Ma planète imprimée va un tout petit peu mieux ce matin. Après quelques heures hier soir au Salon du livre de l'Outaouais, où pandémie oblige, je n'avais pas mis les pieds depuis le 27 février 2020, j'ai refait le plein sensoriel de mon univers - le paysage visuel de dizaines de milliers de vrais livres de tous genres, tailles et couleurs; l'ambiance sonore de la foule et d'auteurs en grappes de retrouvailles, d'amitiés renouées sans masques; l'arôme fugace du papier et de l'encre (sans oublier l'odeur des frites au petit casse-croûte); et bien sûr, l'immense plaisir de toucher à des bouquins, de les tenir et de les feuilleter. Quelque chose comme le paradis.
Le numérique nous consume. Hier soir, au resto dans le Vieux Hull, personne n'a apporté de menu. Une petite feuille avec quatre codes QR au centre de la table servait de guide. Mais sans téléphone cellulaire (je n'en ai pas), impossible de déverrouiller cette petite serrure numérique. J'ai dû me lever et demander un vrai menu avec du papier, des mots et des prix. Oui, il en restait bien quelques-uns pour les dinosaures en voie d'extinction. Heureusement, le chef cuisinier n'a pas rempli nos assiettes de codes QR... mais ça viendra peut-être un jour.
En entrant au Salon du livre, on se sent tout à coup à l'abri, en sécurité, en continuité avec 500 ans de civilisation de l'imprimé. Au-delà de l'occasionnel rappel de la grande menace (p. ex. au kiosque de mon ancien quotidien, Le Droit, qui plane sans papier dans les vapeurs de l'Internet depuis mars 2020), les allées coiffées de bannières des maisons d'édition sont peuplées de sourires et de conversations animées, et les files d'attente aux caisses attestent le besoin d'acquérir et de conserver chez soi des artéfacts culturels tangibles qui restent, qui ne disparaissent pas quand une batterie meurt, quand un écran s'éteint ou quand un inconnu qui le peut débranche un réseau.
À en croire certains, un jour les salons du livre seront essentiellement des événements en ligne, où l'on connectera par Zoom ou Teams ou autrement avec des auteurs ou des représentants d'éditeurs ou de librairies qui nous proposeront d'acheter des oeuvres numériques à ranger sur les tablettes de nos disques durs, ou dans un lointain «nuage»... L'idée qu'une de mes belles bibliothèques en bois finisse par abriter quelques clés USB et une collection de bibelots à la place des livres que j'ai accumulés depuis plus d'un demi-siècle me donne froid dans le dos. J'aimerais mieux la brûler...
J'ai fait quatre achats hier soir au Salon du livre de l'Outaouais - Au temps de la pensée pressée (Jean-Philippe Pleau), La nation qui n'allait pas de soi (Alexis Tétreault), Les quatre mousquetaires de Québec (Alexandre Dumas) et La petite histoire de la Loi sur laïcité de l'État... (Marie-Claude Girard). Quatre nouveaux livres à signer, à feuilleter, annoter, commenter même, si cela m'en dit, puis enfin, à conserver... en espérant qu'un jour un autre humain conscient de leur importance les acquière et leur fasse un second chez-soi. Avec un peu de soin, ils dureront des centaines d'années et seront encore là quand tous les écrans de 2023 auront été réduits en poussière.
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