Ma mère, Germaine Jubinville, en pantalon (ou en culottes comme on disait), en 1940, à l'âge de 16 ans |
-----------------------------------------------------------------------------
Je ne saurai jamais comment mon grand-père Wilfrid Jubinville et ma grand-mère Eva Longpré ont réagi en prenant connaissance du billet En culottes jusqu'à la Sainte Table dans l'édition de février 1944 du bulletin Contact de la paroisse Saint-François d'Assise (quartier francophone de l'ouest d'Ottawa, aujourd'hui disparu).
Quatre années plus tôt, ma mère, Germaine Jubinville, alors âgée de 16 ans, avait réussi de peine et de misère à vaincre les réticences de ses parents pour obtenir la permission de s'acheter un pantalon, qu'elle a immortalisé dans la photo ci-dessus au début de l'automne. L'an dernier, quelques mois avant son décès à l'âge de 99 ans, elle se disait toujours fière de sa petite victoire.
J'en avais déduit qu'il était mal vu à l'époque pour une femme de porter un vêtement habituellement réservé aux hommes, mais avant de lire la diatribe des pères Capucins dans le feuillet paroissial, je n'aurais pas deviné à quel point cette opposition pouvait émaner du clergé d'ici. Le texte de Contact (non signé) va même jusqu'à menacer de refuser la communion à une fille ou une femme qui oserait se présenter en pantalon à la Sainte Table durant la messe...
Il faut rappeler le contexte. Nous sommes en 1944 et des milliers de femmes ont quitté le foyer à temps plein depuis quelques années pour des emplois dans les usines de guerre... contre la volonté de l'Église catholique (qui s'opposait même au droit de vote des femmes). Les prêtres de mon ancienne paroisse ne manquent pas de le rappeler sans détours: «Nos chefs spirituels avaient dit aux dames, aux demoiselles de ne pas travailler aux usines parce que ce m'était pas leur place. Elles y sont allées quand même. Première erreur et combien lourde!»
Et la seconde erreur? La tenue vestimentaire bien sûr! «Pour faire du travail d'hommes, parmi les hommes, elles se sont habillées comme des hommes, en culottes. Ce fut une deuxième erreur... et très grosse.» Ainsi, «elles sont arrivées à croire que c"était aussi bien de s'habiller comme cela qu'autrement. L'habitude de la culotte se prend comme les autres mauvaises habitudes.»
Pire, poursuit l'auteur scandalisé, «elles poussent l'audace jusqu'à s'approcher de la Sainte Table, jusqu'à venir communier avec ce costume affreusement laid pour elles.» Il ajoute ce conseil: «Ne restez jamais habillées comme ça, même chez vous, dans la maison.» Et pourquoi pas, une ultime menace: «Et qu'on sache bien, que nous n'endurerons personne, ni petites, ni grandes filles en culotte à l'église, ni encore moins à la Sainte Table.»
En conclusion, l'éditorial de Contact précise que «"la femme en culottes", c'est un mot d'ordre venant de la franc-maçonnerie»... Au cas où vous ne l'auriez pas su...
La page 2 du bulletin Contact de février 1944 |
Aucun commentaire:
Publier un commentaire