mercredi 28 novembre 2018

Peut-on espérer un débat informé sur le port des signes religieux?

J'ai souvent exprimé l'opinion que l'interdiction de signes religieux ostentatoires au service de l'État constituait une limitation légitime et justifiable de la liberté de religion. Mais au-delà du principe, je trouve qu'on oublie trop souvent que tout droit ou liberté s'accompagne de devoirs et de responsabilités. Le droit de vote s'accompagne du devoir d'aller voter. Et la liberté de religion s'accompagne du devoir de l'exercer sans brimer la liberté des autres, et ce, dans le respect des lois (à condition que ces lois soient légitimes et adoptées dans un cadre démocratique).

Les personnes qui représentent l'État, c'est-à-dire l'ensemble de la collectivité, et dont le salaire est payé à même les deniers publics, n'ont pas que des droits. Elles ont aussi certaines responsabilités découlant du fait qu'elles incarnent, dans leurs fonctions, l'ensemble des citoyens et l'autorité gouvernementale. Le citoyen qui veut faire son épicerie peut choisir son commerce en fonction de ses goûts et préférences. Mais s'il veut obtenir un service de l'État ou s'il doit communiquer avec un représentant de l'autorité publique, ce libre choix n'existe plus.

Quand je vais à l'hôpital pour un soin, quand je me présente à un bureau régional d'un ministère, quand je dois m'adresser à un policier, quand je rencontre le directeur d'une école ou un enseignant, je n'ai plus le choix que j'aurais à l'épicerie. La personne que je rencontre est investie d'une autorité que je dois accepter et que lui confèrent nos lois, et son salaire est payé par les taxes et impôts de tous les citoyens. J'ai par contre le droit d'exiger que cette autorité soit exercée de façon à démontrer l'ouverture de l'État à tous les citoyens, peu importe leurs convictions politiques, sociales ou religieuses.

Si je dois traiter avec Monsieur Untel ou Madame Unetelle pour régler un problème relevant de l'État, je le fais, c'est mon obligation. Mais j'ai le droit d'exiger que cette personne, vu l'autorité qu'elle exerce sur moi au nom de l'État, ne m'impose pas ses propres opinions ou convictions personnelles, tant par ses paroles, ses gestes que par les signes «ostentatoires» qu'elle porte. Qu'elle soit à l'image de l'État. J'ai le droit d'exiger que l'État neutre (sur le plan religieux) en ait aussi l'apparence.

Et à ces personnes qui tiennent mordicus, pour toutes sortes de motifs, à afficher leurs croyances dans leur tenue vestimentaire, je tiens d'abord à leur dire que je crois qu'elles font erreur. La véritable expression d'une foi est dans le comportement et non dans les signes extérieurs qu'on arbore. Mais au-delà de cet élément du débat, je pose la question : est-ce trop demander à une personne qui représente l'État et qui se trouve au service d'un public varié, de toutes confessions, est-ce trop lui demander de laisser ses signes religieux à la maison? Non!

L'urgence...

En 2013, on a beaucoup parlé du projet de charte des valeurs du gouvernement Marois comme d'une solution à un problème inexistant, que les personnes touchées par l'interdiction de signes religieux ostentatoires sont peu nombreuses et que l'attitude de laissez-faire reste la meilleure. J'ai de la difficulté à comprendre la justification d'un tel argument, qui me semble dangereux même. C'est comme si on disait : ouais, on préférerait peut-être (ou pas), que telle ou telle personne ne porte pas de crucifix, de voile, de turban ou de kippa, mais il n'y en a que quelques centaines, éparpillées, et au fond ça ne change pas grand-chose. Le problème, s'il existe, finira par se régler tout seul.

L'enfer de l'histoire humaine est pavé de bonnes intentions. La séparation de l'Église et de l'État est un combat de libération qui dure depuis des siècles et des siècles. Et malheureusement, les humains ont trop souvent la mémoire courte et un sens très local de la géographie. Une étude des grands courants d'intégrisme religieux démontre les horreurs commises par les États au nom des différentes conceptions de Dieu. Des croisades à l'inquisition, des anciennes persécutions aux intégrismes contemporains, ce qui a toujours commencé par un « petit » problème est souvent devenu tragédie humaine.

On a l'impression, ici, vu nos traditions de liberté et de démocratie, que nous sommes à l'abri du sectarisme et de l'intégrisme. Peut-être. Mais il n'y a pas de tort à bétonner les constitutions et les lois fondamentales pour s'assurer que les relents des anciens intégrismes disparaissent et que les tentacules des nouveaux ne prennent pas racine ici. Et l'une des façons, c'est d'affirmer sans équivoque la neutralité religieuse de l'État - ainsi que de ses représentants.

Et à ceux qui pensent que la question est largement réglée sans légiférer, je dirais qu'au-delà du débat pertinent sur le voile, le kippa, le turban et le crucifix, nous n'avons pas fini le ménage de nos vieux symboles religieux toujours accrochés à nos murs et à nos lois. La Constitution canadienne de 1982 affirme dans sa première phrase « la suprématie de Dieu », plutôt que la suprématie du peuple. Or, Dieu, auquel je crois, me considérant catholique, est un concept auquel une proportion appréciable de la population ne croit pas et dont aucun juriste constitutionnel ne peut prouver l'existence...

Par ailleurs, notre constitution nous impose non la souveraineté du peuple, mais la souveraineté d'un monarque, Élizabeth Windsor, qui est aussi chef de l'Église anglicane et dont le trône est interdit par la loi britannique aux catholiques. Et on tolère ça...


samedi 24 novembre 2018

Rester en mode «résistance» !!!


La semaine dernière, le gouvernement de Doug Ford a asséné un double coup de matraque aux Franco-Ontariens en abolissant à la fois le Commissariat aux services en français et l'embryon de campus universitaire de langue française à Toronto (mal nommé Université de l'Ontario français). Dans les jours suivants, la francophonie ontarienne a encaissé deux autres crochets sournois de la FordNation: le retrait de la subvention annuelle à La nouvelle scène (un centre de théâtre francophone à Ottawa) et la suppression de trois magazines éducatifs en français pour enfants du primaire (financés avec des fonds fédéraux!).

Branle-bas de combat! Les médias québécois et canadiens sont à l'écoute cette fois, et l'indignation générale nourrit les appels à la résistance active lancés par les organismes franco-ontarien, l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario) en tête. Des manifestations sont prévues dans une quarantaine de localités ontariennes le 1er décembre et le ton monte dans les médias sociaux... Tiens tiens... on aurait dit que l'ineffable M. Ford ne l'avait pas vu venir, ce mouvement de révolte... Mais à Queen's Park, les gouvernements retombent vite sur leurs pieds. On revient alors aux vieilles techniques éprouvées et efficaces: après le coup de massue, offrir quelques sucreries et des lueurs d'espoir, juste assez pour désamorcer les franges plus molles de la résistance...

Alors que fait Ford? Il rétablit le ministère des Affaires francophones, qu'il avait aboli juste après l'élection. Et c'est tout... Rétablit-il le Commissariat aux services en français? Non. Remet-il sur les rails ce qui restait du grand projet d'Université de l'Ontario français? Non. Redonne-t-il la subvention de 2,9 millions $ à La nouvelle scène? Non. Permet-il de poursuivre la publication des trois magazines scolaires en français? Non. Et pourtant le grand titre du quotidien Le Droit, le lendemain, se lit comme suit: «Une ouverture saluée». Après avoir écouté en direct la conférence de presse de Guy Jolin, président de l'AFO, vendredi soir, c'est ce que je craignais le plus. Par le ton et le contenu, il ouvrait la porte à un «spin» médiatique qui favorise une baisse de régime et risque d'affaiblir la résistance.

Tout le monde évoque aujourd'hui un «recul partiel» de Doug Ford, alors qu'il n'a reculé sur aucune des suppressions annoncées depuis le «jeudi noir» (15 novembre 2018). La situation du projet d'université, le plus important sur le plan financier, est proprement catastrophique. Ford affirme exactement ce que le gouvernement Wynne avait répété pendant des années: il y aura une université franco-ontarienne quand les finances le permettront. Et quand finalement les libéraux ont annoncé la création de l'Université, ce n'était pas du tout le grand plan d'une gouvernance franco-ontarienne sur l'ensemble de l'offre universitaire en français (incluant l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne), mais un tout petit campus dans la région de Toronto... qu'on a à tort appelé Université de l'Ontario français.

Mais au moins pourra-t-on dire qu'il s'agissait d'«un pied dans la porte», un petit tremplin permettant d'élargir l'institution au fil des ans. Pas énorme, mais quelque chose quand même. Et Doug Ford l'a supprimée, revenant au langage de 2015 des libéraux et de Madeleine Meilleur, quand on plaçait les finances publiques au-dessus de l'urgence de compléter la pyramide scolaire des Franco-Ontariens. Personne, ni les libéraux, ni les conservateurs, ni les néo-démocrates, n'ont reconnu que les gouvernements successifs à Queen's Park depuis plus d'un siècle avaient volé aux Franco-Ontariens des milliards $ en les privant d'écoles et de services en français. L'université franco-ontarienne est une dette en souffrance, et il est plus que temps de payer! Ce rattachement du projet d'université à l'assainissement des finances de l'État, c'est de la bouillie pour les chats... et les Franco-Ontariens doivent le clamer haut et fort.

Les coupes annoncées par Doug Ford avaient rougi les braises, pour ne pas dire rallumé les flammes d'un mécontentement profond, issu d'injustices répétées et toujours lentes à corriger. Alimenté par milliers d'internautes sur Facebook et Twitter, le langage était au combat, le mot «résistance» et les poings levés dominant toute cette ébullition. Des appuis médiatiques importants, même du Québec et du Canada anglais, soufflaient sur les braises d'une révolte comme on n'en avait pas vue depuis SOS Montfort. L'espoir d'une participation importante aux 40 manifs prévues grandissait d'heure en heure. Et tout à coup, un communiqué de presse de Doug Ford pour amadouer les élites franco-ontariennes, qui a été salué comme un geste d'ouverture en dépit de l'absence de concessions relatives aux quatre coupes annoncées depuis le 15 novembre. Quel effet cette réaction aura-t-elle sur les militants en marche?

Il est encore temps de sauver la mise. Si l'AFO sent le besoin d'adoucir le ton pour protéger ses voies de communication avec le bureau de Doug Ford, d'autres doivent se relever et maintenir la pression. Le Regroupement étudiant franco-ontarien, grand initiateur de la campagne en faveur d'une université franco-ontarienne, et son allié la FESFO (étudiants du secondaire) sont tout indiqués pour fouetter les troupes au moment où elles en ont grand besoin. Et le débat doit continuer à s'alimenter à même les plus importantes pages Facebook de l'Ontario français (Fier d'être franco-ontarien, Je suis Franco-Ontarien, Franco-Ontariens du Nord de l'Ontario) qui comptent ensemble plus de 35 000 membres. Sur la page Facebook de l'AFO, où était diffusée en direct la conférence de presse de vendredi soir, les commentaires d'appui provenaient par centaines de tous les coins de l'Ontario, de Windsor à Hearst, d'Alfred à Thunder Bay. L'énergie était presque palpable.

Des occasions comme celle-ci sont rares. Très rares. Il y a eu le Règlement 17. Il y a eu Montfort. Et aujourd'hui, il y a les coupes francophobes de Doug Ford. Les astres sont parfaitement alignés Ce que feront les Franco-Ontariens dans les prochaines semaines en dira long sur l'avenir du fait français en Ontario et au Canada tout entier, y compris au Québec. 

Le mot clef demeure «résistance» !



vendredi 16 novembre 2018

L'Ontario français en mode «résistance»...

L'image utilisée par l'AFO aujourd'hui. Poings levés...

Les francophones de l'Ontario se sont butés, sans interruption depuis le début du 20e siècle, à une francophobie ouverte de la majorité anglo-ontarienne, voire au racisme de ses franges les plus hostiles. C'était le plus souvent dans le cadre de revendications de droits que Queen's Park persistait à ne pas consentir, ou à verser au compte-goutes, mais à trois reprises il est devenu nécessaire de résister à la suppression de droits acquis qu'on voulait leur arracher:

* en 1912, pour combattre le Règlement 17, qui interdisait l'enseignement en français à compter de la deuxième année du primaire;

* en 1997, pour s'opposer au projet de transformation des services de santé qui aurait signifié l'arrêt de mort de l'hôpital Montfort, seul hôpital universitaire de langue française en Ontario:

* et ce 15 novembre 2018, pour contrer l'abolition du Commissariat aux services en français et l'abandon du projet d'Université de l'Ontario français.

L'âpre lutte pour obtenir l'abrogation du Règlement 17 (1912-1927) et le combat pour sauver Montfort (1997-2001) comptent parmi les rares enjeux ayant rallié l'ensemble de la francophonie canadienne. Québécois, Acadiens, minorités canadiennes-françaises de l'Ouest, tous avaient fait front commun avec les Franco-Ontariens. Ce sont devenues de véritables causes nationales.

Dans de telles situations, il est rarement question de se limiter aux politesses et aux négociations. Pour défendre ses biens et les droits des siens, on descend dans la rue au besoin. On érige des barricades. On viole les lois illégitimes si aucune autre avenue n'est ouverte. Il n'est plus question de céder. Durant la première Guerre mondiale, des instituteurs et institutrices enseignaient illégalement en français dans des écoles tout aussi illégales. Des mères affrontaient les policiers et inspecteurs avec des épingles à chapeau. Pour Montfort, 10 000 personnes ont participé à une manifestation historique et si le gouvernement Harris avait tenté de fermer de force l'hôpital, il aurait été obligé d'en déloger par la force des défenseurs barricadés.

La décision du gouvernement de Doug Ford d'abolir le Commissariat aux services en français et de tuer dans l'oeuf l'embryon d'université de langue française (dont un projet de loi a consacré l'existence officielle) a créé une situation qui rappelle celles du Règlement 17 et de SOS Montfort. Déjà, les cris d'indignation proviennent de partout en Ontario français, mais aussi du Québec, de l'Acadie et des francophones de l'Ouest canadien (et même du fédéral). En 24 heures, l'attaque brutale de Doug Ford contre les Franco-Ontariens est devenue une cause «nationale».

Les arguments économiques invoqués par la horde de Ford ne trompent personne. Mike Harris (un autre conservateur) avait invoqué des motifs similaires pour fermer l'hôpital Montfort il y a 20 ans. Cette fois-ci, cependant, les économies réalisées sont marginales, presque inexistantes. Il s'agit de mesures dont le principal objectif ne peut être que d'attaquer la francophonie ontarienne. Ce gouvernement avait déjà hissé son pavillon linguistique en refusant de participer, le mois dernier, au Sommet de la francophonie mondiale dont l'Ontario est membre. On aurait dû le voir venir...

La question, maintenant, est de savoir quelle forme prendra la riposte franco-ontarienne, québécoise, pan-canadienne. Le choix des mots apparaît ici important pour tenter de voir la suite des choses. Pour le moment, on n'évoque pas en priorité petites protestations, négociations, interventions médiatiques. Non, on parle déjà de «résistance». C'est un mot de combattant assiégé. Dans un courriel expédié aux membres et amis, l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario) affirme qu'elle «organise une résistance». La FARFO (aînés et retraités franco-ontariens) renchérit: «La résistance s'organisera dans les prochains jours» et fait état du «besoin de se mobiliser immédiatement et de prendre tous les moyens de défendre nos droits et nos institutions chèrement acquis». Croyez-moi, ce n'est pas le langage habituel de ces organisations...

Le gouvernement Legault a déjà annoncé son intention d'intervenir auprès de Doug Ford et la ministre Mélanie Joly est en beau fusil. Le maillon faible reste et restera toujours les médias. Les dossiers linguistiques franco-ontariens, même les plus importants, n'intéressent guère que les médias francophones qui couvrent, de près ou de loin, l'Ontario. Cette fois-ci sera-t-elle l'exception? Les grands quotidiens québécois ont publié la nouvelle à la une et même fait quelques suivis. C'est un début prometteur.

Dans la presse anglo-canadienne, pour les premières 24 heures ce fut le silence habituel, la question des droits des Franco-Ontariens ne l'intéressant tout simplement pas. Puis le Globe and Mail a publié un texte étoffé sur la controverse créée par la décision du gouvernement Ford. Après cette trouée, la Gazette de Montréal a dénoncé le gouvernement ontarien en éditorial. 

Si le Québec avait pris des mesures semblables contre sa minorité anglophone, la nouvelle aurait été placardée à la une de tous les médias de langue anglaise au Canada, et aurait sans doute eu des échos ailleurs dans le monde y compris aux Nations Unies... Mais s'agissant des droits des Franco-Ontariens, la presse de langue anglaise se fait le plus souvent discrète. En sera-t-il autrement cette fois? C'est à souhaiter.

Dans les jours qui viennent, on saura jusqu'à quel point cette «résistance» qui s'organise est sérieuse. Si elle l'est, Doug Ford s'apercevra peut-être qu'il est tombé dans un nid de guêpes. Mais c'est un gros «si»... Espérons que la mobilisation qui s'amorce ne s'essouffle pas, parce que le combat risque d'être long...

jeudi 15 novembre 2018

Pas de $$$ pour une université franco-ontarienne? QUOI???

Dernière heure... Le gouvernement de Doug Ford a justifié ainsi l'abolition du projet d'Université de l'Ontario français, déjà réduit à moins que son strict minimum par les libéraux de Kathleen Wynne: «De plus, un examen plus détaillé de la situation financière de la province a amené le gouvernement à annuler les plans de création d’une nouvelle université de langue française.» (cité par Ève Caron de Radio-Canada)

Voici le texte de blogue que j'avais mis en ligne le 14 juin 2015 quand l'ancienne ministre Madeleine Meilleur (libéral) affirmait que l'université franco-ontarienne verrait le jour seulement quand le budget ontarien le permettrait... C'était déjà scandaleux. C'est pire maintenant sous la «FordNation»...

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Pas d'argent pour une université franco-ontarienne? Quoi?

Qu'en 2015, le gouvernement ontarien n'ait toujours pas mis sur pied d'université de langue française constitue déjà une très grave injustice. Mais d'affirmer par l'entremise de sa ministre francophone Madeleine Meilleur, que telle université verra le jour seulement quand le budget le permettra? Ça, c'est proprement scandaleux!

L'Ontario a accumulé une énorme dette, plus que centenaire, envers les Franco-Ontariens. Une dette que la province est loin, très loin d'avoir remboursée. Une dette de justice, mais aussi une dette de $$$… Un retour sur le dernier siècle, depuis le Règlement 17, permet à quiconque veut fouiller de constater que les gouvernements Whitney et ses successeurs, jusqu'à l'époque contemporaine, ont privé d'argent les écoles de langue française... après les avoir carrément abolies pendant une quinzaine d'années (1912-1927).

Encore au début des années 1960, dans son livre Le scandale des écoles séparées en Ontario, Joseph Costisella avait fait état de la discrimination fiscale dont étaient victimes les écoles séparées, y compris celles de langue française. Sous-financement, répartition inéquitable des impôts des entreprises, taux d'imposition plus élevés pour de nombreuses entreprises francophones… combien de deniers publics ontariens que la justice aurait destinés aux écoles de langue française ont-ils été détournés vers les écoles anglaises… ou tout simplement ailleurs…

Et combien de millions de dollars, voire de milliards, Queen's Park a-t-il économisés aux dépens des Franco-Ontariens en attendant 100 ans pour leur octroyer un réseau adéquat d'écoles primaires et secondaires, et quelques décennies de plus pour quelques collèges communautaires? Et en les privant toujours d'un réseau universitaire de langue française? Combien de centaines de milliers d'Ontariens d'ascendance française sont-ils anglicisés aujourd'hui parce que systématiquement, les gouvernements ontariens leur ont refusé leurs droits scolaires et empoché l'argent?

Et on vient leur dire aujourd'hui, par la bouche d'une francophone par surcroit, qu'«il y aura une université franco-ontarienne quand les finances de l'Ontario le permettront?» Non mais quel genre de valeurs ce gouvernement (comme ceux qui l'ont précédé) véhicule-t-il? Il peut ainsi faire table rase du passé et mettre l'université de langue française tel un enjeu comme les autres, un enjeu qui - aux dires de Mme Meilleur - n'était même pas prioritaire en 2013 quand le Regroupement étudiant franco-ontarien avait déjà entrepris de mobiliser ses effectifs…

Cette université, les Franco-Ontariens y ont droit. Ce n'est pas qu'un vulgaire privilège offert en prime à la suite d'un théorique équilibre budgétaire en 2018… et c'est aussi bien plus qu'un petit campus ouvert éventuellement dans le sud-ouest ontarien (ce qui semble déjà devoir être une grosse concession du gouvernement ontarien…). L'université franco-ontarienne doit avoir son siège social là où sont la masse des étudiants francophones… et ça c'est à Ottawa, ainsi qu'à Sudbury.

Bien sûr ça va coûter cher. Allez voir ce que coûtent au trésor québécois les trois universités de langue anglaise, grassement soutenues depuis la Confédération! Et il faudrait attendre un budget équilibré en Ontario? Je n'en reviens tout simplement pas, et je ne comprends pas que les organismes franco-ontariens ne portent pas la lutte sur ce plan, au lieu de voir dans les «peut-être», les «si» et les «éventuellement» de Queen's Park des marques d'ouverture et des pas dans la bonne direction.

Toronto peut poser un geste tout de suite sans trop dépenser. Que Queen's Park donne son accord immédiat au principe de cette université et mandate sur-le-champ un groupe d'experts (il en a des tonnes à sa disposition) pour voir comment elle peut être créée sans délai (pas d'ici 2025…), en englobant dans sa juridiction tous les programmes de langue française existants, y compris ceux d'Ottawa, de Sudbury, de Hearst et de Toronto…

De quoi je me mêle, direz-vous? J'habite à Gatineau. Mais j'étais Franco-Ontarien, je le reste dans mes tripes, et je faisais partie d'un groupe qui a cherché sans succès, de 1968 à 1970, à franciser l'Université d'Ottawa alors que les francophones y étaient majoritaires. Je cite ici la conclusion du mémoire présenté en février 1970 par l'Assemblée provinciale des mouvements de jeunes de l'Ontario français (APMJOF), position appuyée dans un second mémoire par l'Association canadienne-française de l'Ontario: «Nous croyons que seul l'unilinguisme français à l'Université d'Ottawa rend justice aux francophones d'Ontario.»

Quarante-cinq années plus tard, il n'y a toujours aucune université autonome de langue française en Ontario et les francophones ne forment plus que 30% du corps étudiant à l'Université d'Ottawa… Mettez cette injustice là en dollars, ajoutez-la à toutes les autres depuis 1867, et dites-moi ce que ça donne… Sans doute mieux qu'un «peut-être si jamais on équilibre notre budget»…

Misère!

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mardi 13 novembre 2018

Se «plier à la langue anglaise par gentillesse et par politesse»...

Image McGill reproduite dans Le Droit

Ce matin, 13 novemdre 2018, dans Le Droit, des organismes franco-ontariens évoquaient certains comportements qui mettent le français en péril: par exemple, «tenir pour acquis les services en français et plier à la langue anglaise par gentillesse et par politesse». «Pour anéantir l’Ontario français, disent-ils, il faut continuer à faire ces choses-là.»

Leur message mériterait d'être diffusé sur la rive nord de l'Outaouais, dans ce Québec pourtant à forte majorité francophone. Militer à Gatineau (à Montréal aussi, j'imagine) pour la promotion du français est souvent vu avec suspicion. L'oeuvre de fauteurs de trouble, sûrement... Ici, vous dira-t-on, presque tout est bilingue et on s'entend très bien avec nos compatriotes de langue anglaise... avec qui on communique plus souvent qu'autrement en anglais «par gentillesse et par politesse»... «Pour anéantir le Québec français, pourrait-on ajouter, à l'instar des Franco-Ontariens, il faut continuer à faire ces choses-là»...

Pour illustrer cette servilité envers la langue anglaise, on n'a guère besoin d'aller plus loin que le dossier de l'établissement d'une faculté satellite de médecine en Outaouais par l'Université McGill. Si quelques intervenants clés et les médias n'avaient pas protesté, la première cohorte en 2020 aurait été obligée de suivre tous les cours théoriques des 18 premiers mois en anglais seulement... A-t-on assisté à des manifs en faveur du français? A-t-on entendu des protestations d'associations étudiantes outrées? De groupes de médecins scandalisés? Non! Le message officiel, largement diffusé et accepté, c'était qu'on devait se taire et se compter chanceux d'être associé à la prestigieuse Université McGill. «Ça ou rien», avait déclaré l'ineffable députée (réélue) de Hull, Maryse Gaudreault.

Politesse, gentillesse... Plutôt une attitude de colonisé...

Après deux années de dénonciations par des organismes comme Impératif français, et par des lecteurs dans les pages d'opinion, après quantité d'éditoriaux du Droit et de textes de blogue, après (peut-être) quelques remords de conscience au sein du groupe de fossoyeurs du français, McGill en est venue à promettre - presque - de franciser la totalité de la formation théorique. Sera-t-on prêt pour 2020? Ça «devrait» aller, dit-on au conditionnel... Pas de garantie cependant...

Et alors que tout semblait se calmer dans ce dossier, voilà que Le Droit nous apprend que les cégépiens désireux de fréquenter cette faculté de médecine devront compléter une année préparatoire à McGill, en anglais... Ça on ne nous l'avait pas dit... Et ne venez pas me faire croire que les autorités de McGill n'en étaient pas conscients depuis l'annonce de septembre 2016... Peut-être parce que cette fois, l'université montréalaise n'a pas de solution de rechange, pas de Plan B... En anglais ou rien! A-t-on vu des manifs? Des protestations d'étudiants, de médecins? Non! Quelques organismes, toujours les mêmes, ont accusé McGill de mentir ou de manquer de transparence.

Les libéraux anglophiles ne sont plus au pouvoir, mais le nouveau gouvernement de la CAQ, au-delà de réaffirmer le droit d'étudier en français au Québec (!!!!!), n'a pas annoncé de démarches pour rappeler McGill à l'ordre. «C'est un enjeu sur lequel (le gouvernement) doit se pencher», a déclaré au Droit le ministre Mathieu Lacombe. Comme politesse et comme gentillesse, on ne peut imaginer mieux... Espérons que dans ce gant de velours se cache une main de fer... 

Pendant ce temps, sur la rive ontarienne, à l'Université d'Ottawa, les étudiants disposent d'une faculté de médecine de langue française. Ils n'ont pas à réussir une année préparatoire en anglais à Toronto ou ailleurs. Et si on tentait de leur imposer ce qu'on a tenté d'imposer aux francophones de l'Outaouais, il y aurait eu des manifs, des protestations d'associations étudiantes et autres, de groupes de médecins et d'enseignants, et peut-être même quelques taloches en provenance des responsables fédéraux en langues officielles... En Outaouais, c'est le calme plat...

Si jamais un jour on finit par se réveiller, il sera peut-être déjà trop tard... On aura anéanti le Québec français à coups de politesse et de gentillesse... 















lundi 5 novembre 2018

2,7 millions de francophones hors Québec, près de 4 millions d'anglophones au Québec? Ben voyons...

Photo La Presse

«Comment réagiriez-vous si les organismes anglo-québécois, à l'appui de leurs demandes, affirmaient que le Québec comptait près de 4 000 000 d'anglophones sur une population de 8 000 000, soit 49% de la population?» 

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La controverse entourant les propos de Denise Bombardier sur la soi-disant agonie de la francophonie hors Québec a donné lieu à des guerres de chiffres fantaisistes qu'aucun journaliste ne semble avoir pris le temps de scruter et de démêler en s'appuyant sur les données incontestables du recensement fédéral de 2016.

Pour fouiller les recensements en ligne correctement, il faut passer d'un tableau à l'autre, plume ou ordi à la main, puis retranscrire les colonnes de chiffres sur les langues officielles, sur la langue maternelle, ainsi que la langue d'usage (langue la plus souvent parlée à la maison). On fait des additions, des soustractions, des divisions, des pourcentages et voilà! on a devant soi un portrait plus clair d'une forêt auparavant obscurcie par un excès d'arbres...

Ce qui me chicote le plus dans toute cette affaire, c'est ce chiffre de 2,7 millions de francophones hors Québec que brandissent des organismes et des personnes qui devraient savoir mieux ou qui devraient avoir été mieux informés, y compris la Fédération des communautés francophones et acadienne, Dany Turcotte de Tout le monde en parle et ces journalistes qui retransmettent ce total sans se donner la peine d'en faire connaître la portée.

Alors mettons les points sur les «i» et cessons d'affirmer des faussetés dans un débat qui, plus que bien d'autres, mérite qu'on dépeigne les collectivités en cause avec une précision chirurgicale. Commençons par le commencement: il n'y a pas 2,7 millions de francophones hors Québec! Il n'y en a jamais eu, et il n'y en aura jamais si, comme dirait Bernard Derome, la tendance continue...

Si l'on avait lancé que 2,7 millions de Canadiens hors Québec ont une connaissance adéquate de la langue française, ce serait déjà mieux. Ce 2,7 millions est formé de deux catégories de répondants dans la rubrique «connaissance des langues officielles» du recensement: ceux qui connaissent le français seulement (112 045) et ceux qui disent connaître l'anglais et le français (2 629 655). Cela donne un total de 2 741 700 personnes pouvant s'exprimer en français dans les neuf provinces et trois territoires où les francophones sont minoritaires.

Le hic, c'est que ces 2,7 millions ne sont pas tous francophones. Loin, loin de là. L'immense majorité sont des anglophones qui ont appris le français, mais qui restent tout de même des anglophones. L'anglais est leur langue maternelle, leur principale langue d'usage. Leur utilisation du français, pour la plupart, est probablement marginale. Compter ces gens-là comme francophones n'a aucun sens. Pour un journaliste professionnel, c'est même une faute grave.

Le mot «francophone» doit avoir un sens. Ce peut être la langue maternelle, la langue à laquelle on s'identifie, la langue qu'on utilise le plus souvent dans la vie. Et le recensement 2016 nous renseigne là-dessus. Il y a, hors Québec, 947 045 personnes ayant coché la case «français» comme langue maternelle, ou encore 568 145 qui affirment parler le français le plus souvent à la maison. C'est ça, essentiellement, la francophonie hors Québec: près d'un million d'habitants ayant le français comme langue maternelle, ou moins de 600 000 avec le français comme langue d'usage.

Ce déficit entre la langue maternelle (947 045) et la langue d'usage (568 145) constitue un bon indicateur du taux d'anglicisation des minorités canadiennes-françaises et acadiennes au Canada. Un peu moins de 60% des personnes de langue maternelle française utilisent principalement le français au foyer... C'est plus de 40% des effectifs francophones en voie d'assimilation, un 40% dont l'essentiel de la prochaine génération comptera un nombre fortement accru d'unilingues anglais.

Comment réagiriez-vous si les organismes anglo-québécois, à l'appui de leurs demandes, affirmaient que le Québec comptait près de 4 000 000 d'anglophones sur une population de 8 000 000, soit 49% de la population? Pourtant on arrive à ce total en utilisant la méthode utilisée ci-haut pour gonfler les effectifs de la francophonie hors Québec à 2,7 millions. Il y a au Québec, dans la rubrique langues officielles du recensement 2016, 372 445 unilingues anglophones et 3 586 855 personnes connaissant l'anglais et le français. Évidemment une majorité appréciable du 3 millions et demie de bilingues sont des francophones qui connaissent aussi l'anglais. Va-t-on pour autant les compter comme des anglophones? Bien sûr que non!

Ce n'est pourtant pas difficile à comprendre, non? En tout cas, les politiciens, les journalistes, les dirigeants d'organismes francophones et anglophones, ainsi que les chercheurs qui alimentent les animateurs d'émissions comme TLMEP, n'ont pas d'excuses. S'ils peuvent commettre une aussi grosse faute sans cligner de l'oeil, je m'inquiète...