mercredi 20 juin 2018

Les deux solitudes se rapprochent-elles vraiment au Québec?



Dans Le Devoir du samedi 16 juin, le titre «Les deux solitudes se rapprochent au Québec» m'avait intrigué. Étant franco-ontarien d'origine et résident de l'Outaouais québécois depuis plus de 40 ans, mon vécu me disait qu'il y avait là anguille sous roche, et qu'en dehors des rapports obligés et polis entre francophones et anglophones, le noir des uns restait largement le blanc des autres...

Le texte du Devoir, en manchette de la page A3, propose un aperçu des résultats d'un sondage de l'Association d'études canadiennes portant «sur les perceptions mutuelles des anglophones et des francophones au Québec» (voir texte à bit.ly/2K3uVrf). L'essentiel du message? L'immense majorité des anglophones ont des contacts réguliers avec des francophones ainsi que des amis francophones. Même phénomène chez les francophones. Et que, voilà la clé, «70% des répondants jugent de façon "positive" ou "très positive" les relations entre les deux groupes linguistiques».

Ces données semblent suffire pour conclure que nos deux ex-solitudes marchent désormais coude à coude... J'ai 71 ans et j'ai côtoyé des anglophones toute ma vie, à Ottawa comme à Gatineau, et je peux vous assurer que les rapports entre «nous» et «eux» ont toujours été polis et cordiaux, à condition qu'ils se déroulent en anglais, un jeu auquel continuent de se prêter la majorité des francophones bilingues des deux rives de l'Outaouais... Quand un francophone insiste pour qu'un anglo, même bilingue, lui parle français, le mercure passe vite de 30 degrés au point de congélation.

Je serais curieux de savoir dans quelle langue se déroulent ces rapports «positifs» entre francophones et anglophones, particulièrement dans la grande région montréalaise et en Outaouais...

Enfin, quand on gratte sous le vernis de cette soi-disant bonne entente, on s'aperçoit vite que la perception de la réalité linguistique au Québec oppose fondamentalement les parlant-français et les parlant-anglais (ainsi que les allophones) du Québec. Et j'ajouterais que les résultats du sondage démontrent chez les francophones un constat beaucoup plus réaliste que celui des vierges offensées anglo-québécoises...

Prenons la Loi 101 comme point de repère. Cette loi a cristallisé tous les débats linguistiques au Québec depuis plus de 40 ans. Que dit l'article du Devoir? «Ainsi, 89% des francophones jugent positivement la Charte de la langue française, contre à peine 35% chez les anglophones»... Comme rapprochement entre les deux solitudes, j'ai déjà vu mieux... Neuf francophones sur 10 appuient la Loi 101. Deux anglophones sur trois s'y opposent. La conclusion qui s'impose n'est pas celle du titre de l'article du Devoir.

Mais il y a plus. À la question «La Charte de la langue française protège-t-elle-bien le français?», moins de la moitié des francophones (45,9%) répondent «oui». Plus de la moitié des parlant-français se rendent compte que notre Loi 101 trouée, abîmée, n'a plus la robustesse du début. Quant aux anglophones, ils estiment que la Charte protège bien la langue française dans une proportion de 67,2%. Chez les allophones, c'est même 75,6%... Une preuve que la majorité des allophones s'alignent, en matière linguistique, sur nos anciens Rhodésiens.

À la question plus générale «Le français est-il bien protégé?», on découvre le même clivage que pour l'effet de la Loi 101, en pire... Seulement 40% des francophones répondent «oui» à cette interrogation. Pendant ce temps, 87,5% des anglophones et 82,2% des allophones déclarent que la langue française est bien protégée au Québec. Comme perception, c'est diamétralement opposé. Et encore une fois, les répondants francophones ont davantage le compas dans l'oeil.

Enfin, à peine 16,7% des anglophones et 13,3% des anglophones estiment que les droits des anglophones sont bien protégés au Québec. Les francophones, plus réalistes, estiment les droits des anglos bien protégés dans une proportion de 72,2%. Si les anglophones veulent comparer leur «protection» à celle d'une autre minorité, qu'ils traversent un pont de l'Outaouais pour en parler aux Franco-Ontariens, qui peinent toujours à arracher à Queen's Park une seule université de langue française, alors que les Anglo-Québécois en ont trois, surfinancées par ailleurs...

La morale de cette histoire? En dépit d'une couverture médiatique médiocre, la question linguistique continue d'intéresser l'ensemble des Québécois francophones (et anglophones). Ce n'est pas le PQ qui l'affirme, mais un sondage de l'Association d'études canadiennes... Et à en juger par l'attitude des Québécois francophones, la nation reste disposée à prendre des mesures énergiques pour protéger et promouvoir sa langue, y compris en renforçant la Loi 101.

À bon entendeur, salut !

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