dimanche 6 février 2022

Selley au pays des merveilles...

Selon un chroniqueur du National Post, Chris Selley, le démarrage laborieux de la soi-disant Université de l'Ontario français, située à Toronto, est l'aboutissement «d'une douzaine de méconnaissances, mythes et délires au sujet des réalités linguistiques du Canada»... Si vous voulez lire sa chronique, cliquez sur ce lien: bit.ly/34dRNmF.

Ce texte fait mal parce qu'au delà de l'ignorance et des préjugés habituels à l'endroit de la francophonie d'ici, l'auteur met le doigt sur de vrais bobos qui restent largement tabous dans le discours franco-ontarien. Si M. Selley s'était donné le moindrement la peine de s'informer sur la situation du français et de l'enseignement universitaire en français au Québec, en Ontario et ailleurs au pays, il aurait pu toucher la cible au coeur. Le chroniqueur a plutôt succombé à ses propres méconnaissances, mythes et délires au sujet des réalités linguistiques du Canada...

Selon lui, le fait qu'à peine 14 élèves du secondaire franco-ontarien aient formulé des demandes d'admission à l'UOF pour septembre 2022 était largement prévisible et cette institution était, dit-il, condamnée à l'échec. «La question à poser, écrit Selley, n'est pas "Pourquoi les Ontariens ne fréquentent-ils pas l'UOF?», mais «Pourquoi le feraient-ils?"» C'était une bonne question... mais ses réponses sont tout croches...

La seule donnée pertinente de la chronique provient d'un texte d'Étienne Lajoie dans Le Devoir, où l'on mentionne qu'à l'école secondaire Étienne-Brûlé de Toronto, seulement quatre des 60 diplômés de 2019 ont décidé de poursuivre leurs études en français. Voilà un chiffre qui méritait d'être approfondi, et qui aurait pu démontrer les effets de l'assimilation fulgurante dans un environnement unilingue anglais sur les choix éducatifs des Franco-Ontariens au post-secondaire. Mais cela aurait nécessité un peu de recherche.

L'auteur cite aussi l'ancienne présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (élèves du secondaire franco-ontarien) et diplômée d'Étienne-Brûlé, Natasha Pelletier, qui déclare: «Le système d'éducation ne nous prépare pas vraiment bien à être à l'aide en français». Cette opinion, peut-être fondée, peut-être pas, remet en question les méthodes d'apprentissage du français au secondaire en Ontario. C'est, me semble-t-il, une pièce importante du casse-tête. Sans vérifier quoi que ce soit, M. Selley se contente d'écrire: «On dirait un problème à réparer.»

À partir de là, le chroniqueur du National Post tombe dans la facilité et l'erreur, se demandant pourquoi des élèves francophones - même bien outillés - voudraient poursuivre des études post-secondaires en français à Toronto, où tout coûte cher, où le déblayage de la neige est super lent, où avoir du plaisir est illégal et presque personne ne parle français? Comment expliquer alors que quelques milliers d'étudiants fréquentent le collège bilingue Glendon? Et s'il est vrai que Toronto est une métropole essentiellement anglaise, près de 250 000 des résidents de la Ville Reine connaissent le français. Ce n'est pas beaucoup, mais bien plus que «presque personne»... 

Entre-temps, poursuit le chroniqueur, vous avez à quelques heures de route une ville française fantastique avec nombre d'universités françaises et bilingues dont les gens ont vraiment entendu parler... Faudrait informer M. Selley que Montréal s'anglicise à un rythme alarmant et qu'il n'y a là que deux universités de langue française, l'Université de Montréal et l'UQAM. Les deux autres universités montréalaises, McGill et Concordia, sont anglaises et non bilingues.

On pourrait pardonner (difficilement) au chroniqueur de mal connaître la métropole québécoise, mais son ignorance de la situation en Ontario est inexcusable. Pour les étudiants qui ne peuvent se payer les frais de scolarité pour étrangers au Québec (a-t-il vérifié?), écrit-il, il y a l'Université d'Ottawa, la Laurentienne et le collège Glendon, tous «entièrement bilingues» (fully bilingual) et l'Université de Hearst, située «au coeur de l'Ontario français»... Faudrait informer l'auteur qu'Ottawa et Laurentienne sont anglo-dominantes et que Hearst, un des joyaux de l'Ontario français, n'en est pas le coeur, du moins géographiquement.

Pourquoi, demande le chroniqueur, voudrait-on construire une université là où personne n'en veut? Pourquoi créer une nouvelle université de langue française quand d'autres sont déjà établies? D'abord, ce n'est pas vrai que personne n'en voulait. La coalition franco-ontarienne qui menait la campagne en faveur d'une université franco-ontarienne depuis 2012 avait toujours identifié le sud-ouest ontarien comme une brèche à colmater, parmi d'autres. Et contrairement aux affirmations gratuites de l'auteur du texte, il n'existait pas d'autres universités de langue française en Ontario...

Aux dires de Selley, la création de l'UOF à Toronto peut être attribuée à l'influence de «faucons» linguistiques pour qui la réalité objective n'a aucune importance, qui s'opposent aux universités bilingues parce qu'elles sont bilingues et non unilingues françaises. Ne comprenant pas, de toute évidence, que la majorité des étudiants francophones de ces institutions suivent des programmes unilingues français, le chroniqueur prétend que le bilinguisme de ces institutions constitue une reconnaissance de l'impossibilité de «vivre exclusivement en français dans la plupart des régions du pays». 

S'il avait fait ses devoirs, ce que peu de journalistes anglo-canadiens font quand ils traitent de nos dossiers linguistiques, il aurait évité l'emploi du mot faucon, car les défenseurs de la langue française en Ontario n'ont rien de ces oiseaux prédateurs à la vue perçante. Ils ressemblent plutôt à des secouristes empilant les sacs de sable contre un tsunami qui crée constamment de nouvelles brèches à colmater, des secouristes qui s'encouragent en tortillant les sombres données de l'assimilation pour gonfler des effectifs en rapide déclin... Les véritables faucons, ce sont ces Anglo-Canadiens (y compris des journalistes) qui ne ratent jamais une occasion de dénigrer les francophones et, par la bande, le Québec...

Dans sa conclusion, M. Selley étale son ignorance en plein jour. Les francophones «normaux», écrit-il, reconnaissent qu'ils ne pourront jamais vivre en français à Toronto, Edmonton, Vancouver ou Halifax. «Ils veulent être bilingues. Ils veulent que leurs enfants et petits-enfants soient bilingues.» Il serait temps pour lui de comprendre que la dynamique linguistique dans ces villes ne fonctionne pas ainsi. Les francophones n'ont pas besoin de «vouloir» devenir bilingues. Ils le sont déjà, à plus de 90%. Ils n'avaient pas le choix. La génération suivante le sera un peu moins, parce que la moitié ou plus des enfants ne parleront que l'anglais. Et la génération d'après sera très majoritairement anglophone. Le bilinguisme collectif des francophones dans ces métropoles anglaises n'est qu'une étape vers leur disparition. Et le chroniqueur Selley devrait comprendre que le seul environnement véritablement francophone pour ces minorités, c'est l'école française. Pas bilingue, française. Parce que tout le reste est anglais.

Mais le meilleur, c'est la fin du texte. Le gouvernement Trudeau, dit-il, s'est mis au service de ces soi-disant «faucons» linguistiques, soit sincèrement, soit par cynisme pour obtenir des votes nationalistes. Ottawa soumis aux volontés de faucons linguistiques francophones? Ottawa sincère en matière de langues officielles? Ottawa qui sollicite des votes «nationalistes» au Québec et au Canada français? Un scénario digne d'Alice au pays des merveilles! Un journaliste francophone qui écrirait de telles sornettes se ferait planter sur la place publique. Y'a qu'au Canada anglais qu'un tissu de faussetés semblables passe comme une lettre à la poste...

Amen! 


1 commentaire:

  1. Il est difficile pour une personne née dans un milieu majoritaire (comme moi) de comprendre la réalité de vivre en milieu minoritaire. Les eéflexes ne sont pas les mêmes. Les Franco-Québécois sont à la fois majoritaires (dans les limites territoriales de leur province) et minoritaires (à l'échelle du Canada et du continent. Nous sommes à la fois 80 % de la population et 3 % de la population, selon la façon de le considérer. M. Allard, j'apprécie beaucoup de vous lire, parce que cela me permet de mieux comprendre les réalités franco-ontariennes. Peu de Québécois comprennent réellement ce qui peut se passer dans la tête d'un Franco-Ontarien. Seul des résidents du Pontiac francophone le pourraient et, même eux, vivent habituellement dans des villages ou des communautés plus francophones qu'anglophones. Deux solitudes, en tout temps. Le nationalisme canadien-français a toujours été un réflexe de survie collective, pas une volonté agressante.

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