J'ai souvent
exprimé l'opinion que l'interdiction de signes religieux ostentatoires au
service de l'État constituait une limitation légitime et justifiable de la
liberté de religion. Mais au-delà du principe, je trouve qu'on oublie trop
souvent que tout droit ou liberté s'accompagne de devoirs et de
responsabilités. Le droit de vote s'accompagne du devoir d'aller voter. Et la
liberté de religion s'accompagne du devoir de l'exercer sans brimer la liberté
des autres, et ce, dans le respect des lois (à condition que ces lois soient
légitimes et adoptées dans un cadre démocratique).
Les personnes qui représentent l'État, c'est-à-dire l'ensemble de la collectivité, et dont le salaire est payé à même les deniers publics, n'ont pas que des droits. Elles ont aussi certaines responsabilités découlant du fait qu'elles incarnent, dans leurs fonctions, l'ensemble des citoyens et l'autorité gouvernementale. Le citoyen qui veut faire son épicerie peut choisir son commerce en fonction de ses goûts et préférences. Mais s'il veut obtenir un service de l'État ou s'il doit communiquer avec un représentant de l'autorité publique, ce libre choix n'existe plus.
Quand je vais à l'hôpital pour un soin, quand je me présente à un bureau régional d'un ministère, quand je dois m'adresser à un policier, quand je rencontre le directeur d'une école ou un enseignant, je n'ai plus le choix que j'aurais à l'épicerie. La personne que je rencontre est investie d'une autorité que je dois accepter et que lui confèrent nos lois, et son salaire est payé par les taxes et impôts de tous les citoyens. J'ai par contre le droit d'exiger que cette autorité soit exercée de façon à démontrer l'ouverture de l'État à tous les citoyens, peu importe leurs convictions politiques, sociales ou religieuses.
Si je dois traiter avec Monsieur Untel ou Madame Unetelle pour régler un problème relevant de l'État, je le fais, c'est mon obligation. Mais j'ai le droit d'exiger que cette personne, vu l'autorité qu'elle exerce sur moi au nom de l'État, ne m'impose pas ses propres opinions ou convictions personnelles, tant par ses paroles, ses gestes que par les signes «ostentatoires» qu'elle porte. Qu'elle soit à l'image de l'État. J'ai le droit d'exiger que l'État neutre (sur le plan religieux) en ait aussi l'apparence.
Et à ces personnes qui tiennent mordicus, pour toutes sortes de motifs, à afficher leurs croyances dans leur tenue vestimentaire, je tiens d'abord à leur dire que je crois qu'elles font erreur. La véritable expression d'une foi est dans le comportement et non dans les signes extérieurs qu'on arbore. Mais au-delà de cet élément du débat, je pose la question : est-ce trop demander à une personne qui représente l'État et qui se trouve au service d'un public varié, de toutes confessions, est-ce trop lui demander de laisser ses signes religieux à la maison? Non!
L'urgence...
En 2013, on a beaucoup parlé du projet de charte des valeurs du gouvernement Marois comme d'une solution à un problème inexistant, que les personnes touchées par l'interdiction de signes religieux ostentatoires sont peu nombreuses et que l'attitude de laissez-faire reste la meilleure. J'ai de la difficulté à comprendre la justification d'un tel argument, qui me semble dangereux même. C'est comme si on disait : ouais, on préférerait peut-être (ou pas), que telle ou telle personne ne porte pas de crucifix, de voile, de turban ou de kippa, mais il n'y en a que quelques centaines, éparpillées, et au fond ça ne change pas grand-chose. Le problème, s'il existe, finira par se régler tout seul.
L'enfer de l'histoire humaine est pavé de bonnes intentions. La séparation de l'Église et de l'État est un combat de libération qui dure depuis des siècles et des siècles. Et malheureusement, les humains ont trop souvent la mémoire courte et un sens très local de la géographie. Une étude des grands courants d'intégrisme religieux démontre les horreurs commises par les États au nom des différentes conceptions de Dieu. Des croisades à l'inquisition, des anciennes persécutions aux intégrismes contemporains, ce qui a toujours commencé par un « petit » problème est souvent devenu tragédie humaine.
On a l'impression, ici, vu nos traditions de liberté et de démocratie, que nous sommes à l'abri du sectarisme et de l'intégrisme. Peut-être. Mais il n'y a pas de tort à bétonner les constitutions et les lois fondamentales pour s'assurer que les relents des anciens intégrismes disparaissent et que les tentacules des nouveaux ne prennent pas racine ici. Et l'une des façons, c'est d'affirmer sans équivoque la neutralité religieuse de l'État - ainsi que de ses représentants.
Et à ceux qui pensent que la question est largement réglée sans légiférer, je dirais qu'au-delà du débat pertinent sur le voile, le kippa, le turban et le crucifix, nous n'avons pas fini le ménage de nos vieux symboles religieux toujours accrochés à nos murs et à nos lois. La Constitution canadienne de 1982 affirme dans sa première phrase « la suprématie de Dieu », plutôt que la suprématie du peuple. Or, Dieu, auquel je crois, me considérant catholique, est un concept auquel une proportion appréciable de la population ne croit pas et dont aucun juriste constitutionnel ne peut prouver l'existence...
Par ailleurs, notre constitution nous impose non la souveraineté du peuple, mais la souveraineté d'un monarque, Élizabeth Windsor, qui est aussi chef de l'Église anglicane et dont le trône est interdit par la loi britannique aux catholiques. Et on tolère ça...