lundi 7 octobre 2019

Denise Bombardier: faire la part des choses...

image Radio-Canada


«Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.»

                              - Nicolas Boileau (1636-1711)
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Denise Bombardier se retrouve de nouveau au coeur de la tourmente après une entrevue à l'émission télévisée Tout le monde en parle. Invitée à parler de son documentaire Denise au pays des Francos, deux commentaires sur la qualité du français parlé hors Québec l'ont coulée. Pressée de questions, elle a appuyé sur la gâchette sans trop peser la portée de ses projectiles verbaux. Cela arrive parfois dans un contexte d'échanges vifs, où le cerveau peine à rattraper la bouche...

On voudrait parfois pouvoir se reprendre après mûre réflexion, mais voilà... Ce qui est écrit est écrit. Ce qui est dit est dit... et l'Internet a la mémoire longue...

Mais qu'a fait Mme Bombardier, au juste, pour retomber dans la marmite d'huile bouillante?

Elle d'abord employé le mot «inintelligible» pour qualifier le français parlé de certains francophones vivant en milieu minoritaire. Puis, évoquant ceux et celles dont le langage est une mixture de français et d'anglais, elle a déclaré: «Ils ne parlent aucune langue». Il ne lui a ainsi fallu qu'une dizaine de secondes (sur 18 minutes d'entrevue) pour que bien des auditeurs ne retiennent que ces deux brûlots.

Le français en situation minoritaire (au Québec aussi...) peut fort bien s'être appauvri, trop souvent avec un vocabulaire restreint, truffé de mots anglais et d'anglicismes... mais il est intelligible, du moins pour les francophones québécois, acadiens et canadiens-français. Et même, avec un peu d'effort, en France... Il est faux de dire que certains ne parlent aucune langue. La fusion de l'anglais et du français chez eux témoigne d'une évolution identitaire. Est-ce du franglais? Du «bilingue»? Autre chose? Peu importe, c'est une langue. La leur.

Pour le reste de l'entrevue à Tout le monde en parle, Denise Bombardier a le plus souvent visé juste, notamment sur la diminution du poids statistique de la francophonie partout au Canada. À Mme Bombardier qui affirmait qu'au chapitre de la langue d'usage, seuls 16 865 Manitobains parlaient surtout français à la maison (1,3% de la population), son interlocutrice a rétorqué qu'environ 10% des habitants du Manitoba étaient francophones. Ce chiffre est farfelu.

Même en additionnant aux Franco-Manitobains (41 000 selon Statistique Canada, soit 3,2% de la population) tous les anglophones qui ont appris le français, on n'arrive qu'à 8,7% de la population de la province. Et compter comme francophones ces anglos bilingues n'a aucun sens puisque selon la même logique on pourrait considérer les francos bilingues comme des anglophones. En utilisant cette méthode, 98,6% des Manitobains seraient anglophones, et 8,7% francophones... Cela donne un grand total de 107,3% de la population... Misère...

Serge Savard, un autre invité à TLMEP, est venu mettre son grain de sel en affirmant faussement qu'il y avait à moins d'une demi-heure de Winnipeg des villages entièrement francophones. Ces communautés francophones existaient sans doute au siècle dernier mais ce n'est plus le cas. Il ne reste au Manitoba qu'une seule localité à majorité francophone (52,3%), St-Malo. Il y avait aussi St-Pierre-Jolys mais depuis le recensement fédéral de 2016, les parlant français y sont désormais en minorité, à 45%. M. Savard a terminé son intervention peu reluisante en mettant en doute les chiffres officiels de la langue d'usage du recensement 2016 de Statistique Canada...

Par ailleurs, Mme Bombardier n'a aucunement dévalorisé le combat des Acadiens et Canadiens français pour assurer la pérennité de leur langue et de leur culture. Reconnaissant que ces derniers «luttent tous les jours», elle a averti les Québécois qu'ils ne devaient pas demeurer indifférents comme cela a été trop longtemps le cas. Non seulement par solidarité, mais par instinct de survie. «À travers eux (les francophones hors Québec), je vois les dangers qui nous guettent au Québec», a-t-elle déclaré. Trop peu de gens se souviendront de cet avertissement, mais l'évolution actuelle du français au Québec lui donne raison.

Enfin, l'invitée a abordé à TLMEP un enjeu essentiel que personne n'ose trop soulever, parce qu'un examen approfondi de l'histoire et des situations actuelles démontrerait à quel point les Anglo-Québécois sont choyés... depuis la fondation du Canada fédéré en 1867. «Je voudrais une chose, a-t-elle conclu. Je voudrais que tous les francophones des autres provinces aient les mêmes protections que les anglophones du Québec.»

Que Denise Bombardier soit quelque peu irritante par moments ne fait aucun doute, comme ce reproche inconvenant (dans son documentaire) à un interlocuteur franco-ontarien qui avait employé «supporter» dans le sens d'«appuyer», un anglicisme courant même au Québec. Avec son parcours et son caractère, le contraire eut été surprenant. Ses détracteurs - et ils sont nombreux - feraient bien, cependant, de peser la portée de leurs propos à l'endroit de Mme Bombardier. Qu'on lui reproche ses erreurs, soit, mais qu'on reconnaisse aussi la pertinence et la sincérité de son témoignage et surtout, qu'on en profite pour tenter de garder de nouveau à la une les enjeux de la francophonie hors Québec. Dieu sait à quel point on l'oublie trop souvent...






David contre Goliath. L'indifférence médiatique.


Le 26 septembre, la Cour suprême du Canada s'est déplacée (la première fois de son histoire) à Winnipeg pour entendre une affaire qui pourrait remettre en cause l'avenir des écoles françaises hors-Québec. Six provinces et un territoire à majorités anglophones veulent obtenir le droit d'invoquer des motifs économiques pour sous-financer le réseau scolaire de leur minorité canadienne-française ou acadienne.

Si la Cour suprême confirme le jugement de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique et leur accorde ce droit, tant l'esprit que la lettre de l'article 23 de la Constitution canadienne sur les droits scolaires des minorités se retrouveront sabotés... Et les médias québécois n'en ont pas soufflé mot!!! Oserais-je ajouter... comme d'habitude???

Imaginez un moment le scénario contraire. Je sais que cela paraît absurde, mais essayez tout de même. Si jamais le Québec décidait - oh horreur! - d'invoquer des motifs budgétaires pour imposer à sa minorité anglo-québécoise des institutions scolaires inférieures à celles de la majorité francophone, et que la Cour suprême se déplaçait à Montréal pour entendre une contestation judiciaire des anglos, la frénésie médiatique serait assourdissante!

Les hôtels du centre-ville feraient des affaires d'or avec les hordes de journalistes et photographes venus de partout au Canada et d'ailleurs dans le monde... sans oublier la présence garantie de ces «observateurs» obsédés par le soi-disant «racisme» qu'ils croient incrusté chez les francophones du Québec... Les jérémiades de la minorité anglophone feraient la une des journaux et la manchette des bulletins télé d'un océan à l'autre!

Deux poids, deux mesures...

Parmi les médias de langue française, seuls Radio-Canada, ONFR+ (télévision franco-ontarienne) et le réseau Francopresse (francophonie hors Québec) ont fait grand cas de cette cause fondamentale dont l'enjeu, pour les francophones minoritaires, est d'avoir le droit constitutionnel de gérer bien sûr leurs écoles, mais aussi d'avoir les ressources financières requises pour que ces écoles soient d'une qualité équivalente à celles de la majorité anglophone.

Je n'ai rien vu sur les audiences de la Cour suprême dans Le Devoir, La Presse, ni dans les six quotidiens du Groupe Capitales Médias (y compris Le Droit!), ni dans les télés et radios privées. Avec les frasques de Doug Ford en Ontario, fin 2018, le Québec avait brièvement redécouvert la situation dans laquelle se trouvent ceux et celles qui persistent à vouloir vivre en français ailleurs au pays. Il semble qu'on soit vite retombé dans l'indifférence générale, du moins dans les médias.

On rétorquera qu'une campagne électorale fédérale est en cours et que les effectifs journalistiques sont dirigés en priorité vers cette couverture. Mais justement, l'affaire devant la Cour suprême devrait être un enjeu électoral pour tous les politiciens et politiciennes puisque l'article 23 de la Constitution est menacé, et par là les ressources éducatives des francophones en situation minoritaire. Où sont-ils, tous ces braves fédéraux toujours prêts à voler au secours des Anglo-Québécois pour des balivernes? Les Canadiens français et les Acadiens ne méritent-ils pas autant leur attention?

Présentement, devant le plus haut tribunal du pays, un petit groupe de Franco-Colombiens affronte son gouvernement et une coalition de six provinces et un territoire (en plus de la C.-B., l'Alberta, la Saskatchewan, la Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince Édouard, Terre-Neuve et les Territoires du Nord-Ouest). David contre Goliath.

L'Ontario de Doug Ford ne fait pas partie de cette meute mais partage très certainement ses objectifs, ayant objecté son déficit pour refuser aux Franco-Ontariens leur projet d'université. Remarquez, les libéraux de Mme Wynne avaient agi de la sorte eux-mêmes en 2015 dans le même dossier. Quant au Nouveau-Brunswick, officiellement bilingue, ne comptez pas sur son secours avec un francophobe comme Blaine Higgs au poste de premier ministre...

«Les Acadiens et les Franco-Canadiens devraient avoir les mêmes droits que les Anglo-Québécois, écrivait récemment Gilles Duceppe, ancien chef du Bloc québécois. Comme Québécois, nous devons (...) en tout temps rester solidaires.»

Comment «rester solidaires» quand nos médias ne font pas leur boulot?

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* à lire aussi: mon texte du 14 juin 2015 sur des arguments similaires, invoqués par le gouvernement libéral de l'Ontario, pour retarder la création d'une université de langue française... bit.ly/31QSITY