lundi 11 mars 2019

Quand on change d'idée six mois après un scrutin, on démissionne


Le débat entourant la défection de Catherine Fournier, qui quitte les banquettes péquistes pour siéger comme députée indépendantiste indépendante à l'Assemblée nationale, s'est vite embourbé dans un brouillard partisan qui ne mène à rien. Et qui ne mène surtout pas au fond du problème posé par un tel changement de veste six mois à peine après une élection générale.

Quelques minutes après la conférence de presse de Mme Fournier, ce matin à 10 heures, je n'ai pu m'empêcher de lancer cette opinion sur Twitter: «Catherine Fournier a été élue sous la bannière du PQ. Elle s'est engagée publiquement auprès des électeurs. Rien n'a foncièrement changé depuis octobre 2018. Ce genre de trahison est inacceptable. Elle n'aurait pas gagné comme indépendante». Et le débat s'est engagé... tout croche, surtout chez les sympathisants de Mme Fournier.

On m'a vite relancé sur le mot «trahison»... Un certain Nicolas (il ne révèle pas son nom de famille) déclare: «Ce n'est pas une trahison. Au lieu d'être députée péquiste, elle a décidé d'être la députée de tous les indépendantistes! Les traîtres ce sont plutôt ceux qui restent au PQ et ne font rien pour l'indépendance. Catherine Fournier c'est une grande patriote!»

Dans la même foulée, Tommy Hurteau affirme, toujours sur Twitter: «Le mouvement souverainiste doit être revu et refondé. Le Parti Québécois doit être revu et refondé. Que s'est-il passé pour l'instant? Rien et je ne pense pas que vouloir faire avancer la cause souverainiste fait de Mme Fournier une traître, loin de là.» Et il ajoute: «Je n'ai pas vu sa déclaration comme un retournement de veste quant à son opinion sur le PQ. (...) Si elle se dit souverainiste avant d'être simplement péquiste, elle n'aurait pas pu être lus honnête et transparente qu'en ce moment. Je ne vois pas de trahison ici mais quelqu'un qui est là pour des valeurs et non un parti.»

(Permettez-moi d'inclure ici une définition du mot trahison du dictionnaire Larousse: «manquement à la parole donnée, à un engagement, à un devoir de solidarité».)

Maurice Roussel, qui applaudit lui aussi Catherine Fournier, écrit: «Vouloir un pays, aimer sa langue, sa culture, c'est du patriotisme et non pas de la politique. Le patriotisme est l'affaire de tout un peuple. Quand ce peuple parlera assez fort, les chefs politiques, quelles que soient leurs couleurs, devront agir en sa faveur. Bravo!» Et les éditrices de la page Sisyphe.org d'jouter: «Si quelqu'un n'est plus à l'aise dans un parti, elle a tout de même le droit de le quitter.»

J'inclus cette dernière opinion, qui tourne toujours autour du même dilemme, à savoir si Mme Fournier a raison ou non de quitter le PQ. C'est signé Emmanuel Rannaud: «Jeune et intelligente, Catherine Fournier a vite compris que ça ne mène à rien de poursuivre avec un parti qui est aveugle devant ses propres faiblesses et incapable de faire une analyse cohérente et honnête de son déclin.»

Mme Fournier a invoqué des arguments somme toute similaires ce matin en annonçant son départ du PQ. Je cite ici le texte de La Presse (les journalistes ont tous rapporté les mêmes paroles): Mme Fournier croit qu'il «ne sert à rien de vouloir désespérément sauver le tronc ou les branches d'un arbre (le PQ) en train de dépérir. L'important c'est d'en sauver les racines pour repartir sur quelque chose de nouveau. À force de perdre le Parti Québécois est devenu perdant. Du coup, il a perdu beaucoup de sa pertinence.»

On pourrait en débattre jusqu'à épuisement total sans arriver à un consensus. L'argumentaire de Mme Fournier fait partie du débat souverainiste depuis au moins une quinzaine d'années, et des points de vue valables se font entendre des deux côtés de la clôture (ainsi que sur la clôture). Le problème, c'est que cela n'a rien à voir avec la légitimité du geste posé par Mme Fournier. Son changement de veste touche le coeur de notre processus démocratique.

Le fond de cette question, c'est qu'il y a à peine six mois, Mme Fournier briguait les suffrages sous la bannière du Parti Québécois dans la circonscription de Marie-Victorin. Elle défendait le programme du parti et sollicitait des électeurs le mandat de les représenter à l'Assemblée nationale jusqu'en 2022. Ce genre d'engagement est solennel. L'intégrité du candidat ou de la candidate est en jeu. Il ou elle demande à la population de croire en sa sincérité et de lui permettre d'être son porte-parole à la législature d'un futur pays, tout en défendant les promesses de son parti, le PQ.

Quand les gens sont allés voter et qu'ils ont déposé leur bulletin dans l'urne, ils ont exercé leur droit démocratique le plus important en se fiant à l'information disséminée par les partis et leurs porte-couleurs. Le plus grand nombre a voté pour Catherine Fournier, du Parti Québécois. Pas pour Catherine Fournier, souverainiste sans parti. Aurait-elle remporté la victoire comme indépendante? Je ne crois pas. Le PQ aurait-il remporté la victoire avec une candidature indépendante de Catherine Fournier pour diviser le vote? Je crois que non.

Toujours est-il que Mme Fournier a été élue comme membre du Parti Québécois et qu'en six mois, il ne s'est pas passé grand-chose pour bouleverser le contexte politique politique québécois, ni l'équilibre des forces entre le parti amiral et les autres partis et factions indépendantistes. Rien ne laisse croire qu'elle a tenté, ces derniers mois, de faire valoir ses options avec énergie et menaces appropriées à l'intérieur du parti, parce qu'on laissait entendre aujourd'hui qu'au sein du caucus du PQ, personne ne savait qu'elle quitterait le parti en début de semaine...

Dans les circonstances, on est en droit de s'interroger l'évolution de sa pensée face à une éventuelle défection. Elle y pense depuis des semaines, des mois, une année? Y songeait-elle déjà au moment de se faire élire? Personne ne semble l'avoir interrogée là-dessus. Si on compare sa situation à celle de la députée conservatrice Amanda Simard en Ontario, cette dernière a fait faux bond à son parti quand le premier ministre Doug Ford a lancé une attaque sauvage contre les Franco-Ontariens qu'elle s'était engagée à défendre durant la campagne électorale. Trahir son parti devenait une obligation.

Rien de tel ici, pour Mme Fournier. Les déclarations qu'elle a faites ce matin sur la nécessité de rassembler les forces souverainistes, au besoin ailleurs que dans le PQ, auraient pu être défendues à l'intérieur de son parti comme dans l'ensemble des formations indépendantistes. René Lévesque avait défendu son Option Québec au sein du Parti libéral (alors dans l'opposition) jusqu'à ce que la situation devienne intenable et qu'il soit au bord  de l'expulsion. Mme Fournier a aussi cette obligation en vertu du mandat qu'elle a sollicité et obtenu en octobre 2018. On ne peut tout simplement dire, au tout début d'un mandat, j'ai changé d'idée... Je ne veux plus siéger avec le parti pour lequel vous avez voté...

De plus, Mme Fournier ne représente pas seulement ses électeurs péquistes, ou tous les indépendantistes. Elle est députée de tous les citoyens, y compris ceux qui appuient Québec Solidaire, la CAQ et le Parti libéral. Toutes ces personnes qui ont voté le 1er octobre ont confié un mandat à une députée qui leur dit, six mois plus tard, ne pas avoir l'intention de l'honorer parce qu'elle vient de découvrir que son parti a des airs irrémédiables de perdant. La démocratie ne fonctionne pas de cette façon. Quand on change d'idée moins de six mois après un scrutin pour de telles raisons, on démissionne et on laisse les électeurs faire un nouveau choix.

C'est ça, le fond du problème. Mme Fournier a peut-être raison dans son analyse du PQ et des forces souverainistes. Peut-être pas. Cela pourrait et devra être l'objet d'une très longue discussion. Mais là elle se trouve à utiliser la crise (permanente?) au PQ pour changer les règles du jeu électoral. Vous pensiez avoir élu une députée péquiste? Bien, voyez-vous, je n'y crois plus et je siègerai désormais comme indépendante. Que répondra-t-elle à ceux et celles qui lui diront: oui c'est bien beau ça mais on voté PQ le 1er octobre. Nous avons le droit d'être représentés par une ou un député du Parti Québécois.

Il n'y a pas de bonne réponse.




Aucun commentaire:

Publier un commentaire