vendredi 29 décembre 2017

«La Presse» papier est morte!


Ce samedi 30 décembre, la version imprimée du journal La Presse est morte. Pour moi, c'est La Presse tout court qui a rendu l'esprit.

Les thuriféraires du paradis numérique auront beau brandir les éditions du «plus grand quotidien français d'Amérique» sur des écrans de tablettes et de téléphones, l'âme n'y est plus.

Je suis sans doute un dinosaure pour la plupart de mes collègues journalistes. Je n'ai jamais abandonné mes disques vinyles sous le règne des cassettes et disques compacts. J'avais vu juste.

J'ai grandi comme scribe au journal Le Droit d'Ottawa, à l'époque des machines à écrire, des typographes et des pressiers. Les bruits, les odeurs, l'adrénaline. Jour et nuit.

Après chaque tombée, l'attente fiévreuse des premiers exemplaires du quotidien fraîchement imprimé, encore chaud, l'encre à peine sèche sur le papier. Un vrai journal...

On pouvait le toucher, le voir, le sentir, l'entendre même en le feuilletant. Nos signatures y étaient. Nos labeurs y étaient, là, dans ce journal de 30 ou 40 pages. Notre journal. Mon journal.

La technologie conjuguée à l'appât effréné du profit des empires médiatiques a tout changé. Les avancées technologiques étaient inévitables et souhaitables. Le changement du produit, moins...

À chaque «progrès» - les ordinateurs à l'atelier, puis à la salle des nouvelles, les télécopieurs, les modems, puis l'Internet - des emplois disparaissaient. Marge de profit oblige.

On a sabré dans la qualité, dans la quantité de l'information. On a réduit la taille des journaux. Adieu les grands formats jugés malcommodes. Tabloïd tous, ou presque... Adieu les textes à la une...

Quand les médias numériques ont entrepris de concurrencer la presse écrite, celle-ci était déjà chancelante face à un lectorat de plus en plus fasciné par les écrans.

Comme autrefois avec les cassettes et les CD... et les DVD...

La dernière édition quotidienne imprimée (31 déc. 2015)

Au lieu d'aller aux sources du problème, de susciter l'intérêt pour la lecture d'un journal papier, pour la lecture tout court, d'offrir un produit de qualité supérieure, de faire une promotion agressive des qualités de l'édition imprimée, les empires n'on scruté que les revenus... 

La Presse, pour ne citer qu'elle, avait construit depuis 1884 un bassin de centaines de milliers de fidèles lecteurs et lectrices. Un public loyal, qui avait un sentiment d'appartenance au journal.

Pour celui ou celle qui le recevait tôt le matin sur son perron ou devant sa porte, La Presse était SON journal. Il lui appartenait. Il était sur sa table de cuisine, dans son salon. À son bureau.

Personne ne pouvait l'en priver en coupant le courant ou en bloquant l'accès à un site Internet. Il n'avait pas besoin de feuilleter 50 pages miniatures sur un écran miniature... Tout était là, devant lui ou elle, grand format, tous les cahiers, toutes les pubs, toutes les nouvelles et opinions.

Dans un journal qu'il pouvait lire, découper, conserver, recycler. On a tendance à sous-estimer l'importance de l'objet physique, bien plus réel que les images sur écran..

J'ai la conviction que les écrits imprimés resteront. Qu'ils resteront bien plus longtemps que les écrits des sites Web...

La Presse papier était destiné d'abord au public montréalais, puis aux francophones du Québec et d'ailleurs au pays. La planète entière pourrait lire La Presse numérique en butinant mais... qu'en sera-t-il après 10 ans, 20 ans ?

Chez moi, à Gatineau, j'attends tous les matins les livreurs du Droit et du Devoir, journaux que je dévore avec mon jus d'orange, ma rôtie au beurre d'arachides et banane... et un bon café bien sûr...

L'édition du Droit du 30 juillet 1946* avait 24 nouvelles à la une...

Les générations actuelles (la mienne ainsi que celles qui ont moins de 71 ans...) lisent moins, ou peu, même sur leurs écrans. Et la qualité du français de toutes ces générations laisse à désirer, avec un taux d'analphabétisme fonctionnel qui frise les 50%...

Voilà le coeur du problème. Amener les francophones nord-américains de l'avenir à aimer la lecture. Tous les matins. Tous les jours. On ne fait pas cela avec l'anglais intensif dans les écoles françaises...

J'ai confiance que bien outillés, face au choix entre un journal papier ou une édition numérique, les générations qui viennent estimeront tous les deux essentiels.

L'empire Power, et d'autres, ont trahi leurs artisans. Leur public. Ils n'ont que faire du droit du public à l'information.

Achetez, si vous le pouvez, l'édition imprimée du 30 décembre 2017 de La Presse. Elle marque la triste fin d'une belle et longue tradition.

En octobre 1971, jeune journaliste, j'ai manifesté à Montréal avec 10 000 personnes sous un orage de matraques pour sauver La Presse.

Avoir su...


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Lire aussi «La disparition de l'imprimé?» sur mon blogue d'avril 2014. Lien: http://pierreyallard.blogspot.ca/2014/04/la-disparition-de-limprime.html

* la date de ma naissance




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