samedi 23 novembre 2019

Les barbarismes franglais...


Le slogan «C'est business d'être bilingual» comptera parmi les champions des barbarismes franglais pondus par des groupes de la francophonie d'ici et d'ailleurs. Ce «p'tit dernier» peut être attribué à l'Association des communautés francophones d'Ottawa (ACFO), qui a adopté cette expression tordue comme moyen de participer aux efforts du mouvement «Ottawa bilingue»...

Si encore c'était un geste de torture linguistique isolé, on pourrait pardonner un écart, même grave... mais non, cette manie de «frangliser» des publicités semble devenir endémique.

Plus tôt cette année, en avril 2019, l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) invitait trois députés fédéraux de langue française à son déjeuner annuel, qu'elle a baptisé «French-ment bon»!!! Pourquoi une telle appellation? Pour les anglophones qu'elle invite peut-être, à l'occasion, au «Déjeuner-rencontre avec l'Ontario français / Eat & Greet with French Ontario»? Seul un francophone comprendra ce jeu de mots...


Il y a deux ans, en 2017, c'était au tour des Acadiens de la région de Dieppe-Moncton de nous servir du franglais sous prétexte que cela correspond au patois local, le chiac... En effet, on avait choisi le slogan «Right fiers!» pour les Jeux de la francophonie canadienne!!! Oui, vous avez bien lu: les jeux de la «francophonie» canadienne... et un des deux mots du slogan est anglais...


Au début de la décennie, en 2011, l'AFO lançait une campagne pour inciter les jeunes Ontariens francophones à aller voter au scrutin fédéral. Je ne sais pas qui a eu cette idée moins que brillante, mais on a choisi comme mot-d'ordre «Je frenche mon vote»...


J'était éditorialiste au quotidien Le Droit à cette époque et j'avais commenté ainsi l'initiative franco-ontarienne: «Le slogan "Je frenche mon vote" est une horreur linguistique. Il n'a aucun sens, ni en français, ni en anglais. Il dévalorise les jeunes Franco-Ontariens et sa notoriété ne tient qu'à l'emploi d'un mot anglais que certains pourraient trouver risqué ou osé, mais qui ne l'est pas.»

Au-delà d'un manque de respect élémentaire pour la langue française, ces expressions témoignent d'un relent d'esprit de colonisé et d'un effritement identitaire sournois qui touche à divers degrés les multiples éléments de la francophonie canadienne et québécoise, assaillie quotidiennement dans une Amérique du Nord massivement anglophone.

On peut au moins se consoler que trois des slogans (French-ment bon!, Je frenche mon vote et Right fiers!) mettent l'accent - maladroitement - sur la protection de la langue française. Le plus récent, C'est business d'être bilingual, est beaucoup plus insidieux. Proposer le bilinguisme comme objectif, c'est faire la promotion des deux langues - du français, mais aussi de l'anglais. Et Dieu, s'il existe, sait que l'anglais n'a besoin d'aucun coup de pouce à Ottawa...

Tous, toutes savent que les services en français laissent à désirer dans la grande majorité des commerces à Ottawa. Alors pourquoi ne pas l'exprimer clairement, au lieu de se draper dans un brouillard de bilingualism? Pourquoi ne pas dire sans détour aux anglos de la capitale que dans une région (Gatineau et Ottawa) où plus du tiers des résidents sont francophones, bien servir cette clientèle dans sa langue peut être payant! Mieux ça que de leur servir une expression indigeste en anglais et indécente en français...

À ceux et celles qui rétorqueront que tous comprennent le sens de l'intervention, qu'elle constitue un appui clair au français, je répondrai qu'on a qu'à rouler 200 km sur la 417 et la 40 jusqu'à Montréal pour découvrir que «c'est business d'être bilingual» constitue l'argument de routine que nous servent les Charest, Couillard et compagnie depuis des décennies pour amener tous les jeunes Québécois à apprendre l'anglais...


Au rythme où vont les choses, on en sera bientôt au niveau d'anglomanie qui sévit dans plusieurs milieux en France. Il suffit, par exemple, de penser au slogan unilingue anglais (Made for sharing) des Jeux olympiques de Paris en 2024... Nos cousins français sont cependant moins à risque que nous de connaître l'effritement identitaire fatal qu'entraînera le bilinguisme collectif dans notre petite enclave nord-américaine...

Ici, les slogans «bilingues» sont le symptôme d'un mal beaucoup plus profond... Le plus souvent ils ne sont ni drôles, ni ingénieux, ni même efficaces... Quand je pense aux efforts consentis par les générations précédentes, depuis deux siècles et demie, pour nous offrir la chance de créer enfin un environnement de langue française en Amérique septentrionale, j'ai de la difficulté à réprimer la colère et la honte...








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