samedi 20 octobre 2018

Ils sont des nôtres!

Texte de blogue mis en ligne le 3 juin 2016 mais que j'aurais pu aussi bien signer en octobre 2018...

Photo chga.fm

J'en ai plein le casque de voir notre «nous» malmené par ces soi-disant gardiens de la multiculture officielle, qui voient trop souvent chez les Québécois francophones - surtout ceux et celles qui sont «nationalistes» - une espèce de tribu xénophobe, raciste sur les bords, constamment méfiante à l'endroit de tout ce qui sonne «étranger»…

Cette perception est fausse. Notre «nous» n'est ni meilleur, ni pire que les autres «nous» de la planète. Historiquement, notre «nous» s'est montré ouvert au métissage et accueillant pour les nouveaux-venus prêts à respecter notre spécificité. Ce «nous» a évolué au fil des siècles, et ses valeurs se sont lentement forgées dans un creuset où les vieux héritages de France se sont enrichis au contact intime des cultures autochtones et d'apports d'autres nationalités.

La vieille notion de Québécois ou de Canadien français de souche est depuis longtemps dépassée. Cette image de la grande famille canadienne-française tricotée serrée, blanche et catholique, a été colportée comme un étendard jusqu'à la fin des années 1950, mais il suffisait de gratter un peu sous la surface pour démontrer qu'elle était bien plus l'instrument d'une idéologie socio-politique et religieuse que le fidèle reflet de la réalité.

Tous savent que la composante catholique de l'ancien «nous» a été éjectée avec fracas et à la vitesse de l'éclair dans les années 1960, même si son influence culturelle se fait sans doute sentir plus qu'on ne le croie, généralement, au début du 21e siècle. Mais même à l'époque où l'emprise du clergé semblait quasi totale, disons de 1850 à 1950, l'Église n'a jamais pu éteindre les braises d'une vieille résistance bien laïque, ayant atteint son paroxysme au temps des Patriotes.

En dépit des sermons et des menaces, les nôtres donnaient des noms interdits - Napoléon, Émile - à leurs nouveaux-nés. La musique et la danse, arrosées d'un p'tit coup, avaient l'allure d'un défi permanent à l'autorité du clergé. Et s'il allait à la messe le dimanche, le bon peuple prenait le nom et les objets de son Dieu en vain le reste de la semaine avec des sacres religieux uniques au monde. Et à ceux et celles qui nous grondent quand on fronce les sourcils devant des symboles d'autres religions, puis-je rappeler les anciennes railleries envers nos propres «mangeux de balustre»...

Sur le plan ethnique, dès le 17e siècle, et par la suite, les alliances entre Franco-Canadiens et Autochtones ont produit des tas de mariages et d'unions de fait. Des nations de Métis en sont témoins. L'arrivée de Britanniques après la conquête et de milliers d'immigrants réfugiés d'Irlande et d'Écosse au 19e siècle a aussi coloré à sa façon la démographie régionale du Québec ainsi que l'ensemble de notre «nous»…

Daniel Johnson, premier ministre sous le gouvernement de l'Union nationale de 1966 à 1968, celui qui lança le célèbre slogan Égalité ou indépendance et qui fut solidaire du général De Gaulle après son Vive le Québec libre, avait pour père Francis Johnson, un immigrant irlandais anglophone. Oserait-on prétendre que Daniel Johnson n'était pas membre à part entière de notre «nous»? Ou Mary Travers, également fille d'Irlandais, alias La Bolduc? Ou Pierre Trudeau? Ou Jean (John) Charest?

Depuis plus d'une centaine d'années, avec la présence croissante et très visible de nationalités et de races autres que les Autochtones, les Français et les Britanniques, on voit aujourd'hui dans nos familles, dans les rues, les cours d'école et les milieux de travail de nouveaux arrivants de tous les continents. Ceux et celles qui ont choisi de vivre avec nous en français, de plus en plus nombreux, font désormais partie de notre «nous»…

Quand Nicola Ciccone, d'origine italienne, chante pour défendre la langue française en clamant qu'il se souvient «de tous ces chants le long des berges du Saint-Laurent», n'est-il pas l'un des nôtres, voire un éloquent porte-parole de notre «nous»? Et que dire des Boucar Diouf, des Dany Laferrière, Normand Brathwaite, Fatima Houda-Pepin, Osvaldo Nunez, Akos Verboczy et combien d'autres, devenus des «tricotés serrés» autant que les vieux «de souche»…

Ce qui «nous» rassemble et «nous» unit, désormais, depuis que l'ethnie et la religion ont perdu leur ascendant, ce sont la langue et la culture françaises. Elles servent de lien de communication avec la vieille mère-patrie et l'ensemble de la francophonie mondiale, mais aussi de véhicule à l'expression originale de notre «nous» sur tous les plans - politique, économique, scientifique, musical, littéraire, etc. Le français, déjà langue nationale, devenu langue commune et officielle, cimente notre «nous».

Sa défense et sa promotion sont intimement liées à nos valeurs de liberté, de laïcité, de justice, de partage et de démocratie. À la fois belle et rebelle, la langue française ouvre la porte à une vision de notre histoire, de notre géographie, de nos oeuvres, de nos gens d'ici et d'ailleurs. On comprend alors que notre «nous», comme celui de chaque nation, petite ou grande, reste un élément précieux, voire essentiel, de la diversité planétaire. Et qu'à ce titre, son droit à l'existence et à une pleine expression politique demeure un objectif noble, ouvert sur le monde entier.

La preuve est abondamment faite, depuis des siècles, que les nouveaux-venus peuvent, sans nier leur spécificité, trouver notre «nous» valorisant, au point de s'y associer, de l'enrichir et de participer à son cheminement historique. Dès lors et pour toujours, ils sont des nôtres.





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