jeudi 24 janvier 2019

Relancer à Ford le vrai projet d'université franco-ontarienne...


À travers toutes les ignominies proférées par Doug Ford dans le dossier des coupes en matière de services en français, un coup - un seul - semble avoir ébranlé l'argumentaire franco-ontarien.

Le 14 janvier 2019, commentant la décision du gouvernement fédéral d'investir 1,9 millions $ pour assurer la survie à très court terme de la soi-disant «Université de l'Ontario français», le premier ministre ontarien a fait la déclaration suivante, rapportée sur le site Web de Radio-Canada:

«Je ne ferme la porte à rien, mais en Ontario, 11 collèges et universités offrent présentement des cours en français, 300 cours sont offerts, et ces classes sont vides. Aucun cours n'est plein. Remplissons ces salles de classes.»

Si c'est vrai, ça fait mal. Un crochet qui vous coupe un peu le souffle. D'abord, est-ce vrai? J'avais demandé dans un gazouillis, le lendemain: «Qui répondra?» Je dois vous avouer que si quelqu'un a répondu, je n'ai rien vu, rien entendu, rien lu... Peut-être ai-je regardé avec mes yeux d'homme... Corrigez-moi au besoin...

Cependant, le fait qu'on ne soit pas immédiatement monté aux barricades contre cette déclaration pernicieuse est révélateur. L'obus de Ford a touché le maillon faible de la résistance franco-ontarienne, qui risque de payer aujourd'hui une sérieuse erreur de parcours commise il y a quatre ou cinq ans.

Lancé par le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) autour de 2012, le projet original d'université franco-ontarienne avait deux objectifs, inséparables, l'un aussi primordial que l'autre. Le premier visait à augmenter l'accès, et donc à augmenter l'offre de programmes universitaires en français. Le second, peut-être le plus vital, insistait sur la gouvernance de l'ensemble de l'offre universitaire en français par les Franco-Ontariens eux-mêmes.

Les jeunes du RÉFO, comme des militants de générations précédentes, avaient compris que les universités bilingues (Ottawa, Laurentienne), où les francophones sont largement minoritaires, étaient devenus des instruments d'anglicisation. Et que le moment était venu, depuis fort longtemps, de mettre en place un réseau universitaire de langue française administré «par» les francophones, «pour» les francophones.

Cela impliquait de regrouper dans ce réseau la totalité des programmes universitaires de langue française existants, ceux de l'Université d'Ottawa, de l'Université Laurentienne (Sudbury), du collège Glendon (Toronto), de Hearst, et de colmater ailleurs les brèches les plus urgentes, y compris dans la région torontoise. Voilà le projet original, le vrai projet, celui défendu jusqu'à 2014 ou 2015 sans compromis.

Puis, sans trop que l'on s'en aperçoive, le gouvernement Wynne, avec la ministre Madeleine Meilleur et une complicité silencieuse de certaines élites franco-ontariennes, a décapité l'un des objectifs de base: la gouvernance de l'ensemble du réseau. Plus question de toucher aux universités bilingues. Au mieux, on mettrait sur pied un petit campus universitaire dans la région de Toronto, qu'on devait par la suite baptiser «Université de l'Ontario français»...

On abandonnait ainsi la quasi-totalité des étudiants francophones universitaires à des institutions administrées en fonction d'une population étudiante en majorité anglophone, des universités où les francophones n'avaient aucun espoir de gouvernance en fonction des intérêts des Franco-Ontariens, comme cela se fait déjà au primaire, au secondaire et au collégial. Au lieu de lutter pour un projet global et cohérent, on engagerait le combat pour un mini-campus torontois en espérant qu'avec le pied dans la porte, il puisse prendre de l'expansion au fil des décennies.

En dépit de faibles rappels par le RÉFO et ses alliés du projet de grande université couvrant l'ensemble de l'universitaire de langue française, le gouvernement Wynne avait définitivement sapé le projet. En 2015, les libéraux disaient ce que Ford affirmait en novembre 2018: vous aurez votre université quand les finances de la province le permettront. Et quand, finalement, le gouvernement libéral a mis le campus de Toronto en marche, il était trop tard. Les chances de réélection des rouges étaient faibles, et l'ombre du sinistre Ford assombrissait déjà l'horizon.

Et voilà que cet abruti, n'y comprenant rien, lance cette tuile de classes vides et d'une offre abondante... De quoi vous plaignez-vous, dit-il? Alors qu'attend-on pour lui répondre que la situation serait vastement différente si les francophones dirigeaient leurs propres institutions au lieu de subir des décisions sur lesquelles ils exercent trop peu de contrôle? Qu'attend-on pour lui dire que des dizaines de milliers d'étudiants franco-ontariens suivent des cours en anglais parce qu'ils ne sont tout simplement pas disponibles en français? Que l'université n'est pas seulement un assemblage de salles de classe, mais un milieu de vie qui doit - pour une minorité de langue française - refléter et promouvoir sa culture? Que si Québec tentait d'imposer aux Anglo-Québécois la situation actuelle des Franco-Ontariens, on nous traiterait de racistes et de xénophobes?

Mais pour résister efficacement aux attaques francophobes de la FordNation, Il faut absolument s'éloigner de cette fixation sur la région torontoise pour revenir à un projet qui engage l'ensemble de la collectivité ontarienne de langue française, étudiants, professeurs, associations. Tout le monde. Il existe maintenant une base. Ils étaient 14 000 à manifester le 1er décembre. Ils sont des dizaines de milliers à fréquenter des réseaux sociaux où ils se s'affirment et disent leur fierté d'être Franco-Ontariens. Il y a là un tremplin qui n'existait pas il y a quatre ou cinq ans. Il faut cependant mettre sur la table un projet mobilisateur qui touche l'ensemble de la collectivité et toutes les régions de cette province grande comme un pays. La gouvernance!

Il y a des classes vides, M. Ford? Serait-ce trop de vous demander de le prouver d'abord, puis d'essayer de nous dire pourquoi? De lire vos livres d'histoire, si vous en avez? De comprendre les injustices du dernier siècle, et l'assimilation qu'elles ont entraînée? De constater les progrès accomplis depuis que les Franco-Ontariens contrôlent leurs réseaux primaire, secondaire et collégial? Vos classes soi-disant vides, pourraient-elles être le symptôme d'un mal plus profond, d'un réseau d'institutions qui n'ont pas comme première mission de répondre aux besoins des francophones? Enfin, dites-le lui, quelqu'un! Criez-le!

Les Franco-Ontariens ne peuvent se permettre de perdre la bataille de la gestion de l'universitaire. C'est le sommet de la pyramide. Parlez-en aux Acadiens, qui vous diront l'importance de l'Université de Moncton. Et la question est urgente en Ontario, où l'assimilation continue de faire des ravages. Le moment est propice pour un affrontement. Une certaine base est mobilisée. Des alliés se sont pointés d'un océan à l'autre, y compris au Québec. Les jeunes du RÉFO avaient bien identifié «les vrais problèmes». Il faut maintenant les régler. Pas à moitié, et vite. Dans une dizaine d'années, il sera peut-être trop tard...



  














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