mardi 31 mai 2022

«Notre capitale», c'est Québec!

La maire actuelle de Gatineau, France Bélisle, vient de trahir le Québec en disant souhaiter l'élargissement de la «cité parlementaire» fédérale jusqu'au centre-ville du secteur Hull de Gatineau. Elle propose ainsi de placer un bout de territoire de la quatrième ville du Québec sous autorité partielle du gouvernement canadien!

Il est grand temps que Québec rappelle à Gatineau que les villes sont, constitutionnellement, des créatures de l'État québécois et qu'elles n'ont aucun droit d'entretenir des rapports officiels avec le Parlement fédéral, si ce n'est qu'avec la permission expresse du gouvernement national (le nôtre, celui de Québec).

Le premier ministre Legault et son bras droit en Outaouais, Mathieu Lacombe, ont-ils même été consultés avant que la maire Bélisle dise vouloir confier le secteur de la rue Laurier, près de la rivière des Outaouais, aux bons soins de la Gendarmerie royale du Canada, créant ainsi un embryon de mini-district fédéral?

Ainsi, la ville de Gatineau semble préférer une coordination fédérale du transport interprovincial et et du tourisme inter-rives... Clairement, pour Mme Bélisle, Québec n'est pas notre capitale nationale. C'est Ottawa. Et elle ne s'en cache pas. «Cet élargissement (de la Cité parlementaire) viendrait favoriser les décisions sur le terrain au bénéfice d'un développement harmonieux et cohérent de notre capitale», a-t-elle dit selon le reportage de Radio-Canada.

Non seulement la ville de Gatineau s'anglicise-t-elle à la vitesse grand V depuis des années, processus qui s'accélérera avec l'arrivée en masse d'Ontariens en quête de logements pas chers, et avec des projets  de logement inter-rives comme Zibi, autour du pont des Chaudières, mais voilà que la mairie fait front commun avec des élus d'Ottawa pour brouiller encore davantage la frontière entre l'Ontario et le Québec.

Y aura-t-il au moins un membre du conseil municipal de Gatineau pour défendre l'intégrité du français et du territoire québécois au centre-ville de Gatineau? On sait de quel côté se rangeront les deux principaux députés fédéraux de la ville de Gatineau, anglophones, tout comme les deux députés libéraux québécois, André Fortin et Maryse Gaudreault, dont l'anglomanie est bien connue.

S'il reste quelque chose du vieux fond combatif québécois dans la métropole de l'Outaouais, vivement qu'il se manifeste. Qu'il affirme que Gatineau est bien une ville française et québécoise. Que Gatineau n'est pas un quartier de la capitale canadienne. Que la capitale nationale de Gatineau est bien Québec, et non la voisine d'en face.

Décidément, ce conseil municipal est entre mauvaises mains...


jeudi 26 mai 2022

Nous enfoncer le mot «systémique» dans la gorge...


Amnistie internationale vient de relancer son offensive pour la reconnaissance du racisme dit «systémique» au Québec (voir bit.ly/3wOp8Ah). Croyez-moi. Il ne s'agit pas de combattre le racisme mais bien de nous enfoncer le mot «systémique» dans la gorge jusqu'à étouffement.

Amnistie internationale Canada mène ici un combat essentiellement politique contre le gouvernement du Québec et les francophones qui le soutiennent. À les entendre, on a parfois l'impression que le Québec français traite ses minorités dites «racisées» (mot très à la mode) à peu près comme les racistes blancs des États du sud des États-Unis traitaient les personnes de race noire jusqu'aux années 1960.

Personne ne nie qu'il existe du racisme ici. Comme ailleurs. Comme partout sur cette planète. Partout. Mais cela n'intéresse pas les apôtres d'Amnistie autant que d'accoler au mot racisme l'épithète «systémique». D'arracher des aveux de culpabilité à des États et des peuples, comme si cela ferait toute la différence.

Qu'on soit Québécois, Canadiens français, Acadien, de souche ou métissé, nous sommes une cible facile pour ces militants qui jugent sans fouiller à fond, du haut de leur supériorité morale. Notre petit peuple a été victime d'oppression et de racisme depuis le 18e siècle. Les boucliers qu'on lève n'ont jamais servi à attaquer ou à asservir mais à nous défendre contre plus puissants que nous.

Amnistie internationale nous met dans le même bateau que l'impérialisme anglo-saxon en Amérique. On devrait fournir à ces gens une bonne pilée de livres d'histoire et les obliger - ô horreur! - à les lire. Au lieu de s'attaquer au racisme jugé «systémique» en territoire québécois, ils s'empresseraient de monter une campagne contre les mauvais traitements, systémiques ceux-là, dont les minorités francophones au Canada anglais ont été et sont toujours victimes.

Mais pourquoi se priver d'attaquer une bête blessée, affaiblie par des centaines d'années de domination, salie par des campagnes de faussetés dans l'univers médiatique anglo-canadien? C'est bien plus facile. Peu importe les efforts qu'on puisse faire pour combattre les manifestations de racisme chez nous - et il y en a - ces bien-pensants n'effaceront aucun péché, ne reconnaîtront pas la valeur des efforts, tant que nous n'admettrons pas, à genoux, le caractère systémique de nos agissements. Genre Loi 21 sur la laïcité, Loi 96 pour défendre la langue française...

Je suis tenté de reprendre ici ce que j'avais écrit à Amnistie internationale en novembre 2020 quand l'organisation a lancé sa campagne insidieuse de mobilisation en faveur de ce qu'elle appelait un «Québec inclusif et antiraciste». J'écrivais alors:

«Je lutte pour les droits de la personne et contre le racisme sous toutes ses formes depuis plus de 50 ans et ce que vous écrivez sur le Québec est de la bouillie pour les chats.

«Le Québec francophone, ainsi que les francophones ailleurs au Canada, sont victimes de racisme culturel depuis près de 200 ans. Quand on nous ordonnait de parler anglais, on nous disait "Speak white"! Clairement une insulte raciale.

«Comme collectivité, nous avons été traités en inférieurs assez longtemps pour ne pas réserver ce sort aux autres. Dès que nous levons la tête pour défendre notre langue et notre culture menacées par le rouleau compresseur nord-américain, on nous traite de racistes et xénophobes.

«Si vous preniez le temps d’étudier l’histoire et la situation actuelle des Franco-Québécois et Franco-Canadiens (de toutes races), vous verriez peut-être ce que vous appelez le "racisme systémique" ailleurs que chez nous.

«Les jugements comme ceux que vous portez sur le Québec sont honteux, et indignes d’un organisme comme Amnistie internationale.»

Amnistie internationale se dit le grand défenseur des droits humains autour du monde. Mais pas des nôtres, semble-t-il. En vérité je vous le dis: nous ne méritons pas d'être humiliés par d'autres humiliés. Notre combat contre le racisme est le même. En vous acharnant ainsi sur le Québec, vous mettez en colère ce vieil antiraciste (j'ai 75 ans). Je ressens chez vous le même ton de supériorité que le Canada anglais emploie régulièrement pour nous rabaisser. Votre salade est indigeste. Allez la vendre ailleurs!


mercredi 25 mai 2022

Terrée dans son chalet...

Que faut-il penser d'une ville où les dirigeants, absents du radar pour près de 48 heures après une tempête dévastatrice, finissent par convoquer la presse pour parler d'inondations possibles (mais incertaines) la fin de semaine suivante?

Dans le sillage du derecho (c'est le nom du phénomène qui nous a frappés) de samedi après-midi, 21 mai, des pans entiers des villes d'Ottawa et Gatineau, ainsi que des villes et villages environnants, se sont retrouvés sans électricité dans un décor de zone sinistrée - toits arrachés, endommagés, arbres et branches jonchant le sol partout.

Les services d'urgence des municipalités ont été débordés d'appels en fin  de journée et très vite, l'ampleur des dégâts est devenue apparente. Dès le lendemain, à Ottawa, le maire Jim Watson était au front et la ville avait ouvert des centres d'accueil pour accueillir les citoyens des nombreux quartiers en panne.

Pendant ce temps, à Gatineau, en face, quatrième ville du Québec, silence... Bien sûr, les équipes des travaux publics municipaux et les camions d'Hydro-Québec sillonnaient les routes pour entreprendre les longs travaux de nettoyage et de rebranchements, mais au sommet de la hiérarchie du pouvoir, c'était le vide!

Mme la maire France Bélisle était à son chalet et n'a pas jugé bon de rentrer en ville, même par simple solidarité avec tous ces milliers de citoyens qui l'ont élue pour les représenter. Les faibles motifs qu'elle a proposés à la presse, deux jours après la tempête, étaient pénibles à entendre.

Affirmant qu'elle avait travaillé toute la fin de semaine, la maire a ajouté: «C'est sûrement la meilleure chose que je reste là-bas, parce que j'avais de l'électricité, alors que dans mon domicile en ville je n'en avais pas. Ça m'a permis de rester active.» Ue réponse qui a de quoi étonner!

D'abord si je m'étais trouvé à un chalet ayant de l'électricité après le passage des orages mais que ma résidence en ville était dans un secteur de panne, je serais revenu chez moi rapidement pour vérifier les dommages possibles, protéger la nourriture au frigo ou au congélateur, etc. Et aussi, pour partager la misère de la population que je dirige. Enfin, chacun sa façon...

Mais le pire, c'est de nous laisser croire qu'elle pouvait rester active parce qu'il y avait du courant au chalet. Non mais pensait-elle vraiment que son travail en ville s'effectuerait de sa maison sans courant? Madame le maire se serait plutôt rendue à l'hôtel de ville où, sans s'ingérer dans les travaux des employés sur le terrain, elle aurait assumé la direction politique des opérations et assuré les coordinations requises. Elle aurait aussi pris le temps d'aller voir, sur place, des quartiers touchés: il me semble qu'on est en droit d'attendre au moins ça d'un leader municipal.

Au lieu de foncer au front avec ses concitoyens, la maire s'est contentée d'une position d'attente. «Si on a besoin de moi pour accorder des autorisations, il faut que je sois disponible pour les accorder. Et c'est ce que j'a fait», a-t-elle dit. Mais la situation exigeait qu'elle exerce en pleine ville son rôle de maire, de dirigeante, de porte-étendard de Gatineau. Pour ça elle n'était pas disponible, terrée dans son chalet.

Alors qu'Ottawa ouvrait des centres de répit pour ses citoyens sans courant une douzaine d'heures après la tempête, Gatineau a attendu deux jours! «Ce n’est pas parce que la mairesse est à son chalet et que la mairesse est assise sur son divan qu’elle ne joue pas son rôle de mairesse», a déclaré Mme Bélisle lundi (ou mardi). Vraiment?

La pire explication donnée par la maire était celle-ci: la Ville, a-t-il dit, devait s'occuper en même temps des pannes de courant et «d'un réservoir qui déborde». Elle est bien bonne. D'abord le réservoir Baskatong, plus de 100 km au nord, est administré par Hydro-Québec, pas la ville, et il ne déborde pas... du moins pas de façon majeure pour le moment. La seule urgence en fin de semaine, c'étaient les dégâts causés par la tempête de samedi et les pannes de courant.

La conférence de presse municipale du lundi 23 mai visait à avertir les citoyens de possibles inondations graves à venir s'i y a beaucoup de pluie durant la semaine et qu'Hydro-Québec doit ouvrir les vannes du barrage Mercier, au nord de Maniwaki. Bien des citoyens n'y croient pas, mais enfin, cela pourrait arriver. Reste que la maire Bélisle était là pour une conférence médiatique du type «au cas où», mais absente du feu de l'action les jours précédents. 

Le comble, c'est qu'elle a pris le temps de faire la morale aux citoyens, leur rappelant que la sécurité civile, c'est l'affaire de tous. «On a des citoyens qui, s’ils ne l’ont pas encore compris, doivent s’équiper à la maison pour survivre 72 heures. Avec de la nourriture non périssable et de l’eau. Les citoyens doivent être en mesure de mettre des mesures en place», a-t-elle déclaré.

Il semble aussi qu'il y en a qui n'ont pas compris que la maire d'une grande ville ne passe pas la fin de semaine au chalet quand le ciel tombe sur la tête de ses concitoyens.


lundi 23 mai 2022

Le français «se porte plutôt bien»? Quoi?

capture d'écran de La presse sur le Web

Depuis longtemps l'érosion des journaux quotidiens au Québec me préoccupe. Mais en lisant une chronique comme celle qu'Yves Boisvert dans La Presse du 15 mai 2022, intitulée L'insolence d'être un Anglo, je crains aussi pour l'avenir du journalisme. Quand un chroniqueur chevronné, formé en droit par surcroit, se permet de signer un texte pareil, et que ses supérieurs le publient sans sourciller, je m'inquiète.

Affirmations sans preuve, procès d'intentions, faussetés même, ce texte sur le projet de loi 96 (désormais la Loi 96) mérite tout au moins qu'on le décortique pour séparer l'ivraie du bon grain comme on disait à la vieille époque des écoles catholiques.

Commençons, puisqu'il faut bien commencer quelque part. Yves Boisvert écrit:

«Le français se porte plutôt bien, au Québec. Si à Montréal il recule, c'est parce que les francophones s'installent surtout en banlieue. Et que les immigrants s'installent massivement en ville. Sauf que les immigrants, choisis par le Québec, sont ou bien francophones, ou bien maintenant très majoritairement francisés ou en voie de l'être, notamment grâce à l'éducation obligatoire en français.»

Si le français se porte «plutôt bien», pourquoi les indicateurs (langue maternelle, langue d'usage, langue de travail) indiquent-ils tous un recul, s'accélérant par surcroit? Pourquoi le gouvernement fédéral s'apprête-t-il à modifier la Loi sur les langues officielles pour reconnaître que le français a besoin de protection et de promotion partout, même au Québec? Pourquoi Statistique Canada prévoit-elle un déclin constant du français dans ses projections vers 2036? Pourquoi le taux d'analphabétisme fonctionnel des francophones frise-t-il le seuil de 50%? Et que dites-vous de la piètre qualité de la langue parlée dans la rue, à la radio, à la télévision? On pourrait continuer ainsi longtemps...

Quant aux immigrants, une proportion appréciable est toujours choisie par Ottawa et le taux global de francisation des nouveaux arrivants ne dépasse pas les 55%. L'immigration continue ainsi de favoriser une croissance de la proportion des anglophones au Québec. Si, comme le prétend le journaliste de La Presse, les immigrants sont «très majoritairement» francophones ou en voie d'être francisés, pourquoi associe-t-il leur arrivée «massive» à Montréal avec un recul du français? Quant à l'instruction obligatoire en français, puis-je rappeler que cette instruction en français n'est obligatoire qu'au primaire et au secondaire. On voit ce qui arrive, rendu au collégial...

Poursuivons avec un autre paragraphe rebutant du chroniqueur:

«Jusqu’où faut-il restreindre les services en anglais au Québec pour protéger le français ? À lire certaines chroniques hargneuses récemment, on n’ira jamais assez loin, encore moins trop loin. Car, voyez-vous, « nos » anglophones (notez l’adjectif possessif) constituent « la minorité la mieux traitée au monde ». En conséquence, toute protestation quant à leurs « droits » est rangée au rayon des lamentations d’enfant gâté. Les organisations de défense des droits des anglophones sont automatiquement tournées en ridicule. Les extrémistes anglos sont cités avec emphase dans les médias pour mieux montrer le caractère déraisonnable de leur position.»

Ce bout de texte lance gratuitement une suite de généralisations tout à fait contestables comme s'il s'agissait d'évidences. Et Dieu, s'il ou elle existe, sait fort bien que l'évidence est l'ennemi juré du journaliste. Il faudrait d'abord expliquer comment on fait pour protéger le français sans restreindre l'envahissement de l'anglais dans la province la plus bilingue du Canada. Quant aux chroniques «hargneuses» (définition du Larousse : avec une attitude désagréable, agressive, malveillante à l'égard d'autrui se traduisant par des paroles acerbes, blessantes), j'aimerais bien savoir de qui et de quoi il parle. Un exemple peut-être?

Les Anglo-Québécois sont-ils ou pas la minorité la mieux traitée au monde? Je n'en sais rien. Ce que je sais, par contre, c'est que toutes les minorités francophones hors-Québec sont vertes de jalousie. On n'a qu'à constater le surfinancement des réseaux de santé et d'éducation de langue anglaise au Québec, alors qu'ailleurs au pays des institutions de langue française  affamées quêtent les sous du fédéral pour survivre... Et la question se pose: les anglophones sont-ils vraiment une minorité au Québec, ou sont-ils davantage un prolongement de la majorité anglo-canadienne? «Nos anglophones»? Notez l'adjectif possessif, écrit M. Boisvert. Historiquement, s'il y a eu possession, nous avons plutôt été «leurs» francophones... Et mentalement, trop souvent, nous le sommes toujours en 2022.

Que certaines organisations, ou certains porte-parole d'entre elles, aient été à l'occasion tournés en ridicule, cela se conçoit. Mais écrire que les organisations de défense des droits des Anglos sont «automatiquement» ridiculisées, c'est insulter sans preuve l'immense majorité des organisations et publications de langue française qui font tout leur possible pour protéger et promouvoir nos acquis culturels. Pour ce qui est des «extrémistes anglos», j'aimerais bien que l'auteur soit plus précis parce que la définition d'extrémiste varie d'une plume à l'autre. S'il pense à ceux et celles qui nous traitent, ouvertement ou à mots couverts, de xénophobes et de racistes à chaque fois qu'on lève un bouclier en faveur du français, je crains que sa définition d'extrémiste n'englobe des centaines de milliers, voire des millions de personnes au Canada.

Une dernière salve du chroniqueur:

«Comme l'article constitutionnel préféré de Simon Jolin-Barrette est la disposition de dérogation (claude "nonobstant"), cette loi en est évidemment munie. (...) Dès que le le projet sera une loi, elle sera contestée devant les tribunaux. Ça fait partie du projet: montrer que les tribunaux briment la "suprématie parlementaire". Histoire de foutre un peu plus le bordel politico-linguistique, en excitant les ultras de chaque côté.»

L'auteur verse dorénavant dans le procès d'intention, un pas qu'il faut franchir avec la plus extrême prudence avec une plume. On laisse entendre que les articles du projet de loi 96 visant à protéger et promouvoir la langue française ont des objectifs cachés, comme «de foutre un peu plus le bordel politico-linguistique». Le texte affirme d'ailleurs que le projet de loi est plein «de petites choses» qui créeront «juste plus de mesquinerie réglementaire» et de «tracasseries administratives»... pour les anglophones bien sûr... Tracasseries? C'est vraisemblable. Mais de la «mesquinerie» (définition du Larousse: qui manque de générosité, d'élévation, de largeur de vues)? Et que laisse sous-entendre cette affirmation voulant que la clause nonobstant soit l'article constitutionnel «préféré» du ministre Simon Jolin-Barrette?

L'auteur de la chronique joue - un peu trop à la légère selon moi - avec des enjeux constitutionnels fondamentaux pour l'avenir du Québec. Se souvient-il que la Charte fédérale de 1982 a été imposée au Québec, que ce dernier ne l'a jamais signée, qu'elle avait pour but, entre autres, de torpiller la Loi 101, qu'elle confiait aux tribunaux nommés par Ottawa le droit de juger seuls les lois québécoises, y compris en matière de francisation? La clause de dérogation constitue la seule protection du Québec contre le coup d'État de 1982 et faute de refuser de se soumettre à cette tour de Pise constitutionnelle et judiciaire, les gouvernements québécois doivent s'y soustraire quand la chose est possible. Et il ne s'agit pas de montrer que les tribunaux briment la suprématie parlementaire... Peut-être, cependant, de montrer que les tribunaux fédéraux briment la suprématie parlementaire du Québec...

En tout cas, ce «bordel politico-linguistique», le Québec français ne l'a pas créé. Il le subit depuis deux siècles. À suivre...


samedi 14 mai 2022

Saint Jude, priez pour nous!

Bien des gens ont estimé, qu'ils l'aient dit tout haut ou pas, que le Bloc québécois avait fait perdre aux députés fédéraux un précieux temps en consacrant l'une des rares journées de l'Opposition à un débat, qu'ils jugeaient inutile, sur la prière lue au début de chaque séance de la Chambre des communes.

«Quand je parle aux gens à travers le pays, ils me parlent du coût de la vie, ils me parlent des enjeux au niveau de la guerre en Ukraine, ils parlent de l’inflation, ils parlent des changements climatiques», a commenté le premier ministre Justin Trudeau au scribe de La Presse (bit.ly/3sw7UoU).

Voilà le genre de pain qu'on sert toujours au bon peuple dont le regard ne devra surtout jamais s'élever au-dessus de l'immédiat. Devant un plein à plus de 2$ le litre, l'horreur d'un missile détruisant une école ou une vague de chaleur étouffante à la mi-mai, le moment présent nous obnubile. Fixer l'arbre nous interdit de voir la forêt, ou mieux, le ciel et l'univers au-delà de l'arbre et de la forêt.

Sur notre planète trépidante, les pauses pour réflexion, les moments de recul ne surgissent pas du néant. Il faut, de toutes pièces, les créer. Il est essentiel, de temps à autre, de s'extirper du vécu pour regarder la vie. S'interroger sur les grands «Pourquoi». Sur les principes, les valeurs, les croyances ou non-croyances qui nous animent. À cet égard, la motion sur la pertinence de la prière des députés arrivait à point.

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Texte de la plus récente version (celle de 1994) de la prière des députés à la Chambre des Communes:

«Dieu tout-puissant, nous te remercions des nombreuses grâces que tu as accordées au Canada et à ses citoyens, dont la liberté, les possibilités d'épanouissement et la paix. Nous te prions pour notre Souveraine, la Reine Elizabeth, et la Gouverneure générale. Guide-nous dans nos délibérations à titre de députés et aide-nous à bien prendre conscience de nos devoirs et responsabilités. Accorde-nous la sagesse, les connaissances et la compréhension qui nous permettront de préserver les faveurs dont jouit notre pays afin que tous puissent en profiter, ainsi que de faire de bonnes lois et prendre de sages décisions. Amen.»

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Les enjeux de la religion et de la laïcité en politique couvent sous la surface depuis longtemps et montent à ébullition par moments. L'affaire de la prière au conseil municipal de Saguenay avait abouti en Cour suprême du Canada en 2015 et cette dernière avait ordonné au maire de Saguenay d'y mettre fin. La seule raison pour laquelle cette décision ne s'est pas appliquée au Parlement fédéral tient au privilège particulier de la législature, sur laquelle la Cour n'a aucune autorité. Autrement, la prière aux Communes aurait déjà été rangée au musée...

Et, évidemment, il est difficile d'oublier tous les débats entourant la laïcité au Québec, où le retrait des symboles religieux des affaires de l'État font l'objet de manchettes dans les médias du pays tout entier et mobilisent la classe politique des deux côtés de la barricade. À l'Assemblée nationale du Québec, l'ancienne prière a cédé sa place à un moment de recueillement depuis 1976...

Ces débats se déroulent sur le fond changeant de l'opinion publique, où la proportion des non-croyants est à la hausse depuis fort longtemps. Selon un sondage réalisé l'an dernier à travers le Canada (bit.ly/3puxKck), environ la moitié des Québécois et 40% des autres Canadiens ne croient plus en Dieu. C'est plus de 50% chez les moins de 35 ans. Cela ne change rien à l'existence ou la non-existence d'un Dieu tout-puissant, mais ces données sont pertinentes pour justifier la tenue d'un débat comme celui qu'a provoqué le Bloc québécois.

De toute façon, peu importe ce que l'on puisse penser des grenouillages politiques qui entourent tous les débats, une simple lecture de cette prière ahurissante (voir texte ci-dessus) devrait convaincre de la nécessité la mettre sans délai à la poubelle. Dès le début, elle remercie un Dieu, auquel plus de 40% des Canadiens et 50% des Québécois ne croient pas, d'avoir accordé de nombreuses «grâces» au Canada et à ses citoyens (liberté, épanouissement, paix).  Non mais a-t-on pensé à la perfidie d'une telle affirmation?

S'il faut croire ce texte, ce Dieu tout-puissant accorde des grâces (des faveurs spéciales) à certains pays mais pas à d'autres. Un peu comme le vieux God is an American. Ce Dieu qu'on veut bon, aimant, parfait, aurait béni le Canada mais maudit Haïti, l'Ukraine, l'Irak? Il aurait privé la moitié de la planète de liberté et de paix? Une telle affirmation est insultante pour les non-croyants, et même davantage pour les croyants.

La prière des députés demande ensuite de prier «pour notre Souveraine, la Reine Elizabeth, et la Gouverneure générale». Plus vil que ça... On nous rappelle que nous sommes sujets d'un monarque, alors que le souverain en démocratie, c'est le peuple. Cette reine britannique est par ailleurs chef de l'Église anglicane, et son titre est interdit aux autres religions. On veut vraiment qu'on prie pour elle, et pour cette Gouverneure générale qui ne connaît pas un traitre mot de français? Élevé en bon chrétien, j'ai accepté d'aimer mes ennemis (façon de parler). Mais on ne m'a jamais demandé de prier pour eux.

La seconde partie de la prière laisse entendre que Dieu tout-puissant peut guider les députés dans leurs débats et leurs décisions. On insère déjà ici une justification pour l'adoption de mauvaises lois. Dieu aurait alors manqué à son devoir de conseiller et de guider nos pauvres députés incapables de penser par eux-mêmes. Même les dirigeants de nos Églises n'endosseraient telle parodie d'une véritable prière.

Au moment de voter, 266 députés ont refusé de remettre en question le principe et le libellé de ce mauvais texte.

Saint Jude, patron des causes désespérées, priez pour nous!



mercredi 4 mai 2022

Jour de déménagement...

Le Carillon Sacré-Coeur

Quand on arrive à l'âge où grande maison doit faire place à plus petit, une bonne part de ce qu'on a accumulé au fil des décennies ne survit pas au déménagement. On vend, on donne, on recycle. Autant qu'il le faut. Un véritable déracinement. Surtout quand on habite la même maison depuis plus de 30 ans...

Les enfants reviennent donner un coup de main. Vider les tiroirs. Remplir des boîtes. Fouiller les recoins. Trier les souvenirs qu'on conservera... ou pas. Chaque objet rappelle une personne, une occasion, un moment intense. Le passé surgit. Les déménagements antérieurs. Les parents, grands-parents, la maison d'enfance. Les voix, les musiques, les arômes, les paysages d'antan.

Au-delà de la tristesse, il y a cependant la continuité. L'aventure que nous avons entreprise dans notre jeunesse était héritée de ceux et celles qui nous ont précédés, et nous avons transmis cet héritage à nos enfants, qui le passeront à leur marmaille. Nous en prenons conscience quand apparaît, au fond d'une caisse, sur une tablette poussiéreuse, des objets d'une époque révolue, survivants de multiples déménagements.

Ce 4 mai 2022, mon frère et son épouse, nos voisins depuis 42 ans, ont troqué la maison qu'ils avaient fait construire en 1988 contre un joli appartement tout neuf, dont ils seront les premiers occupants. C'est dans cette ambiance de nouveauté qu'une de mes nièces m'a apporté trois vieux drapeaux inconnus des jeunes générations, et remontant clairement aux années 1930 ou 1940...

À prime abord, ils ressemblent au drapeau du Québec, sauf que les fleurs de lys sont inclinés vers le centre, où trône une image du Sacré-Coeur de Jésus entourée de feuilles d’érable. Il s'agit de ce qu'on appelait le «Carillon Sacré-Coeur», un drapeau popularisé par les sociétés Saint-Jean-Baptiste au début du 20e siècle. L'ancêtre du fleurdelisé québécois actuel, adopté en 1948.

Ces drapeaux appartenaient aux parents de ma belle-soeur, et avaient été sauvés de l'ancien domicile familial dans la paroisse Saint-François d'Assise, à Ottawa. Quand j'étais enfant (vivant dans la même paroisse), je me souviens des grandes processions de la Fête-Dieu au mois de juin. Les maisons de notre quartier canadien-français étaient pavoisées de drapeaux du Saint-Siège... et de Carillons Sacré-Coeur.

Les drapeaux trouvés chez mon frère ont sans doute servi à décorer l'ancienne maison au passage du défilé, assez impressionnant, jusqu'au régiment de zouaves pontificaux en képi. Ces «Carillon Sacré-Coeur» ont aujourd'hui 80 ans ou plus et font partie d'un passé largement oublié hors des livres d'histoire. Ils sont passés d'Ottawa à Gatineau, d'un camion de déménagement à l'autre, d'un millénaire à l'autre, jusqu'à ce mois de mai 2022. Survivront-ils une fois de plus?

Ces drapeaux participent à une épopée familiale, paroissiale, nationale, que ma génération a vécue dans son enfance, et dont la mémoire risque de s'éteindre avec notre départ. Il ne faudrait pas qu'un jour nos petits-enfants, ayant découvert ces reliques dans de veilles boîtes avant un déménagement, les destinent à la poubelle sans savoir d'où elles viennent et à quoi elles ont servi. La continuité en dépend.

Je pense à tout cela en regardant la maison d'à-côté, où j'y trouvais mon frère et ma belle-soeur jusqu'à ce matin et dont toutes les lumières, ce soir, sont fermées.