Capture d'écran du Journal de Québec |
Ce qui reste de la presse quotidienne imprimée au Québec a mangé une nouvelle claque au début de février 2023 avec l'abandon de l'imprimerie du Journal de Québec située dans le secteur Vanier de la Vieille capitale. Québecor a ainsi «remercié» l'équipe des pressiers, dans tous les sens du mot... Le fait de les avoir remercié «chaleureusement» ne change sans doute pas grand chose à la douleur ressentie par cette équipe chevronnée qui, depuis un demi-siècle, oeuvrait en pleine nuit pour que leur quotidien tombe entre les mains de ses fidèles lecteurs aux petites heures du matin.
Ils seront bien sûr remplacés par d'autres pressiers tant que le papier survivra, mais la nouvelle imprimerie plus moderne est située à Mirabel. Mauvaise nouvelle pour un quotidien du matin comme le Journal de Québec qui devra faire son deuil des nouvelles de fin de soirée (notamment les sports) parce les camions transportant les journaux, plutôt que de partir de Québec même, devront rouler des heures sur les autoroutes pour transporter leur cargaison aux points de livraison.
Le cercle vicieux qui a tué les anciens journaux papier de Power/Gesca est désormais activé au sein du groupe Québecor. Récemment, on avait guillotiné l'édition du dimanche du Journal de Montréal et du Journal de Québec. Avec les nouvelles heures de tombée plus hâtives, la qualité du produit souffrira. Et l'effet ricochet se fera même sentir au journal Le Devoir, qui devra lui aussi devancer ses heures de tombée parce qu'il a recours à la même imprimerie de Mirabel... qui ne peut évidemment tout faire en même temps. Mais ce n'est que le début...
Les barons de la presse et leurs empires, en bons capitalistes, tiennent davantage à l'encre noire dans leur bilan financier qu'à l'encre noire et multicolore de leurs journaux. La qualité du produit et le sort des artisans qui le façonnent passeront toujours après les marges de profit. Ainsi va l'économie. Ils continueront à faire de l'information et à imprimer leurs quotidiens tant que ce sera suffisamment payant. Et l'importance de leur rôle comme outil essentiel de la démocratie? Et la valeur de tous ces employés qui se sont dévoués pendant si longtemps? On vous regardera avec un drôle d'air... quelle naïveté, pensera-t-on...
Cela me rappelle le sort réservé aux pressiers et typographes de mon ancien journal, Le Droit, à la fin de 1989. Jour triste s'il en fut. L'agonie des typographes durait déjà depuis près de 20 ans. L'arrivée des ordinateurs avait d'abord transformé leur métier, puis signifié son arrêt de mort quand les technologies ont finalement permis aux journalistes de monter eux-mêmes les pages à l'écran et les expédier directement aux presses sans passer par le vieil atelier de composition. Ces virages technologiques aboutissaient dans les années 1980, au moment où Le Droit passait de journal indépendant à serviteur enchaîné d'empires médiatiques, notamment celui du fourbe Conrad Black (Hollinger), signal du démantèlement de l'entreprise qui, quelques années plus tôt, avait sous son toit quelque 400 employés.
Mais revenons à décembre 1989. La fermeture de l'atelier et des presses devait avoir lieu dans la nuit du 29 au 30 décembre avec la production et l'impression du dernier journal de l'année (samedi 30 décembre 1989). En même temps, la salle des nouvelles et les bureaux administratifs quitteraient le grand édifice inauguré en 1955 sur la rue Rideau, à Ottawa, pour occuper des espaces locatifs beaucoup plus petits dans le quartier du Marché By. Le journal irait pour sa part sous presse à une imprimerie hulloise achetée par les propriétaires du Droit. Le vendredi 29 décembre devait donc être l'ultime journée de travail des journalistes, des employés d'atelier et des pressiers (nuit du 29 au 30) dans la vieille bâtisse. Une journée mémorable, un souvenir que tous conserveraient précieusement.
Mais voilà que le vendredi matin, nous apprenions par surprise (j'étais adjoint au rédacteur en chef et je n'étais pas au courant!!!) que le déménagement était immédiat - comme, hé les journalistes, faites vos valises et déguerpissez - et que la fermeture de l'atelier et des presses était chose faite. Les typographes déjà au travail ne feraient pas le montage du Droit de samedi et les pressiers n'imprimeraient pas leur dernier journal. Ce fut d'abord l'incrédulité, puis la colère, puis la résignation. Des journalistes ont traîné longtemps dans la vieille salle de rédaction avant de se rendre aux nouveaux locaux. Certains, comme moi, ont passé quelques heures à l'atelier de composition pour faire nos adieux à des collègues que nous avions côtoyé pendant des décennies. La désolation se lisait sur les visages (les nôtres et les leurs) et dans les yeux humides de vieux employés privés sans pitié d'un ultime exercice collectif de leur expertise. En début d'après-midi, j'ai reçu l'ordre de «sacrer mon camp» de là et d'intégrer les nouveaux bureaux...
Dans l'édition du lendemain, les textes publiés sur les événements de la veille ne faisaient aucun état de la façon dont on avait traité plus d'une centaine d'employés qui avaient assuré le montage et l'impression du journal pendant si longtemps. Le merci qu'on leur offrait à la une était au mieux doux-amer. Les gens «avaient hâte» de déménager, écrivait-on avec une pincée de désinformation. Comme toujours, les empires de presse livrent le même message que je ne crois plus: que ces mesures de «redressement» visent à assurer la survie à long terme du quotidien. On assiste depuis un demi-siècle à une érosion de la presse écrite et chaque dégringolade est présentée comme un progrès et un gage de pérennité. Et certains y croient toujours, même dans les salles de rédaction...
Tout ça pour pour dire que je salue les braves pressiers du Journal de Québec, qui ont exercé pendant de longues années un métier essentiel et qui se retrouvent aujourd'hui victimes d'on ne sait trop quoi... Le 29 décembre 1989 au quotidien Le Droit aura été l'une des journées les plus tristes de ma vie professionnelle. Je me souviens toujours de mon incrédulité, je me souviens toujours de ma colère. Ma résignation? Non... Ça, connais pas...
À gauche, Le Droit du 29 décembre 1989... |
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