mardi 30 octobre 2018

Les syndicats CSN et l'«agonie» de la presse écrite



«Les médias de la presse écrite sont à l'agonie. Cependant, ils trouvent encore la force de lutter pour leur survie et pour le droit du public à l'information, un fondement de notre démocratie.»

«Le mal a pris naissance avec l'arrivée des géants du Web comme Google et Facebook, qui accaparent la publicité autrefois placée dans les médias.»

Ces affirmations sont endossées par 28 syndicats CSN de travailleurs de l'information dans une lettre publiée ces dernières semaines (le 24 octobre dans Le Droit... voir bit.ly/2CC3cNb). Quand j'ai lu la déclaration syndicale collective, et ces extraits en particulier, je suis resté bouche bée... pour ne pas dire plume bée...

Si je l'avais lue avant de connaître les noms des signataires, j'aurais pu croire qu'il s'agissait d'un communiqué des entreprises de presse elles-mêmes, pas de leurs syndicats... et surtout pas de syndicats de la jadis combative CSN...

Ce que j'ai compris en décortiquant cette prise de position syndicale, c'est que les propriétaires et les directions de leurs médias se démènent comme des diables dans l'eau bénite pour assurer le droit du public à l'information, et qu'ils le font pour protéger les assises de notre démocratie. Je n'en reviens pas...

Mais il y a pire. D'abord ce diagnostic général d'agonie pour les médias de la presse écrite. Oui des journaux sont à l'agonie et d'autres ont de sérieux problèmes, mais d'autres restent à flot et d'autres encore engrangent toujours des profits. Allez-vous nous faire croire que Le Journal de Montréal et Le Devoir, entre autres, râlent leurs derniers râlements?

Secundo, cette affirmation voulant que «le mal» ait pris naissance avec l'arrivée des géants du Web depuis l'an 2000... Le Web n'existait pas quand les chaînes Southam et Thomson ont fermé l'Ottawa Journal et le Winnipeg Tribune en 1980, éliminant un concurrent dans chaque ville. Le Web n'existait pas quand Conrad Black et ses sbires ont charcuté la salle des nouvelles de mon quotidien, Le Droit, en 1988...

Les mouvements de compression dans les salles des nouvelles étaient en marche depuis des décennies dans des empires médiatiques plus soucieux de sauvegarder leurs marges de profit que d'assurer la qualité du produit. Les barons d'entreprise se sont toujours arrogé le droit de placer leurs bilans financiers devant le droit (constitutionnel) du public à l'information. Et on voudrait aujourd'hui les présenter seulement comme des victimes de Google et Facebook? Sérieusement?

Le constat syndical du moral des troupes dans les salles de rédaction me semble à peu près juste. Coupes de personnel jusqu'à 50%, enquêtes journalistiques abandonnées, toujours faire plus avec moins (et plus vite), de déchirants choix de couverture quotidiens, départ de jeunes journalistes talentueux faut de débouchés. Tout ça à cause de revenus chipés par quelques géants du Web? Les chaînes propriétaires de ces journaux (et leurs syndicats tant qu'à y être) n'ont-ils pas au moins un examen de conscience à faire avant de pitcher des roches à Google/Facebook?

Finalement, la solution, pour le moment, semble être de quêter des fonds auprès du gouvernement Trudeau. Des syndicats qui demandent au trésor public de mettre des millions dans la cagnotte de leurs patrons, en espérant que lesdits propriétaires s'en servent bien. N'auraient-ils pas pu, au moins, exiger d'être partie prenante à cette entente et de se conserver un droit de regard sur la répartition des fonds, pour s'assurer que quelques millions ne finissent pas comme primes de fin d'année aux administrateurs des empires?

Le problème, c'est que la crise des médias durera. On semble miser à moyen terme sur le développement de «nouveaux modèles d'affaires viables». On pourrait ajouter l'achat de quelques billets de Lotto Max... On ne s'en sortira pas sans examen exhaustif des causes réelles du bourbier actuel, qui remontent facilement aux années 1970, bien avant l'ère des Google-Facebook-Twitter-etc. Réduire le nombre d'analphabètes fonctionnels (autour de 50%) et habituer les jeunes à aimer la lecture de livres et de journaux imprimés auraient des effets plus bénéfiques qu'une succession de nouveaux modèles d'affaires aussi inefficaces les uns que les autres.

Quant aux syndicats, il me semble qu'ils feraient bien mieux de porter autrement sur la place publique la promotion de valeurs qu'ils ont toujours défendues. Et surtout de les présenter comme leurs valeurs, pas celles de propriétaires, de chaînes et d'empires qui ont toujours misé davantage sur l'abondance de l'encre noire. 

Je souscris cependant à la conclusion de leur communiqué: «L'heure est maintenant à l'action».


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