lundi 31 janvier 2022

L'UOF et les médias...

Le petit campus universitaire de langue française qu'on a ouvert l'an dernier à Toronto, et qu'on a ignominieusement appelé «Université de l'Ontario français (UOF)», continue de défrayer les manchettes. La plus récente, reprise entre autres par Radio-Canada, Le Devoir, Le Droit, ONFR et même le National Post, révèle que seulement 14 élèves du secondaire franco-ontarien ont soumis des demandes d'admission à l'UOF pour la session d'automne 2022. Ce que tous les articles ont en commun, c'est leur méconnaissance du dossier.

Aucun journaliste ne semble avoir suivi les revendications franco-ontariennes à l'universitaire depuis le lancement par le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), autour de 2012, de cette plus récente offensive en faveur d'une gouvernance francophone comme celle qui existe déjà au primaire, au secondaire et au collégial. Cette campagne, à laquelle s'étaient jointes l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) et la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO), voulait avant tout assurer au palier universitaire une gestion «par et pour» les francophones de tous les programmes en français, actuels et futurs, y compris ceux des institutions dites bilingues - l'Université d'Ottawa, l'Université Laurentienne et le collège Glendon.

Voilà ce que les journalistes de 2022 ne savent pas. C'est pourtant l'élément clé pour la compréhension des enjeux. Quand on relit ce qui a été écrit - disons depuis 2011 - sur cette question, le casse-tête prend forme : l'initiative militante du RÉFO à partir de 2012, les grandes consultations de 2013, les alliances avec l'AFO et la FESFO, le grand sommet franco-ontarien de 2014, la définition des objectifs, la contre-offensive de l'Université d'Ottawa, le détournement du grand projet pan-ontarien en 2015 par le gouvernement Wynne (et sa ministre Madeleine Meilleur) en faveur d'une hausse de l'offre dans la région torontoise, l'affaiblissement de la mobilisation franco-ontarienne jusqu'à l'arrivée de Ford, et l'éventuelle création d'un mini campus à Toronto qu'on a présenté, en dépit de faibles protestations du RÉFO et alliés, comme étant l'aboutissement de cette vaste campagne en faveur de la création d'une université de langue française en Ontario.

La soi-disant Université de l'Ontario français consacre de fait la victoire éclatante des universités bilingues, en particulier l'Université d'Ottawa qui attire la grande majorité des étudiants inscrits à des programmes de langue française en Ontario. Même si à peine 30% des étudiants sont francophones et que l'anglais domine sur le campus, le recteur en 2014, Allan Rock, avait affirmé que les Franco-Ontariens n'avaient pas besoin d'une université, qu'ils en avaient une: l'Université d'Ottawa. Alors, au lieu d'assurer une gouvernance francophone là où les étudiants et les programmes se trouvent, le gouvernement Wynne a choisi de colmater une brèche dans le sud-ouest ontarien en s'assurant que cette nouvelle institution offre des programmes qu'à peu près personne ne voudrait suivre (culture numérique, pluralité humaine, innovation sociale, etc.), en lui donnant toutefois un nom prestigieux - Université de l'Ontario français - qui engage l'ensemble des collectivités franco-ontariennes mais se révèle en réalité un mirage dans l'immense désert de la gouvernance francophone.

Alors, quand en janvier 2022, une douzaine ou un peu plus d'élèves du secondaire franco-ontariens s'inscrivent à l'UOF, on devrait faire comprendre au monde que très peu de jeunes sont intéressés à vivre dans une métropole unilingue anglaise pour étudier la pluralité humaine ou la culture numérique en français dans un micro-campus universitaire. Personne ne s'en étonnerait. Mais ce qu'on étale en manchette, de façon trompeuse et inexcusable sur le plan journalistique, c'est ce qui semble être un rejet par les Franco-Ontariens de leur université, de l'université de tout l'Ontario français. Et le pire, c'est que les médias agissent ainsi sans se poser de questions et que les porte-étendards des Franco-Ontariens - le RÉFO en tête - ne s'insurgent pas contre ce qui est de toute évidence une déformation de la réalité!

Les organismes franco-ontariens ont leur part de blâme à assumer en n'ayant pas défendu avec assez de vigueur le projet original d'un palier universitaire au sein duquel la gouvernance francophone s'affirmerait là où elle est le plus nécessaire - à Ottawa, à la Laurentienne (à l'Université de Sudbury maintenant). Mais enfin, ce ne sont pas les Franco-Ontariens qui ont pris les décisions menant à la situation actuelle. C'est le gouvernement de l'Ontario, avec la complicité du gouvernement Trudeau. Les Franco-Ontariens ont été trop longtemps piétinés et habitués à recevoir des miettes... en disant merci pour éviter les ressacs imaginés (et probables). Leurs porte-parole ont accepté ce mini campus à Toronto ainsi que son nom - l'Université de l'Ontario français - et sont maintenant mal pris, obligés de défendre un échec qui n'est pas le leur.

Une véritable Université de l'Ontario français, regroupant tous les programmes existants à Ottawa, Sudbury, Toronto et Hearst, offrant partout (même à Toronto) des programmes en lettres, en sciences, en droit, en administration, etc., aurait suffisamment d'effectifs franco-ontariens, québécois et internationaux pour assurer son succès.

Je reviendrai un jour sur le contenu spécifique des textes publiés dans les médias durant les dernières semaines de janvier 2022...




dimanche 30 janvier 2022

«Just get rid of the French»...

L'annonce récente que seulement 14 élèves des écoles secondaires franco-ontariennes avaient soumis des demandes d'admission au petit campus universitaire de langue française à Toronto (qu'on appelle pompeusement Université de l'Ontario français) a permis, une fois de plus à la presse française et anglaise d'exhiber sa méconnaissance du dossier, en plus de permettre aux franges francophobes du Canada anglais de cracher en public leur haine du français et du Québec.

Je reviendrai demain sur les erreurs que je trouve fondamentales dans les textes journalistiques (National Post, Le Devoir, ONFR), mais pour le moment je propose quelques douzaines de commentaires publiés en marge du texte du chroniqueur Chris Selley dans le National Post du 25 janvier. Ces commentaires, pour la plupart intolérants, ignorants voire haineux, ont été publiés sans hésiter par le quotidien. De telles expressions d'opinion sont monnaie courante au Canada anglais.

Aucun des 195 commentaires n'avait pour but de défendre l'éducation universitaire en français en Ontario, la langue française en général et sa place au Québec et au sein de la fédération canadienne. Si le Québec et la francophonie d'ici ont des alliés anglo-canadiens, où sont-ils quand on nous insulte sans retenue dans la presse? Nous sommes confrontés à une francophobie qui n'admet aucun dialogue constructif, et qu'on laisse agir à sa guise. Qu'attend-on au Québec pour en tirer les enseignements qui s'imposent? S'il nous reste un peu de fierté, mais surtout de respect pour ce que nous avons été et ce que nous sommes, quittons ce pays toxique où nous menons, depuis plus de 150 ans, un combat perdant contre l'anglicisation.

Les commentaires ci-dessous sont tirés du texte Delusions about bilingualism come home to roost at Toronto's doomed francophone University, dans le National Post. Pour lire l'article et voir la totalité des commentaires, cliquez sur ce lien: bit.ly/34dRNmF. Amusez-vous à noter les erreurs et les préjugés...


























dimanche 23 janvier 2022

Le «chiac», un acte de résistance???

À ma première année en sciences sociales à l'Université d'Ottawa, fin 1963, un de mes bons amis s'appelait François Godin. Il était originaire de Saint-Quentin, une petite localité du nord-ouest du Nouveau-Brunswick où la proportion de francophones avoisine 100%. Même s'il parlait un français châtié, il aimait, de temps en temps, nous lancer une phrase ou deux en «chiac» pour nous dérouter.

Selon ce qu'on pouvait comprendre, ce dialecte parfois difficile à suivre provenait du sud-est de la province, aux environs de Moncton, Dieppe et en particulier Shediac. Le plus souvent, il s'agissait de phrases ou d'expressions où des mots français étaient remplacés par des mots anglais. Un anglophone n'aurait rien compris mais la plupart des francophones bilingues en captaient le sens.

Si cette manière de parler avait été l'affaire d'une seule personne, on aurait conclu qu'elle avait échoué son apprentissage du français, ou trop vécu dans un milieu anglais. Mais non, c'était apparemment un argot collectif, parlé par des milliers d'Acadiens du sud-est alors que dans la péninsule acadienne et en allant vers la Madawaska, le français portait peu de traces de corruption par l'anglais. 

Enfin, comme Franco-Ontarien à l'époque, j'avais déjà trop de problèmes avec l'assimilation à Ottawa pour prendre le temps de m'intéresser aux effets possibles d'un parler acadien exotique qu'on appelait le «chiac»... Puis, près d'un demi-siècle plus tard, en 2012, Lisa Leblanc lançait un album que j'aime beaucoup et qui me rappela, dans certaines chansons, le baragouinage «chiac» de François Godin...

Ainsi on entend dans sa chanson Motel, qui évoque «les motels cheap su'l'bord du highway»: «Shower head qui hang, pus de pression dans la douche, savon parfumé qui sent les années quatre-vingt, murs en bois castor, wallpaper fleuri déchiré, le ceiling leak depuis une couple d'années»...

Après des décennies d'étude de l'anglicisation et de la détérioration du français parlé et écrit, j'étais devenu plus sensible à la signification de l'entrée massive de mots anglais et d'anglicismes dans une langue déjà fragile en terre nord-américaine. Le chicotement que je ressentais en écoutant ce français magané s'est accru quand, par la suite, j'ai entendu Lisa Leblanc chanter dans un anglais fort correct...

Mais pour moi, la goutte qui a fait déborder le vase est tombée au début de 2016 quand j'ai appris que le Nouveau-Brunswick avait l'intention d'accueillir les Jeux de la francophonie 2017 en «chiac» avec le slogan «Right fiers». Et qu'il ne fallait surtout pas critiquer ce slogan anglo-franco au nom d'un quelconque «bon» français... (voir bit.ly/3fM8hFc)

«"RightFiers", et l’appropriation des deux langues qu’elle signifie, c’est l’opposé de l’assimilation. Notre parler, c’est notre résistance à l’assimilation, et à ceux qui souhaitent jouer à la police linguistique», déclarait le président de la Fédération de la jeunesse canadienne-française du Nouveau-Brunswick, Alec Boudreau. Ça ne s'invente pas... Mélanger l'anglais au français comme dans le «chiac» deviendrait un moyen d'éviter de s'angliciser... Quand même...

Récemment, devant l'effritement visible du français dans la région montréalaise et en Outaouais, j'ai exprimé la crainte qu'à moins de prendre des mesures énergiques, nous finirions aussi au Québec par basculer vers une forme de «chiac» d'ici quelques générations, et que ce métissage linguistique aboutirait éventuellement à l'assimilation complète.

Le vieil argument de défense du «chiac» a vite ressurgi, comme en témoigne la capture d'écran ci-dessus. Parler «chiac» serait un acte de résistance à l'anglais, et non une étape vers l'anglicisation. Comme cela arrive souvent sur Twitter, un débat s'est engagé entre cet agent pédagogique du Nouveau-Brunswick et un Québécois anonyme qui se défendait de diaboliser le «chiac» mais disait que ce dialecte n'avait pas d'avenir. La réponse vint rapidement:


Le point de vue ci-dessus semble être répandu, jusque dans les milieux officiels. Le «chiac» serait une forme de résistance, et l'Acadie du sud-est du Nouveau-Brunswick continuera de vivre «en français et en chiac». Le problème, c'est que la réalité contredit cette affirmation. Comme chez les dirigeants franco-ontariens aux lunettes roses qui gonflent les effectifs francophones pour masquer une assimilation galopante, la défense du «chiac» se profile sur un arrière-plan d'anglicisation de moins en moins lente, surtout dans la région de Moncton où l'anglais est nettement dominant.

Les recensements fédéraux sont probants à cet égard. Et surtout n'allez pas croire qu'on peut faire dire n'importe quoi à des statistiques. Les colonnes de chiffres des recensements sont une addition de témoignages réels de vraies personnes vivant à Dieppe, Shediac, ou Moncton. Et ce que ces données nous apprennent, c'est que la langue anglaise grignote à tous les ans une proportion des effectifs francophones dans cette région, alors que la francophonie reste intacte dans la péninsule acadienne et dans le Madawaska.

À Saint-Quentin, patrie de mon ancien ami François Godin, deux tiers de la population est unilingue française. Je reconnais que Saint-Quentin est une petite localité de 2000 personnes, et relativement isolée. Mais quand même. À Tracadie, dans la péninsule, plus de la moitié de la population ne connaît pas l'anglais. Mais à Shediac, Dieppe et Moncton, près de 90% des Acadiens sont bilingues. Expliquez-moi cela. Peut-être ont-ils vraiment besoin de l'anglais, même quand ils sont majoritaires comme à Dieppe, dans ce coin de pays. Comment expliquer que les anglophones minoritaires à Dieppe et Shediac, soient massivement unilingues anglais? Peut-être qu'ils n'ont pas vraiment besoin du français parce que les francophones leur parlent presque toujours en anglais? Je suis Franco-Ontarien d'origine, j'ai bien connu ce phénomène...

C'est de cette façon que se créent des «chiacs»... À force d'être obligé d'employer des mots anglais, ceux-ci s'infiltrent dans le parler collectif des francophones. J'ai vécu ça à Ottawa, dans mon petit quartier à côté de la «track»... Graduellement, de génération en génération, de plus en plus de personnes dont le français est la langue maternelle en arrivent à parler le plus souvent l'anglais, même à la maison. Ça aussi, les recensements fédéraux le démontrent hors de tout doute. Cette tendance est déjà en marche à Dieppe et Shediac, pas rapide mais réelle, alors qu'elle s'accélère de façon inquiétante à Moncton. Elle est à toutes fins utiles inexistante dans la péninsule et dans le Madawaska.

Je sais que c'est plate mais je vais risquer des chiffres du recensement de 2016 (les données du recensement de 2021 sont attendues à l'automne prochain). À Dieppe, il y a un peu plus de 6000 anglophones selon la langue maternelle (24,7% de la population), mais cette proportion grimpe à 30,7% quand on dénombre ceux et celles qui parlent surtout l'anglais à la maison. Et plus de deux tiers des anglos sont unilingues. Comment expliquer que dans une ville de 25 000 personnes à 72% francophone on trouve 4300 unilingues anglais et seulement 2175 unilingues français? «Continuer de vivre en français et en chiac»? Pour le moment sans doute, mais pour combien de temps?

J'ai la plus grande admiration pour les Acadiens et leur défense d'un précieux héritage culturel. Mon ancienne patrie franco-ontarienne est bien plus mal en point que la leur. Il reste que d'aucune façon peut-on interpréter l'infiltration de mots anglais dans le parler collectif comme un geste de résistance à l'anglais et d'affirmation du français. L'Acadie du Nouveau-Brunswick n'est pas au bord du gouffre, contrairement à la francophonie des autres provinces anglaises. Mais la glissade est commencée et pour redresser la situation, il faut regarder la réalité en face et ranger les lunettes roses...


jeudi 20 janvier 2022

Entre les pubs et les mises en scène...

J'ai le droit d'être un vieux journaliste chialeux... À 75 ans je suis vieux. Je suis journaliste depuis 1969. Et je suis chialeux depuis toujours...

Permettez-moi donc de pester un peu contre les bulletins de nouvelles de Radio-Canada, où le véritable journalisme semble céder de plus en plus la place au spectacle. Je ne dis pas que c'est mieux ailleurs. Je ne regarde que les bulletins de Radio-Canada, alors je ne sais pas. C'est peut-être pire ailleurs...

Je suis conscient que la télé n'est pas la presse écrite et qu'on ne construit pas une émission de nouvelles comme on remplissait les pages de mon journal imprimé, Le Droit, avant qu'il ne disparaisse le 24 mars 2020. Mais dans un média comme dans l'autre, le contenu est rédigé par des journalistes.

Les informations, ce n'est pas sensé être une émission de variétés où se succèdent des interviews entre chefs d'antenne et journalistes (ou invités) entre deux ou trois segments d'une vingtaine de pubs. On n'est pas rendu à «Salut tout le monde, c'est l'heure Info Max avec la vedette des ondes, Patrice Roy» sur fond de musique rock, mais parfois je trouve qu'on s'en approche.

Commençons par le commencement. La matière première d'un bulletin de nouvelles comme d'un journal, ce sont des textes écrits par des journalistes, des images captées par des photographes, ainsi que des enregistrements audio et vidéo. On y parle d'événements passés, en cours ou futurs. La diffusion peut se faire en différé ou en direct.

Mais la question reste toujours la même, du moins du point de vue journalistique: comment assembler les morceaux du casse-tête régional, national et international pour offrir au public un bulletin ou un journal qui présente le plus complètement possible l'actualité, qui renseignera le mieux possible l'auditoire. Et c'est là que ça dérape. C'est là où la forme prend souvent le dessus sur le fond...

Le format de nos bulletins de nouvelles télévisés (régionaux mais aussi nationaux) semble conçu pour présenter un nombre minimal de nouvelles. J'ai compté jusqu'à une vingtaine de publicités dans une demi-heure d'informations, et ce, à Radio-Canada, le diffuseur public financé à même les fonds de l'État. Déjà là, c'est trois, quatre ou cinq reportages de moins. Mais il y a plus.

Le lecteur (chef d'antenne) n'est pas assis pour lire les informations à un débit raisonnable et faire la présentation des journalistes qui ont préparé un reportage. Non, il se promène sur le plateau, parfois accompagné d'un(e) autre journaliste, et présente les topos sous forme d'une conversation avec un reporter qui, plutôt que renseigner le public directement, attend les questions du chef d'antenne. C'est peut-être de la bonne télé, mais c'est du journalisme douteux. Pire, en plein hiver, on place les reporters dehors (parfois juste à l'extérieur du studio) par des températures de -20 degrés pour expliquer ce qu'ils pourraient encore mieux expliquer confortablement à l'intérieur (à distance ou à l'édifice de Radio-Canada même).

Je vois la nécessité, pour certains événements (une tornade, une explosion, une manif, un incendie, etc.), que le journaliste communique en direct, à l'extérieur, avec le chef d'antenne pendant le bulletin de nouvelles et que celui-ci oriente au besoin l'échange pour soutirer le plus d'information. Mais quand un reporter parle pendant deux ou trois minutes des débats budgétaires de la ville de Gatineau, pourquoi le planter dans un banc de neige? Pour des images plus saisissantes?

Et il y a ces techniques propres aux téléromans, où l'auditeur doit visionner l'épisode suivant pour connaître le dénouement d'un événement en cours. On fait ça tous les jours à Radio-Canada, entre autres avec le météorologue, qui entre en ondes à mi-chemin dans le bulletin, amorce ses prévisions et, tout à coup, nous laisse entendre que le meilleur est à venir mais qu'on devra attendre la fin du bulletin pour en savoir plus... Ou comme, juste avant un bloc interminable de publicités, on annonce une nouvelle et on n'en parle pas immédiatement après les pubs. On nous fait attendre. C'est irritant au possible.

Et c'est sans compter certaines pratiques contraires à l'essence même du journalisme. Ainsi, et on a vu ça souvent depuis le début de la pandémie, quand une nouvelle mesure est annoncée, on ira cueillir des commentaires du public. Jusque là, à la limite, ça va. Mais quand on laisse entendre, dans le bulletin, que ces quelques réactions cueillies au hasard, sur le vif, peuvent représenter l'opinion publique, on dépasse les bornes. Sans avoir scientifiquement sondé la population, on n'a aucune idée de la valeur de quatre ou cinq commentaires de personnes qui se trouvaient aux alentours au moment du reportage. Ça ne semble préoccuper personne...

Et que dire de cette confusion de plus en plus fréquente entre bulletin de nouvelles et émission d'affaires publiques... Un soir, récemment, après je ne sais trop quelle manchette percutante en début de bulletin, Céline Galipeau a assemblé en ondes un panel de trois personnalités médiatiques qui ont abondamment commenté la nouvelle pendant cinq ou dix minutes. Près de 20 minutes après le début des informations, on en était toujours à la première nouvelle... J'ai fermé la télé...

On dira bien ce qu'on voudra, mais il me semble qu'il y a là-dedans quelques interrogations qui valent un bon débat professionnel au sein de la collectivité journalistique québécoise.

Bon voilà, j'ai fini de chialer pour aujourd'hui...


samedi 15 janvier 2022

Cher M. Roberge...

Lettre à Jean-François Roberge, ministre de l'Éducation du Québec.


capture d'écran du quotidien Le Devoir

Cher M. Roberge,

Dans une entrevue récente au Journal de Québec ((9 janvier 2022), vous estimiez qu'il n'était pas nécessaire d'appliquer la Loi 101 aux cégeps pour protéger la langue française au Québec (voir bit.ly/3qsGMXl). «La solution ça se passe au primaire et au secondaire», avez-vous déclaré à la journaliste Geneviève Lajoie.

Selon le texte du Journal de Québec, vous expliquiez de la façon suivante le fait que les cégeps anglais se remplissent d'étudiants francophones et allophones: «Devant la piètre maîtrise de l'anglais de leurs enfants au sortir du secondaire, plusieurs parents dirigent leur progéniture vers les cégeps de langue anglaise».

Et le texte d'ajouter: «Le ministre croit qu'on peut travailler sur (sic) l'amélioration du niveau d'anglais des jeunes, mais la priorité "absolue" doit être mise sur le renforcement de la maîtrise du français».

J'ai peine à croire que vous vivez dans le même monde que moi. Avez-vous vu les résultats récents des élèves de Secondaire 5 en orthographe? Plus de 40% ont échoué, n'ayant pas réussi à écrire un texte de 500 mots avec moins de 15 fautes! (voir bit.ly/3I89dzF)

Ce sont là les élèves à qui le gouvernement québécois propose depuis 2011 une immersion totale en anglais pour la moitié de leur sixième année du primaire! Ce sont les mêmes élèves qui, en nombres croissants, fréquentent des cégeps de langue anglaise et, éventuellement, étudieront en anglais à l'université.

Et c'est sans compter les milliers de décrocheurs francophones qui iront grossir les rangs de ceux et celles qu'on appelle «analphabètes fonctionnels», incapables de lire, et encore moins d'écrire, des textes ayant la moindre complexité. Ils sont déjà près de 50% de la population!

Et vous me dites que des parents se plaignent de «la piètre maîtrise de l'anglais» à la fin du secondaire? Les informez-vous que le français est notre langue commune, le coeur de notre identité, et que la piètre maîtrise du français a beaucoup plus d'importance?

Faites-vous un effort de donner l'exemple dans vos communications écrites et verbales, tant internes qu'externes? J'ai peine à le croire quand j'entends, à la télévision, MM. Legault, Dubé et Boileau parler de «choses qu'ils ont besoin», «assumer que ça ira mieux», ou évoquer le «peak» de la pandémie?

Pensez-vous vraiment accorder au français cette «priorité absolue» quand vous ouvrez les cégeps anglais (et non anglophones comme on entend si souvent) aux enfants de la Loi 101 qui, en grands nombres, baragouinent un français bourré d'anglicismes et de mots anglais? Vous les laisserez fréquenter des cégeps où ils apprendront le vocabulaire de leur futur métier ou profession en anglais, et ce, dans un territoire où le français est censé être LA langue de travail?

M. Roberge, sortez de votre cocon et venez faire un tour à Montréal ou en Outaouais. Les horreurs que vous entendrez dans les couloirs des écoles, dans les rues, commerces et autres lieux publics ne vous laisseront pas, je l'espère, insensible. Et si vous trouvez tel exercice trop exigeant, contentez-vous d'ouvrir la télé à un bulletin de nouvelles ou une émission de variétés. Ce n'est pas très édifiant par moments...

Comme bien d'autres, j'en ai assez de voir des gouvernements qui affirment vouloir assurer la pérennité et la progression du français, mais ne s'en tiennent qu'aux belles paroles et reculent quand ils sentent la soupe chaude, par crainte de se voir, une fois de plus, taxés de xénophobie ou de racisme pour avoir défendu la langue française.

Dans le dossier de la laïcité, en dépit des excès verbaux et des luttes juridiques, la marmite ne bouillonnait pas tant que le combat en était un de paroles et de textes. Mais il a suffi qu'une enseignante de Chelsea soit réaffectée parce qu'elle portait un hidjab pour que les menaces fusent de partout, notamment d'une grappe grossissante de grandes villes anglo-canadiennes et du gouvernement fédéral. Mais il fallait en arriver là un jour ou abandonner la laïcité de l'État.

La promotion du français empruntera des sentiers similaires. De belles paroles ne suffiront pas. Il faudra faire ce qu'il faut pour mettre un frein à l'anglicisation de nos jeunes et assurer des milieux de travail de langue française. Mettre fin à l'anglais intensif en 6e année et appliquer la Loi 101 aux cégeps, entre autres, susciteront un tollé au Canada anglais (et même chez nos francophones). Mais ce sont des mesures nécessaires.

Vous savez, M. Roberge, ce qui finira par arriver si vous n'agissez pas avec fermeté sans délai. Ouvrez vos yeux, vos oreilles. Écoutez En direct de l'univers, Star Académie, ou toutes ces stations de radio qui se disent françaises... Ce qui s'en vient est déjà en marche. Dans quelques générations, notre français sera du «chiac», puis disparaîtra peu à peu. Le problème sera réglé. Vos arrière-petits-enfants iront tous au cégep anglais parce que vous n'avez pas agi quand cela aurait pu faire toute la différence...


jeudi 13 janvier 2022

Les instrumentaux des années 1960

En écoutant un de mes vieux vinyles du pianiste Floyd Cramer, je me suis dit que ce genre de musique instrumentale, fréquent dans les palmarès de mon adolescence, semblait avoir disparu des ondes... et que c'est bien dommage...

Ayant beaucoup de temps à ma disposition, pandémie oblige, j'ai décidé de retrouver sur YouTube une grappe d'instrumentaux que j'aime et qui ont meublé les souvenirs de ma décennie préférée (les années 60 !!), et d'en profiter pour apprendre quelque chose sur les compositeurs ainsi que sur les individus et groupes qui les ont rendus si populaires. Je les propose en ordre plus ou moins chronologique, en espérant que d'autres trouvent l'exercice divertissant et que, pour les plus vieux de ma génération, ces musiques fassent ressurgir un temps que l'on porte toujours en nous...

Le jeudi 13 janvier 2022

Alors allons-y. J'en ai pour un bon mois de publications quotidiennes. En janvier 1960, un instrumental (peut-être le plus populaire de tous) s'installait en première position des palmarès nord-américains et y resterait pour plus de deux mois! Il s'agissait du thème musical du film A Summer Place (Ils n'ont que vingt ans), endisqué par l'orchestre de Percy Faith. Toutes les vedettes de ce film que je n'ai jamais vu - même celles dans la vingtaine - sont mortes depuis un bon bout de temps, mais on entend Theme from a Summer Place encore aujourd'hui sur les stations rétro.

Ce que j'ai appris de plus intéressant concerne le compositeur, Max Steiner. Cet homme, qui avait 72 ans en 1960, était né dans l'empire austro-hongrois en 1888 et avait fui vers l'Amérique en 1914, alors qu'éclatait la Première guerre mondiale. Il avait reçu au cours de sa carrière pas moins de 24 (!!!) nominations aux Oscars et en avait gagné trois. Il avait signé la trame musicale de plus de 300 films y compris Gone with the Wind (Autant en emporte le vent) en 1939 et Casablanca en 1942-43. Alors voici Theme from a Summer Placebit.ly/33dIPpd.

Le vendredi 14 janvier 2022

Au printemps 1960, le film Because They're Young (Le mal d'être jeune) ne fracassait aucun record au box-office, mais sa chanson thème du même nom deviendrait durant l'été le plus grand succès instrumental de la carrière du guitariste rock Duane Eddy, dont le style unique consistait à ne jouer que des notes basses sur les plus grosses cordes de sa Gretsch 6120. Une fois qu'on l'avait entendu, on reconnaissait sans peine tous ses disques à la radio. 

Son style musical, le nom de son groupe (les Rebels) et de son premier grand succès, Rebel Rouser, m'avaient toujours donné l'impression qu'il sortait des États sudistes, genre Alabama ou Mississippi. Mais non. En glanant ses notes biographiques, j'ai appris qu'il était originaire de Corning, une petite ville de l'ouest de l'État de New York, et qu'à l'adolescence, sa famille avait emménagé en Arizona. En 1954, à l'âge de 16 ans, il montait déjà sur scène. Soixante-quatre ans pas tard, en 2018, le vieux rocker entreprenait une tournée de spectacles en Grande-Bretagne pour fêter ses 80 ans! Il doit être le doyen des guitaristes encore vivants des premières années du rock n roll...

Alors voici Because They're Young, de Duane Eddy: bit.ly/3tqoCau.

Le samedi 15 janvier 2022

Plus que tout autre instrument, la guitare électrique incarne le rock and roll. Et plus que tout autre groupe des années 1960, les Ventures incarnent la guitare électrique. Formé dans l'État de Washington à la fin des années 1950, le groupe comptait deux guitaristes, puis s'est adjoint un bassiste. Ayant entendu Walk Don't Run par le légendaire guitariste Chet Atkins (style country jazz), les Ventures se sont fait accompagner par un batteur en studio pour en faire l'un des plus grands succès rock de 1960. La batteur invité avait le choix d'un pourcentage des droits d'auteur ou d'un paiement fixe de 25 $. Quand le disque s'est vendu a plus d'un million d'exemplaires, il a amèrement regretté son choix...

Aucun autre groupe instrumental n'a vendu plus de disques dans les années 1960 que les Ventures. Leur emploi novateur d'effets spéciaux a influencé l'évolution de la musique rock. Ils furent parmi les premiers à utiliser des guitares électriques à 12 cordes et à produire des albums «concepts». On a dit d'eux qu'ils ont été «le groupe qui a lancé un millier de groupes». George Harrison des Beatles, Carl Wilson des Beach Boys et John Fogerty de Creadance Clearwater Revival comptent parmi leurs admirateurs. Alors voici, en direct d'août-septembre 1960, Walk Don't Run, par les Ventures:  bit.ly/3rb2Zbw.

Le dimanche 16 janvier 2022

Des pionniers du rock and roll comme Fats Domino, Little Richard et Jerry Lee Lewis étaient indissociables de leur piano à la fin des années 1950. Parmi eux circulait cependant un pianiste de plus en plus célèbre qui ne chantait pas, mais que tous s'arrachaient à Nashville. Il s'agissait de Floyd Cramer, qui a accompagné Elvis dans Heartbreak Hotel, mais aussi Brenda Lee, Patsy Cline, Roy Orbison, Don Gibson, les frères Everly et bien d'autres. À l'automne 1960, il a enregistré une de ses compositions, intitulée Last Date, qui a atteint la 2e position au Top 100 du magazine Billboard, n'ayant pu déloger de la première place Are You Lonesome Tonight d'Elvis (qui était accompagné par Cramer au piano).

Originaire de la Louisiane, autodidacte, ayant appris à jouer par oreille, Floyd Cramer a été l'un des fondateurs de ce qu'on devait appeler le Nashville Sound. Dans l'instrumental Last Date, selon Wikipédia, il a introduit une technique nouvelle pour piano, connue sous le nom de slip-note (note glissante), dans lequel une note dissonante glisse sans effort vers la note correcte. Ce style devait devenir une de ses marques de commerce. Je ne me lasse pas d'écouter ses disques. Voici donc (de l'automne-hiver 1960) Last Datebit.ly/3fnItiv.

Le lundi 17 janvier 2022

En 1960, les horreurs de l'Allemagne hitlérienne hantaient toujours la mémoire collective, en particulier l'extermination de millions de Juifs dans les camps de concentration nazis. Le film Exodus, portant sur les années d'après-guerre et la fondation d'Israël en 1948, évoquait en effet des événements encore récents. La quête de la patrie par les réfugiés juifs était une épopée qui avait besoin d'une musique épique et le thème d'Exodus ne déçoit pas. Il est puissant, émouvant. Sans surprise on lui a attribué un Oscar et le disque a mérité le titre de chanson de l'année 1961 aux Grammys.


La version du thème d'Exodus qui a dominé les palmarès fin 1960-début 1961 était l'oeuvre d'Arthur Ferrante et Louis Teicher, deux prodiges du piano qui s'étaient rencontrés comme étudiants à l'école Julliard de New York et y avaient par la suite enseigné. Ils ont entamé en 1947 une carrière en musique populaire et classique, jusqu'en 1989. Ferrante avait déclaré qu'il voulait vivre une année pour chaque touche d'un clavier de piano. Il est mort en 2009, 12 jours après son 88e anniversaire de naissance. Voici le thème d'Exodus, apparu aux palmarès en novembre 1960, par le duo Ferrante et Teicher: bit.ly/3rgdV7C.

Fait intéressant. Le 23 janvier 1961, les trois premières places au palmarès Billboard étaient détenues par des instrumentaux - Wonderland by Night (Bert Kaempfert), Exodus (Ferrante-Teicher) et Calcutta (Lawrence Walk). Est-ce la seule fois?

Le mardi 18 janvier 2022

L'instrumental «Wheels» a été tellement copié que l'original se perd dans un océan d'imitations sur le Web. Plus de 100 versions ont été enregistrées. Composée par deux des membres des String-A-Longs, un groupe de guitaristes du Texas, la mélodie devait s'appeler Tell the World mais quand la maison Warwick a fait imprimer le disque, elle a inversé les titres par erreur, et le côté A du 45-tours s'appela tout à coup Wheels. Évidemment, cela devait entraîner un conflit sur les droits d'auteur avec le compositeur du côté B, désormais intitulé Tell the World. Ils ont finalement partagé les redevances à trois, ce qui représentait une somme considérable avec plus d'un million d'exemplaires vendus entre janvier et avril 1961.

Les enregistrements de style tex-mex des String-A-Longs ont été produits par Norman Petty, premier gérant de Buddy Holly. Il a été le réalisateur de la plupart des chansons rock de Holly et des premiers grands succès d'autres musiciens texans tels Roy Orbison, Buddy Knox et Waylon Jennings. Le String-A-Longs se sont dissous en 1964, puis se sont brièvement réunis en 2006 pour le Festival du disque de Clovis (Nouveau-Mexique), ville natale de Norman Petty. Alors voici, en direct de l'hiver 1961, Wheels (bit.ly/3I9JwyH).

Le mercredi 19 janvier 2022

Considérés par certains critiques comme l'un des meilleurs groupes rock instrumentaux de la première décennie du rock and roll, les Royaltones n'ont jamais été assez populaires pour avoir la chance d'enregistrer un album, et demeurent aujourd'hui largement inconnus. Selon une biographie, ce groupe du Michigan (saxophone, clavier, guitare et batterie) méritait un bien meilleur sort, mais souffrait de ne pas avoir de marque de commerce comme les Ventures, Duane Eddy ou Johnny and the Hurricanes. Ils étaient cependant très estimés et ont accompagné Del Shannon, entre autres, sur quelques-uns de ses grands succès.

Les frères Popoff (au milieu) étaient jumeaux identiques...

Quand j'avais 14 ans, une voisine m'a offert le 45 tours Flamingo Express des Royaltones, que je connaissais pas, et je l'écoute encore en 2022. Ce disque fut la seule percée du groupe dans les grands palmarès, atteignant la 82e position du Top 100 de Billboard fin janvier 1961. La pièce devait s'appeler Wiggle Wiggle mais été renommée Flamingo Express en l'honneur du groupe The Flamingos, qui enregistrait au même studio à New York. Selon Burton Cummings (de Guess Who), ce 45 tours instrumental est l'un des meilleurs de tous les temps. À écouter à fort volume et basse au max. Voici Flamingo Express, des Royaltones: bit.ly/3IdFkOK.

Le jeudi 20 janvier 2022

Vers la fin des années 1950, après avoir visionné le film américain Apache (avec Burt Lancaster), le compositeur britannique Jerry Lordan avait voulu rendre hommage à la nation apache avec une musique «noble et dramatique». Sa composition, qu'il a intitulée Apache, a été enregistrée aux studios d'Abbey Road par les Shadows, le plus célèbre groupe instrumental de Grande-Bretagne à l'époque, et a connu à l'été 1960 un succès fulgurant en Europe, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Pas en Amérique du Nord cependant...

À l'automne 1960, un guitariste danois, Jorgen Ingmann, cherchait un côté B pour son 45 tours Echo Boogie (sa propre composition) et jugea qu'Apache ferait l'affaire. Diffusé au Danemark fin 1960, le disque a été exporté aux États-Unis sur l'étiquette Atco avec une forte campagne promotionnelle et en avril 1961, la version Ingmann d'Apache trônait en première position au Canada et en deuxième place au palmarès de Billboard aux États-Unis. Tout un périple pour cette mélodie, inspirée d'un film western américain, composée en Angleterre, adaptée par un Danois puis popularisée en Amérique. Voici donc Apache, par Jorgen Ingmann: bit.ly/33k7RDr.

Le vendredi 21 janvier 2022

Originaire de la Louisiane, autodidacte, ayant appris à jouer par oreille, le pianiste Floyd Cramer a été l'un des fondateurs de ce qu'on devait appeler le Nashville Sound.  il a introduit une technique nouvelle pour piano, connue sous le nom de slip-note (note glissante), dans lequel une note dissonante glisse sans effort vers la note correcte. Son succès Last Date de 1960 l'a propulsé au sommet des palmarès nord-américains et ce style «country urbain» devait devenir sa marque de commerce.

Au printemps 1961, toutefois, il a enregistré un instrumental carrément rock intitulé On the Rebound, fort différent de ses compositions habituelles. Ce fut sa deuxième incursion dans le Top 5 du palmarès du magazine Billboard en moins d'une année. Intronisé au temple de la renommé du rock and roll en 2003, on dit de lui qu'il fut un des pianistes les plus influents de l'histoire, peu importe le genre de musique. Voici donc On the Rebound, par Floyd Cramer: bit.ly/3rD1rYe.

Le samedi 22 janvier 2022

Chaque maison de disques avait en studio ses propres musiciens, des artiste polyvalents ayant souvent accompagné de grandes vedettes et capables de s'adapter à tous types de chansons. En 1959, l'orchestre de studio chez RendezVous Records eut l'idée d'enregistrer une version rock and roll du classique In the Mood, de Glenn Miller, sous le nom d'Ernie Fields Orchestra. L'immense succès de cet instrumental les incita à récidiver à la fin de 1960, cette fois sous le nom de B. Bumble and the Stingers, pour mettre sur disque une version rock du Vol du bourdon, une pièce classique russe de l'opéra Le conte du tsar Saltan. Ils l'intitulèrent Bumble Boogie.

Les CV des membres de cet orchestre improvisé attestent de leur association avec les plus grandes vedettes de la chanson américaine depuis le début des années 1940, de Louis Armstrong à Frank Sinatra, des Platters à Simon and Garfunkel, de Sam Cooke aux Beach Boys. Musiciens d'expérience, le plus jeune membre du groupe avait une trentaine d'années, le plus vieux ayant dépassé la mi-quarantaine. En dépit de leur popularité, le nom de B. Bumble and the Stingers disparaîtrait de la scène en 1962. Voici Bumble Boogie, qui a trôné près du sommet des palmarès nord-américains et européens au printemps 1961: bit.ly/3GOTgOE.

Le dimanche 23 janvier 2022

Originaire de Los Angeles, Sandy Nelson avait décroché de l'école secondaire au milieu des années 1950 pour jouer de la batterie à temps plein. Il a accompagné plusieurs vedettes, y compris les Platters. Un jour, il a décidé d'enregistrer une de ses compositions (Teen Beat), qui s'est vendue à plus d'un million d'exemplaires et pour laquelle il reçoit toujours des droits d'auteur. Au début des années 60, sa popularité déclinant, il a composé un solo de batterie sur lequel un ami a ajouté un accompagnement de guitare électrique et qu'il a intitulé Let There Be Drums. À la fin de l'année 1961, sa carrière était relancée pour de bon.

En 1963, il a subi l'amputation partielle d'une jambe à la suite d'un accident de moto, mais a continué de jouer et d'enregistrer jusqu'au début des années 1970. En 2008, avec quelques amis, il a formé un nouveau groupe et endisqué plusieurs compositions originales. Il vit toujours au Colorado et reste le batteur le mieux connu des premières décennies du rock and roll. Voici Let There Be Drums, de Sandy Nelson:  bit.ly/3qPByoL.

Le lundi 24 janvier 2022

En 1955, deux compositeurs russes ont écrit une chanson intitulée Les nuits de Leningrad, mais le ministère soviétique de la Culture est intervenu pour imposer l'appellation Les nuits de Moscou, le jugeant plus approprié. La chanson a mérité un prix international et connu un grand succès en Chine. Puis, à la fin de 1961, un groupe britannique, Kenny Ball and his Jazzmen, a enregistré une version instrumentale qui a dominé les palmarès au début de 1962, atteignant la première position au Canada, en Suède, en Australie et au Japon, ainsi que la 2e place au palmarès des Top 100 de Billboard aux États-Unis en mars 1962.

Le groupe britannique du trompettiste Kenny Ball a entrepris des tournées européennes, nord-américaines et est même allé jouer Midnight in Moscow en Union soviétique. Ball et ses Jazzmen ont continué à donner des spectacles jusqu'en 2002. Le groupe folk Chad Mitchell Trio a enregistré pour l'auditoire américain la version originale de la chanson en russe en 1963, au moment où la tension entre les États-Unis et l'Union soviétique perdurait après la crise des missiles de Cuba. Voici donc Midnight in Moscow, par Kenny Ball and his Jazzmen: bit.ly/3rDAMuh.

Le mardi 25 janvier 2022

Au début de 1962, à Los Angeles, Al Hazan a reçu un coup de fil du patron de Rendezvous Records, l'informant que le groupe B. Bumble and the Stingers (Bumble Boogie, 1961) avait perdu son pianiste et l'invitant à le remplacer pour une session d'enregistrement. Arrivé à la maison de disques, il vit qu'on avait improvisé un studio dans les bureaux. On lui fit écouter le disque d'un de ses amis, H.B. Barnum, intitulé Nut Rocker, un arrangement d'une musique du Casse-Noisette de Tchaïkovski (Nutcracker en anglais). En une demi-heure, à l'aide du 45 tours, il avait mémorisé la pièce.

Al Hazan, pianiste de Nut Rocker

Hazan s'est installé pour répéter avec les autres musiciens. Le premier essai n'était pas à la hauteur des attentes du pianiste remplaçant de B. Bumble. Il estimait avoir commis des erreurs. Mais le patron de la maison de disques, Rod Pierce, avait bien aimé ce qu'il avait entendu et cette répétition dans un bureau (même pas un studio) est devenue sur disque un grand succès au Royaume-Uni et en Amérique du Nord. Mieux, la production du disque n'avait rien coûté à Rendezvous Records, puisque tous les musiciens avaient accepté d'être payés avec une part des droits d'auteur. Voici donc Nut Rocker, en direct de mars-avril 1962: bit.ly/3fRDcQm.

Le mercredi 26 janvier 2022

Le clarinettiste britannique Bernard Bilk roulait tranquillement en taxi quand il a composé une chanson qu'il intitula Jenny en l'honneur de sa fille. Peu après, la BBC invita M. Bilk à composer la musique thème d'une émission pour enfants appelée Stranger on the Shore. Il leur proposa Jenny mais on lui demanda de changer le nom pour celui de l'émission. Ce qu'il accepta. On a également changé le nom de l'auteur-compositeur-interprète à Mr. Acker Bilk sur le 45 tours, qui passa 55 semaines au palmarès britannique et fut le disque le plus vendu de 1962 en Grande-Bretagne. Stranger on the Shore a aussi atteint la première position au Top 10 du magazine Billboard en mai 1962, aux États-Unis.

À une époque où les Beatles et le reste de la future horde d'Outre-Atlantique n'apparaissaient même pas sur les radars, peu de succès britanniques perçaient le marché nord-américain. Or, dans les cinq premiers mois de 1962, deux instrumentaux, Midnight in Moscow et Stranger on the Shore, ont réussi l'exploit. La mélodie a été copiée par des dizaines d'artistes, à toutes les sauces, et on a même ajouté des paroles pour qu'elle puisse être chantée par les Drifters, Andy Williams, Roger Whittaker et d'autres. En 2012, cinquante années après son grand succès, M. Bilk a avoué qu'il en avait assez d'entendre Stranger on the Shore..., que voici: bit.ly/3KHhOeT.

Le jeudi 27 janvier 2022

Né à Memphis, Tennessee, Booker T. Jones jouait dès l'adolescence le hautbois, le saxophone, le trombone, la basse, le piano et l'orgue. En 1962, à l'âge de 17 ans, Jones et son groupe, Booker T. and the MG's, faisaient partie de l'orchestre maison de Stax Records (à Memphis). Un dimanche, le chanteur qui devait enregistrer un 45 tours a fait faux bond et les membres de Booker T. and the MG's, avec Jones à l'orgue, ont improvisé un instrumental qui intéressa le propriétaire de Stax. Comme ils avaient besoin d'un côté B pour le disque, ils ont aussi enregistré une composition de Jones qu'ils ont intitulée Green Onions. Le guitariste d'Elvis, Scotty Moore, a apporté le disque à une station de radio de Memphis, qui a mis la face B, Green Onions, en ondes.

Rapidement, en août et en septembre 1962, le 45 tours a connu un vif succès en Amérique du Nord et au Royaume-Uni, devenant l'instrumental R&B le plus populaire de l'époque. Le style de Booker T. Jones à l'orgue demeure l'une des marques de commerce du Memphis soul. À ceux qui se demandaient pourquoi on avait choisi un titre comme Green Onions, Booker T. avait expliqué que l'instrumental devait au départ s'appeler Funky Onions, mais qu'on avait jugé cette appellation trop vulgaire... Voici donc Green Onionsbit.ly/3IEjR1m.

Le vendredi 28 janvier 2022

La première décennie du rock and roll a connu son apogée en 1962, l'année où le graduel déclin des pionniers des années 1950 croisa la montée des grands courants qui façonneraient le rock des années 60 et ses multiples variants. John, Paul, George et Ringo, ne l'oublions pas, ont lancé leur premier 45 tours, Love Me Do, à l'automne 1962. Entre-temps, en Amérique du Nord, la musique surf de la côte ouest devenait la signature d'un groupe qui marquerait la décennie, les Beach Boys. Mais en 1962, le roi de la guitare surf était sans contredit Dick Dale, avec son groupe, les Del-Tones. Son instrumental Misirlou, qui n'a même pas atteint le Top 100 de Billboard, est pourtant devenu au fil des ans un classique qu'on entend encore aujourd'hui.

Fils d'un immigrant libanais, Dick Dale (Richard Anthony Monsour) a puisé dans ses racines moyen-orientales pour créer Misirlou, une adaptation d'une vieille mélodie du temps de l'Empire ottoman qui avait été enregistrée pour la première fois en Grèce en 1927. Cette pièce, qui a assuré sa notoriété, a influencé les Beach Boys et les Ventures, et le style de Dick Dale a exercé une influence sur Jimi Hendrix et Eddie Van Halen. Misirlou a été utilisé dans le film Pulp Fiction par Quentin Tarantino en 1994. Une fois qu'on a vu et entendu Dick Dale à la guitare, on ne l'oublie pas. Voici Misirlou, de Dick Dale et ses Del-Tones: bit.ly/3rMSnzW.

Le samedi 29 janvier 2022

La mise en orbite de Telstar 1, le 10 juillet 1962, marqua le début de l'ère des communications par satellite. Pour la première fois, des émissions de télévision européennes pouvaient être retransmisses de l'espace et captées en direct par des auditoires nord-américains. Cela peut paraître banal aujourd'hui mais en 1962, les technologies spatiales marquaient l'imaginaire collectif. Joe Meek, un ingénieur du son britannique qui aimait expérimenter avec les nouvelles technologies musicales, fit d'une pierre deux coups en composant l'instrumental Telstar et en utilisant dans l'enregistrement un des premiers instruments de musique électroniques, le clavioline, ancêtre des synthétiseurs. Le résultat fut un son fort original pour l'époque et un immense succès aux palmarès.

On écrivait «Tornados» en G.-B., et «Tornadoes» aux É.-U...

Meek a confié sa composition au groupe The Tornados, qu'il employait à son studio depuis 1961. Le 45 tours est sorti à l'automne 1962 et a atteint la première position aux palmarès britanniques, avant de dominer le Top 100 de Billboard aux États-Unis en janvier 1963. Ce fut le premier «numéro 1» aux États-Unis par un groupe britannique. Les Tornados ont même produit une vidéo de Telstar pour les machines Scopitone (jukebox avec écran vidéo). J'avais vu un de ces appareils intrigants dans le vieux Québec en 1968, et j'avais investi 25 cents pour écouter et voir Joe Dassin chanter Les Dalton... Enfin voici l'instrumental Telstar, par le Tornados... bit.ly/34cGmM0.

Le dimanche 30 janvier 2022

À l'âge de 16 ans, quand je demeurais à Ottawa, il n'y avait à la radio aucune station locale de rock and roll. Il fallait attendre que le soleil se couche pour pouvoir capter les ondes AM du nord des États-Unis. La meilleure des stations rock était WKBW 1520, de Buffalo, dans l'État de New York, et son meilleur DJ s'appelait Tom Shannon. Ce dernier avait composé, avec un ami, Phil Todaro, la chanson-thème de son émission, The Tom Shannon Show. Un groupe de rock local, les Rebels, a proposé à Shannon d'écouter une version instrumentale de la chanson-thème, qu'il a bien aimée et fait enregistrer sur disque. Le 45 tours a connu un succès local, sans plus.

Vers la fin de 1962, l'instrumental a été relancé sur une étiquette connue, Swan Records, et a oscillé pendant tout l'hiver 1963 près du sommet des palmarès nord-américains. Le disque s'est vendu à plus d'un million d'exemplaires et les Rebels ont changé leur nom à Rockin' Rebels pour éviter toute confusion avec le groupe du guitariste Duane Eddy. Chaque fois que j'entends Wild Weekend, je pense à la radio 8 transistors que je collais à mon oreille le soir et parfois, la nuit, pour entendre cette musique rebelle que censuraient les stations de radio d'Ottawa... Voici Wild Weekend bit.ly/3uaFbrw.

Le lundi 31 janvier 2022

En 1962, le guitariste Jet Harris et le batteur Tony Meehan, anciens membres des Shadows, le groupe instrumental le plus populaire en Grande-Bretagne, ont demandé au compositeur Jerry Lordan (Apache) de créer un instrumental avec solos de guitare basse et de batterie. Il leur proposa Diamonds. Harris raccorda sa Fender Jaguar pour jouer des notes plus basses. Participaient aussi à la session d'enregistrement du 23 novembre 1962 deux autres guitaristes, Jimmy Page et John Paul Jones, qui formeraient plus tard le légendaire groupe Led Zeppelin. Le 45 tours a été diffusé en janvier 1963 et a dominé le palmarès au Royaume-Uni à la fin de l'hiver. Diamonds a aussi connu un certain succès au Canada en avril 1963 mais les radios américaines ne l'ont pas mis en ondes.

Le 1er janvier 1962, les Beatles avaient auditionné pour Meehan, qui représentait la maison de disques Decca. En février, Tony Meehan avait rencontré le gérant des Beatles, Brian Epstein, pour lui dire qu'il n'avait pas été impressionné par le groupe de Liverpool. Decca leur avait préféré les Tremoloes. Ce fut sans doute l'une des pires décisions de l'histoire musicale. Meehan a certainement dû y penser souvent au fil des décennies. Est-ce pour cette raison qu'il a abandonné la musique dans les années 1990 pour devenir professeur en psychologie? Il pouvait tout au moins se rappeler les belles années avec les Shadows et l'immense succès de Diamonds, que voici: bit.ly/3o9wTwf.

Le mardi 1er février 2022

Avant d'être submergée par la vague de fond britannique de 1964, l'Amérique du Nord a été fascinée en 1963 par les très réelles vagues des récifs de surf à Hawaii et sur la côte ouest. Les images de planches de surf transportées dans de vieux tacots remplis de jeunes à chevelure blonde ont marqué l'année au cinéma et inspiré des groupes musicaux comme les Beach Boys (Surfin' USA) et Jan & Dean (Surf City). Les adeptes du surf avaient leur propre langage et il faut presque un lexique pour le comprendre. Ainsi, le premier grand instrumental de surf de 1963, intitulé Pipeline, n'a rien à voir avec un oléoduc. Il évoque un endroit à Hawaii (Banzai Pipeline) où le récif transformait les vagues en énormes tuyaux. Les plus intrépides surfaient à l'intérieur...

L'instrumental Pipeline, oeuvre du groupe The Chantays, devait au départ s'appeler Liberty's Whip mais les musiciens ont changé d'idée et de nom après avoir visionné un film sur le surf à Hawaii. Le 45 tours est devenu l'un des classiques de la musique surf, figurant aux palmarès en hiver et au printemps de 1963. Seules des versions mono du disque ont été mises en vente à l'époque, mais les rééditions après 1980 s'écoutent en stéréo. Pipeline fait partie du palmarès des 500 disques qui ont façonné le rock and roll. Fait assez remarquable, le groupe existe toujours et donne encore des spectacles en 2022... Voici, du printemps 1963, Pipelinebit.ly/35GqGl7.

Le mercredi 2 février 2022

Légende de la guitare blues-rock, Lonnie Mack (né Lonnie McIntosh) a quitté l'école en 6e année après une chicane avec son prof. En 1954, à l'âge de 14 ans, fausse carte d'identité en poche, il gagnait 300 $ par semaine en jouant dans les bars de Cincinnati (Ohio). Puisant dans les racines musicales noires et blanches du sud des États-unis, il a développé un style bien à lui avec sa guitare Gibson «Flying V» 1958. Le 12 mars 1963, alors qu'il était musicien de studio pour Fraternity Records, on lui a offert 20 minutes gratuites de temps d'enregistrement à la fin d'une session. Il en profita pour jouer une version instrumentale de la chanson Memphis de Chuck Berry, qu'il avait improvisée quelques années auparavant, puis embellie. Le 45 tours qui en est résulté a connu un succès remarquable à la fin du printemps de 1963 et s'est vendu à plus d'un million d'exemplaires.

L'instrumental Memphis se démarquait pas sa complexité quand on le compare aux solos plutôt simples de Duane Eddy et aux riffs de Chuck Berry. Un membre du groupe de Duane Allman, parlant de l'influence de Lonnie Mack, disait qu'en 1963 tous les guitaristes, en écoutant Memphis, estimaient qu'on venait d'élever la barre: «Nous devions maintenant être aussi bon que ça.» Véritable pionnier de la guitare blues-rock, l'influence de Lonnie Mack a été reconnue par de nombreux guitaristes vedettes y compris Stevie Ray Vaughan, Neil Young, Eric Clapton, Keith Richards, Jimi Hendrix et bien d'autres. En direct de mai-juin 1963, voici Memphisbit.ly/34r1H4C.

Le jeudi 3 février 2022

Tous ceux qui ont l'âge de se souvenir de la musique surf de 1963 reconnaîtront instantanément le solo de batterie de l'instrumental Wipe Out, par le groupe The Surfaris. Dans le langage des surfeurs, Wipe Out signifie une vilaine chute de la planche, sur la vague, mais le 45 tours des Surfaris a plutôt permis au groupe de rester au sommet de la vague pendant des années. Quand le groupe a été formé en 1962, les membres étaient toujours à l'école secondaire. Ils ont composé Wipe Out à la fin de 1962 et le disque a connu un succès mondial à l'été 1963, atteignant la 2e position du magazine Billboard. Au-delà du solo de batterie, version accélérée de la cadence de leur fanfare scolaire, le 45 tours se distingue par son intro, avec son bruit de planche qui brise et un rire maniaque (fait par le gérant du groupe) suivi du titre de l'instrumental.

Wipe Out a été copié par nombre de groupes, y compris les Beach Boys, et a même ressuscité au palmarès grâce à une nouvelle version par les Surfaris en 1966. Le groupe californien existe toujours, reformé en l'an 2000 par un des membre de la mouture 1963, Bob Berryhill, ainsi que son épouse et ses deux fils. Les Surfaris ont été intronisés au Temple de la renommée des musiciens en 2019. Tous les enregistrements originaux du groupe des années 1960 ont été détruits lors de l'incendie des studios Universal en 2008. Voici donc ce classique de l'été 63, Wipe Outbit.ly/3ugdBsQ.

Le vendredi 4 février 2022

Musicien polyvalent, auteur-compositeur-interprète, arrangeur, réalisateur et personnage fort détestable à ses heures, Jack Nitzsche a fréquenté les grands dans les années 1960. Il a composé avec Sonny Bono (Sonny and Cher). Il a joué du clavier avec les Rolling Stones et les Beach Boys. Il était le bras droit de Phil Spector quand celui-ci a créé son «mur de son». Plus tard, dans les années 80, Nitzsche a même gagné l'Oscar de la meilleure chanson originale avec son épouse de l'époque, Buffy Sainte-Marie, pour Officier et gentleman. Ses démêlés avec la justice à partir de la fin des années 1970 ont entaché ses oeuvres. Un AVC a mis fin à sa carrière en 1998 et il est mort deux ans plus tard.

En 1963, cependant, il a composé un instrumental intitulé The Lonely Surfer, qui n'a pas connu un succès fulgurant (39e position sur le palmarès Billboard) mais qui se démarque par son rythme et ses arrangements assez uniques. «C'est de la musique surf, disait un observateur, mais avec des arrangements qui semblent avoir été faits par un compositeur russe du 19e siècle». On dirait la trame sonore d'un documentaire sur le surf, avec un rythme de flux et reflux des vagues ou de la marée. Si je devais créer mon propre palmarès des instrumentaux des années 1960, celui-ci trônerait au sommet. Voici The Lonely Surferbit.ly/3ITl4C6.

Le samedi 5 février 2022

Les États-Unis succomberaient à l'invasion britannique au début de 1964 sous une avalanche de 45 tours des Beatles, mais au moins un chanteur britannique, Cliff Richard, et son groupe The Shadows avaient envahi le marché canadien dès le début de 1963. Les chansons Bachelor Boy et Lucky Lips avaient fait de Richard une grande vedette partout au pays et à l'automne 1963, les Shadows, déjà le groupe instrumental le plus populaire au Royaume-Uni, faisaient une entrée remarquée sur les palmarès canadiens avec le disque Shindig. L'instrumental, qui ne ressemble en rien à la définition du mot shindig (un gros party bruyant), a atteint le top cinq dans plusieurs régions du Canada mais est passé largement inaperçu aux États-Unis.

Au Royaume-Uni, seuls les Beatles, Elvis Presley et Cliff Richard ont vendu plus de disques que les Shadows. Entre 1960 et 1963, ils ont placé treize 45 tours consécutifs dans le top dix en Grande-Bretagne. Les Shadows ont joué en public pour la dernière fois en 2015. Les trois membres survivants du groupe se sont toutefois réunis en 2020 et ont enregistré une nouvelle version de leur tout premier grand succès de 1960, Apache, pour un documentaire sur leur carrière. Voici donc Shindig, par les Shadows: bit.ly/3LaziR5.

Le dimanche 6 février 2022

En 1961, quatre jeunes musiciens anglophones du quartier Parc Extension de Montréal ont formé un groupe de garage appelé The Rockatones. Ils jouaient à des soirées de danse et des fêtes privées. Leur renommée s'est étendue à Montréal et partout dans le sud du Québec, ainsi que dans le nord du Vermont et l'Est ontarien, y compris Ottawa. En octobre 1963, ils ont enregistré deux instrumentaux, Shandia et Submerge, sur l'étiquette Les Disques Fontaine. Ils ont aussi accompagné des chanteurs francophones, notamment Réal Pascal dans Jolie Femme (traduction de Pretty Woman) en 1964. Je n'ai trouvé sur le Web aucune mention du sort que la radio et le public ont réservé à l'instrumental Shandia mais j'ai dû l'entendre quelque part parce qu'il figure dans ma collection de 45 tours depuis les années 1960. Je ne sais pas non plus ce qui est arrivé aux Rockatones, sauf que le groupe s'est dissous en 1966. Je ne sais pas non plus pourquoi l'étiquette Les disques Fontaine a disparu en 1964. Quoiqu'il en soit, Shandia mérite bien sa place dans le palmarès de la musique de garage de la décennie. Voici, de la fin de 1963, Shandia, des Rockatones: bit.ly/3Ji60yn.

Le lundi 7 février 2022

Toute personne qui se souvient de la série télévisée The Outer Limits (Au delà du réel) reconnaîtra cet instrumental du groupe The Marketts, intitulé Out of Limits, qui a connu son apogée en janvier 1964, au moment où les Beatles explosaient en terre nord-américaine avec I Want to Hold Your Hand. Des éléments de la musique thème d'une autre émission similaire, The Twilight Zone (La quatrième dimension) ont aussi été incorporés au succès des Marketts. Le 45 tours Out of Limits était issu de la vague de musique surf rock, mais son lien avec deux émissions télévisées sur le paranormal en a fait au fil des ans un disque populaire à l'Halloween. L'instrumental a fait son entrée sur les palmarès à la toute fin de 1963 et atteint la 3e position du magazine Billboard en janvier-février 1964.

Comme bien d'autres groupes de l'époque, les Marketts étaient un assemblage ponctuel de musiciens de studio, formé à Hollywood (Californie) en 1961. Le groupe est disparu de la scène musicale en 1966. Avec l'arrivée en masse des Britanniques, il n'y avait plus de place pour les formations instrumentales rock nord-américaines qui avaient peuplé les palmarès depuis le milieu des années 1950. En ce sens, Out of Limits marque la fin d'une époque. Le voici: bit.ly/34eI2oR.

Le mardi 8 février 2022

En 1963 et 1964, quelques bons groupes rock de la région d'Ottawa s'étaient taillés une solide renommée, notamment les Staccatos (plus tard le Five Man Electrical Band) et surtout les Esquires. Je les ai entendus en spectacle à l'époque et leur guitariste soliste, Gary Comeau, rivalisait avec les meilleurs. Le groupe excellait dans ses reprises des instrumentaux des Shadows (Grande-Bretagne), ainsi qu'en témoigne leur premier succès aux palmarès canadiens, Atlantis, qui a tourné à la radio de la fin de l'automne 1963 au milieu de l'hiver 1964. Ils ont été le premier groupe canadien recruté par les disques Capitol, et ont reçu le tout premier prix Juno (RPM à l'époque) comme meilleur groupe. Ils ont enregistrés une série de 45 tours entre 1963 et 1966, mais un seul album, que j'ai dans ma collection en version monaurale.

L'évolution du groupe aura été plus rock and roll que sa musique. Jusqu'à sa dissolution en 1966, quelque 17 chanteurs et musiciens en ont fait partie, y compris Bruce Cockburn. Les membres originaux se sont réunis en 1987 pour célébrer leur 25e anniversaire à un concert au profit du Centre hospitalier pour enfants de l'Est de l'Ontario (CHEO). La ville d'Ottawa a proclamé le «Jour Esquires» en l'honneur de la formation ottavienne. Voici donc l'instrumental Atlantisbit.ly/3B51nEF

Le mercredi 9 février 2022

Le succès d'Atlantis a été suivi d'un autre instrumental des Esquires aux palmarès canadiens, en février et mars 1964. Il s'agit du 45 tours Man from Adano, composé par un musicien d'Ottawa, Dave Britten, et qu'on croirait à première écoute une reprise du groupe britannique The Shadows. Ce qui est remarquable, ce n'est pas tant le succès du disque (il a trôné au top dix pendant quelques semaines au palmarès The Music Prevue). C'est plutôt le fait qu'on ait découvert en 1987 une vidéo de cet instrumental des Esquires, réalisée en 1964. Le groupe imite, semble-t-il, la démarche des Shadows sur scène. Une femme occupe le côté gauche de l'image pendant la vidéo et je crois avoir reconnu Gail Feller (ancienne Miss Canada de 1961), une jeune femme d'Ottawa, fille du célèbre Joe Feller (magasin de vêtements à renommée nationale sur la rue Rideau à Ottawa). Ce serait apparemment la toute première vidéo de musique réalisée au Canada. Voici un voyage dans le temps avec cette vidéo de Man from Adano, des Esquires: bit.ly/3gtxV1L.

Le jeudi 10 février 2022

Originaires du Lac Saint-Jean et du Saguenay, les membres du groupe Les Jaguars ont commencé à s'imposer comme champions québécois du rock instrumental à partir de 1962. De leur premier album en 1964 surgira un méga succès intitulé Mer Morte, qualifié 50 ans plus tard dans La Presse d'«un des plus grands slows de l'histoire du rock québécois». La pièce a été composée à l'été 1964 par Jean-Guy Cossette, guitariste des Jaguars à l'époque. Lancé en septembre 1964, Mer Morte a propulsé Les Jaguars au sommet des palmarès québécois et est devenu un classique du genre à travers le Canada, et même en Europe. Peu conscient de sa popularité, le groupe a continué à se produire sur le plan régional et a été démantelé en 1966 quand Cossette (qui a changé son prénom à Arthur) décide de tenter seul sa chance dans le grand marché montréalais. «Les autres ne voyaient pas d'avenir là-dedans, leurs blondes ne voulaient pas», expliqua-t-il. 

L'ancien des Jaguars deviendra tour à tout membre des Sinners, de la Révolution française puis de l'équipe de Robert Charlebois au début des années 1970. Mais Mer Morte a continué à lui coller à la peau et encore aujourd'hui, on lui demande de la jouer sur scène et voilà un demi-siècle qu'il s'exécute. Le son typique de guitare des Jaguars provient d'une «boîte à écho» qu'Arthur Cossette a achetée en 1964 pour 600 $ et qu'il utilise toujours! Voici Mer Mortebit.ly/3AL4sKc.

Le vendredi 11 février 2022

Les gars du rock américain ont toujours vénéré les «chars», surtout les bolides musclés, soutenus en musique par des rythmes endiablés. Le premier grand succès de rock and roll, en 1951, s'appelait Rocket 88 (Oldsmobile). De Maybelline par Chuck Berry en 1955 à Little Deuce Coupe par les Beach Boys dans les années 1960, les 45 tours ont rendu hommage aux Cadillac, Lincoln, Corvette, GTO, Cobra, Jaguar et plus, souvent avec des paroles qu'on croirait conçues par un spécialiste des moteurs d'autos. Un des derniers groupes de cette vague musicale associée au surf rock aura été les Rip Chords, dont le grand succès, Hey Little Cobra, a atteint le top cinq du palmarès Billboard en 1964. Sur l'album enregistré dans le sillage de Cobra, les Rip Chords ont inclus une pièce instrumentale exécutée par les musiciens du groupe et nommée non pas en l'honneur d'un bolide dernier cri, mais à la mémoire d'un vieux tacot (sans doute revigoré). Le titre était '40 Ford Time.

L'instrumental reflète bien une époque musicale en voie de disparition depuis l'arrivée en masse en 1964 des Beatles, Dave Clark 5, Rolling Stones et autres envahisseurs de Grande-Bretagne. Les Rip Chords eux-mêmes, pourtant une des bonnes formations de l'époque, ont été démantelés en 1965 alors que le rock américain changeait sous l'influence britannique. Voici '40 Ford Timebit.ly/3Lnifvh.

Le samedi 12 février 2022

En 1965, la marmite musicale du Québec était en pleine ébullition avec la prolifération des chansonniers - Gilles Vigneault, Claude Léveillée, Jean-Pierre Ferland, Pauline Julien, Raymond Lévesque, Renée Claude et bien, bien d'autres... Il y en avait partout. L'année précédente, les Classels avaient pavé la voie à des créations rock québécoises originales qui se multiplieraient. Mais pour moi, l'année 1965 restera marquée par la sortie de l'exceptionnel album instrumental Léveillée-Gagnon. Les chansons de Claude Léveillée étaient déjà bien connues, mais cette collaboration de deux pianistes avec André Gagnon a initié plusieurs Québécois à l'univers du jazz. Pour cette oeuvre, qualifiée d'ambitieuse, le duo s'était entouré des meilleurs jazzmen québécois de l'époque. Sans doute la pièce la plus connue de l'album est-elle la version instrumentale de Frédéric, mais ma préférée a toujours été Poisson (pas vraiment jazz). 


Je me souviens d'avoir écrit aux disques Columbia pour leur demander de créer une version CD du vinyle (que j'ai toujours). On m'avait répondu que la demande était insuffisante. Je n'ai pas dû être le seul parce qu'en 2012 Léveillée-Gagnon est réapparu en numérique. On a dit de cet album qu'il était génial, audacieux, ambitieux, un bijou, un coup de circuit, une révélation, et un disque indispensable. Voici Poissonbit.ly/3oyEPav.

Le dimanche 13 février 2022

Au milieu des années 1960, la station de télévision privée d'Ottawa (CJOH) présentait tous les samedis après-midi une émission d'abord intitulée Club 13, puis Saturday Date, où on voyait des tas de jeunes danser au son des grands succès du palmarès. Aux environs de 1965, sa chanson thème était une pièce instrumentale accrocheuse du groupe britannique The Shadows portant un titre fort étrange: The Rise and Fall of Flingel Bunt. Comme plusieurs des 45 tours des Shadows, Flingel Bunt s'était hissé dans le top cinq des palmarès en Grande-Bretagne l'année précédente, tout en passant presque inaperçu aux États-Unis. Des critiques britanniques ont jugé que cette pièce était tout à fait différente de tout ce que les Shadows avaient fait auparavant.

Pourquoi l'avoir intitulée The Rise and Fall of Flingel Bunt? Selon les sites Web qui en parlent, Flingel Bunt était un personnage fictif inventé un ami du groupe instrumental, et au moment de décider du titre, les membres des Shadows venaient de visionner le film The Rise and Fall of Legs Diamond... La réalité est ainsi faite. Voici donc: bit.ly/3Lu5Aqb.

Le lundi 14 février 2022

La seconde moitié des années 1960 consacre la quasi-disparition des instrumentaux «rock and roll» comme on les avait connus jusque là. L'année 1967, cependant, verra la sortie remarquée de l'album Messe pour le temps présent, avec sa musique composée par Pierre Henry pour un ballet de Maurice Béjart au Festival d'Avignon, en France. Une des pièces instrumentales, Psyché Rock, connaîtra un grand succès musical, chorégraphique et commercial. Elle sera même utilisée dans le film Z de Costa-Gavras en 1969. Le morceau se compose de cloches, flûtes, cuivres, d'un ensemble rock et de musique électronique. Psyché Rock incorpore des influences de trois succès des années 1960, Louie Louie des Kingsmen, Wild Thing de Chip Taylor (repris par les Troggs), et Get Off My Cloud des Rolling Stones. Psyché Rock, dit-on, a la particularité de pouvoir être lu à l'envers sans modification notable de la musique... Dans un certain sens, cet instrumental s'ajuste très bien aux tendances électroniques et psychédéliques nord-américaines de 1967. 

Pierre Henry est considéré comme l'un des pères de la musique électro-acoustique, soit des musiques non exclusivement instrumentales, dont des éléments sonores sont enregistrés et reproduits par ordinateurs ou bande magnétique. Voici donc Psyché Rockbit.ly/3gGl7oO.

Le mardi 15 février 2022

À la fin de 1967, une version instrumentale de la chanson L'amour est bleu (Love is Blue), orchestrée par Paul Mauriat, a balayé les palmarès autour de la planète, se hissant même au sommet des ventes aux États-Unis pendant cinq semaines en février et mars 1968. Ce fut le premier et le seul disque de France à réussir un tel exploit en Amérique du Nord. Un seul instrumental, Theme from a Summer Place de Percy Faith (1960), a mieux fait que L'amour est bleu depuis que le magazine américain Billboard compile son Top 100. Je me souviens très bien de cette époque. On entendait L'amour est bleu partout, tout le temps... L'album Love is Blue de Mauriat a aussi occupé la première position des ventes d'albums pendant cinq semaines en 1968.

Paul Mauriat était avant tout un chef d'orchestre et c'est à ce titre qu'il est associé à L'amour st bleu. La musique était signée André Popp. Mauriat avait cependant composé la chanson Chariot, interprétée par Petula Clark et reprise en 1963 aux États-Unis par Millie Small sous le titre I Will Follow Him. Voici, du début de 1968, L'amour est bleu : bit.ly/3HQv8fb.

Le mercredi 16 février 2022

Le Texan Mason Williams était à la fois musicien (guitariste), monologuiste comique et rédacteur pour de nombreux artistes et émissions de télévision américaines, dont la controversée Smothers Brothers Comedy Hour.  Mais on s'en souvient surtout pour une pièce instrumentale qu'il a composée et qui a atteint la 2e position au palmarès Billboard en août 1968. Il l'avait intitulé Classical Gasoline, voulant qu'elle serve de «carburant» à son répertoire de guitare classique. Au moment de l'enregistrer, cependant, un copiste musical a raccourci le nom par erreur à Classical Gas et c'est sous cette appellation que le 45 tours a envahi les ondes de toutes les stations de radio, principalement en Amérique du Nord. En 1969, l'instrumental a mérité trois prix Grammy. En 1998, Broadcast Music Incorporated (BMI) a présenté un prix spécial à Mason Williams pour Classical Gas, devenu au fil des décennies l'instrumental BMI le plus souvent joué à la radio. Voici donc Classical Gasbit.ly/3sGsvWG.

Le jeudi 17 février 2022

Ma compilation d'instrumentaux de années 1960 tire à sa fin mais, heureusement, les deux titres de la décennie qui m'ont le plus marqué en 1969 comptent parmi les meilleurs. D'abord celui de Jethro Tull, un groupe britannique qui n'est pas reconnu pour sa musique instrumentale mais qui, dans son album Stand Up (son meilleur!), a inclus une pièce intitulée Bourée, arrangement d'une bourrée de Jean-Sébastien Bach réalisé par le flutiste Ian Anderson. Épuisé de toujours jouer la même pièce de flute dans ses concerts, à la fin de 1968, Anderson recherchait un son un peu jazz, mais avec une mélodie qui n'était d'aucune façon associée au jazz ou au blues. De son appartement à Londres, il entendait un étudiant à l'étage inférieur qui jouait constamment cette bourrée de Bach à la guitare classique. À force de l'écouter, il a décidé de l'utiliser comme point de départ pour une pièce instrumentale de Jethro Tull. Le 45 tours est sorti en septembre 1969 et n'a pas fait trop de vagues en Grande-Bretagne. L'instrumental a cependant connu un succès phénoménal en France, où la critique est élogieuse. «Deux flûtes traversières, une basse tonitruante, une batterie délirante et une guitare rythmique ont suffi à transcender le Cantor de Leipzig», écrit-on. Cette reprise de Bach, «mélangeant le classique, le jazz et le rock dans une atmosphère médiévale donne un résultat époustouflant.» Voici, de l'automne 1969, Bourée de Jethro Tull: bit.ly/3rQcK09.

Le vendredi 18 février 2022

Quiconque a vu le film «Z» n'oublie pas sa musique. Le chef-d'oeuvre de Costa-Gavras a mérité l'Oscar du meilleur film en langue étrangère (en français) et le Golden Globe du meilleur film étranger. Fondé sur l'histoire vraie de l'assassinat du député grec Grigori Lambrakis en 1963, «Z» sort en 1969, au moment où sévit en Grèce l'implacable dictature des colonels. Le parallèle est évident. Pour sa trame musicale, Costa-Gavras avait choisi Mikis Theodorakis, compositeur et homme politique grec. Alors emprisonné par le régime des colonels à cause de son opposition à la dictature, Theodorakis a réussi à enregistrer quelques chansons en secret et à les faire sortir de Grèce. Le reste de la musique du film provient essentiellement de son oeuvre. Le film «Z» et sa musique sont devenus symboles de résistance démocratique à la fin des années 1960, époque de répression violente dans plusieurs pays. Le titre «Z» est l'initiale d'un mot du grec ancien qui signifie «il vit» ou «il est vivant». Les opposants avaient écrit cette lettre sur les murs pour protester contre l'assassinat du député Lambrakis. Les reculs que subit un peu partout la démocratie au 21e siècle font de «Z» un film très actuel. J'ose espérer qu'on pourra encore, en 2022, dire de l'esprit rebelle qui anima les artisans de «Z» et les années 1960: «il est vivant»! Voici, de 1969, la chanson-thème du film «Z»: bit.ly/3BwuAc6