Si Toronto décidait d'imposer aux Franco-Ontariens de nouveaux programmes d'enseignement post-secondaire totalement ou partiellement en anglais, sans faire d'efforts pour les offrir en français, on aurait droit à une levée de boucliers. Des députés, des maires, des conseillers municipaux et scolaires, des professeurs, des porte-parole d'organisations prendraient le micro sur la place publique pour défendre le droit des francophones d'étudier dans leur langue. Et on les féliciterait d'agir ainsi.
Alors quand Québec propose aux francophones de l'Outaouais une faculté de médecine signée McGill où la totalité de l'enseignement magistral se fera en anglais, pourquoi nos élus locaux et régionaux, nos universitaires (administrations, profs, étudiants), et les diverses organisations intéressées à l'éducation et à la santé n'ont-ils d'autres réactions que d'applaudir béatement ou de garder un silence de mort? Faut-il conclure, contrairement à l'Ontario où c'est une vertu patriotique, que défendre la langue française sur la rive québécoise de l'Outaouais est devenu suspect ou hasardeux?
Cette semaine, à l'émission Mise à jour Outaouais de MaTV (Vidéotron), l'animateur David Coulombe, pourtant journaliste chevronné, prof de journalisme et communications, a réussi à interroger deux intervenants majeurs en santé sur le projet de faculté satellite de médecine à Gatineau sans même que le dossier de la langue d'enseignement ne soit abordé. Pire, dans le préambule de ses questions à Jean Hébert, PDG du CISSSO (Centre intégré de santé et de services sociaux de l'Outaouais), et Marcel Guilbault, président de l'Association des médecins omnipraticiens de l'Ouest du Québec, M. Coulombe a affirmé que le projet de McGill était une «bonne nouvelle»…
D'accord, l'émission portait d'abord sur la disponibilité et la qualité des soins de santé en Outaouais, mais si l'animateur sentait le besoin d'inclure parmi les solutions d'avenir la présence d'une formation médicale à Gatineau, comment pouvait-il faire abstraction de l'obligation de suivre 18 mois de classes en anglais, dans une région à 80% francophone où le travail sur le terrain se fera essentiellement en français? N'avait-il pas lu les éditoriaux et chroniques de protestation dans Le Droit, dans Le Devoir, dans le Journal de Montréal, les interventions d'experts dans les pages d'opinion et au moins une dizaine de lettres de lecteurs dans le quotidien local?
Quoiqu'il en soit, ni M. Hébert ni M. Guilbault n'ont saisi l'occasion offerte pour parler du besoin de donner les cours de médecine en français sur leur territoire. On aurait cru qu'ils n'étaient pas au courant (le sont-ils?), ou que cet enjeu n'avait aucune importance pour eux. Le président des omnipraticiens a même qualifié l'arrivée de McGill et de sa faculté satellite d'«excellente nouvelle» pour la région, ajoutant que l'Université du Québec en Outaouais pourrait en profiter pour créer d'autres programmes en santé… Anglicisez nos étudiants et étudiantes en médecine, cela ne nous préoccupe pas, semblent-ils dire. Hé, comme l'indiquait M. Couillard, après tout on est chanceux, c'est McGill… Wow…
Le seul médecin qui paraît vouloir s'impliquer publiquement dans le dossier jusqu'à maintenant, c'est le Dr Gilles Aubé, mais il est porte-parole du Parti québécois. C'est compréhensible. Québec solidaire a aussi signé une déclaration énergique. La CAQ est allée jusqu'à soulever cette affaire à l'Assemblée nationale, et la ministre responsable de l'Outaouais, Stéphanie Vallée, s'est dite «un peu estomaquée» par la question, ajoutant toutefois que l'intention du gouvernement était d'offrir un jour une formation 100% en français… Ni M. Couillard ni M. Barrette n'avaient promis ça…
Jusqu'à maintenant, un seul groupe de pression de l'Outaouais, Impératif français, tente de mobiliser l'opinion publique pour défendre le droit d'étudier la médecine en français à Gatineau, et le besoin de confier cet enseignement à une institution autre que McGill, qui avoue ne pas avoir de ressources en français et ne semble pas intéressée à faire les efforts requis pour les mettre en place. L'Université du Québec en Outaouais devait être un acteur important dans les premières planifications, mais en route, elle paraît avoir été évincée. À l'UQO, le silence sur cette question est assourdissant…
Abordant l'affaire le 11 septembre, le chroniqueur Patrick Duquette, du Droit, concluait en se plaignant qu'en Outaouais «on avale n'importe quoi sans rechigner»… En écoutant l'émission de MaTV, ce 13 octobre, je me suis dit qu'on lui donnait un peu raison…
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