'est son âme qui crie famine.» (paroles de Louis Hébert, chanson des Cowboys fringants).

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Samedi après-midi, 25 février 2023, 14 h 45. Montréal, angle Saint-Urbain et Sainte-Catherine. Il neige. Il fait froid. Je grelotte, en file, à l'extérieur du Théâtre du Nouveau Monde, avec mon épouse Ginette, sa soeur Marthe et son conjoint Guy. Nous allons voir la pièce de théâtre - non, non, le documentaire scénique - intitulé «Pas perdus».

Je n'ai pas d'atomes crochus avec le théâtre, mais on m'avait dit que ce ne serait pas vraiment du théâtre. Et depuis que je ne vois plus ma fille Catherine sur les planches, mon intérêt pour la danse a périclité. Mais j'adore la musique, y compris le traditionnel et le folklore québécois. Alors hop, pour la première fois de ma vie, me voici - sans attentes particulières - assis dans cette enceinte bondée, en deuxième rangée par surcroit, tout près de l'action. Un intrus entouré de 800 initiés...

Un vieil homme apparaît devant nous, sur scène. Vieux que dis-je. À 74 ans, il est mon cadet. Ce Gaspésien, Réal, dont l'épouse souffre de la maladie d'Alzheimer, se réfugie dans son garage-atelier où, entre autres, il aime giguer sur un plancher qu'il a bâti de ses propres mains. Lui succèdent sept autres personnages d'âges, d'origines et de métiers variés - Dominic, Elisabeth, Eva, Jérôme, Quentin, Sylvain et Yaëlle - ayant comme fil conducteur leur passion pour la gigue, que chacune, chacun danse à sa façon.

Les histoires qu'ils racontent, toutes vraies, sont captivantes... Elisabeth évalue les possibilités de réadaptation d'un grand blessé. Quentin repousse les limites de l'expertise en jeux vidéo. Sylvain, issu de la nation des Attikamek, refait sa vie après avoir été victime d'abus sexuels dans son enfance. Yaëlle, de mère française et de père juif marocain, se passionne pour le folklore d'ici qu'elle recense de région en région. Toutes, tous exécutent des pas de danse individuels et, à la fin de cette «pièce» qui n'en est pas une, giguent ensemble sur scène pour une finale musicale exaltante et émouvante.

Les messages des concepteurs du documentaire scénique, Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier, ne contiennent aucune ambiguïté. Le titre est d'ailleurs fort bien choisi. D'abord, le devoir de mémoire de chacun et de tous est martelé avec force. Si on laisse ces gigues et la musique qui les soutient sombrer dans l'oubli, ces danses deviendront des «pas perdus». Peut-être, pour plusieurs, le sont-elles déjà. Si, par contre, nous les arrachons à l'oubli, elles ne seront «pas perdues». Le mal et son remède en ébullition...

Mais il y a plus. La gigue traditionnelle québécoise, avec son tapage de pieds, ses violons, accordéons, musiques à bouche, devient ici un langage d'intégration, à la fois individuel et collectif, qui abolit sans paroles les frontières de l'âge, de genre, d'origine, voire de culture. Elle s'incarne dans l'individu, s'affirme dans le collectif, devient rencontre entre le passé, le présent et l'avenir. Les traditions, le vécu et les espoirs des uns et des autres s'expriment dans des pas de danses qui s'harmonisent. Façon de dire que le Québec de demain giguera, ou ne sera peut-être pas.

Après cette fascinante présentation sur scène, je songeais qu'auparavant j'aurais associé le titre à l'expression «salle des pas perdus», signifiant le plus souvent salle d'attente d'un tribunal, d'un bureau, d'une gare, etc., où l'on fait les cent pas avant d'entrer. Je ne sais pas si c'était l'intention de l'auteure et du concepteur, mais il m'a semblé que ce «documentaire scénique» d'une heure et 50 minutes avait transformé le théâtre du TNM en véritable salle des pas perdus.

À la sortie de cette «salle d'attente» improvisée, les portes se sont ouvertes sur notre vaste chantier, sur l'hiver-mon-pays, sur Saint-Urbain-Sainte-Catherine-Montréal-centre-ville-Québec-tout-entier. C'est là que vivra ou s'effacera pour de bon la précieuse parcelle de l'âme collective qui gigue. Gigue-résistance. Gigue-rébellion. Gigue-libération? Le verdict se fait toujours attendre. Quel sera-t-il? Cela remue mes tripes rien que d'y penser. 


vendredi 24 février 2023

Quelque chose comme le paradis...

Ma planète imprimée va un tout petit peu mieux ce matin. Après quelques heures hier soir au Salon du livre de l'Outaouais, où pandémie oblige, je n'avais pas mis les pieds depuis le 27 février 2020, j'ai refait le plein sensoriel de mon univers - le paysage visuel de dizaines de milliers de vrais livres de tous genres, tailles et couleurs; l'ambiance sonore de la foule et d'auteurs en grappes de retrouvailles, d'amitiés renouées sans masques; l'arôme fugace du papier et de l'encre (sans oublier l'odeur des frites au petit casse-croûte); et bien sûr, l'immense plaisir de toucher à des bouquins, de les tenir et de les feuilleter. Quelque chose comme le paradis. 

Le numérique nous consume. Hier soir, au resto dans le Vieux Hull, personne n'a apporté de menu. Une petite feuille avec quatre codes QR au centre de la table servait de guide. Mais sans téléphone cellulaire (je n'en ai pas), impossible de déverrouiller cette petite serrure numérique. J'ai dû me lever et demander un vrai menu avec du papier, des mots et des prix. Oui, il en restait bien quelques-uns pour les dinosaures en voie d'extinction. Heureusement, le chef cuisinier n'a pas rempli nos assiettes de codes QR... mais ça viendra peut-être un jour.

En entrant au Salon du livre, on se sent tout à coup à l'abri, en sécurité, en continuité avec 500 ans de civilisation de l'imprimé. Au-delà de l'occasionnel rappel de la grande menace (p. ex. au kiosque de mon ancien quotidien, Le Droit, qui plane sans papier dans les vapeurs de l'Internet depuis mars 2020), les allées coiffées de bannières des maisons d'édition sont peuplées de sourires et de conversations animées, et les files d'attente aux caisses attestent le besoin d'acquérir et de conserver chez soi des artéfacts culturels tangibles qui restent, qui ne disparaissent pas quand une batterie meurt, quand un écran s'éteint ou quand un inconnu qui le peut débranche un réseau.

À en croire certains, un jour les salons du livre seront essentiellement des événements en ligne, où l'on connectera par Zoom ou Teams ou autrement avec des auteurs ou des représentants d'éditeurs ou de librairies qui nous proposeront d'acheter des oeuvres numériques à ranger sur les tablettes de nos disques durs, ou dans un lointain «nuage»... L'idée qu'une de mes belles bibliothèques en bois finisse par abriter quelques clés USB et une collection de bibelots à la place des livres que j'ai accumulés depuis plus d'un demi-siècle me donne froid dans le dos. J'aimerais mieux la brûler...

J'ai fait quatre achats hier soir au Salon du livre de l'Outaouais - Au temps de la pensée pressée (Jean-Philippe Pleau), La nation qui n'allait pas de soi (Alexis Tétreault), Les quatre mousquetaires de Québec (Alexandre Dumas) et La petite histoire de la Loi sur laïcité de l'État... (Marie-Claude Girard). Quatre nouveaux livres à signer, à feuilleter, annoter, commenter même, si cela m'en dit, puis enfin, à conserver... en espérant qu'un jour un autre humain conscient de leur importance les acquière et leur fasse un second chez-soi. Avec un peu de soin, ils dureront des centaines d'années et seront encore là quand tous les écrans de 2023 auront été réduits en poussière.


mardi 21 février 2023

La Cour suprême et l'intérêt «national»

Il n'y a qu'une assemblée «nationale» au Canada... C'est l'Assemblée nationale du Québec. Aucune autre législature provinciale n'adopte la désignation «nationale». Même au Parlement fédéral, la Chambre des communes et le Sénat n'utilisent pas le qualificatif «national»...

Et pourtant, à l'extérieur du Québec, le mot «national» est couramment employé en anglais pour désigner l'ensemble du Canada. En anglais, le mot est le plus souvent synonyme d'État. Pour les Anglo-Canadiens, la «nation» (prononcer nay-shune), c'est le Canada. Ainsi, l'organisme responsable des affaires fédérales dans la région d'Ottawa s'appelle la «Commission de la capitale nationale». Parcs Canada administre un réseau pan-canadien de «parcs nationaux» et ainsi de suite.

«National», synonyme de canadien...

Mais nulle part le mot «national», au sens Canadian, a-t-il une plus grande importance qu'à la Cour suprême du Canada. Pour ces neuf juges nommés par le premier ministre fédéral, «national» est synonyme de fédéral, canadien ou pan-canadien. Les questions purement québécoises deviennent des affaires «locales», à la limite provinciales, mais certainement pas nationales. Et pour la plus haute cour du pays, il apparaît assez clair que «l'intérêt national» (c.-à-d. canadien) a préséance sur l'intérêt local ou provincial. Que les principes du fédéralisme - qui consacrent l'égalité juridique entre l'État fédéral et les États fédérés - disent le contraire ne semble plus avoir d'importance.

Pourquoi s'attarder à la Cour suprême? Parce qu'elle est justement «suprême». L'ultime recours. Et depuis la Charte des longs couteaux de 1982, elle est l'arbitre officiel des litiges constitutionnels. Ses décisions sont finales et sans appel. Seuls le Parlement fédéral et les législatures des États fédérés peuvent modifier ou renverser, par un acte législatif, des jugements de la Cour suprême, et ce, dans les limites permises par la constitution. Alors si les adversaires de la Loi 21 sur la laïcité de l'État du Québec gagnent devant le plus haut tribunal du Canada, soit en limitant la clause dérogatoire, soit en rendant inconstitutionnel le fond même du texte législatif, c'en est fini de la Loi 21. Pouf! Disparue. Cul-de-sac!

Mais revenons au mot clé «national». N'oublions pas qu'à la Cour suprême, nous planons dans la stratosphère juridique. Ici, le sens d'un seul terme, d'une seule expression peut susciter de longs débats et avoir des conséquences majeures et durables. Prenons comme exemple l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les textes anglais et français étant différents, la Cour suprême a dû choisir et la simple présence du mot «de» en français (établissements d'enseignement de la minorité linguistique) a valu aux minorités francophones hors-Québec le droit à la gestion de leurs propres réseaux scolaires à travers le pays, «lorsque le nombre le justifie» bien sûr.

Si tâtillonneux à l'habitude...

Mais ces juges suprêmes, si tâtillonneux à l'habitude, n'ont que faire des nuances et des détails, même fondamentaux, quand vient le temps de lancer à tort et à travers le mot «national» sans prendre le temps de le définir. Dans le célèbre Renvoi sur les valeurs mobilières, en 2011, ils ont utilisé le terme «national» à 75 reprises, et «local» une quarantaine de fois. Les mots les plus précis auraient été «fédéral», «provincial», même «municipal» à l'occasion. La Cour suprême aurait pu évoquer une réglementation «fédérale» des valeurs mobilières au lieu d'une réglementation «nationale». Mais non. Par contre, le choix des mots nous éclaire sur le sens que leur accordent nos juges suprêmes... Jamais, dans ce jugement, n'aurait-on songé à voir dans la réglementation québécoise des valeurs mobilières une intervention «nationale»... L'intérêt national du Québec devient intérêt «local» à la Cour suprême.

Avance rapide au 25 mars 2021. Que s'est-il passé? La Cour suprême a asséné un coup de masse au principe fédéral qui régit le Canada depuis 1867 en accordant au gouvernement central un statut supérieur à celui des provinces. Dans l'affaire sur la taxation des gaz à effet de serre, les juges ont décidé qu'Ottawa pouvait, quand il estime que l'intérêt «national» (comprendre ici l'intérêt du Canada) est menacé par l'inaction ou l'action d'une ou de plusieurs provinces, légiférer dans des compétences provinciales.

Quel intérêt national?

Et ce n'est pas là une mesure temporaire. «L'effet de la reconnaissance d'une matière en vertu de la théorie de l'intérêt national est permanent et confère compétence exclusive au Parlement (fédéral) en cette matière», écrivaient les juges majoritaires dans leur décision (voir bit.ly/3w5vd9e). Et qui décide si un enjeu devient tout à coup d'intérêt «national»? Poser la question c'est y répondre: Ottawa et ses juges...

Et voilà. La table est mise. Au-delà d'une reconnaissance symbolique de la «nation québécoise» par la Chambre des communes en 2006, la majorité anglo-canadienne qui détient l'ultime pouvoir décisionnel dans la fédération canadienne voit le gouvernement d'Ottawa comme son gouvernement «national». Le Canada est sa «nay-shune»... Les anglophones du Canada se disent Canadian, jamais English Canadian. Ils se réservent l'appellation nationale. À nous, ils diront French Canadians, ou Quebecers. L'appellation locale. En ce sens, la Cour suprême constitue le fidèle reflet de la société et du gouvernement sur lesquels il trône.

Et pourtant, contrairement aux autres provinces, le Québec possède son propre «intérêt national», indépendamment de l'intérêt national ou post-national des Anglo-Canadiens. Quand la Cour suprême évoque en français l'intérêt national comme s'il n'y en avait qu'un, celui d'Ottawa, elle commet au mieux un anglicisme. Au pire, le plus haut tribunal du pays vient d'affirmer que l'intérêt national anglo-canadien a priorité sur l'intérêt national québécois.

Que faire?

Alors que fait-on? Y aura-t-il au moins un juriste pour obliger la Cour suprême à définir clairement le mot «national» et à enfin reconnaître qu'il existe au Canada deux intérêts nationaux différents, et parfois opposés: celui du Canada et celui du Québec? Ou mieux, y aura-il enfin un gouvernement québécois qui dira à Ottawa que nous en avons marre de ce régime juridique de «broche à foin» et qu'en vertu de notre intérêt «national», nous refusons désormais d'y participer? 


samedi 18 février 2023

L'inquisition woke? Vraiment?

C'est le retour de l'Inquisition, par Nathalie Elgrably, chroniqueur, Journal de Montréal - Voici le lien : https://www.journaldemontreal.com/2023/02/17/cest-le-retour-de-linquisition

Au Canada, il est dangereux de dire la vérité, par Joseph Facal, chroniqueur, Journal de Montréal - Voici le lien : https://www.journaldemontreal.com/2023/02/15/au-canada-il-est-dangereux-de-dire-la-verite

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Josh Alexander, capture d'écran de insideottawavalley.com

Personne ne pourra m'accuser de sympathie envers ce qu'on appelle sans trop la définir la tendance woke... Ardent partisan de la liberté d'expression, adversaire intransigeant de la censure, défenseur sans compromis de la démocratie, j'ai combattu l'intégrisme catholique dans ma jeunesse et n'ai aucunement l'intention de plier devant les nouveaux interdits du 21e siècle, fussent-ils de gauche, de droite ou d'ailleurs.

Alors quand des chroniqueurs réputés d'un grand quotidien montréalais rapportent qu'un adolescent de 16 ans a été suspendu de son école secondaire (catholique par surcroit) pour avoir «avoir eu l'audace d'affirmer qu'il n'existe que deux genres» et «que les personnes nées avec un sexe masculin devraient utiliser les toilettes des hommes», je m'indigne... Mais étant également un vieux journaliste, d'instinct j'ai besoin de gratter sous la surface. Se peut-il vraiment qu'un élève soit évincé pour avoir exprimé une telle opinion?

Je n'ai pas eu à chercher longtemps pour que les eaux, si limpides au départ, s'embrouillent. L'image d'un pauvre étudiant devenu victime de l'inquisition woke est vite devenue un casse-tête auquel, selon les médias que l'on consulte, de nombreux morceaux manquent à l'appel. Et n'oublions pas que cette histoire se déroule à Renfrew, petite ville ontarienne très, très anglophone de 8000 habitants située à une heure de route à l'ouest d'Ottawa. Il faut donc recenser les médias de langue anglaise pour en savoir davantage. À l'exception des deux chroniques du Journal de Montréal, je n'ai rien trouvé en français au Québec.

La thèse présentée au lectorat du quotidien montréalais est celle que propagent les quotidiens plus conservateurs, tels l'Ottawa Sun (voir Lien 4 en bas de page), où l'on peut lire en début de texte: «In the name of diversity, a Catholic school in Renfrew suspended a student and had him arrested for saying there are only two genders.» Traduction libre: «Au nom de la diversité, une école catholique à Renfrew a suspendu un élève et l'a fait arrêter par la police pour avoir dit qu'il n'existait que deux genres». L'impression laissée, c'est que les chroniqueurs du Journal de Montréal ont plutôt fait confiance à ce genre de texte.

Si, par contre, on consulte insideottawavalley.com, un site Web d'information davantage lié au groupe Torstar (Toronto Star), moins conservateur, on voit l'image de Josh Alexander portant une casquette de l'organisme Save Canada, un groupe religieux militant formé de jeunes qui «s'agenouillent devant Dieu, et seulement devant Dieu», et qui veulent, entre autres, faire arrêter des traîtres comme Trudeau et construire des oléoducs.

Selon le texte aussi publié dans le journal Renfrew Mercury (voir Lien 3 en bas de page), Josh Alexander avait été suspendu en novembre 2022 pour des commentaires «inappropriés» envers des élèves transgenre et pour avoir organisé une manifestation à l'école, avec l'appui d'organismes tels Save Canada, Freedom Fighters Canada et l'Ontario Party. Selon M. Alexander, la manif n'était pas anti-trans mais visait à protester contre la présence de mâles dans les toilettes des filles. 

Arrêté le 6 février pour avoir violé l'ordre d'expulsion de son école, puis le 8 février à une seconde manif, cette fois contre des drag queens au Centre national des arts (à Ottawa), Josh Alexander est représenté par l'avocat de Liberty Coalition Canada, dont le site Web propose sur sa page d'accueil un lien qui évoque le «satanisme trans»... Le texte d'insideottawavalley.com indique aussi que que les reproches formulés à l'endroit de Josh Alexander ne concernent pas que ses paroles et opinions, mais aussi son comportement, qualifié par certains de harcèlement et d'intimidation.

Le site d'information radiophonique CityNews.ca, d'Ottawa, a pour sa part interviewé la mère d'une des élèves transgenre à l'école secondaire catholique de Renfrew (voir Lien 1 en pas de page). Pour elle, les victimes sont les élèves trans et non Josh Alexander qui, selon Mme Smith-Dore, «opprime» le droit des filles trans d'utiliser les toilettes des femmes et utilise un discours qu'elle qualifie de «haineux» à l'endroit des trans, augmentant le risque de violence à leur endroit. L'école aurait même suggéré à un certain moment de faire accompagner les deux élèves trans par une «ombre» (essentiellement, un garde du corps) pour les protéger des «interactions négatives». 

Dans un texte de CTV News en novembre 2022, le journaliste a interviewé une adolescente trans de 16 ans qui disait avoir été intimidée (bullied), avoir même reçu des menaces de mort et subi le ressac de la controverse entourant son usage des toilettes pour filles. Les gens devraient avoir le droit d'utiliser les toilettes de leur choix sans avoir peur d'être blessés (hurt)», disait-elle.

Enfin, à chaque lecture, on en apprend des bribes qui ajoutent ou modifient les nuances de gris qui colorent les affirmations «noir et blanc» que l'on placarde parfois en manchette. Ce qui est en jeu, ici, pour moi en tout cas, autant que la liberté d'expression, c'est le rôle des journalistes et de l'information. Et clairement, dans le débat autour de Josh Alexander, les textes que l'on lit sont trop souvent incomplets, et plusieurs portent la marque idéologique des organisations qui les publient. Les faits dans cette histoire doivent façonner l'opinion, et non le contraire. Quant à la liberté d'expression individuelle et collective, elle n'est jamais absolue, même en démocratie. Elle s'arrête et s'interroge quand elle brime la liberté d'expression des autres. On trouve alors des compromis qui permettent aux différents courants d'opinion de s'exprimer pacifiquement.

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Lien 1 - Mother of transgender teen speaks up about washroom controversy - CityNews.ca - https://ottawa.citynews.ca/valley-news/mother-of-transgender-teen-speaks-up-about-washroom-controversy-6529038

Lien 2 - Renfrew teen arrested for trespassing at St. Joe's following «non-disciplinary exclusion » - City News.ca - https://ottawa.citynews.ca/valley-news/renfrew-teen-arrested-for-trespassing-at-st-joes-following-non-disciplinary-exclusion-6467384

Lien 3 - Renfrew teen suspended from school fo expressing anti-trans beliefs - insideottawavalley.com - https://www.insideottawavalley.com/news-story/10850464-renfrew-teen-suspended-from-school-for-expressing-anti-trans-beliefs/

Lien 4 - High school student suspended, arrested for saying only two genders - Ottawa Sun - https://ottawasun.com/opinion/columnists/lilley-catholic-high-school-student-suspended-then-arrested-for-saying-there-are-only-two-genders

Lien 5 - Catholic student arrested for expressing Catholic beliefs - National Post - https://nationalpost.com/opinion/catholic-school-has-student-arrested-for-expressing-catholic-beliefs

Lien 6 - Student barred from Catholic school for gender opinion to file human rights complaint - catholic register.org - https://www.catholicregister.org/item/35255-student-barred-from-catholic-school-for-gender-opinion-to-file-human-rights-complaint

Lien 7 - Protest over gendered washroom use at Renfrew High School - CTV News - https://ottawa.ctvnews.ca/protest-over-gendered-washroom-use-at-renfrew-high-school-1.6169276

Lien 8 - Josh Alexander arrêté pour avoir protesté contre un spectacle de drag Queens destiné aux enfants - Texte de Campagne Québec-Vie - https://www.cqv.qc.ca/josh_alexander_arrete_pour_avoir_proteste_contre_un_spectacle_de_drag_queens_destine_aux_enfants

Lien 9 - La police ontarienne arrête Josh Alexander pour s'être présenté en classe - Campagne Québec-Vie - https://www.cqv.qc.ca/la_police_ontarienne_arrete_josh_alexander_pour_s_etre_presente_en_classe

Lien 10 - Un élève canadien d'une école catholique exclu de son lycée pour avoir dit qu'il n'y avait que deux genres - Le Figaro étudiant (France) - https://etudiant.lefigaro.fr/article/un-eleve-canadien-d-une-ecole-catholique-exclu-de-son-lycee-pour-avoir-dit-qu-il-n-y-avait-que-deux-genres_0eae0610-a921-11ed-938f-cfc88137eaa2/

Lien 11 - Campagne Québec-Vie - Une organisation dont le premier objectif est de «promouvoir la reconnaissance, par les représentants de tous les corps sociaux, y compris ceux de l’État, de la nécessité du christianisme, en tant que seule religion intégralement vraie». Voir https://www.cqv.qc.ca/qui_nous_sommes

Lien 12 - Liberty Coalition Canada - «We arm Canadians with a clarion Christian conservative analysis of current events to diagnose the breakdown of liberty in Canada.» - Voir https://libertycoalitioncanada.com 

Lien 13 - Save Canada - «We are young Canadians who have taken up the responsibility of igniting the Canadian youth by awakening them to the corrupt agenda being forced upon them. We stand against this indoctrination, we stand against the attack on our faith, and we stand against the abolishment of our liberties. The majority of the population kneels to the corrupt system, but not us. We kneel before God, and before Him alone.» https://www.savecanada.army

Lien 14 - Freedom Fighters Canada - Voir https://www.freedomfighterscan.ca/

Lien 15 - Ontario Party - Freedom, Family and Faith - https://www.ontarioparty.ca/


mardi 14 février 2023

Loi sur les langues officielles: où est passé le Québec?

Capture d'écran du Secrétariat du Québec aux relations canadiennes

Trop occupé à se défendre contre les incursions fédérales dans les champs de compétence québécois, le gouvernement de François Legault se porte rarement à l'offensive dans les plates-bandes d'Ottawa. La ministre Sonia Lebel (alors ministre de la Francophonie) l'a fait en 2019 quand elle a réclamé du gouvernement Trudeau qu'il renie l'un des fondements de la politique linguistique fédérale en vigueur depuis 1969.

Le terrain d'affrontement serait la Loi sur les langues officielles, où les minorités francophones hors Québec et la minorité anglo-québécoise ont droit aux mêmes égards. Ainsi, en vertu de cette loi, les interventions d'Ottawa au Québec - financières et autres - se font uniquement en faveur de la langue anglaise. C'est à cette symétrie entre la situation des Canadiens français, Acadiens et Anglo-Québécois que s'est attaqué Mme Lebel au nom du gouvernement québécois.

Sachant qu'une révision complète de la Loi sur les langues officielles (LLO) s'amorcerait bientôt, Québec a étoffé sa déclaration de 2019 avec une prise de position officielle le 5 février 2021, ayant comme point d'ancrage «le fait que des deux langues officielles du Canada, seul le français est (minoritaire et) vulnérable et qu'il doit être protégé et promu, tant dans les autres provinces et territoires qu'au Québec».

«Ce principe, affirmait Québec, permet de reconnaître à la fois la spécificité du Québec et les enjeux linguistiques francophones ailleurs au Canada, légitimant ainsi un traitement différencié de la langue française et de la langue anglaise au Canada.» Cela aurait comme conséquence, entre bien d'autres, de soumettre les entreprises privées de compétence fédérale à la Loi 101 et de prendre des mesures (y compris financières) pour la protection et la promotion du français... au Québec!

Quelques mois avant le dévoilement de cette position du gouvernement Legault, le premier ministre Trudeau semblait s'être rallié, du moins en partie, au principe énoncé depuis 2019 par le Québec. Dans son discours du Trône, «il reconnaissait le statut de langue minoritaire du français au Canada et en Amérique du Nord», et s'engageait «à protéger le français à l'extérieur du Québec, mais aussi au Québec». Finie, donc, cette fausse symétrie entre Anglo-Québécois et les minorités françaises ailleurs au pays? Dans son Livre blanc de février 2021, la ministre fédérale de la Francophonie (Mélanie Joly à l'époque) ajoutait: «L'existence d'un foyer francophone majoritaire dans un Québec où l'avenir du français est assuré est non seulement un objectif légitime, mais aussi une prémisse fondamentale du régime fédéral des langues officielles.»

De la part d'Ottawa, cela constituait un changement fondamental. Pierre Elliott Trudeau, champion des droits individuels, aurait frémi et grondé son fils. On introduisait dans le langage fédéral un engagement officiel en faveur des droits collectifs des francophones du Québec. Pas par la porte arrière. Que le «foyer francophone majoritaire» au Québec utilise sa majorité pour assurer l'avenir du français devenait un «objectif légitime» et «une prémisse fondamentale» d'Ottawa en matière de langues officielles. Évidemment ces mots ont une grande importance, mais ce ne sont que des mots... Sans mesures concrètes pour assurer la mise en oeuvre, ce sont de belles paroles sans plus.

Or, nous voici deux années plus tard, en février 2023, avec un second gouvernement minoritaire, une nouvelle version du projet de loi (C-32 est devenu C-13), deux nouveaux ministres de la Francophonie (Jean-François Roberge à Québec, l'Acadienne Ginette Petitpas Taylor à Ottawa) et un débat qui, à l'extérieur du comité permanent fédéral des langues officielles, ne suscite à peu près aucun engouement. L'intérêt pour la protection du français au Québec est plus tiède au sein des rangs libéraux et cela paraît dans l'étude du plus récent projet de loi (et le précédent) sur les langues officielles. Quant au Québec, après une entrée de jeu fracassante en 2019-2020, il a vite retraité au vestiaire. Son effacement actuel dans le débat de la nouvelle LLO est inexcusable, en plus d'affaiblir la position des défenseurs du Québec à Ottawa (notamment le Bloc québécois).

À toutes fins utiles, au-delà des belles paroles, Ottawa se comporte comme si l'ancienne symétrie entre Anglo-Québécois et francophones hors Québec demeurait la règle. Après avoir affirmé le caractère primordial de la protection et de la promotion du français «même au Québec», la nouvelle ministre Petitpas Taylor a lancé une série de forums de consultation pan-canadiens où le thème du déclin du français au Québec était totalement absent. Comme si cela n'existait pas! Dans ses forums à Montréal et à Sherbrooke, on a vu parader la litanie habituelle d'organisations au service de la minorité anglaise. Et les organisations de défense du français? Bruits de criquets...

Dans le projet de loi même, on ne trouve aucune mesure réelle de protection et de promotion du français au Québec, mais bien des références (comme depuis 1969) «à l’épanouissement des minorités francophones et anglophones», et à la protection et la promotion «d’institutions fortes qui desservent ces minorités». En vertu de ces textes, Ottawa continue d'appuyer les Anglo-Québécois et de promouvoir l'anglais au sein même du «foyer francophone» québécois qu'il s'était engagé à protéger... Et clairement, on a affaire à une ministre fédérale et à un Commissaire aux langues officielles qui sont sceptiques quand on parle de déclin du français au Québec.

Grâce au Bloc québécois, le comité permanent des langues officielles s'est donné, entre autres, le mandat d'approfondir la situation du français au Québec dans le cadre de l'étude de la LLO et, à ce titre, on a vu pour la première fois de l'histoire récente des experts en démographie et des militants pour un Québec français dire aux députés fédéraux des choses qu'ils n'avaient jamais entendues. Mais cela n'a rien changé au fond du projet de loi. Ces derniers jours, c'est plutôt le West Island qui a repris l'offensive, pour réaffirmer les vieilles positions rigides de Pierre Elliott Trudeau et se présenter faussement en victime. Et tout ce temps, le Québec reste bien trop silencieux. Le Bloc et ses alliés défendent des revendications du Québec que le Québec lui-même ne défend pas*... 

À la fin du processus, quand la nouvelle Loi sur les langues officielles aura été adoptée, on pourra brandir bien haut le petit article qui fait référence à la Charte de la langue française du Québec. Mais ce ne sera guère plus que le clocher d'une église vide...

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* Négociation Québec-Ottawa sur le français : le ministre Roberge se dit «flexible» https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1950435/negociation-quebec-ottawa-francais-jean-francois-roberge-flexible-loi-101-ginette-petitpas-taylor-langues-officielles-reforme


jeudi 9 février 2023

Presse écrite: une nouvelle claque...

Capture d'écran du Journal de Québec

Ce qui reste de la presse quotidienne imprimée au Québec a mangé une nouvelle claque au début de février 2023 avec l'abandon de l'imprimerie du Journal de Québec située dans le secteur Vanier de la Vieille capitale. Québecor a ainsi «remercié» l'équipe des pressiers, dans tous les sens du mot... Le fait de les avoir remercié «chaleureusement» ne change sans doute pas grand chose à la douleur ressentie par cette équipe chevronnée qui, depuis un demi-siècle, oeuvrait en pleine nuit pour que leur quotidien tombe entre les mains de ses fidèles lecteurs aux petites heures du matin.

Ils seront bien sûr remplacés par d'autres pressiers tant que le papier survivra, mais la nouvelle imprimerie plus moderne est située à Mirabel. Mauvaise nouvelle pour un quotidien du matin comme le Journal de Québec qui devra faire son deuil des nouvelles de fin de soirée (notamment les sports) parce les camions transportant les journaux, plutôt que de partir de Québec même, devront rouler des heures sur les autoroutes pour transporter leur cargaison aux points de livraison.

Le cercle vicieux qui a tué les anciens journaux papier de Power/Gesca est désormais activé au sein du groupe Québecor. Récemment, on avait guillotiné l'édition du dimanche du Journal de Montréal et du Journal de Québec. Avec les nouvelles heures de tombée plus hâtives, la qualité du produit souffrira. Et l'effet ricochet se fera même sentir au journal Le Devoir, qui devra lui aussi devancer ses heures de tombée parce qu'il a recours à la même imprimerie de Mirabel... qui ne peut évidemment tout faire en même temps. Mais ce n'est que le début...

Les barons de la presse et leurs empires, en bons capitalistes, tiennent davantage à l'encre noire dans leur bilan financier qu'à l'encre noire et multicolore de leurs journaux. La qualité du produit et le sort des artisans qui le façonnent passeront toujours après les marges de profit. Ainsi va l'économie. Ils continueront à faire de l'information et à imprimer leurs quotidiens tant que ce sera suffisamment payant. Et l'importance de leur rôle comme outil essentiel de la démocratie? Et la valeur de tous ces employés qui se sont dévoués pendant si longtemps? On vous regardera avec un drôle d'air... quelle naïveté, pensera-t-on...

Cela me rappelle le sort réservé aux pressiers et typographes de mon ancien journal, Le Droit, à la fin de 1989. Jour triste s'il en fut. L'agonie des typographes durait déjà depuis près de 20 ans. L'arrivée des ordinateurs avait d'abord transformé leur métier, puis signifié son arrêt de mort quand les technologies ont finalement permis aux journalistes de monter eux-mêmes les pages à l'écran et les expédier directement aux presses sans passer par le vieil atelier de composition. Ces virages technologiques aboutissaient dans les années 1980, au moment où Le Droit passait de journal indépendant à serviteur enchaîné d'empires médiatiques, notamment celui du fourbe Conrad Black (Hollinger), signal du démantèlement de l'entreprise qui, quelques années plus tôt, avait sous son toit quelque 400 employés.

Mais revenons à décembre 1989. La fermeture de l'atelier et des presses devait avoir lieu dans la nuit du 29 au 30 décembre avec la production et l'impression du dernier journal de l'année (samedi 30 décembre 1989). En même temps, la salle des nouvelles et les bureaux administratifs quitteraient le grand édifice inauguré en 1955 sur la rue Rideau, à Ottawa, pour occuper des espaces locatifs beaucoup plus petits dans le quartier du Marché By. Le journal irait pour sa part sous presse à une imprimerie hulloise achetée par les propriétaires du Droit. Le vendredi 29 décembre devait donc être l'ultime journée de travail des journalistes, des employés d'atelier et des pressiers (nuit du 29 au 30) dans la vieille bâtisse. Une journée mémorable, un souvenir que tous conserveraient précieusement.

Mais voilà que le vendredi matin, nous apprenions par surprise (j'étais adjoint au rédacteur en chef et je n'étais pas au courant!!!) que le déménagement était immédiat - comme, hé les journalistes, faites vos valises et déguerpissez - et que la fermeture de l'atelier et des presses était chose faite. Les typographes déjà au travail ne feraient pas le montage du Droit de samedi et les pressiers n'imprimeraient pas leur dernier journal. Ce fut d'abord l'incrédulité, puis la colère, puis la résignation. Des journalistes ont traîné longtemps dans la vieille salle de rédaction avant de se rendre aux nouveaux locaux. Certains, comme moi, ont passé quelques heures à l'atelier de composition pour faire nos adieux à des collègues que nous avions côtoyé pendant des décennies. La désolation se lisait sur les visages (les nôtres et les leurs) et dans les yeux humides de vieux employés privés sans pitié d'un ultime exercice collectif de leur expertise. En début d'après-midi, j'ai reçu l'ordre de «sacrer mon camp» de là et d'intégrer les nouveaux bureaux...

Dans l'édition du lendemain, les textes publiés sur les événements de la veille ne faisaient aucun état de la façon dont on avait traité plus d'une centaine d'employés qui avaient assuré le montage et l'impression du journal pendant si longtemps. Le merci qu'on leur offrait à la une était au mieux doux-amer. Les gens «avaient hâte» de déménager, écrivait-on avec une pincée de désinformation. Comme toujours, les empires de presse livrent le même message que je ne crois plus: que ces mesures de «redressement» visent à assurer la survie à long terme du quotidien. On assiste depuis un demi-siècle à une érosion de la presse écrite et chaque dégringolade est présentée comme un progrès et un gage de pérennité. Et certains y croient toujours, même dans les salles de rédaction...

Tout ça pour pour dire que je salue les braves pressiers du Journal de Québec, qui ont exercé pendant de longues années un métier essentiel et qui se retrouvent aujourd'hui victimes d'on ne sait trop quoi... Le 29 décembre 1989 au quotidien Le Droit aura été l'une des journées les plus tristes de ma vie professionnelle. Je me souviens toujours de mon incrédulité, je me souviens toujours de ma colère. Ma résignation? Non... Ça, connais pas...

À gauche, Le Droit du 29 décembre 1989...


mardi 7 février 2023

À la défense de Norman Bethune

«Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime.» Paroles de Jésus selon l'Évangile de Saint Jean

«Norman Bethune se disait communiste. Je dis, moi, que c'était un saint.» Paroles du Dr Richard Brown, médecin et missionnaire anglican qui a côtoyé Bethune en Chine vers 1938

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Norman Bethune, en Chine

Pourquoi évoquer le souvenir de l'héroïque médecin canadien Norman Bethune, mort depuis déjà 83 ans? Parce qu'un chroniqueur réputé, Frédéric Bastien, pour lequel j'ai d'ailleurs beaucoup d'estime, vient de salir sa mémoire dans les pages du Journal de Montréal (1) en le traitant de «complice d'un des pires dictateurs de l'histoire, Mao Zedong» et «d'admirateur du sanguinaire dictateur Staline». Ces affirmations brutales ne doivent pas rester sans réponse.

Norman Bethune, Ontarien de naissance devenu chef de chirurgie thoracique à l'hôpital Sacré-Coeur de Cartierville au milieu des années 1930, durant la grande Dépression, a passé toute sa vie à prodiguer des soins, privilégiant au Québec et au Canada les plus démunis de la société sans exiger d'être payé (il n'y avait pas d'assurance-maladie à l'époque), volant par la suite au secours des blessés au combat en Espagne contre les troupes nazies et fascistes de Franco, Hitler et Mussolini, puis enfin en Chine où il est mort en héros en novembre 1939 après avoir sauvé des milliers de vie dans des «hôpitaux» de fortune, au service de la résistance contre l'impérialisme japonais.

Ayant souffert de la tuberculose et perdu un poumon, Bethune connaissait la maladie et savait observer la société et la profession médicale, sur lesquelles il portait un jugement sévère. «Comme tout médecin le moindrement éveillé, il savait que la tuberculose était la soeur jumelle de la pauvreté», rappellent ses biographes. «La province où le niveau de vie était le plus bas (le Québec en l'occurrence) était aussi celle qui avait le taux de tuberculose le plus élevé.» Et sur sa profession, il ajoutait: «Les médecins ouvrent des boutiques, comme des tailleurs. Et nous sommes fiers de raccommoder ou de recoudre une jambe, un bras, comme un tailleur recoud un vieux manteau. Je n'appelle pas cela de la médecine. Nous sommes des marchands qui ne font pas crédit.»

Ses idées étaient révolutionnaires dans les années 1930, du moins en Amérique du Nord. «Il faut rendre la médecine accessible, disait-il à son épouse Frances. Rejoindre le peuple. Plus de pratique privée; il faut changer le système médical. Regarde par la fenêtre, toutes ces maisons, toutes ces rues. C'est là que la médecine doit aller combattre. Dans chaque ville, dans chaque village, dans chaque rue, dans chaque maison. De porte en porte. Il faut offrir des servies médicaux à chaque individu, ne pas attendre que les invalides se traînent à nos bureaux avec le prix de leur consultation en main. Nous devons les voir avant qu'ils ne soient malades et leur enseigner comment rester en bonne santé.» Et Bethune se résumer: «Ce qu'il faut inventer, c'est un système de protection médicale générale.»

Norman Bethune, déjà connu comme le médecin des pauvres à Montréal, a visité l'Union soviétique à l'été de 1935 pour assister à une conférence médicale internationale et a obtenu la permission de visiter les hôpitaux et sanatoriums pour y étudier les expériences soviétiques en traitement de la tuberculose. Il a découvert que l'incidence de cette maladie avait été réduite de 50% et que les travailleurs des usines y étaient reçus en priorité, contrairement au Canada. Et les soins étaient gratuits pour tous. Après quelques mois, il est revenu au Québec rempli d'enthousiasme pour le système de santé soviétique... et non pour les obsessions meurtrières de l'ogre Staline comme le laisse croire la chronique dans le Journal de Montréal.

Et il se disait désormais communiste. «La façon la plus simple de protéger adéquatement la santé des gens serait de remplacer le système économique qui produit la maladie, et d'éliminer l'ignorance, le chômage et la pauvreté.»

En 1936, inquiet devant la montée des dictatures fascistes en Europe, Bethune abandonna sa pratique à Montréal pour devenir médecin au front en Espagne, où les républicains combattaient bravement les armes de Franco et celles de ses alliés, Hitler et Mussolini. Il y mit sur pied un service de transfusion sanguine, l'un des premiers, qui permit de sauver la vie de milliers de combattants et civils blessés dans les affrontements et les bombardements allemands et italiens. Ses exploits se propagèrent partout en Espagne. «Pour la première fois depuis que l'homme tue ses frères sur les champs de bataille, un homme est venu pour y donner du sang, et non le verser.»

Revenu en Amérique en 1937 pour une campagne de collecte de fonds pour l'Espagne rouge de sang qui, comme chantait Jean Ferrat, «criait dans un monde immobile», sans appui des démocraties, Norman Bethune modifia sa destination de retour. Il irait en Chine, où ses services seraient encore plus précieux. Il devait y rencontrer Mao, qui dirigeait une armée rebelle ne contrôlant qu'une petite partie de la Chine contre l'envahisseur japonais (il n'était pas à cette époque le dictateur qu'évoque la chronique de M. Bastien), et avait proposé de sauver les trois quarts des blessés en installant des cliniques mobiles de chirurgie au front, près des champs de bataille. Ce qu'il fit.

Le médecin et ses petites équipes travaillaient presque sans repos, sans salaire (il avait refusé les 100 $ par mois que lui offrait la 8e armée de Mao), dans des conditions souvent affreuses. Il pouvait accomplir plus de 10 chirurgies en une journée et a déjà opéré sans répit pendant 69 heures d'affilée. En novembre 1939, il s'est coupé à la main pendant une chirurgie et la septicémie qui en est résulté l'a tué. Il avait littéralement donné sa vie pour ceux qu'il aimait. Les Chinois vénèrent sa mémoire avec raison. On l'a longtemps oublié au Canada et au Québec, et les quelques statues à sa mémoire constituent le moindre des hommages qu'on pourrait rendre à notre ancien «médecin des pauvres».

Mao, et Staline en particulier, auront toujours du sang sur les mains. Norman Bethune aussi, mais le sang sur ses mains fut toujours celui des blessés ou malades qu'il arrachait à la mort dans les salles d'opération. Il a donné sa santé et sa vie pour sauver d'autres vies. Si vous allez à Montréal, ne vandalisez pas sa statue. Mettez-y une gerbe de fleurs. Il mérite bien ça.

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(1) Voir https://www.journaldemontreal.com/2023/02/03/norman-bethune-un-personnage-controverse-dont-la-statue-na-pourtant-pas-ete-vandalisee

(2) Voir aussi cette intéressante vidéo de l'ONF, Bethune, héros de notre temps https://www.youtube.com/watch?v=xHyTIjj-UvA

(3) Lire aussi Docteur Bethune, Éditions l'étincelle, Montréal, 1973


lundi 6 février 2023

Mme Elghawaby, la pointe de l'iceberg...

Amira Elghawaby

Ce que certains appellent désormais l'affaire Elghawaby me fait penser à une poupée russe. Vous savez, ce genre de poupée qui en contient quatre ou cinq autres, de plus en plus petites. Amira Elghawaby, la nouvelle représentante d'Ottawa en matière de lutte contre «l'islamophobie», serait la plus minuscule. C'est un peu comme fixer la feuille sans voir la branche, le tronc, l'arbre et la forêt qui lui donnent vie.

Ne retenir que l'image d'une femme voilée qui a vomi sur la francophonie canadienne ainsi que sur le Québec et son effort de laïcité occulte de grands pans d'un débat plus profond sans lequel Mme Elghawaby ne paraderait pas aujourd'hui devant les projecteurs médiatiques. Bien sûr, plusieurs des propos qu'elle a tenus la disqualifient du rôle rassembleur qu'on lui confie. Elle a brûlé les ponts qu'on lui demande de reconstruire.

Cependant, ses propos méprisants sur le Québec sont-ils si différents de ceux qu'on peut lire ou entendre tous les jours dans les médias anglo-canadiens, où plein de bons protestants et catholiques blancs, sans voile, kippa ou turban, nous traitent d'intolérants, de xénophobes ou racistes comme si cela était une évidence? Les sites Web de leurs médias sont allés jusqu'à publier des commentaires génocidaires à notre endroit. Alors les petites vomissures de Mme Elghawaby... on en a vu d'autres!

Non, il faut élargir le regard et fixer le poste pour lequel on a pressenti Amira Elghawaby: «représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie». Déjà là, on a plus de quoi se mettre sous la dent.  Le rôle de la «représentante spéciale» est «de soutenir et d’améliorer les efforts du gouvernement fédéral dans la lutte contre l’islamophobie, le racisme systémique, la discrimination raciale et l’intolérance religieuse». Ce qu'on appelle l'islamophobie n'est qu'un des ingrédients dans la mixture toxique, clairement anti-québécoise, créée par Trudeau.

Le poste de Mme Elghawaby est donc parfaitement intégré à l'offensive juridique, annoncée par Ottawa, contre la Loi 21 du Québec. Les stratèges fédéraux ont mis dans le même pot «racisme systémique» (la baguette magique des multiculturels) et «intolérance religieuse». On ratisse très, très large, compte tenu qu'il n'existe aucun lien essentiel entre racisme et religion. Rendu sur ce terrain, on ne s'enfarge plus dans les fleurs du tapis. On est dans la destruction massive.

Par ailleurs, le simple fait d'avoir identifié l'islamophobie comme priorité sur ce plan porte à interrogation. En 2020, Ottawa avait nommé Irwin Cotler comme «envoyé spécial» du Canada dans la lutte contre l'antisémitisme, mais son mandat est davantage international. Les yeux de Mme Elghawaby ou de quiconque pourrait la remplacer seront tournés vers l'intérieur du pays, et particulièrement vers le territoire où flotte le fleurdelisé. Si je pose cette question c'est que depuis plus de 150 ans, la principale «phobie» au Canada est la francophobie et j'ai beau fouiller les tiroirs de ma mémoire, je n'ai jamais connu de «représentant spécial» en matière de francophobie...

Les poupées grossissent. Nous voici à la troisième: le concept d'islamophobie lui-même, sous-jacent à la création du poste de «représentante spéciale» et au choix de Mme Elghawaby. Le bureau du premier ministre Trudeau la définit ainsi: «Aux termes de la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme, l’islamophobie désigne le racisme, les stéréotypes, les préjugés, la peur ou les actes d’hostilité envers des personnes musulmanes.» Ainsi, le poste et son titulaire s'inscrivent dans une stratégie plus générale de lutte contre le racisme... L'islam, une religion, est ainsi «racisée» peu importe que ses adeptes soient blancs, noirs ou de quelque teinte entre les deux. C'est un peu, beaucoup, odieux... enfin, pas surprenant de ce gouvernement.

Mais au-delà du racisme, on évoque les stéréotypes, les préjugés, la peur et les actes d'hostilité envers les personnes musulmanes. Va pour les actes d'hostilité. Tous seront d'accord pour dénoncer et combattre la violence. Mais pour le reste, on nage dans le brouillard ici. Il y a confusion totale ici entre l'islam et l'islamisme. Les amalgames favorisent les préjugés et stéréotypes. Quant à la «peur», peut-on reprocher aux gens d'avoir peur, au moins un tout petit peu, quand on voit ce qui se passe en Iran, en Syrie, en Turquie, au Nigeria ou même dans certains quartiers de Paris? L'intégrisme religieux en politique, le nôtre comme celui les autres, a toujours favorisé les excès, les persécutions et la terreur. La définition ou le manque de clarté de la définition actuelle d'islamophobie au Canada permet l'intrusion du religieux dans les affaires de l'État, et favorise «les stéréotypes, les préjugés et la peur» envers la laïcité de l'État et en particulier contre son incarnation québécoise, avec un peu de francophobie comme glaçage.

Le concept d'islamophobie et la forme qu'il prend au Canada ne s'explique pas tout seul. Il s'insère dans l'idéologie plus globale du multiculturalisme, implantée par le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau il y a un demi-siècle dans le but de combattre et d'abattre l'ancien «biculturalisme», le pile du face du bilinguisme et soutien à la théorie d'un pays assis en 1867 sur deux grandes cultures, anglaise et française, moteurs de la dynamique politique. Ce qu'on appelait à l'époque, parfois, la théorie des «deux nations», la française étant de plus en plus concentrée au Québec.

Trudeau père détestait le nationalisme (fédéraliste comme indépendantiste) et préférait un Canada où les droits individuels l'emportaient sur les droits collectifs. Le multiculturalisme est ainsi devenu étendard de l'État et l'est demeuré. Le fait que la liberté totale de religion soit un droit individuel, s'inscrivant dans le vaisseau amiral du multiculturalisme, dicte aujourd'hui la conduite d'Ottawa contre la laïcité de l'État version Loi 21, un droit collectif exercé par la nation québécoise (dois-je ajouter... francophone).

Enfin, au sommet de la pyramide, ou si l'on conserve l'image du début, on trouve la plus grosse poupée, il y a la Constitution. Au début, le multiculturalisme n'était que la politique officielle des gouvernements libéraux à Ottawa. Il n'avait pas d'assise constitutionnelle. Cela a changé en 1982 quand Ottawa, avec le complicité des longs couteaux anglo-provinciaux, a imposé au Québec la Charte des droits et libertés dans laquelle on peut lire à l'article 27: «Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.» Et vlan! Et pour ajouter au poids du coup de masse, on a confié aux juges d'Ottawa (la Cour suprême est nommée par le premier ministre fédéral) le soin d'interpréter la constitution canadienne. Ce dont on ne s'est pas privé.

Alors voilà la «poupée russe»:

- la Constitution de 1982

- le multiculturalisme, religion d'État

- la définition fédérale de l'islamophobie

- la création d'un poste de représentant spécial contre l'islamophobie

- la nomination de Mme Elghawaby.

Ne discuter que des antécédents et compétences de cette dernière ne permet pas de comprendre le portrait global. Il faut aller bien au-delà, et s'attaquer au poste lui-même (qui doit être aboli), à la définition tout croche de l'islamophobie, à l'effet dévastateur du multiculturalisme-version-Ottawa et à l'arme constitutionnelle de destruction massive que s'est donné le gouvernement fédéral sans notre consentement. 

Mme Elghawaby n'est que la pointe d'un immense iceberg... 


jeudi 2 février 2023

Les quotidiens qui abandonnent le papier sont condamnés...

À gauche, Le Devoir du 2 février 2023; à droite, Le Devoir du 28 octobre 1968

Je le dis et le répète même si personne n'écoute dans les hauteurs médiatiques. La disparition des journaux imprimés menace la quantité et la qualité de l'information, ainsi que notre culture, notre démocratie, notre civilisation. Tous les anciens quotidiens qui abandonnent le papier pour miser sur le seul numérique perdront leur identité, leur pertinence, leur valeur d'autrefois. Et risquent de sombrer dans l'oubli.

Autrefois, quand le propriétaire d'un quotidien fermait ses presses pour de bon, le journal n'existait plus, tout simplement. C'est ainsi qu'on a vu disparaître, dans les années 1970, l'Action de Québec, Montréal-Matin et le Montréal Star, et d'autres. Aujourd'hui, avec l'Internet et ses dérivés, on tente de nous faire croire que les journaux peuvent survivre à la mort du papier dans un univers numérique.

Depuis 2015, les kiosques à journaux et les tables de cuisine se sont vidés ou presque. Les éditions papier de La Presse de Montréal, du Soleil de Québec, du Quotidien du Saguenay, du Nouvelliste de Trois-Rivières, de La Tribune de Sherbrooke, de la Voix de l'Est de Granby, et du Droit de Gatineau et d'Ottawa sont allées rejoindre le dodo de l'Île Maurice au musée des extinctions.

Et une menace imminente plane sur les ultimes résistants. Québecor a mis fin à ses éditions papier du dimanche en plus de fermer l'imprimerie du Journal de Québec, ce qui obligera le quotidien à utiliser des presses situées à Mirabel. Heures de tombée devancées transport oblige, pas de résultats sportifs en soirée, qualité réduite. Effet ricochet sur Le Devoir, dont les copies destinées à Québec et plus à l'est, imprimées sur les mêmes presses, devront être devancées...

Dans un élan d'absurdité, notre quotidien national - je parle bien sûr du Devoir - tente de nous expliquer, en novlangue Fahrenheit 451, que les lecteurs devraient quasiment de réjouir. Foi du Devoir, le monde médiatique actuel est un «merveilleux univers»... On y lit un éloge des plate-formes numériques du journal, où le lectorat pourra suivre les actualités. Le virage est en cours...

Pour les «nostalgiques» (expression employée par un ancien d.g. du Droit quelques semaines avant l'abandon du papier), l'édition imprimée continuera d'offrir «le meilleur de ce que nous sommes»... Mais il semble que «le meilleur de ce que nous sommes» n'accorde pas une très grande importance aux nouvelles. On y trouvera l'analyse, l'opinion, la profondeur... avec un résumé des actualités, sous forme de brèves en page 2... Une recette désastreuse, qui mènera à l'abandon éventuel du papier.

Aujourd'hui, 2 février 2023, il n'y avait aucune nouvelle en page une du Devoir papier. Deux reportages. C'est tout. Dans le premier cahier, j'ai compté deux textes d'actualité, en pages 4 et 5. C'est fort simple. Si je veux me renseigner sur ce qui s'est passé la veille au Québec, à Montréal, au Canada et dans le monde, je dois me trouver un autre journal... ou me résigner à «feuilleter» les pages sur un petit écran à l'aide de mon index... Ça n'a aucun sens! Je n'ai rien contre l'Internet et ses dérivés. Au contraire. Mais je les aime pour ce qu'ils ajoutent, et non pour ce qu'ils prétendent remplacer et abattre.

J'ai conservé quelques anciens numéros du Devoir (et d'autres quotidiens) ayant une valeur historique. Celui du 28 octobre 1968 par exemple, le lendemain du sabordage du RIN pour unifier les forces indépendantistes au sein du PQ (voir photo en haut de page). Comme aujourd'hui, Le Devoir était reconnu pour ses textes d'analyse et d'opinion. Mais il y avait ce jour-là sept textes de nouvelles en page une, et une dizaine d'autres en pages 2 et 3. Preuve de l'ancienne conviction, fondée, de l'indissociabilité des textes d'actualité, d'analyse et d'opinion. Les derniers sans les premiers, cela équivaut à la trahison de la mission fondamentale du quotidien.

La fidélité actuelle de la clientèle des quotidiens numériques repose en bonne partie sur le prestige et la crédibilité accumulées au fil des décennies, dans certains cas plus d'un siècle. Mais les nouvelles générations qui n'auront pas vu ces journaux livrés à la porte, chez eux, dans les kiosques ou dans un resto n'auront pas le même attachement. Elles butineront partout, sur le menu des actualités Internet, et nos quotidiens n'ont aucune certitude que les petits écrans de leur région seront au rendez-vous.

La télé de Radio-Canada et TVA ont des sites Web d'actualité bien garnis. Mais les réseaux ont aussi leur médium d'origine: la télévision. Ils existent hors de l'Internet. Même chose pour la radio. Mais le jour où l'internet sera en panne, ou pire, tripoté ou censuré, les quotidiens numériques n'auront plus rien! Ils s'ennuieront à mourir du coup d'oeil offert par de vraies pages de nouvelles, de l'odeur de l'encre et du papier, du bruissement des feuilles, de tout ce corps matériel et sensoriel sans lequel l'âme des salles de rédaction est condamnée à errer dans un univers virtuel déraciné.

À ceux et celles qui en doutent, j'aimerais bien dire: on s'en parlera dans 25 ou 30 ans. Mais j'aurai cette année 77 ans et en 2050 je serai moi aussi dans un univers dématérialisé...