Doug Ford (Source: Wikipédia)
Le jour même de son assermentation comme premier ministre de l'Ontario, Doug Ford a aboli le ministère des Affaires francophones. Dans cette nouvelle «FordNation» ontarienne à la Trump, les Franco-Ontariens sont déjà des parias... et le pire reste à venir.
Quand un grossier chef populiste compte parmi ses priorités d'abolir l'éducation sexuelle à l'école, d'étendre aux dépanneurs la vente de la bière et du vin, d'abolir la taxe carbone, de réduire le prix de l'essence, de supprimer la prochaine hausse du salaire minimum et de geler les embauches dans la fonction publique, croyez-moi: on enverra paître (sans doute poliment) les représentants des francophones avec leurs demandes qui paraissent parfois complexes et coûteuses.
S'il fait comme Trump, il voudra plaire à sa base électorale, provenant surtout des banlieues, petites municipalités et milieux ruraux, parmi les moins syndiqués et les plus francophobes de la province. Presque toutes les villes - Toronto, Hamilton, Windsor, London, Guelph, St. Catharines, Kingston, Sudbury - ont élu des députés néo-démocrates. La capitale fédérale a élu pour sa part trois libéraux et un néo-démocrate... L'ouest de la ville a élu un conservateur, de justesse.
La base électorale de Trump - excusez, de Ford - n'a que faire d'une université de langue française, même s'il ne s'agit que d'un mini-campus dans la région torontoise. Comment, pensez-vous, le gouvernement Ford réagira-t-il à des projets d'expansion de services en français dans l'est et le nord ontariens, ou à une bonification de l'offre en français en santé, en justice ou en éducation? Et que fera cet Ontario à l'Organisation internationale de la francophonie?
La majorité des Anglo-Ontariens trouvent déjà que les francophones en ont trop obtenu depuis 150 ans. S'ajoutant à un courant de haine viscérale et durable de la langue française et du Québec, issue d'un vieux fond orangiste, les comités d'accueil de la FordNation présenteront aux francophones des mines patibulaires. Surtout n'allez pas leur demander un 7up en français...
Le pire, c'est que les Franco-Ontariens partent en position de faiblesse. Leurs organisations ont applaudi (avec certaines réserves) l'ancien gouvernement Wynne qui ne leur avait pourtant donné que des «pinottes» en légalisant le statut quo linguistique à Ottawa (qu'on dit maintenant bilingue) et en torpillant le coeur du grand projet d'université franco-ontarienne lancé en 2012 par le RÉFO (Regroupement étudiant franco-ontarien).
Ces mêmes organisations seront bien mal placées maintenant pour tenter de fouetter l'ardeur de leurs troupes contre le gouvernement Ford si ce dernier continue d'honorer quelques-uns des engagements des libéraux. On a applaudi. On ne peut désapplaudir. Le résultat est souvent la démobilisation et l'indifférence. Parlez-en à l'ACFO de Prescott-Russell, qui peine à trouver des membres pour son conseil d'administration... Et au quotidien Le Droit, qui n'a même pas commenté en éditorial ou en chronique l'entrée en scène de la horde Ford.
Au moins, Doug Ford dit aimer le Québec. J'ai peine à le croire mais il l'a affirmé durant la campagne. Peut-être cet «amour» pour les voisins québécois l'incitera-t-il à ne pas trop écoeurer les parlant-français de sa propre province. Et encore faudrait-il que quelqu'un à Québec lui frotte les oreilles de temps à autre, ce qui n'arrivera pas avec les anglophiles du gouvernement Couillard.
Les réactions molles des dirigeants franco-ontariens étaient prévisibles et compréhensibles. Personne ne veut se mettre à dos un nouveau gouvernement le jour de son assermentation, même quand on sait que la FordNation donnera beaucoup de fil à retordre à la Franco-Ontarie. Alors on félicite la nouvelle ministre «déléguée» aux Affaires francophones, Caroline Mulroney, tout en «regrettant» que le «ministère» des Affaires francophones ait été exécuté sans procès.
Et le jour du budget, félicitera-on encore le premier ministre Ford pour la minuscule enveloppe brune laissée à la porte d'entrée du futur mini-campus torontois (alias Université de l'Ontario français), tout en «regrettant» que ce soit insuffisant pour combler les besoins les plus élémentaires? En espérant que l'enveloppe brune suivante, après beaucoup de supplications, soit plus épaisse?
Des Franco-Ontariens se sont tenus debout, jadis, pour lutter contre le Règlement 17, puis plus récemment pour gifler le gouvernement conservateur qui voulait tuer l'hôpital Montfort. C'est la seule façon de combattre dans cette province. J'ai l'impression, parfois, qu'on se contente de plus en plus de vivre à genoux... au Québec français comme en Ontario français... La soupe va être claire pour quatre ans, à moins que...