jeudi 10 février 2022

Une sous-fécondité catastrophique...

capture d'écran du Journal de Montréal

Ces jours-ci, les journalistes ne semblent pas suivre de près les réunions du Comité permanent des langues officielles à Ottawa. Le public non plus, j'en suis sûr. Pourtant, elles sont diffusées en direct sur Internet, et sont même disponibles en reprise sur les pages Web du Comité. Pour ceux et celles que la dynamique linguistique canadienne passionne, c'est présentement le meilleur spectacle en ville.

Surtout que depuis la fin de 2021, les députés fédéraux qui siègent au Comité s'aventurent en terrain inconnu: le déclin du français au Québec. Auparavant, conformément à son mandat, le Comité des langues officielles s'intéressait seulement (au-delà de l'appareil fédéral et ses appendices) au sort des «minorités de langue officielle», c'est-à-dire les francophones hors Québec et les Anglo-Québécois.

Mettre les minorités francophones du Canada anglais dans le même panier que les anglophones du Québec n'avait aucun sens, mais la loi fédérale était ainsi faite. Puis, comme par miracle, l'an dernier, les gouvernements se sont rendus compte que le français, langue fortement minoritaire au Canada et en Amérique du Nord, était menacée partout -- même au Québec! Et qu'il faudrait ajouter ou modifier certains articles de la LLO pour en tenir compte...

Alors depuis l'automne, les députés sont inscrits à l'école de la réalité linguistique québécoise. Des témoins, dont certains invités par le Bloc québécois, paradent devant des membres libéraux, conservateurs et néo-démocrates parfois un peu perdus dans des débats qui ont cours depuis longtemps au Québec. Habitués aux doléances du Québec Community Groups Network et semblables, ils n'ont jamais trempé dans la marmite bouillonnante de l'argumentaire franco-québécois. Et il est évident, par les questions et commentaires des députés, que les réalités décrites par les défenseurs de la langue française au Québec les déroutent...

Le témoignage récent du démographe Marc Termote, professeur à la retraite de l'Université de Montréal et ancien président du Comité de suivi linguistique à l'OQLF (Office québécois de la langue française), a dû laisser pantois ceux et celles qui s'imaginent - comme les médias anglo-canadiens - une anglophonie québécoise assiégée par le rouleau compresseur d'un quelconque unilinguisme français québécois... Toutes les données démographiques et linguistiques disponibles démontrent au contraire une régression constante et un avenir sombre pour la langue française au Canada, y compris au Québec.

S'il n'y avait pas eu d'exode d'anglophones dans les années 1960, 1970 et 1980, les francophones seraient minoritaires depuis longtemps sur l'île de Montréal, estime M. Termote qui met les députés en garde contre toutes données couvrant l'ensemble du Québec. «Ces chiffres ne représentent pas ce qui se passe à Montréal, ni ce qui se passe en dehors de Montréal», dit-il. Ce sont deux mondes distincts. Les problèmes de la langue française se posent principalement dans la métropole. Et en Outaouais, aurait-il pu ajouter...

Sur l'île de Montréal, la proportion de personnes utilisant le plus souvent le français à la maison (langue d'usage) diminue depuis 1971 et se situe aujourd'hui à 53%... «Les démographes, précise-t-il,  privilégient la langue d'usage parce que la langue parlée à la maison deviendra la langue des enfants. Dans une perspective à long terme, c'est crucial.» Depuis 2011, cette tendance s'est généralisée à d'autres régions du Québec et une étude en 2017 confirme que le déclin s'accélère.

Le démographe Termote identifie deux facteurs dominants dans l'évolution démo-linguistique : l'immigration internationale et surtout la sous-fécondité, de loin l'élément plus important de l'équation. «De fait, affirme-t-il, des études démontrent que l'effort de francisation des immigrants n'a presque aucun effet sur le déclin du français au Québec.» À peine une dizaine de milliers de personnes changent effectivement de langue tous les ans au Québec. Ça prend du temps, l'assimilation, dit-il... À la limite toute une vie, ou même deux générations...

Même en supposant un transfert net de quelques milliers d'immigrants au français à chaque année, ajoute Marc Termote, «ce n'est rien à côté des 20 ou 25 000 naissances qui manquent». Les données du recensement de 2021 indiquent un taux de 1,4 enfant par femme, alors qu'il faudrait 2,1 pour simplement éviter un déclin de la population. Sur l'île de Montréal, ce taux serait de 1,2... En 2020, avec une population de 8 1/2 millions au Québec, il y a eu 81 850 naissances. En 1920, avec un peu plus de 2 millions d'habitants, on comptait 85 271 naissances.

Quand on ajoute à une sous-fécondité catastrophique tous les autres facteurs socioéconomiques qui favorisent l'anglais dans la région de Montréal, «l'immigration de francophones pourrait aider mais ça ne va pas renverser la tendance», selon le démographe. Même si tous les immigrants se francisaient, ce ne serait pas suffisant... «Ce qui va être fondamental, c'est le comportement futur de la fécondité», conclut-il.

«On demande beaucoup (trop) aux immigrants», croit le démographe. On leur demande d'aller en régions à notre place, de prendre des emplois qu'on ne veut pas, de faire des enfants qu'on ne fait pas... Entre-temps, sur le plan linguistique il y a urgence, et «plus le temps passe, plus le problème s'aggrave». Selon les prévisions, les francophones ne formeront que 40% de la population sur l'île de Montréal dans 15 ans.

Mais, rappelle-t-il, «ce n'est pas l'immigration qui est la cause principale du déclin du français. La cause essentielle, c'est la sous-fécondité». L'indice de fécondité des anglophones n'est pas beaucoup supérieur à celui des francophones. Ce sont les transferts linguistiques - l'anglicisation d'immigrants et même de francophones - qui procurent des gains à l'anglais au Québec.

Aucun journaliste n'a suivi cette réunion du comité des langues officielles et c'est regrettable. Parce que le lendemain, les propos du démographe Marc Termote auraient été à la une des journaux et des bulletins télévisés...


1 commentaire:

  1. Mon Dieu que j'apprécie de vous lire, M. Allard. Je vais faire ce que je peux pour diffuser ce que voius avez écrit, le plus largement possible.

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