mardi 14 février 2023

Loi sur les langues officielles: où est passé le Québec?

Capture d'écran du Secrétariat du Québec aux relations canadiennes

Trop occupé à se défendre contre les incursions fédérales dans les champs de compétence québécois, le gouvernement de François Legault se porte rarement à l'offensive dans les plates-bandes d'Ottawa. La ministre Sonia Lebel (alors ministre de la Francophonie) l'a fait en 2019 quand elle a réclamé du gouvernement Trudeau qu'il renie l'un des fondements de la politique linguistique fédérale en vigueur depuis 1969.

Le terrain d'affrontement serait la Loi sur les langues officielles, où les minorités francophones hors Québec et la minorité anglo-québécoise ont droit aux mêmes égards. Ainsi, en vertu de cette loi, les interventions d'Ottawa au Québec - financières et autres - se font uniquement en faveur de la langue anglaise. C'est à cette symétrie entre la situation des Canadiens français, Acadiens et Anglo-Québécois que s'est attaqué Mme Lebel au nom du gouvernement québécois.

Sachant qu'une révision complète de la Loi sur les langues officielles (LLO) s'amorcerait bientôt, Québec a étoffé sa déclaration de 2019 avec une prise de position officielle le 5 février 2021, ayant comme point d'ancrage «le fait que des deux langues officielles du Canada, seul le français est (minoritaire et) vulnérable et qu'il doit être protégé et promu, tant dans les autres provinces et territoires qu'au Québec».

«Ce principe, affirmait Québec, permet de reconnaître à la fois la spécificité du Québec et les enjeux linguistiques francophones ailleurs au Canada, légitimant ainsi un traitement différencié de la langue française et de la langue anglaise au Canada.» Cela aurait comme conséquence, entre bien d'autres, de soumettre les entreprises privées de compétence fédérale à la Loi 101 et de prendre des mesures (y compris financières) pour la protection et la promotion du français... au Québec!

Quelques mois avant le dévoilement de cette position du gouvernement Legault, le premier ministre Trudeau semblait s'être rallié, du moins en partie, au principe énoncé depuis 2019 par le Québec. Dans son discours du Trône, «il reconnaissait le statut de langue minoritaire du français au Canada et en Amérique du Nord», et s'engageait «à protéger le français à l'extérieur du Québec, mais aussi au Québec». Finie, donc, cette fausse symétrie entre Anglo-Québécois et les minorités françaises ailleurs au pays? Dans son Livre blanc de février 2021, la ministre fédérale de la Francophonie (Mélanie Joly à l'époque) ajoutait: «L'existence d'un foyer francophone majoritaire dans un Québec où l'avenir du français est assuré est non seulement un objectif légitime, mais aussi une prémisse fondamentale du régime fédéral des langues officielles.»

De la part d'Ottawa, cela constituait un changement fondamental. Pierre Elliott Trudeau, champion des droits individuels, aurait frémi et grondé son fils. On introduisait dans le langage fédéral un engagement officiel en faveur des droits collectifs des francophones du Québec. Pas par la porte arrière. Que le «foyer francophone majoritaire» au Québec utilise sa majorité pour assurer l'avenir du français devenait un «objectif légitime» et «une prémisse fondamentale» d'Ottawa en matière de langues officielles. Évidemment ces mots ont une grande importance, mais ce ne sont que des mots... Sans mesures concrètes pour assurer la mise en oeuvre, ce sont de belles paroles sans plus.

Or, nous voici deux années plus tard, en février 2023, avec un second gouvernement minoritaire, une nouvelle version du projet de loi (C-32 est devenu C-13), deux nouveaux ministres de la Francophonie (Jean-François Roberge à Québec, l'Acadienne Ginette Petitpas Taylor à Ottawa) et un débat qui, à l'extérieur du comité permanent fédéral des langues officielles, ne suscite à peu près aucun engouement. L'intérêt pour la protection du français au Québec est plus tiède au sein des rangs libéraux et cela paraît dans l'étude du plus récent projet de loi (et le précédent) sur les langues officielles. Quant au Québec, après une entrée de jeu fracassante en 2019-2020, il a vite retraité au vestiaire. Son effacement actuel dans le débat de la nouvelle LLO est inexcusable, en plus d'affaiblir la position des défenseurs du Québec à Ottawa (notamment le Bloc québécois).

À toutes fins utiles, au-delà des belles paroles, Ottawa se comporte comme si l'ancienne symétrie entre Anglo-Québécois et francophones hors Québec demeurait la règle. Après avoir affirmé le caractère primordial de la protection et de la promotion du français «même au Québec», la nouvelle ministre Petitpas Taylor a lancé une série de forums de consultation pan-canadiens où le thème du déclin du français au Québec était totalement absent. Comme si cela n'existait pas! Dans ses forums à Montréal et à Sherbrooke, on a vu parader la litanie habituelle d'organisations au service de la minorité anglaise. Et les organisations de défense du français? Bruits de criquets...

Dans le projet de loi même, on ne trouve aucune mesure réelle de protection et de promotion du français au Québec, mais bien des références (comme depuis 1969) «à l’épanouissement des minorités francophones et anglophones», et à la protection et la promotion «d’institutions fortes qui desservent ces minorités». En vertu de ces textes, Ottawa continue d'appuyer les Anglo-Québécois et de promouvoir l'anglais au sein même du «foyer francophone» québécois qu'il s'était engagé à protéger... Et clairement, on a affaire à une ministre fédérale et à un Commissaire aux langues officielles qui sont sceptiques quand on parle de déclin du français au Québec.

Grâce au Bloc québécois, le comité permanent des langues officielles s'est donné, entre autres, le mandat d'approfondir la situation du français au Québec dans le cadre de l'étude de la LLO et, à ce titre, on a vu pour la première fois de l'histoire récente des experts en démographie et des militants pour un Québec français dire aux députés fédéraux des choses qu'ils n'avaient jamais entendues. Mais cela n'a rien changé au fond du projet de loi. Ces derniers jours, c'est plutôt le West Island qui a repris l'offensive, pour réaffirmer les vieilles positions rigides de Pierre Elliott Trudeau et se présenter faussement en victime. Et tout ce temps, le Québec reste bien trop silencieux. Le Bloc et ses alliés défendent des revendications du Québec que le Québec lui-même ne défend pas*... 

À la fin du processus, quand la nouvelle Loi sur les langues officielles aura été adoptée, on pourra brandir bien haut le petit article qui fait référence à la Charte de la langue française du Québec. Mais ce ne sera guère plus que le clocher d'une église vide...

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* Négociation Québec-Ottawa sur le français : le ministre Roberge se dit «flexible» https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1950435/negociation-quebec-ottawa-francais-jean-francois-roberge-flexible-loi-101-ginette-petitpas-taylor-langues-officielles-reforme


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