Le militant franco-ontarien Basile Dorion |
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Un peu comme les valeureux assiégés de Dunkerque, luttant à dix ou vingt contre un pour protéger les leurs et en acheminer le plus grand nombre possible en lieu sûr, des milliers de Franco-Ontariens mènent un combat à la fois désespéré et essentiel pour sauver ce qui peut l'être de la langue et de la culture françaises en Ontario.
Un patriarche de l'Ontario français, Séraphin Marion, prévoyait déjà l'ultime défaite au début des années 1960, tout en clamant que des vieux comme lui poursuivraient la lutte jusqu'au bout. Il était friand de cette citation attribuée à Guillaume d'Orange: «Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.»
Pourtant, au moment où M. Marion énonçait ce sombre pronostic, les Franco-Ontariens formaient toujours une collectivité ayant des assises territoriales et communautaires appréciables. En dépit d'un demi-siècle de persécutions scolaires et d'une assimilation croissante, on pouvait reconnaître l'Ontario français dans plusieurs villes et villages du Nord et de l'Est ontarien, ainsi que dans les enclaves de Welland et Penetang (1) plus au sud. Le français y demeurait largement langue d'usage à la maison, dans la rue, à l'école, à l'église paroissiale.
En 2024, c'est un champ de ruines! Les quartiers urbains francophones - Ottawa, Cornwall, Sudbury notamment - n'existent plus. Les églises franco-ontariennes se vident ou ferment leurs portes. Dans des régions où le français domine toujours comme langue maternelle, l'anglais est devenu langue commune (travail, loisirs, médias, famille). Les taux d'anglicisation dépassent 40%. Les couples exogames où l'anglais règne au foyer sont majoritaires. Le territoire franco-ontarien rétrécit dans le Nord et recule vers la frontière du Québec à l'est d'Ottawa.
Restait le scolaire comme lieu de francophonie, surtout depuis que l'Ontario ait consenti à la création d'un vaste réseau d'écoles primaires et secondaires françaises à la fin des années 1960. En ce début de 21e siècle, dans la plupart de ces écoles, le caractère véritablement français se résume à la langue d'enseignement. Hors de la salle de classe, dans les couloirs, dans la cour d'école, les élèves échangent surtout en anglais. On en parle peu, mais tout le monde en est conscient...
À la mi-novembre, devant le comité de la Chambre des communes sur les langues officielles, un militant franco-ontarien de longue date en provenance de la région de Penetanguishene (près du lac Huron), Basile Dorion, est venu donner cette heure juste que l'immense majorité des dirigeants franco-ontariens balaient sous le tapis. Les écoles franco-ontariennes, chez lui et ailleurs, sont devenues des lieux d'anglicisation où le français «langue naturelle» s'entend rarement (2).
Les élèves de familles francophones se retrouvent dans des classes où souvent, la majorité des écoliers est issue de milieux anglais ou anglicisés, recrutés par les conseils scolaires pour assurer la survie de leurs écoles dans un contexte constitutionnel (article 23 de la Charte) où leurs droits sont liés au fameux «là où le nombre le justifie». «On force les conseils scolaires à se prostituer pour obtenir des nombres. (...) Le petit francophone est négligé. S'il veut se faire des amis, il doit faire comme la majorité et parler en anglais, sinon il est ostracisé», explique M. Dorion.
À une époque où l'on fignole les statistiques du recensement en combinant les concepts de «langue maternelle», de «langue d'usage», de «première langue officielle parlée» ou même de «langue officielle» tout court, l'expression «langue naturelle» employée par M. Dorion est rafraîchissante. Elle n'apparaît nulle part à Statistique Canada mais on la comprend très bien. Dans mon vieux quartier franco-ontarien aujourd'hui disparu à Ottawa, il était tout à fait «naturel» de parler français chez soi, dans les rues et ruelles, à l'école et à l'église. Le français faisait partie de notre «nature» culturelle dans un milieu social qui l'engendrait et le nourrissait. À l'exception de l'Est ontarien rural et d'un chapelet de villages ou petites villes dans le Nord de la province, le français «naturel» se fait très rare en 2024...
L'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) ne l'avouera jamais mais l'Ontario français qu'on a connu jadis agonise. Depuis les années 1960, des dizaines de milliers de Franco-Ontariens se sont installés au Québec. Les ultimes îlots de résistance ont pour capitales Hawkesbury et Hearst, Ailleurs, y compris à Ottawa, il faut aller dans les résidences pour personnes âgées pour trouver des milieux vraiment francophones. Surtout pas dans les écoles. Mais comme l'affirmait si bien Séraphin Marion, il faut continuer la lutte, faire en sorte que les efforts des Basile Dorion n'aient pas été vains. Il faut réchapper le plus grand nombre possible de jeunes, et ainsi permettre à ceux et celles qui le désireront d'aller s'épanouir dans leur langue au Québec, qui en a bien besoin!
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(1) La crise scolaire de Penetanguishene: au-delà des faits... - https://danielmarchildonauteur.wordpress.com/wp-content/uploads/2019/01/la-crise-scolaire-livrel-2019.pdf
(2) Lien à l'article d'ONFR sur le témoignage de Basile Dorion au comité des Langues officielles de la Chambre des communes - https://onfr.tfo.org/anglophones-ecoles-francophones-ontario-conseils-scolaires/