mardi 5 février 2019

La Québec et la francophonie canadienne: y a-t-il un «avant» et un «après» Doug Ford?


Parfois cela vaut la peine de se lever tôt, de prendre l'autobus vers le centre-ville d'Ottawa et de se geler le nez et les joues sous un refroidissement éolien de moins 30 en marchant un ou deux kilomètres au coeur du vortex polaire (maudit vortex polaire...) pour participer à une journée d'étude intitulée «La francophonie canadienne et le Québec: un avant et un après Doug Ford?»

Voilà bien un thème irrésistible pour un vieux journaliste franco-ontarien-devenu-québécois, authentique baby-boomer ottavien, qui se passionne pour le passé, le présent et l'avenir de la langue française au Québec, en Ontario et partout ailleurs au pays. Et en prime, le colloque avait lieu au pavillon Tabaret de l'Université d'Ottawa, dans la bâtisse aux immenses colonnes où j'ai passé dix ans de ma vie scolaire entre 1959 et 1969 - du début du secondaire à ma scolarité de maîtrise. Je m'y sens tout à fait chez moi...

Quant au thème, il avait tout pour me séduire. Ancien militant franco-ontarien dans les années 1960 et au début des années 1970, ancien délégué aux États généraux du Canada français en 1967, converti au projet d'indépendance du Québec comme des centaines de jeunes Franco-Ontariens de l'époque, ayant par la suite eu à couvrir comme reporter et à commenter en page éditoriale du quotidien Le Droit l'actualité linguistique et nationale, tant québécoise qu'ontarienne, j'allais - à l'encontre des plus jeunes dans la salle - plonger dans des époques sur lesquelles j'avais beaucoup lu, mais surtout que j'avais vécues, dont je me souvenais.

De plus, je connaissais la grande compétence des professeur(e)s invité(e)s, provenant d'une brochette d'universités québécoises, ontariennes et albertaine, tous, toutes spécialistes des enjeux de la francophonie canadienne et québécoise. À cette masse d'expertise s'ajoutait le recteur de l'Université, Jacques Frémont, qui ne fréquente pas souvent ces journées d'étude, la ministre fédérale Mélanie Joly, la ministre québécoise Sonia Lebel et l'ancien ministre responsable des rapports avec la francophonie hors Québec dans le gouvernement Charest, Benoît Pelletier.

À la fin de la journée, me gelant de nouveau le nez et les joues en marchant 
sous le vortex polaire vers l'arrêt d'autobus du Centre Rideau (rebaptisé Rideau Centre, Ottawa oblige...), je mijotais mon bilan des conférences et me suis rendu compte que personne n'avait vraiment répondu directement à la question du colloque: y a-t-il un «avant» et un «après» Doug Ford? Et qu'au fond, ce remue-méninges universitaire avait davantage porté sur le thème de «la francophonie canadienne et le Québec» où l'ombre de la soi-disant rupture des États généraux du Canada français de 1967 continue de planer après plus d'un demi-siècle. J'y reviendrai.

Quoi de neuf?

La question, pour moi, était donc de trouver dans ce brouhaha savant des éléments nouveaux, percutants, qui pourraient modifier les enjeux de la francophonie, tant québécoise que pan-canadienne, tels qu'ils s'alignent présentement. Ceux et celles qui ont participé à ce colloque me reprocheront sans doute, avec raison, d'en avoir oublié plusieurs, mais ma mémoire et mon carnet de notes en ont retenu quelques-uns:

1. La francophonie à l'Université d'Ottawa

En arrivant, à la table d'inscription, on nous a remis un document  inattendu, signé par la professeure Linda Cardinal et intitulé «Une responsabilité collective: plan d'action pour la francophonie à l'Université d'Ottawa». Une véritable torpille lancée par la vieille université bilingue dans le débat sur la nature et la portée du projet d'Université de l'Ontario français. À la fois un mea culpa en matière de francophonie, doublé d'un «désir de réparation» qui jettera une douche froide sur l'objectif central du projet d'université de langue française : la gouvernance franco-ontarienne de l'ensemble de l'offre universitaire de langue française, dont l'Université d'Ottawa reste le pivot avec ses quelque 13 000 étudiants francophones.

En glanant le document d'une cinquantaine de pages, qui porte entre autres sur la présence, la gouvernance et le rayonnement de la francophonie» sur le campus, on apprend que la proportion d'étudiants de langue française a chuté sous la barre des 30% (c'était plus de 50% quand j'y étudié dans les années 1960) et que l'Université ne réussira pas à «atteindre sa cible d'offrir 85% de ses cours en français d'ici 2020». Présentement seulement 68% des cours sont disponibles en français et en anglais... Je n'ai rien vu cependant qui permettrait réellement de franciser l'environnement anglo-dominant du campus... et rien garantissant que l'engagement du recteur actuel sera maintenu par un successeur anglophone...

C'est un dossier à suivre de près... Je retiens cette citation inquiétante du recteur Jacques Frémont: «À l'Université d'Ottawa, être bilingue c'est être francophone.» À vous de décortiquer!

2. La Loi fédérale sur les langues officielles

La ministre fédérale responsable des langues officielles, Mélanie Joly, devait prendre la parole en début de matinée mais elle s'est pointée en retard et a pu finalement s'adresser à l'auditoire vers la fin de l'avant-midi. Après avoir dénoncé les «coupes injustes» de Doug Ford et les «droits linguistiques violés» en Ontario, elle a abordé le sujet épineux de la modernisation de la LLO (Loi sur les langues officielles), qui «fête» cette année son 50e anniversaire.

C'est là, à mon avis (d'autres l'ont remarqué aussi), qu'elle a largué une véritable bombe en affirmant que le gouvernement Trudeau avait l'intention d'y recommander l'inclusion de mesures portant sur les droits collectifs des francophones. Cela constituerait un changement de cap majeur pour les administrations libérales sous Trudeau père et fils, qui ont toujours refusé d'enchâsser nos droits collectifs (sous forme de société distincte ou autre) dans une loi fédérale, et encore moins dans la Constitution. 

Mme Joly a ajouté qu'Ottawa agirait pour restaurer les proportions déclinantes de francophones hors Québec et pour augmenter le taux de bilinguisme chez les Anglo-Canadiens. Faudrait réserver au budget des sous pour quelques lampions à St-Jude... Quoiqu'il en soit, elle a indiqué que des forums seraient bientôt lancés «pour vous entendre sur les façons de moderniser la LLO». 

3.  La présence du gouvernement Legault

Le nouveau gouvernement de la CAQ a affirmé sa présence au colloque de l'Université d'Ottawa, d'abord en commanditant l'événement (le seul gouvernement à le faire) par l'intermédiaire de son Secrétariat aux relations canadiennes, puis en y déléguant Sonia Lebel, ministre responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, pour s'adresser aux délégués.

Cinquante ans après l'adoption de la LLO et la fin des États généraux du Canada français (1966-1969), le temps est venu, a-t-elle dit, de «transcender les barrières entre le Québec et les francophones hors Québec». Elle a poursuivi en souhaitant que l'élan de solidarité envers les Franco-Ontariens «se poursuive et s'incarne dans des actions concrètes». Il sera intéressant de voir quelle forme prendront ces «actions concrètes». Voilà décidément un dossier à suivre de près. 

Deux de ses déclarations en disent long sur la philosophie du gouvernement Legault en matière de francophonie québécoise et canadienne. «On est tous francophones, d'abord et avant tout.» Cet «avant tout» m'intrigue. Jusqu'où cela va-t-il? Elle a terminé son allocution en déclarant: «Une francophonie canadienne forte bénéficie à tous, et au Québec.» Elle aurait pu ajouter qu'une francophonie québécoise forte bénéficie à tous, y compris aux minorités de langue française ailleurs au pays...

4. Le mot de la fin

Le mot de la fin est revenu à Benoît Pelletier, maintenant prof à l'Université d'Ottawa et ancien ministre responsable des relations avec la francophonie canadienne sous Jean Charest. Il a notamment décoché une flèche à l'endroit de François Legault, affirmant qu'il avait «trouvé trop modeste sa protestation auprès de Doug Ford» après son attaque contre les Franco-Ontariens, et a conclu avec une déclaration qui mérite réflexion:

Pour le Québec, «il n'y a rien d'incompatible entre être une nation et s'inclure dans la francophonie canadienne»...

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