Moi, au travail, au quotidien Le Droit, début années 70. J'aurais dû porter veston, chemise et cravate. J'étais aussi président du syndicat des journalistes et nous étions en négos... Le t-shirt était propre...
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La controverse autour des choix vestimentaires des solidaires Catherine Dorion et Sol Zanetti à l'Assemblée nationale m'a fasciné, tant par la diversité des commentaires que par l'émotion de nombreuses réactions. Cela m'a m'a rappelé de vieux souvenirs, remontant au début de ma carrière journalistique, fin années 1960...
Un matin de mai 1969, alors que je terminais ma scolarité de maîtrise en science politique à l'Université d'Ottawa, je déambulais sur la rue Rideau, dans la Basse-Ville de la capitale fédérale, quand j'ai aperçu une grande affiche néon: «Le Droit».
En quête d'un emploi d'été, je suis entré dans la grande rotonde et suis monté directement à la salle des nouvelles. Un jeune étudiant francophone d'Ottawa qui sait écrire raisonnablement bien... j'avais le profil parfait pour ce journal aux racines franco-ontariennes. On m'installa devant une vieille machine à écrire Underwood et un chef des nouvelles me demanda de composer un article fictif sur un vol de banque...
Ils ont dû apprécier mon récit sanguinaire car une demi-heure plus tard, j'étais nerveusement campé devant le directeur du personnel qui m'offrait un emploi à temps plein comme journaliste, à 93 $ par semaine. Pas un emploi d'été, un vrai poste... Et c'est en acceptant que j'ai appris qu'il existait à la rédaction du Droit un code vestimentaire inflexible: pantalons propres, veston, chemise et cravate pour les journalistes mâles...
Pour un étudiant socialiste contestataire qui avait passé l'automne précédent (1968) à protester et à revendiquer, et qui avait occupé jour et nuit la faculté des sciences sociales jusqu'à la menace d'une intervention policière, dans un monde où la guerre du Vietnam et la montée du mouvement indépendantiste nous accaparaient, la tenue vestimentaire était sans doute le dernier de nos soucis. L'idée de devoir porter tous les jours une cravate, le seul vêtement tout à fait inutile dans la garde-robe masculine, me déplaisait (mot poli)...
Au quotidien Le Droit, le débat sur la tenue vestimentaire journalistique était déjà enclenché et aboutirait en quelques années à l'acceptation de tout vêtement jugé approprié (à l'exclusion des jeans et t-shirts si je me souviens bien). Entre-temps, cependant, à l'automne 1969, après seulement quatre mois d'expérience du métier, on m'affecta à l'équipe de courriéristes parlementaires du journal, alors sous la direction du regretté Marcel Desjardins (ancien aussi du Montréal-Matin, de Radio-Canada et La Presse). Et j'appris très vite qu'à la Chambre des communes du Canada, le port du veston-chemise-cravate était obligatoire. Aucune exception n'était tolérée, tant pour les députés mâles que les scribes mâles...
J'ai vainement tenté de contourner les règlements. Ce fut peine perdue. À trois ou quatre reprises, j'ai été expulsé de la Chambre des communes pour refus de porter la cravate. À la fin, le préfet de discipline de la Tribune de la presse parlementaire en avisa mon rédacteur en chef, qui me frotta les oreilles. Je me souviens du dernier incident. Je portais un veston chic, des pantalons propres et un col roulé assorti. Une vraie carte de mode. Non, Monsieur Allard... Dehors... Revenez mieux habillé...
Et j'ai obtempéré, revenant en veston avec franges (à la Davy Crockett), chemise carreautée, cravate laide et pantalons mal assortis. J'avais l'air, comme aurait dit Mathieu Bock-Côté, de la chienne à Jacques. Mais ces vêtements affreux respectaient à la lettre le règlement pour les journalistes et les députés dans l'enceinte des Communes. J'avais un peu honte de mon apparence mais je voulais prouver qu'un complet-cravate traditionnel n'était pas la seule tenue qui convienne au travail en milieu parlementaire fédéral. Et que les règlements, même suivis sans compromis, ne garantissaient pas qu'on soit présentable...
Une quinzaine d'années plus tard, on m'a invité à prendre un repas au restaurant parlementaire à Ottawa. Je n'avais toujours pas de cravate. Nous avons dû aller manger ailleurs... Et je crois que le règlement du complet-cravate pour les hommes demeure en place au Parlement fédéral en cette fin de 2018... Quelle idiotie!
Loin de moi de contester le droit d'organisations publiques et privées d'édicter une tenue vestimentaire appropriée - mais quand même flexible - pour les lieux et édifices dont ils assurent la gestion, y compris pour notre Assemblée nationale et le Parlement canadien. Mais l'expérience de vie et les goûts varient selon les individus, tout comme les émotions et les opinions, et tous peuvent influencer les choix d'un veston, d'un chandail, d'un noeud papillon, d'une couleur de pantalon et encore la décision de porter un t-shirt Patrice Desbiens pour honorer la lutte des Franco-Ontariens. Cela n'empêche pas d"établir un certain encadrement, d'interdire par exemple les jeans troués, les chemises de chasse carreautées ou des torses nus... Une fois établi un certain consensus sur les vêtements à éviter, cependant, on laisse faire et on n'en reparle plus.
Aux parlements, peut-être encore plus qu'ailleurs, les habits ont trop rarement fait le moine... Derrière les vestons et cravates griffés, les intentions honorables manquent souvent à l'appel. Et tant qu'à y être, avoir l'air de la chienne à Jacques n'est pas toujours une assurance de vertu et d'intégrité, non plus... En fin de compte, pourquoi les parlementaires mâles (les femmes n'ont jamais eu le problème du veston-chemise-cravate) ne pourraient-ils pas discuter de leurs projets de loi en tenue décontractée s'ils le désirent? On les jugera uniquement sur le fond de leurs propos, sur la justice de leur législation, sur la qualité de leur langage, sur la connaissance de l'histoire et de leurs dossiers, sur leur honnêteté, sur les services qu'ils rendront à la nation.
L'obligation du complet-cravate, c'est comme le serment à la reine d'Angleterre... Il est grand temps de ranger tout cela sur les tablettes des musées. En 1837, déjà, pour marquer leur opposition au régime britannique répressif, des députés patriotes du Bas-Canada (Québec) s'habillaient en étoffe du pays et portaient la ceinture fléchée. Ce sont des vêtements que je porterais volontiers - et fièrement - à l'Assemblée nationale, style 2018, pour leur valeur historique, culturelle et idéologique. Et si ça suscite la controverse, tant mieux. Il est grand temps que ce peuple menacé se parle. Qu'il se redécouvre. Et si c'est grâce à un t-shirt et aux Doc Martin de Catherine Dorion, tant mieux...
Pour une fois, tout le monde semble avoir son opinion. Des opinions informées, d'autres moins. On a vu dans les médias une flopée de chroniques, de lettre d'opinion, chacune apportant un éclairage différent. Elles nous ont fait renouer avec de vieux souvenirs, nous ont rappelé les composantes politiques, socio-économiques des traditions vestimentaires, en plus de susciter un débat généralisé, d'un bout à l'autre du Québec. Au point où notre Assemblée nationale a décidé d'entamer une «réflexion» sur le code vestimentaire des députés...
L'occasion serait bonne de se libérer de ces uniformes imposés (principalement aux hommes) dans nos assemblées législatives de tradition britannique. C'est une toute petite libération, mais elle fera du bien. Et donnera peut-être le goût à notre assemblée, qu'on dit nationale, de grignoter d'autres petites libérations, en attendant d'avoir un jour une cohorte de députés qui «font les braves, font les farauds», comme le chantait Raymond Lévesque en 1963...
Awignahan !