samedi 14 mai 2022

Saint Jude, priez pour nous!

Bien des gens ont estimé, qu'ils l'aient dit tout haut ou pas, que le Bloc québécois avait fait perdre aux députés fédéraux un précieux temps en consacrant l'une des rares journées de l'Opposition à un débat, qu'ils jugeaient inutile, sur la prière lue au début de chaque séance de la Chambre des communes.

«Quand je parle aux gens à travers le pays, ils me parlent du coût de la vie, ils me parlent des enjeux au niveau de la guerre en Ukraine, ils parlent de l’inflation, ils parlent des changements climatiques», a commenté le premier ministre Justin Trudeau au scribe de La Presse (bit.ly/3sw7UoU).

Voilà le genre de pain qu'on sert toujours au bon peuple dont le regard ne devra surtout jamais s'élever au-dessus de l'immédiat. Devant un plein à plus de 2$ le litre, l'horreur d'un missile détruisant une école ou une vague de chaleur étouffante à la mi-mai, le moment présent nous obnubile. Fixer l'arbre nous interdit de voir la forêt, ou mieux, le ciel et l'univers au-delà de l'arbre et de la forêt.

Sur notre planète trépidante, les pauses pour réflexion, les moments de recul ne surgissent pas du néant. Il faut, de toutes pièces, les créer. Il est essentiel, de temps à autre, de s'extirper du vécu pour regarder la vie. S'interroger sur les grands «Pourquoi». Sur les principes, les valeurs, les croyances ou non-croyances qui nous animent. À cet égard, la motion sur la pertinence de la prière des députés arrivait à point.

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Texte de la plus récente version (celle de 1994) de la prière des députés à la Chambre des Communes:

«Dieu tout-puissant, nous te remercions des nombreuses grâces que tu as accordées au Canada et à ses citoyens, dont la liberté, les possibilités d'épanouissement et la paix. Nous te prions pour notre Souveraine, la Reine Elizabeth, et la Gouverneure générale. Guide-nous dans nos délibérations à titre de députés et aide-nous à bien prendre conscience de nos devoirs et responsabilités. Accorde-nous la sagesse, les connaissances et la compréhension qui nous permettront de préserver les faveurs dont jouit notre pays afin que tous puissent en profiter, ainsi que de faire de bonnes lois et prendre de sages décisions. Amen.»

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Les enjeux de la religion et de la laïcité en politique couvent sous la surface depuis longtemps et montent à ébullition par moments. L'affaire de la prière au conseil municipal de Saguenay avait abouti en Cour suprême du Canada en 2015 et cette dernière avait ordonné au maire de Saguenay d'y mettre fin. La seule raison pour laquelle cette décision ne s'est pas appliquée au Parlement fédéral tient au privilège particulier de la législature, sur laquelle la Cour n'a aucune autorité. Autrement, la prière aux Communes aurait déjà été rangée au musée...

Et, évidemment, il est difficile d'oublier tous les débats entourant la laïcité au Québec, où le retrait des symboles religieux des affaires de l'État font l'objet de manchettes dans les médias du pays tout entier et mobilisent la classe politique des deux côtés de la barricade. À l'Assemblée nationale du Québec, l'ancienne prière a cédé sa place à un moment de recueillement depuis 1976...

Ces débats se déroulent sur le fond changeant de l'opinion publique, où la proportion des non-croyants est à la hausse depuis fort longtemps. Selon un sondage réalisé l'an dernier à travers le Canada (bit.ly/3puxKck), environ la moitié des Québécois et 40% des autres Canadiens ne croient plus en Dieu. C'est plus de 50% chez les moins de 35 ans. Cela ne change rien à l'existence ou la non-existence d'un Dieu tout-puissant, mais ces données sont pertinentes pour justifier la tenue d'un débat comme celui qu'a provoqué le Bloc québécois.

De toute façon, peu importe ce que l'on puisse penser des grenouillages politiques qui entourent tous les débats, une simple lecture de cette prière ahurissante (voir texte ci-dessus) devrait convaincre de la nécessité la mettre sans délai à la poubelle. Dès le début, elle remercie un Dieu, auquel plus de 40% des Canadiens et 50% des Québécois ne croient pas, d'avoir accordé de nombreuses «grâces» au Canada et à ses citoyens (liberté, épanouissement, paix).  Non mais a-t-on pensé à la perfidie d'une telle affirmation?

S'il faut croire ce texte, ce Dieu tout-puissant accorde des grâces (des faveurs spéciales) à certains pays mais pas à d'autres. Un peu comme le vieux God is an American. Ce Dieu qu'on veut bon, aimant, parfait, aurait béni le Canada mais maudit Haïti, l'Ukraine, l'Irak? Il aurait privé la moitié de la planète de liberté et de paix? Une telle affirmation est insultante pour les non-croyants, et même davantage pour les croyants.

La prière des députés demande ensuite de prier «pour notre Souveraine, la Reine Elizabeth, et la Gouverneure générale». Plus vil que ça... On nous rappelle que nous sommes sujets d'un monarque, alors que le souverain en démocratie, c'est le peuple. Cette reine britannique est par ailleurs chef de l'Église anglicane, et son titre est interdit aux autres religions. On veut vraiment qu'on prie pour elle, et pour cette Gouverneure générale qui ne connaît pas un traitre mot de français? Élevé en bon chrétien, j'ai accepté d'aimer mes ennemis (façon de parler). Mais on ne m'a jamais demandé de prier pour eux.

La seconde partie de la prière laisse entendre que Dieu tout-puissant peut guider les députés dans leurs débats et leurs décisions. On insère déjà ici une justification pour l'adoption de mauvaises lois. Dieu aurait alors manqué à son devoir de conseiller et de guider nos pauvres députés incapables de penser par eux-mêmes. Même les dirigeants de nos Églises n'endosseraient telle parodie d'une véritable prière.

Au moment de voter, 266 députés ont refusé de remettre en question le principe et le libellé de ce mauvais texte.

Saint Jude, patron des causes désespérées, priez pour nous!



3 commentaires:

  1. J'aime bien vous lire, M. Allard. Je ne sais pas si Dieu existe ou non, mais, à tout prendre, je préfère vénérer la vie sous toutes ses formes,cette vie qui nous anime et que l'on ne peut expliquer, sans laquelle l'univers ne serait que matière sans conscience et sans compréhension, sans sagesse et sans avenir.

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  2. J'espère réellement qu'un jour, avant le décès de l'un ou de l'autre, vous accepterez de me rencontrer.

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  3. La laïcité n'est pas une préoccupation du peuple selon Justin Trudeau. Alors pourquoi dénonce-t-il la Loi 21? Pourquoi la Loi 21 était dénoncée par les partis fédéraux lors des campagnes électorales de 2019 et 2021? Pourquoi des candidats à la chefferie du Parti conservateur dénoncent la Loi 21? Et pourquoi on a mis dans la loi constitutionnelle de 1982 que le Canada vit sous la suprématie de Dieu?

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