jeudi 26 octobre 2017

Ce 25 octobre 2017, le Canada anglais a administré une taloche au Canada français...

Ce mercredi, 25 octobre 2017, à l'occasion du vote sur le projet de loi néo-démocrate exigeant le bilinguisme des juges à la Cour suprême, un événement plutôt rare (rarissime, même?) s'est produit. Dans le brouillard partisan de la Chambre des communes, à Ottawa, le Canada anglais s'est dressé en bloc, d'un océan à l'autre, pour administrer une taloche à l'écho ressurgi de l'ancien Canada français...

On a beau dire que le Québec s'est séparé, en quelque sorte, de l'identité franco-canadienne depuis les années 1960, certains événements - le plus souvent une menace à la langue française - provoquent une espèce d'union sacrée entre fédéralistes et indépendantistes, et même entre francophones hors-Québec et leurs cousins du foyer national québécois.

Ce fut le cas au tournant du millénaire avec la lutte pour protéger le seul centre hospitalier universitaire de langue française de l'Ontario, l'hôpital Montfort. Et maintenant, c'est le débat sur l'exigence du français à la Cour suprême qui fait oeuvre de ciment au sein de la francophonie canadienne et québécoise et, par effet miroir, au sein de la «nation?» anglo-canadienne, plus souvent qu'autrement réfractaire aux mesures de protection du français...

À l'occasion du vote de mercredi aux Communes, on a donc retrouvé coude à coude des députés néo-démocrates, bloquistes, libéraux et conservateurs - unis de façon ponctuelle pour défendre ce qui aurait dû apparaître comme une évidence à tout francophone de ce pays:  le droit de se faire comprendre en français, sans interprète, par tous les juges du plus haut tribunal du Canada.

La pression était moins forte pour les dépurés néo-démocrates (c'était leur projet de loi) et les élus du Bloc québécois, mais en dépit du vote «libre», il fallait que la cause ait de l'importance pour que 26 libéraux et conservateurs (dont 19 du Québec) défient ouvertement leurs chefs, Justin Trudeau et Andrew Scheer, qui ont voté contre le projet de loi...

Et que dire du courage politique des sept députés libéraux et conservateurs de régions très, très anglophones du Canada qui se sont levés pour appuyer le bilinguisme des juges de la Cour suprême...

Cependant, pour l'immense majorité de la députation anglo-canadienne du Parti libéral et du Parti conservateur, il semble que cette mesure soit jugée excessive - une attitude rébarbative mais compréhensible dans une société où 90% des gens ne connaissent pas le français et où la plupart restent et resteront unilingues anglais... pendant que le Québec se «bilinguise» à vue d'oeil...

Ce qui frappe le plus dans cette affaire, c'est le demi-tour spectaculaire des libéraux, qui avaient appuyé le même projet de loi en 2010 et qui, cette fois, assurent sa perte... Pire, la majorité des députés libéraux du Québec - y compris Mélanie Joly, responsable des langues officielles !!! - se sont opposés à l'adoption du projet de loi. C'est proprement scandaleux. Cinq élus conservateurs du Québec, dont Maxime Bernier, ont également voté contre...

Le résultat, c'est qu'encore une fois, le Québec se retrouve isolé, seule province accordant un appui majoritaire à l'exigence du français pour les juges de la Cour suprême... Ailleurs au Canada, à peine 28 députés, la plupart néo-démocrates, ont reconnu notre droit d'être compris dans notre langue devant la plus haute instance juridique du pays...

Au total, dans les provinces de l'Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba, du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince Édouard, de la Nouvelle-Écosse, de Terre-Neuve et des trois territoires, à peine sept députés ont «osé» soutenir le bilinguisme des magistrats de la Cour suprême... En Ontario, la province voisine, c'est 93 «non» contre 13 «oui»... C'est le mieux qu'on puisse espérer hors Québec...

En Acadie, l'ancien député néo-démocrate Yvon Godin doit fulminer, son successeur dans Acadie-Bathurst, Serge Cormier, s'étant opposé au projet de loi. Quelques autres élus francophones hors-Québec auront eux aussi des comptes à rendre auprès de leurs électeurs et électrices pour avoir voté contre ce projet de loi...

Enfin, peut-être ne devrait-on pas se surprendre de ce résultat... On savait qui étaient les amis de la langue française au Québec et au Canada... On le sait un tout petit peu mieux après ce vote historique à la Chambre des communes...







vendredi 20 octobre 2017

Quand on confond neutralité religieuse, laïcité et sécurité publique...

Quand on ne sait même pas faire la distinction entre neutralité religieuse, laïcité et sécurité, ça donne la nouvelle Loi 62... avec les conséquences prévisibles...

Face à des enjeux pourtant clairs, le gouvernement Couillard a fignolé un plat législatif aussi embrouillé qu'indigeste, et qui se butera fort probablement à des tribunaux hostiles...

Pour le moment, c'est la loi? Non, même là on n'a aucune certitude! La ministre Stéphanie Vallée a indiqué aux villes et municipalités qu'elles seront, a toutes fins utiles, libres de l'appliquer ou pas...

Bien sûr, c'est l'élément le plus controversé de cette poutine juridique qui est en cause, celui qui oblige les services publics à être offerts et reçus à visage découvert.

On peine à comprendre ce que le pile et le face de cette disposition ont à voir avec la «neutralité religieuse» qu'est pourtant censé incarner le projet de loi libéral...

1. Services rendus

Depuis quand le fait - pour un fonctionnaire, une infirmière, un chauffeur d'autobus ou autre - de se découvrir le visage constitue-t-il une preuve de «neutralité religieuse»?

C'est tout le contraire. Il est évident que cette obligation ne vise présentement que les femmes musulmanes les plus opprimées... celles qui subissent le port du burqa ou du niqab...

S'il y avait vraiment «neutralité», le gouvernement Couillard n'aurait-il pas dû permettre tous les signes religieux - voile, turban, kappa, croix. etc. - sans intervenir? C'est ça aussi, non, la neutralité de l'État?

En réalité, le mot «laïcité» (souvent considéré comme synonyme de neutralité religieuse) se profile ici en arrière-plan...

Mais si on veut un État vraiment laïc, alors il faut bannir tous les signes religieux (et anti-religieux) ostentatoires, l'avenue que privilégiait la défunte charte du Parti québécois en 2013...

Si on y regarde de près, le projet de loi 62 vise en réalité un objectif de laïcité, mais se limite malheureusement à quelques vêtements religieux, tous les deux musulmans et très ostentatoires...

Ou bien l'État est laïc, ou il ne l'est pas... S'il l'est, les services de cet État aux citoyens doivent être offerts sans signes religieux (ou anti-religieux) ostentatoires... Rien de plus, rien de moins...

S'il ne se veut pas laïc, mais simplement «neutre», l'État doit les permettre tous... En viser un ou quelques-uns, de la même religion par surcroît, n'a absolument rien de «neutre»...

2. Services reçus

Une femme portant un burqa ou un niqab se verra-t-elle refuser l'accès à un autobus, ou à une salle d'urgence? Le maire Coderre et d'autres ont soulevé cette question immédiatement après l'adoption de la Loi 62 et la réponse du gouvernement ne s'est pas fait attendre... Pour les autobus et les autres services municipaux, ils pourront faire comme bon leur semble...

Le problème de fond n'est pas là, cependant. La question reste la même. Qu'est-ce que le fait se se voiler le visage en recevant un service public a à voir avec la «neutralité religieuse»?

C'est simple. Rien du tout! Ce n'est qu'un ingrédient piquant pour rehausser la saveur d'une mesure qui cherche de toute évidence à démontrer, à un an des élections, que les libéraux se préoccupent aussi des «menaces» identitaires...

Tout le monde sait que l'obligation d'un visage découvert - dans un autobus, dans un hôpital, dans un bureau administratif ou ailleurs - constitue une mesure de sécurité publique. Et rien de plus.

Un projet de loi sur la «neutralité religieuse» peut bien interdire certains voiles musulmans dans les établissements ou véhicules de l'État, mais que fera-t-on quand un type en route vers une manif se présente en cagoule, ou portant un masque de ski? On aura beau chercher, on n'y trouvera rien de religieux...

Il m'apparaît clair que l'obligation du visage découvert constitue une mesure de sécurité publique tout à fait justifiable, qui doit s'appliquer non seulement en donnant ou en recevant des services publics, mais dans tout lieu public!

3. Et alors?

La suite des choses apparaît évidente... Les tribunaux seront saisis de l'affaire par des particuliers ou des gouvernements hostiles (y compris Ottawa) et réduiront en miettes l'interdiction du port du voile intégral, notamment pour recevoir des services publics...

Le gouvernement Couillard, qui doit sûrement savoir que cela se produira, aura le choix entre dire: voilà nous avons fait un effort mais les méchants juges nommés par Ottawa (ou par Québec) nous ont mis des bâtons dans les roues, ou (ce qui apparaît improbable) il pourra se prévaloir de la clause nonobstant...

Et nous serons guère plus avancés... Je m'ennuie de Bernard Drainville...