La langue française reçoit déjà assez de vraies taloches dans notre réduit nord-américain. On n'a pas besoin d'en inventer.
La semaine dernière, j'ai lu dans deux chroniques du Journal de Montréal que Statistique Canada avait rendu public un tableau historique sur l'évolution des langues qui pouvait faire «croire que la situation du français s'est améliorée au Québec plutôt que d'être sur le déclin». On qualifie même ces tableaux d'«idylliques»...
Le titre d'une des chroniques ne porte guère à confusion. On peut lire, en gros caractères: «Un éclairage historique de Statistique Canada pour voiler le déclin du français au Québec!»
J'ai eu beau chercher, je n'ai rien trouvé dans le document de Statistique Canada qui corresponde à ces affirmations. Rien! Ni dans les tableaux, ni dans les médias.
Le déclin du français, au Québec et ailleurs au Canada, est bien réel. Je le crie sur tous les toits depuis les années 1960. Le problème ici, c'est que les chiffres publiés par Statistique Canada il y a quelques jours sont ceux-là mêmes que j'utilise depuis toujours pour étayer la thèse du déclin du français.
Même le communiqué officiel de Statistique Canada annonçant la mise en ligne de ces tableaux linguistiques ne qualifie d'aucune façon l'évolution de la langue française. Voyez vous-mêmes. Je le reproduis ci-dessous:
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Si vous voyez là-dedans quelque chose qui tente de «voiler le déclin du français au Québec», vous avez de meilleurs yeux que moi. Quant aux tableaux, tirés des données des recensements fédéraux de 1951 à 2021, donnez-vous la peine de les lire. Ils brossent avec une précision chirurgicale un portrait de l'assimilation chez les minorités francophones, ainsi que de la progression de l'anglais et du recul du français au Québec.Je n'ai pas trouvé «l'exposé» de Statistique Canada qu'un des chroniqueurs du Journal de Montréal invoque pour attribuer de sombres motifs à l'organisme. Quant à l'affirmation suivante dans son texte, j'en suis resté bouche bée: «Je ne veux pas sombrer dans le complot, écrit-il, on peut toutefois s'interroger sur les intentions qui animaient l'organisme fédéral pour nous présenter ce tableau idyllique sur l'évolution de la langue française au Canada.»
Je ne donnerais pas l'absolution sans confession à Statistique Canada, qui a, à l'occasion, modifié ses questions de recensement pour des motifs peut-être inavoués. Ces changements, vus parfois comme politiques, ont été commentés sur la place publique. Mais les dizaines de tableaux présentés la semaine dernière sont les mêmes qu'on analyse depuis des décennies. Ni plus ni moins. La situation du français n'y est pas «idyllique», elle est plutôt catastrophique... La possibilité d'examiner une dizaine de recensements d'un seul coup d'oeil constitue la nouveauté.
Je n'ai trouvé qu'un texte médiatique québécois sur l'annonce comme telle des compilations de Statistique Canada. Il s'agit d'un article du Devoir intitulé Le déclin du français, ou quatre faits linguistiques méconnus sur le Québec. La journaliste a jugé bon de ne pas expliquer elle-même le contenu des tableaux linguistiques, ce qui aurait été souhaitable, et choisi d'en tenir aux propos d'un «expert».
Elle présente ainsi son expert: le «sociologue Jean-Pierre Corbeil, qui étudie les données linguistiques depuis plus de 25 ans et qui est professeur associé à l'Université Laval». Que M. Corbeil soit un expert ne fait pas de doute pour ceux et celles qui suivent l'évolution de la situation linguistique au Canada et au Québec. Elle a cependant négligé de mentionner ses liens avec Statistique Canada. Si son expertise ne peut être mise en cause, il en va autrement de sa neutralité (comme d'ailleurs celle de tous les experts en cette matière).
M. Corbeil a oeuvré à Statistique Canada, comme chercheur ou directeur, pendant près de 25 ans. Il y a signé des publications de 1994 à 2017. Voyez cette note biographique présentée par les Presses de l'Université d'Ottawa: «Jean-Pierre Corbeil a dirigé le programme de la statistique linguistique de Statistique Canada pendant une quinzaine d'années, a été responsable du contenu linguistique du recensement canadien et a été directeur adjoint à la Division de la diversité et de la statistique socioculturelle de l'agence.»
Son opposition à certains partisans de la thèse du déclin du français est connue, et les nuances qu'il cherche à introduire dans le débat ont été présentées en public, notamment devant le Comité des Communes sur les langues officielles durant le débat sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Je ne partage pas son point de vue, mais il n'est pas question de mettre en doute sa compétence ou son intégrité. Une chose est sûre cependant: même s'il ne parle pas au nom de Statistique Canada, il a sûrement Statistique Canada tatoué sur le coeur...
Il me semble qu'on a déjà suffisamment de difficulté à convaincre le public et le gouvernement québécois de l'urgence d'agir sur tous les fronts pour protéger et promouvoir la langue française sans avoir à réparer les dégâts provenant de «tirs amis» dans nos journaux...
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NB - Si quelqu'un trouve, quelque part, un texte ou de l'information qui vienne contredire mes propos, n'hésitez pas à le communiquer. Je ne serais que trop heureux de retirer cette chronique.
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Liens utiles :
Le déclin du français, ou quatre faits linguistiques méconnus au Québec, dans Le Devoir, 13 juillet 2023 - https://www.ledevoir.com/societe/794471/recensement-declin-du-francais-quatre-faits-linguistiques-meconnus-du-quebec
Un éclairage historique de Statistique Canada pour voiler le déclin du français au Québec!, dans le Journal de Montréal, 14 juillet 2023 - https://www.journaldemontreal.com/2023/07/15/un-eclairage-historique-de-statistique-canada-pour-voiler-le-declin-du-francais-au-quebec
Non, le français ne va pas très bien du tout, dans le Journal de Montréal, 15 juillet 2023 - https://www.journaldemontreal.com/2023/07/15/non-le-francais-ne-va-pas-tres-bien-du-tout