dimanche 27 février 2022

L'équilibre de la terreur...

«Que venez-vous faire camarade, que venez-vous faire ici...» Jean Ferrat, Camarade, 1969

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Si Jean Ferrat était toujours parmi nous, il salirait en poésie et en musique les bottes russes qui piétinent la plaine de l'Ukraine. Comme dans sa chanson Camarade, condamnation implacable des militaires soviétiques qui avaient envahi la Tchécoslovaquie en 1967.

Comme dans Maria, ce retour émouvant de Ferrat sur l'époque où la république espagnole croulait, sans appui des démocraties, sous la violence des militaires et puissances fascistes. «On vit l'Espagne rouge de sang, crier dans un monde immobile» (Maria, 1967)...

La vaillante résistance ukrainienne de 2022 sera sans doute, un jour, chantée par quelque barde. On versera des larmes en revoyant les images de combattants débordés et de braves civils qui se sont parfois dressés sans armes devant les chars d'assaut de Moscou.

Mais comme d'habitude, ce sera trop tard. Les petits peuples isolés se font presque invariablement piétiner par le géant sans scrupule. David qui vainc Goliath, Moïse qui terrasse le pharaon ne sont que de vieilles fables. Si Dieu existe il nous attend, bien tranquille, au ciel. Si l'éternel avait vraiment sauvé les Juifs des griffes de l'Égypte et des eaux de la Mer Rouge, il ne les aurait pas livré aux camps de la mort d'Hitler.

Les Ukrainiens ont besoin d'alliés puissants. De soldats. D'armes. Aujourd'hui. Dans deux semaines, deux mois, tout sera fini. Prières, messages sur Facebook et autres médias sociaux, protestations dans les rues, sanctions diplomatiques et économiques... cette colère de la planète n'aura pas vraiment d'effet immédiat.

Un humain seul peut vaincre la répression des grands s'il a toute une vie pour le faire. Au 20e siècle, Gandhi a fissuré l'empire britannique et Mandela, de sa prison, a abattu l'apartheid sud-africain. Mais quand l'issue se mesure en heures et en jours, un tollé mondial n'aboutira à rien s'il ne s'accompagne pas de troupes au sol et d'avions dans les airs.

Et c'est là le hic. Les démocraties ont les moyens de repousser les attaques russes, peu importe où. Facilement, même. Mais l'occupant du Kremlin a le doigt sur le bouton nucléaire et personne ne sait trop s'il est assez fou pour utiliser l'arme atomique. Alors on fait tout sauf engager le combat contre les armées russes.

Mais il y a un problème. Si Vladimir Poutine est vraiment aussi instable que certains le croient, tout prétexte peut le déclencher. Ce matin, il brandit la menace nucléaire en réplique aux déclarations qu'il juge belliqueuses de l'OTAN et aux multiples représailles économiques qu'il dit illégitimes... 

Les Russes ont plus de 6000 ogives nucléaires. Les Américains plus de 5500. Poutine peut, s'il le veut, anéantir la planète. À moins d'un coup d'État en Russie même, ce sera pour un temps l'équilibre de la terreur: d'un côté, l'anéantissement de l'Ukraine sous nos yeux; de l'autre, les «99 Luftballons» (bit.ly/3thc9nO) dans le ciel...

Mais le problème ne sera pas réglé. Poutine sera là jusqu'aux années 2030... Il peut toujours recommencer... Alors...


jeudi 24 février 2022

МОЛИТВОСЛОВБ pour l'Ukraine...

Pendant que Vladimir Poutine donne de sa main droite le signal de l'invasion militaire de l'Ukraine, sa main gauche oscille autour du bouton nucléaire...

Comment interpréter autrement son avertissement au monde entier de se tenir coi, au risque de subir «des conséquences comme vous n'avez jamais auparavant connu dans votre histoire»?

Et parce qu'assez de gens croient à la mégalomanie et la paranoïa de Poutine - bref qu'il s'agit d'un fou furieux, sans conscience - la planète assistera sans intervenir, impuissante, dans la honte et la peur, à l'agression russe qui risque de rayer l'Ukraine de la carte du monde.

Une nouvelle tache noire dans l'histoire de l'humanité.

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Le grand mot en majuscules signifie «Prières»

Je n'ai jamais visité l'Ukraine, autre que par les images de la télé, les articles de journaux et les livres d'histoire où j'ai appris qu'au fil des siècles, ce peuple a vécu la tyrannie des tsars, la répression des Soviétiques, les horreurs de Staline et Hitler, sans oublier la catastrophe de Tchernobyl, avant de trouver une petite place au soleil il y a une trentaine d'années, après la dislocation de l'URSS.

Et pourtant, sans avoir foulé le sol de Kiev, Kharkov ou Odessa, j'ai dans ma mémoire des souvenirs «ukrainiens». Je les avais presque oubliés. Dans une de mes bibliothèques, j'ai conservé un petit recueil de prières (МОЛИТВОСЛОВБ) du rite oriental catholique, imprimé en alphabet cyrillique, qu'un prêtre ukrainien m'avait offert vers la fin des années 1950.

Dans ma paroisse canadienne-française d'Ottawa (Notre-Dame des Anges), le sous-sol de l'église accueillait tous les dimanche matin une messe différente des nôtres. Le latin et le français y cédaient la place à l'ukrainien.

Comme j'étais un des seuls enfants de chœur disposé à servir une messe qui durait souvent une heure et demie, j'étais devenu un «régulier» et j'avais appris à connaître des membres de la communauté ukrainienne d'Ottawa qui, pour la plupart, savaient parler français. 

Ils étaient catholiques mais pas comme nous. Ils suivaient un rite qu'on appelait oriental. La langue m'était inconnue mais le prêtre, né sans doute à l'époque des tsars, m'avait appris à suivre la cérémonie et je commençais même à pouvoir prononcer correctement les lettres de l'alphabet ukrainien.

Ces gens, pour la plupart, avaient fui la répression et la violence dans leur mère-patrie. La Seconde Guerre mondiale n'était terminée que depuis une douzaine d'années à l'époque. Ils avaient apporté avec eux leur langue, leurs coutumes et leur religion. Je revois l'encensoir manié presque comme une arme offensive, la communion sous les deux espèces (inconnue chez nous en 1957-58), les petits enfants recevant une cuillère de vin de messe à la communion.

Mon grand-père maternel, cloué à son fauteuil roulant depuis près de 30 ans, était une encyclopédie vivante. Il m'avait montré, dans sa collection de timbres, les pages consacrées à l'est de l'Europe et on y trouvait quelques timbres de l'Ukraine, remontant à une brève période d'indépendance entre 1918 et 1923, entre l'empire tsariste et l'URSS.

La toute dernière série de timbres, imprimée en 1923, était consacrée à la grande famine qui sévissait en Ukraine depuis 1921. Affamés par les bolchéviques de Moscou,  environ 1 million et demie d'Ukrainiens étaient morts de faim... Une seconde famine (1932-33) sous l'URSS avait coûté la vie à plus de 4 millions d'Ukrainiens et est largement considérée comme une tentative de génocide...

J'ai pensé à tout cela en feuilletant les pages incompréhensibles de mon petit recueil de prières en ukrainien, imprimé à Rome (Italie) en 1922, que je traîne dans mes bagages de souvenirs, sans trop savoir pourquoi, depuis 65 ans... Tiens, mon seul livre en caractères cyrilliques a justement 100 ans cette année!

Je n'ai jamais revu ces familles ukrainiennes depuis les messes au sous-sol de l'église Notre-Dame des Anges (qui a depuis ce temps été convertie en église croate). Aujourd'hui alors que leur pays est de nouveau ravagé par les bombes, les chars d'assaut et les balles russes, j'essaie d'imaginer ce qui leur passe par la tête. S'ils sont enragés contre tous ceux et celles, y compris moi j'imagine, qui restent impuissants devant l'agression de Vladimir Poutine, je ne pourrais guère les blâmer.

Si j'avais réussi à apprendre l'ukrainien, j'aurais au moins pu leur offrir une des prières dans mon missel de 1922... Et si Dieu existe, peut-être aurait-il (elle) consenti à y répondre... parce qu'en 2022, sur cette Terre, la justice et la démocratie se font de plus en plus rares...


mardi 22 février 2022

Le franglais, langue officielle? À Montréal, il y aurait levée de boucliers... Mais dans le Pontiac... bof!

Capture d'écran de la campagne de la MRC Pontiac

Imaginez un instant que la ville de Montréal crée une nouvelle marque territoriale dans le cadre d'une campagne publicitaire pour attirer des touristes, des résidants ou de nouvelles entreprises et qu'elle se donne comme slogan: «19 arrondissements, 1 big family»...

Ou qu'elle utilise, dans une publicité pour vanter la diversité des débouchés professionnels dans la métropole, quelque chose comme «Un emploi ou une profession to fulfill yourself»... ou encore «Business opportunities to seize ou à créer»...

Imaginez le débat à l'Assemblée nationale du Québec, qui avait unanimement voté, novembre 2017, en faveur d'une motion contre la formule d'accueil «bonjour hi!»... En y ajoutant toutes les constatations récentes sur le recul du français dans la métropole, l'adoption de slogans franglais provoquerait une levée de boucliers!

Mais voilà, ce n'est pas (encore) arrivé à Montréal... Le malheur a voulu que ce cela se produise dans une région plus éloignée, peu peuplée, aux confins de l'Outaouais, là où l'Ontario voisin exerce la plus forte influence et où les francophones sont malmenés - et s'anglicisent - depuis le 19e siècle.

Les rares Pontissois de langue française qui luttent toujours pour la protection et la promotion du français (souvenez-vous, nous sommes ici au Québec!) crient dans le désert. On les accuse de nuire à la sacro-sainte «bonne entente» avec les anglophones. (Traduction de «bonne entente»: l'anglophone parle anglais à un francophone, et le francophone répond à l'anglophone en anglais...). Ou pire, on leur cloue le bec en les accusant d'être des «séparatisses»...

Les nouveaux slogans identitaires «franglais» de la Municipalité régionale de comté (MRC) du Pontiac circulent depuis plus d'une semaine et à ma connaissance, n'ont été dénoncés par personne - du moins en public. Seul mon texte de blogue (voir Le Pontiac... One Big Family? à bit.ly/34FAefU] a fait quelques vaguelettes dans le calme plat habituel.

Mais j'aimerais bien qu'on m'explique pourquoi la lutte contre le franglais et l'anglicisation semble avoir moins d'importance à l'extérieur de l'île de Montréal. Pourquoi les médias de langue française - y compris en Outaouais - n'ont même pas couvert la nouvelle... Pourquoi l'OQLF, qui a pourtant des antennes à Gatineau, dort au gaz... 

Que faut-il faire pour que le gouvernement Legault, le Parti québécois et Québec solidaire s'en mêlent? Ce qu'on voit dans la campagne identitaire de la MRC Pontiac, c'est pire que le «bonjour Hi!».... Si vous n'avez pas vu le Parti libéral du Québec jusque là dans ce paragraphe, c'est que le député du coin, André Fortin, a déjà encensé ce franglais...

Que faut-il faire pour que les plus solides défenseurs de la langue et de la culture françaises, et de l'identité québécoise, mettent leur grain de poivre dans cette affaire? Accordons-leur le bénéfice du doute. Aucun média n'en ayant parlé*, sans doute ne sont-ils pas au courant. Et je ne suis pas certain que mes textes de blogue, gazouillis et statuts Facebook circulent suffisamment pour les atteindre.

Cette campagne en franglais n'a soulevé aucun débat public jusqu'à maintenant. Est-on tellement habitué à voir le français massacré que même une litanie d"horreurs franglaise ne touche plus de corde sensible? Ou est-on imprégné de messages publicitaires franglais au point d'être désormais «right fiers» (comme on dirait en chiac) de ces identités bilingues, devenues les nôtres?

Ces publicités de la MRC Pontiac sont une claque en pleine face au Québec français. Si on nous gifle et qu'on ne s'en rend même plus compte, alors il est peut-être trop tard...

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* L'édition numérique du quotidien Le Droit a présenté une image franglaise dans le cadre d'un texte qui n'évoquait aucunement cet aspect de la campagne publicitaire de la MRC Pontiac.






mercredi 16 février 2022

Ne comptez pas sur le Commissaire fédéral aux langues officielles...

Pendant qu'un consensus s'établit chez les francophones a mari jusque ad mare à l'effet que la langue française soit menacée même au Québec, et que la Loi sur les langues officielles du gouvernement fédéral doive être modifiée pour tenir compte de cette situation, les Anglo-Québécois se sont trouvés un allié de taille en faveur du statu quo: le Commissaire fédéral aux langues officielles, Raymond Théberge!

Comme d'habitude, les médias ne suivent pas de près les réunions du Comité permanent des langues officielles, au Parlement d'Ottawa, mais ils auraient eu avantage à prêter attention aux propos de M. Théberge lors de sa comparution du 9 février. Celui-ci, comme le Commissariat qu'il dirige, comme la loi qui le mandate, adhère depuis toujours à la thèse d'une symétrie parfaite entre la minorité anglophone du Québec et les minorités canadiennes-françaises et acadiennes ailleurs au Canada.

En vertu de cette thèse qui n'a rien à voir avec la réalité, les millions d'Ottawa dépensés chaque année au Québec pour des programmes découlant de la Loi sur les langues officielles ne servent qu'à protéger et promouvoir la langue anglaise! Le jour où on inclut le Québec comme territoire où le français est en danger, et que les lois fédérales sont modifiées en conséquence, les bottines doivent suivre les babines. Mais personne ne sait trop comment...

Le député du Bloc québécois Mario Beaulieu, un des vice-présidents du Comité permanent des langues officielles, a profité de la présence du Commissaire Théberge pour l'interroger à ce sujet et les réponses reçues augurent mal pour ceux et celles qui voudraient qu'on mette fin à cette symétrie, à cette égalité fictive entre Anglo-Québécois et francophones hors Québec. M. Beaulieu a commencé par le commencement: admettez-vous, a-t-il demandé à Raymond Théberge, que le français soit en déclin au Québec? 

Alors que tous s'attendaient sans doute à un «oui, mais...» de la part du Commissaire, celui-ci s'est contenté de dire que le français avait des défis à relever partout au pays, y compris au Québec, mais que la situation au Québec avait évolué en faveur du français. On constate, a-t-il dit, que les Anglo-Québécois sont aujourd'hui moins bien nantis que la majorité française du Québec. C'est le message qu'avait livré devant ce comité Marlene Jennings, du Québec Community Groups Network, il y a quelques mois...

Donnez-nous des exemples, a rétorqué le député du Bloc. «À un certain moment, on pourra vous offrir tout un complément de statistiques là-dessus», a répondu Raymond Théberge, précisant plus tard dans son témoignage que ces chiffres portaient entre autres sur les revenus et l'éducation. Rien de nature linguistique, cependant... Rien sur la langue maternelle, la langue d'usage ou la langue de travail... «Les Anglo-Québécois ont des défis particuliers, tout comme les francophones hors Québec ont leurs propres défis», d'ajouter le Commissaire.

Ainsi le Commissaire fédéral aux langues officielles, sans réfuter la thèse du français langue menacée au Québec, ne l'accrédite pas. Mais il appuie clairement cette notion d'une anglophonie québécoise minoritaire et défavorisée... Pire, comme l'indique sa réponse, le Commissariat aux langues officielles a compilé un dossier statistique important sur les anglophones du Québec, devant servir à réfuter les affirmations du Bloc québécois, du gouvernement du Québec et de tous ceux et celles qui voient depuis des décennies un déclin plus que perceptible de la langue française, notamment dans la région de Montréal où vit la moitié des Québécois.

À la députée libérale anglo-montréalaise Patricia Lattanzio, qui alléguait  qu'avec une législation asymétrique on créerait de nouveaux droits pour les francophones québécois au détriment de ceux de la minorité de langue anglaise, le commissaire Théberge a déclaré «comprendre les préoccupations de la communauté anglophone» et ajouté que les gouvernements devaient repenser l'asymétrie en fonction d'assurer une égalité réelle entre les langues française et anglaise au pays, pour que les «communautés en situation minoritaire soient robustes et solides».

Le Commissaire a bien insisté sur le fait que la modernisation de la Loi sur les langues officielles et les projets qui en découleront touchent aux principes de base de «l'identité canadienne» et font partie du projet politique canadien de «nation building» (construction de la nation) comme le multiculturalisme et la réconciliation. Il n'y a rien dans cette déclaration qui semble indiquer une préoccupation pour la protection et la promotion du français au Québec...


lundi 14 février 2022

Le Pontiac... «One big family»???

La région du Pontiac, dans sa nouvelle marque de commerce, vient de rejeter la langue française, la Loi 101 et le Québec! Le «franglais» est devenu une langue officielle à la MRC Pontiac.

Dans ce royaume où les anglophones s'adressent aux francophones en anglais, et où les francophones leur répondent très poliment, en anglais eux aussi pour favoriser «la bonne entente», ce n'est plus cette fois une simple bataille pour faire respecter la langue. C'est un combat pour l'âme... pour sauver notre identité.

S'il y a une région au Québec où les francophones ont été persécutés depuis la fin du 19e siècle, c'est bien le Pontiac. Le diocèse anglo-ontarien de Pembroke, qui avait sous sa coupe ce territoire québécois (et qui l'a toujours), y a même imposé le Règlement 17 de l'Ontario dans les écoles françaises pour assimiler les petits Québécois. On n'a qu'à lire Les sacrifiés de la bonne entente, du professeur Luc Bouvier, pour saisir toute l'ampleur des répressions.

Dans un coin de pays où, après un siècle d'usure, les noms français précédés de prénoms anglais sont légion, l'érosion identitaire fait son chemin depuis longtemps. On s'y croirait en Ontario, où de plus en plus se francophones en voie d'anglicisation s'identifient comme «bilingues», adoptent une double identité en attendant de transmettre une seule langue, une seule identité aux générations suivantes: l'anglais.

Or, voilà que cette fusion identitaire, cette étape où les francophones passent graduellement du français à l'anglais, devient l'image officielle de la MRC Pontiac. Avec des phrases où se côtoient l'anglais et le français... Comme «18 municipalités, 1 big family» ou «14 000 raisons inspired by our 14K citoyen.ne.s» ou «une communauté valeureuse, strong and committed» et autres horreurs semblables... 

Dans un Québec où la langue officielle et commune est censée être le français, la Loi 101 permet aux municipalités avec une majorité anglaise d'avoir un statut bilingue. Mais la Loi 101 ne dispense pas ces municipalités de leur obligation d'offrir aux francophones des services complets en langue française. Or cette nouvelle image, qui proclame «1 big family» dans la MRC du Pontiac, propose des phrases et expressions franglaises. On tait, on renie même le caractère français des citoyens québécois de langue française! 

Le concept du mélange franco-anglo peut être accrocheur dans une pub, mais dans le contexte actuel où la langue française est menacée, même au Québec (et surtout au Pontiac), cette campagne de la MRC Pontiac - venant d'une région où les francophones ont été traditionnellement malmenés - est arrogante et insultante (voir bit.ly/3s6D7PT). Des voix s'élèveront-elles pour remettre les pendules à l'heure, ou assistera-t-on encore à un concert d'applaudissements au nom d'une «bonne entente» qui nous donne des airs de colonisés?

J'ai hâte de voir ce qu'en diront nos politiciens et politiciennes. Et de voir l'orientation que prendra la couverture médiatique (s'il y en a une). L'article du quotidien Le Droit (je n'ai rien vu ailleurs) passe complètement à côté de la nouvelle (voir bit.ly/3LzZaGn)... Peut-être se reprendra-t-il...

Misère...


jeudi 10 février 2022

Une sous-fécondité catastrophique...

capture d'écran du Journal de Montréal

Ces jours-ci, les journalistes ne semblent pas suivre de près les réunions du Comité permanent des langues officielles à Ottawa. Le public non plus, j'en suis sûr. Pourtant, elles sont diffusées en direct sur Internet, et sont même disponibles en reprise sur les pages Web du Comité. Pour ceux et celles que la dynamique linguistique canadienne passionne, c'est présentement le meilleur spectacle en ville.

Surtout que depuis la fin de 2021, les députés fédéraux qui siègent au Comité s'aventurent en terrain inconnu: le déclin du français au Québec. Auparavant, conformément à son mandat, le Comité des langues officielles s'intéressait seulement (au-delà de l'appareil fédéral et ses appendices) au sort des «minorités de langue officielle», c'est-à-dire les francophones hors Québec et les Anglo-Québécois.

Mettre les minorités francophones du Canada anglais dans le même panier que les anglophones du Québec n'avait aucun sens, mais la loi fédérale était ainsi faite. Puis, comme par miracle, l'an dernier, les gouvernements se sont rendus compte que le français, langue fortement minoritaire au Canada et en Amérique du Nord, était menacée partout -- même au Québec! Et qu'il faudrait ajouter ou modifier certains articles de la LLO pour en tenir compte...

Alors depuis l'automne, les députés sont inscrits à l'école de la réalité linguistique québécoise. Des témoins, dont certains invités par le Bloc québécois, paradent devant des membres libéraux, conservateurs et néo-démocrates parfois un peu perdus dans des débats qui ont cours depuis longtemps au Québec. Habitués aux doléances du Québec Community Groups Network et semblables, ils n'ont jamais trempé dans la marmite bouillonnante de l'argumentaire franco-québécois. Et il est évident, par les questions et commentaires des députés, que les réalités décrites par les défenseurs de la langue française au Québec les déroutent...

Le témoignage récent du démographe Marc Termote, professeur à la retraite de l'Université de Montréal et ancien président du Comité de suivi linguistique à l'OQLF (Office québécois de la langue française), a dû laisser pantois ceux et celles qui s'imaginent - comme les médias anglo-canadiens - une anglophonie québécoise assiégée par le rouleau compresseur d'un quelconque unilinguisme français québécois... Toutes les données démographiques et linguistiques disponibles démontrent au contraire une régression constante et un avenir sombre pour la langue française au Canada, y compris au Québec.

S'il n'y avait pas eu d'exode d'anglophones dans les années 1960, 1970 et 1980, les francophones seraient minoritaires depuis longtemps sur l'île de Montréal, estime M. Termote qui met les députés en garde contre toutes données couvrant l'ensemble du Québec. «Ces chiffres ne représentent pas ce qui se passe à Montréal, ni ce qui se passe en dehors de Montréal», dit-il. Ce sont deux mondes distincts. Les problèmes de la langue française se posent principalement dans la métropole. Et en Outaouais, aurait-il pu ajouter...

Sur l'île de Montréal, la proportion de personnes utilisant le plus souvent le français à la maison (langue d'usage) diminue depuis 1971 et se situe aujourd'hui à 53%... «Les démographes, précise-t-il,  privilégient la langue d'usage parce que la langue parlée à la maison deviendra la langue des enfants. Dans une perspective à long terme, c'est crucial.» Depuis 2011, cette tendance s'est généralisée à d'autres régions du Québec et une étude en 2017 confirme que le déclin s'accélère.

Le démographe Termote identifie deux facteurs dominants dans l'évolution démo-linguistique : l'immigration internationale et surtout la sous-fécondité, de loin l'élément plus important de l'équation. «De fait, affirme-t-il, des études démontrent que l'effort de francisation des immigrants n'a presque aucun effet sur le déclin du français au Québec.» À peine une dizaine de milliers de personnes changent effectivement de langue tous les ans au Québec. Ça prend du temps, l'assimilation, dit-il... À la limite toute une vie, ou même deux générations...

Même en supposant un transfert net de quelques milliers d'immigrants au français à chaque année, ajoute Marc Termote, «ce n'est rien à côté des 20 ou 25 000 naissances qui manquent». Les données du recensement de 2021 indiquent un taux de 1,4 enfant par femme, alors qu'il faudrait 2,1 pour simplement éviter un déclin de la population. Sur l'île de Montréal, ce taux serait de 1,2... En 2020, avec une population de 8 1/2 millions au Québec, il y a eu 81 850 naissances. En 1920, avec un peu plus de 2 millions d'habitants, on comptait 85 271 naissances.

Quand on ajoute à une sous-fécondité catastrophique tous les autres facteurs socioéconomiques qui favorisent l'anglais dans la région de Montréal, «l'immigration de francophones pourrait aider mais ça ne va pas renverser la tendance», selon le démographe. Même si tous les immigrants se francisaient, ce ne serait pas suffisant... «Ce qui va être fondamental, c'est le comportement futur de la fécondité», conclut-il.

«On demande beaucoup (trop) aux immigrants», croit le démographe. On leur demande d'aller en régions à notre place, de prendre des emplois qu'on ne veut pas, de faire des enfants qu'on ne fait pas... Entre-temps, sur le plan linguistique il y a urgence, et «plus le temps passe, plus le problème s'aggrave». Selon les prévisions, les francophones ne formeront que 40% de la population sur l'île de Montréal dans 15 ans.

Mais, rappelle-t-il, «ce n'est pas l'immigration qui est la cause principale du déclin du français. La cause essentielle, c'est la sous-fécondité». L'indice de fécondité des anglophones n'est pas beaucoup supérieur à celui des francophones. Ce sont les transferts linguistiques - l'anglicisation d'immigrants et même de francophones - qui procurent des gains à l'anglais au Québec.

Aucun journaliste n'a suivi cette réunion du comité des langues officielles et c'est regrettable. Parce que le lendemain, les propos du démographe Marc Termote auraient été à la une des journaux et des bulletins télévisés...


dimanche 6 février 2022

Selley au pays des merveilles...

Selon un chroniqueur du National Post, Chris Selley, le démarrage laborieux de la soi-disant Université de l'Ontario français, située à Toronto, est l'aboutissement «d'une douzaine de méconnaissances, mythes et délires au sujet des réalités linguistiques du Canada»... Si vous voulez lire sa chronique, cliquez sur ce lien: bit.ly/34dRNmF.

Ce texte fait mal parce qu'au delà de l'ignorance et des préjugés habituels à l'endroit de la francophonie d'ici, l'auteur met le doigt sur de vrais bobos qui restent largement tabous dans le discours franco-ontarien. Si M. Selley s'était donné le moindrement la peine de s'informer sur la situation du français et de l'enseignement universitaire en français au Québec, en Ontario et ailleurs au pays, il aurait pu toucher la cible au coeur. Le chroniqueur a plutôt succombé à ses propres méconnaissances, mythes et délires au sujet des réalités linguistiques du Canada...

Selon lui, le fait qu'à peine 14 élèves du secondaire franco-ontarien aient formulé des demandes d'admission à l'UOF pour septembre 2022 était largement prévisible et cette institution était, dit-il, condamnée à l'échec. «La question à poser, écrit Selley, n'est pas "Pourquoi les Ontariens ne fréquentent-ils pas l'UOF?», mais «Pourquoi le feraient-ils?"» C'était une bonne question... mais ses réponses sont tout croches...

La seule donnée pertinente de la chronique provient d'un texte d'Étienne Lajoie dans Le Devoir, où l'on mentionne qu'à l'école secondaire Étienne-Brûlé de Toronto, seulement quatre des 60 diplômés de 2019 ont décidé de poursuivre leurs études en français. Voilà un chiffre qui méritait d'être approfondi, et qui aurait pu démontrer les effets de l'assimilation fulgurante dans un environnement unilingue anglais sur les choix éducatifs des Franco-Ontariens au post-secondaire. Mais cela aurait nécessité un peu de recherche.

L'auteur cite aussi l'ancienne présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (élèves du secondaire franco-ontarien) et diplômée d'Étienne-Brûlé, Natasha Pelletier, qui déclare: «Le système d'éducation ne nous prépare pas vraiment bien à être à l'aide en français». Cette opinion, peut-être fondée, peut-être pas, remet en question les méthodes d'apprentissage du français au secondaire en Ontario. C'est, me semble-t-il, une pièce importante du casse-tête. Sans vérifier quoi que ce soit, M. Selley se contente d'écrire: «On dirait un problème à réparer.»

À partir de là, le chroniqueur du National Post tombe dans la facilité et l'erreur, se demandant pourquoi des élèves francophones - même bien outillés - voudraient poursuivre des études post-secondaires en français à Toronto, où tout coûte cher, où le déblayage de la neige est super lent, où avoir du plaisir est illégal et presque personne ne parle français? Comment expliquer alors que quelques milliers d'étudiants fréquentent le collège bilingue Glendon? Et s'il est vrai que Toronto est une métropole essentiellement anglaise, près de 250 000 des résidents de la Ville Reine connaissent le français. Ce n'est pas beaucoup, mais bien plus que «presque personne»... 

Entre-temps, poursuit le chroniqueur, vous avez à quelques heures de route une ville française fantastique avec nombre d'universités françaises et bilingues dont les gens ont vraiment entendu parler... Faudrait informer M. Selley que Montréal s'anglicise à un rythme alarmant et qu'il n'y a là que deux universités de langue française, l'Université de Montréal et l'UQAM. Les deux autres universités montréalaises, McGill et Concordia, sont anglaises et non bilingues.

On pourrait pardonner (difficilement) au chroniqueur de mal connaître la métropole québécoise, mais son ignorance de la situation en Ontario est inexcusable. Pour les étudiants qui ne peuvent se payer les frais de scolarité pour étrangers au Québec (a-t-il vérifié?), écrit-il, il y a l'Université d'Ottawa, la Laurentienne et le collège Glendon, tous «entièrement bilingues» (fully bilingual) et l'Université de Hearst, située «au coeur de l'Ontario français»... Faudrait informer l'auteur qu'Ottawa et Laurentienne sont anglo-dominantes et que Hearst, un des joyaux de l'Ontario français, n'en est pas le coeur, du moins géographiquement.

Pourquoi, demande le chroniqueur, voudrait-on construire une université là où personne n'en veut? Pourquoi créer une nouvelle université de langue française quand d'autres sont déjà établies? D'abord, ce n'est pas vrai que personne n'en voulait. La coalition franco-ontarienne qui menait la campagne en faveur d'une université franco-ontarienne depuis 2012 avait toujours identifié le sud-ouest ontarien comme une brèche à colmater, parmi d'autres. Et contrairement aux affirmations gratuites de l'auteur du texte, il n'existait pas d'autres universités de langue française en Ontario...

Aux dires de Selley, la création de l'UOF à Toronto peut être attribuée à l'influence de «faucons» linguistiques pour qui la réalité objective n'a aucune importance, qui s'opposent aux universités bilingues parce qu'elles sont bilingues et non unilingues françaises. Ne comprenant pas, de toute évidence, que la majorité des étudiants francophones de ces institutions suivent des programmes unilingues français, le chroniqueur prétend que le bilinguisme de ces institutions constitue une reconnaissance de l'impossibilité de «vivre exclusivement en français dans la plupart des régions du pays». 

S'il avait fait ses devoirs, ce que peu de journalistes anglo-canadiens font quand ils traitent de nos dossiers linguistiques, il aurait évité l'emploi du mot faucon, car les défenseurs de la langue française en Ontario n'ont rien de ces oiseaux prédateurs à la vue perçante. Ils ressemblent plutôt à des secouristes empilant les sacs de sable contre un tsunami qui crée constamment de nouvelles brèches à colmater, des secouristes qui s'encouragent en tortillant les sombres données de l'assimilation pour gonfler des effectifs en rapide déclin... Les véritables faucons, ce sont ces Anglo-Canadiens (y compris des journalistes) qui ne ratent jamais une occasion de dénigrer les francophones et, par la bande, le Québec...

Dans sa conclusion, M. Selley étale son ignorance en plein jour. Les francophones «normaux», écrit-il, reconnaissent qu'ils ne pourront jamais vivre en français à Toronto, Edmonton, Vancouver ou Halifax. «Ils veulent être bilingues. Ils veulent que leurs enfants et petits-enfants soient bilingues.» Il serait temps pour lui de comprendre que la dynamique linguistique dans ces villes ne fonctionne pas ainsi. Les francophones n'ont pas besoin de «vouloir» devenir bilingues. Ils le sont déjà, à plus de 90%. Ils n'avaient pas le choix. La génération suivante le sera un peu moins, parce que la moitié ou plus des enfants ne parleront que l'anglais. Et la génération d'après sera très majoritairement anglophone. Le bilinguisme collectif des francophones dans ces métropoles anglaises n'est qu'une étape vers leur disparition. Et le chroniqueur Selley devrait comprendre que le seul environnement véritablement francophone pour ces minorités, c'est l'école française. Pas bilingue, française. Parce que tout le reste est anglais.

Mais le meilleur, c'est la fin du texte. Le gouvernement Trudeau, dit-il, s'est mis au service de ces soi-disant «faucons» linguistiques, soit sincèrement, soit par cynisme pour obtenir des votes nationalistes. Ottawa soumis aux volontés de faucons linguistiques francophones? Ottawa sincère en matière de langues officielles? Ottawa qui sollicite des votes «nationalistes» au Québec et au Canada français? Un scénario digne d'Alice au pays des merveilles! Un journaliste francophone qui écrirait de telles sornettes se ferait planter sur la place publique. Y'a qu'au Canada anglais qu'un tissu de faussetés semblables passe comme une lettre à la poste...

Amen!