Le Bloc québécois a sans doute surpris bien du monde, cette semaine, en démontrant hors de tout doute qu'environ 95% des fonds «linguistiques» dépensés au Québec par Ottawa servent au renforcement de la langue anglaise. Moi aussi, j'ai été surpris. Je croyais que c'était 100%... De fait, j'aimerais bien savoir d'où vient ce maigrelet 5% consacré à la langue française et à quoi sert cette injection pour le moins parcimonieuse...
Au cours des cinq prochaines années, donc, le gouvernement fédéral dépensera quelque quatre milliards de dollars dans le cadre de son Plan d'action pour les langues officielles, et plus de 800 millions de ces beaux billets du Dominion auront comme destination le Québec. Faudrait plutôt écrire la «Province of Kwibek» pour 760 de ces millions... parce que c'est de cette manière que le système est conçu. Ceux et celles qui s'étonnent que les choses soient ainsi ne se sont jamais donné la peine de passer les Comptes publics du Canada au peigne fin et pire, ne comprennent pas comment cette fédération anglo-dominante fonctionne.
Les anglophones forment 75% de la population canadienne et nous, 20% et quelques poussières. Ils décident, pas nous. Et leur majorité qui s'accroît d'année en année fait sentir sa présence et sa force dans toutes les provinces y compris le Québec. Les Anglo-Québécois n'ont jamais été une minorité, du moins pas au sens propre du terme. Même les Nations Unies reconnaissent que le million d'anglos au Québec fait d'abord et avant tout partie de la majorité anglophone du Canada.
La Révolution tranquille des années 1960 et la montée d'un nationalisme québécois à tendance indépendantiste avait changé un peu la donne. Brièvement. Fort de la crainte que semblaient inspirer les séparatistes québécois dans le reste du pays, le trio Marchand-Trudeau-Pelletier s'est amené à Ottawa en 1965, chevauchant leurs licornes, convaincus de pouvoir transformer le Canada en pays plusse-bilingue-qu'avant. On appelait ça (toux discrète) le French Power. Élu premier ministre en 1968, vu au Canada anglais comme celui qui mettrait le Québec à sa place (ils avaient bien raison), Pierre Elliott n'a pas perdu de temps et l'année suivante, en 1969, brandissait un élément clé de sa solution: la Loi sur les langues officielles.
C'est dans cette loi qu'on a inventé la minorité anglo-québécoise et, du même coup, cette fiction voulant qu'il existe une certaine symétrie, pour ne pas dire une symétrie certaine, entre les collectivités franco-canadiennes minoritaires et les Rhodésiens du West Island. À Montréal comme à Sherbrooke comme à New Carlisle, les Anglo-Québécois se comportaient comme s'ils avaient été à Toronto ou Winnipeg. Demandez à Michael Rousseau, le PDG d'Air Canada. Il vous le dira. Pendant ce temps, en 1969, les Acadiens et les Canadiens français des autres provinces n'étaient même pas autorisés à administrer leurs rares écoles de langue française. Mais dans la Loi sur les langues officielles, l'unilingue anglais de Westmount et le Franco-Manitobain bardassé de Saint-Boniface, c'est du pareil au même.
Dans les années 1980, quand on a modifié la loi fédérale des langues officielles, Ottawa a commencé à dépenser des millions puis des milliards pour faire la promotion de la langue des minorités - le français dans les provinces anglophones, l'anglais au Québec. Voilà justement ce que personne ne semble comprendre, comme si les chiffres rendus publics par le Bloc québécois avaient été sortis par magie d'un chapeau quelconque. La Loi sur les langues officielles oblige Ottawa à dépenser tous ces sous au Québec pour protéger et promouvoir la langue de la soi-disant minorité: l'anglais. La majorité anglo-canadienne est morte de rire. Les millions d'Ottawa ne font absolument rien pour enrayer l'assimilation des Acadiens et Franco-Canadiens, et servent du même coup à épauler au Québec la langue majoritaire du Canada, celle qui menace depuis toujours (et de plus en plus) la pérennité du français jusque dans son foyer national !
Mais là, depuis quelques années, il y a quelques grains de sable dans l'engrenage. Ce qui aurait dû apparaître évident depuis toujours l'est effectivement devenu, même aux yeux des plus sceptiques: les Anglo-Québécois et les Franco-Canadiens, c'est vraiment, mais vraiment pas pareil! Cette prise de conscience vient torpiller au coeur les principes mêmes d'une loi fédérale qui voit dans les minorités linguistiques «des maisons toutes pareilles» comme diraient nos chers Cowboys. D'autres grains de sable ont fait grincer le mécanisme des langues officielles quand Ottawa, sous le règne de Mélanie Joly, a reconnu que le français est la seule langue minoritaire du pays et que celle-ci est en déclin même au Québec. Et on a inscrit ce constat dans la nouvelle version de la Loi adoptée cette année (2023). Là, diraient les astronautes à Houston, on a un problème!
Si le fédéral reconnaît que le français est menacé au Québec et que l'anglais n'est pas une langue minoritaire au pays, le chapitre (inchangé) de la Loi qui réserve l'octroi de fonds à la seule promotion de l'anglais au Québec n'a plus de sens. Du moment qu'Ottawa reconnaît officiellement le statut de plus en plus précaire de la langue française au Québec, le fédéral a l'obligation morale et légale d'agir en conséquence, de protéger le français qui en a besoin au Québec, et non la langue de la Canadian majority qui se porte merveilleusement bien à Montréal, Laval, en Gaspésie, en Estrie, en Outaouais et ailleurs.
Mais voilà. Dans son plan d'action pour les langues officielles, Ottawa n'a rien prévu pour la protection et la promotion du français au Québec. Ça n'a pas de sens mais c'est comme ça. Depuis toujours. N'oubliez jamais. Ottawa, c'est l'outil de la majorité anglo-canadienne. Nous n'y exerçons aucun pouvoir décisionnel. Alors le Canada anglais protégera les siens partout, même dans le grand bassin du Saint-Laurent. Il en a le pouvoir, et ce pouvoir il l'exerce... en nous imposant sa Constitution de 1982, en bricolant sa Loi sur les langues officielles, en nommant ses propres juges dans toutes nos cours supérieures y compris à la Cour suprême, et en fourrant ses dollars dans les poches d'anglos qui contestent la Loi 101, la Loi 96 et la Loi 21 sur la laïcité de l'État québécois.
Les chiffres dévoilés par le Bloc québécois témoignent de notre impuissance devant un système qui contribue au dépérissement de notre langue et de notre culture. À 20% de la population du Canada, nous n'avons pas la capacité juridique de modifier la destination d'un seul des 760 millions de dollars qui serviront, d'ici 2028, à protéger et à renforcer l'anglais au Québec. Il n'y a qu'une façon de mettre fin à un tel régime...