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Les adversaires de la Loi 21 sur la laïcité de l'État québécois n'ont pas tardé à recourir aux tribunaux, et la férocité de leurs tirades publiques donne à croire qu'ils estiment leur victoire assurée aux plus hautes instances judiciaires. Cela ne me surprendrait pas qu'ils aient raison et qu'en bout de ligne, la Cour suprême juge cette loi en violation du droit constitutionnel canadien.
Pour le moment, une demande d'injonction mijote à la Cour d'appel du Québec, qui doit décider si l'application de la Loi 21 doit être suspendue jusqu'à ce que la plus haute cour du pays ait statué sur le fond de l'affaire.
Le plus important, pour le gouvernement québécois, n'est pas de savoir s'il gagnera ou perdra son combat en faveur d'une laïcité somme toute fort limitée. Le problème de fond, ce sont les tribunaux supérieurs eux-mêmes, qui n'ont aucune légitimité pour agir comme arbitres suprêmes d'un litige opposant le Québec à l'ordre constitutionnel fédéral.
Ces juges sont tous nommés par le gouvernement canadien, ce gouvernement même qui a imposé au Québec sans son accord la Charte constitutionnelle de 1982, celle qu'on invoque aujourd'hui pour contrer le projet de laïcité, et qu'on a utilisé par le passé pour charcuter la Loi 101. Les tribunaux supérieurs du Canada sont en conflit d'intérêt direct chaque fois qu'ils doivent arbitrer un litige juridique où l'instance fédérale se trouve directement ou indirectement impliquée.
Les dés sont pipés et le gouvernement Legault, pour faire contrepoids, doit dès maintenant affirmer publiquement l'injustice d'un tribunal dont les magistrats sont choisis exclusivement par l'adversaire. Il est vrai que l'annonce de l'utilisation de la clause dérogatoire en cas de défaite judiciaire rétablit un peu l'équilibre, mais qu'arrive-t-il si la Cour d'appel accorde l'injonction aux intégristes religieux qui contestent la Loi 21?
Québec sera-t-il obligé de plier et de suspendre pour un an ou deux une décision fondamentale pour l'avenir de la société québécoise simplement parce que le bras judiciaire du multiculturalisme constitutionnalisé de la majorité anglo-canadienne nous l'ordonne? Un gouvernement québécois qui se respecte ne peut accepter que le reste du pays lui dicte sa phobie de la laïcité de l'État.
Ces jours-ci, l'offensive est généralisée, hors Québec. L'Alberta, la Saskatchewan, l'Ontario, le Manitoba, des conseils municipaux, notamment Toronto et Calgary, sans oublier l'hystérie médiatique du Canada anglais, tous tirent à boulets rouges contre un projet qu'ils jugent comme une incarnation du racisme et de la xénophobie. À Ottawa, on doit jubiler.
Si notre existence comme nation doit continuer d'avoir un sens, le temps est venu de modifier des règles du jeu qui mettent tous les atouts entre les mains de législatures et de tribunaux qui nous sont trop souvent hostiles et sur lesquels nous, comme Québécois, n'avons aucune autorité.
La laïcité est un combat noble mené depuis des centaines d'années partout dans le monde. Nous l'avons fait nôtre, du moins en principe. Ce choix appartient au Québec comme société, comme nation, et n'a pas à être soumis au tribunal d'une majorité anglophone qui ne partage pas certaines de nos valeurs et qui brandit une supériorité morale frisant le racisme.
Monsieur Legault, le temps est venu de dire aux autorités du régime fédéral canadien que nous n'accepterons plus les règles du jeu imposées en 1982, et que le Canada n'a plus le droit - judiciairement ou politiquement - d'utiliser un pouvoir arbitraire pour dicter à la nation québécoise des orientations de société qu'elle rejette.
Et même si, par miracle, les tribunaux ne cassaient pas la Loi 21, le problème de fond reste le même. Ce n'est que partie remise...