Quand on arrive à l'âge où grande maison doit faire place à plus petit, une bonne part de ce qu'on a accumulé au fil des décennies ne survit pas au déménagement. On vend, on donne, on recycle. Autant qu'il le faut. Un véritable déracinement. Surtout quand on habite la même maison depuis plus de 30 ans...
Les enfants reviennent donner un coup de main. Vider les tiroirs. Remplir des boîtes. Fouiller les recoins. Trier les souvenirs qu'on conservera... ou pas. Chaque objet rappelle une personne, une occasion, un moment intense. Le passé surgit. Les déménagements antérieurs. Les parents, grands-parents, la maison d'enfance. Les voix, les musiques, les arômes, les paysages d'antan.
Au-delà de la tristesse, il y a cependant la continuité. L'aventure que nous avons entreprise dans notre jeunesse était héritée de ceux et celles qui nous ont précédés, et nous avons transmis cet héritage à nos enfants, qui le passeront à leur marmaille. Nous en prenons conscience quand apparaît, au fond d'une caisse, sur une tablette poussiéreuse, des objets d'une époque révolue, survivants de multiples déménagements.
Ce 4 mai 2022, mon frère et son épouse, nos voisins depuis 42 ans, ont troqué la maison qu'ils avaient fait construire en 1988 contre un joli appartement tout neuf, dont ils seront les premiers occupants. C'est dans cette ambiance de nouveauté qu'une de mes nièces m'a apporté trois vieux drapeaux inconnus des jeunes générations, et remontant clairement aux années 1930 ou 1940...
À prime abord, ils ressemblent au drapeau du Québec, sauf que les fleurs de lys sont inclinés vers le centre, où trône une image du Sacré-Coeur de Jésus entourée de feuilles d’érable. Il s'agit de ce qu'on appelait le «Carillon Sacré-Coeur», un drapeau popularisé par les sociétés Saint-Jean-Baptiste au début du 20e siècle. L'ancêtre du fleurdelisé québécois actuel, adopté en 1948.
Ces drapeaux appartenaient aux parents de ma belle-soeur, et avaient été sauvés de l'ancien domicile familial dans la paroisse Saint-François d'Assise, à Ottawa. Quand j'étais enfant (vivant dans la même paroisse), je me souviens des grandes processions de la Fête-Dieu au mois de juin. Les maisons de notre quartier canadien-français étaient pavoisées de drapeaux du Saint-Siège... et de Carillons Sacré-Coeur.
Les drapeaux trouvés chez mon frère ont sans doute servi à décorer l'ancienne maison au passage du défilé, assez impressionnant, jusqu'au régiment de zouaves pontificaux en képi. Ces «Carillon Sacré-Coeur» ont aujourd'hui 80 ans ou plus et font partie d'un passé largement oublié hors des livres d'histoire. Ils sont passés d'Ottawa à Gatineau, d'un camion de déménagement à l'autre, d'un millénaire à l'autre, jusqu'à ce mois de mai 2022. Survivront-ils une fois de plus?
Ces drapeaux participent à une épopée familiale, paroissiale, nationale, que ma génération a vécue dans son enfance, et dont la mémoire risque de s'éteindre avec notre départ. Il ne faudrait pas qu'un jour nos petits-enfants, ayant découvert ces reliques dans de veilles boîtes avant un déménagement, les destinent à la poubelle sans savoir d'où elles viennent et à quoi elles ont servi. La continuité en dépend.
Je pense à tout cela en regardant la maison d'à-côté, où j'y trouvais mon frère et ma belle-soeur jusqu'à ce matin et dont toutes les lumières, ce soir, sont fermées.
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