caricature de Bado dans le quotidien Le Droit
Le débat sur la contestation judiciaire de la Loi 21 et la laïcité de l'État est de nouveau en train de dérailler. Tous les feux sont dirigés vers la juge en chef de la Cour d'appel du Québec, Nicole Duval Hesler, comme si sa présence ou son désistement pouvaient être déterminants dans la décision de suspendre ou pas l'application de ladite Loi 21.
Si elle en vient à avouer un préjugé anti-laïcité et se retire de la cause, rien n'est acquis. Le ou les juges qui la remplaceront pourraient aussi bien arriver aux mêmes conclusions que la juge Duval Hesler. De fait, il y a une forte probabilité qu'ils le fassent. Pourquoi?
D'abord parce que tous les juges des cours supérieures sont nommés par le gouvernement fédéral seul, voire par le premier ministre seul. Les dés sont pipés. Cela ne garantit pas toujours une issue défavorable dans un conflit avec Ottawa, mais disons que le Québec rame à contre-courant.
Cette fois, cependant, à moins d'un miracle judiciaire, les tribunaux fédéraux vont casser la Loi 21 parce qu'ils n'ont pas le choix. La proclamation de la laïcité de l'État au Québec constitue une véritable rébellion contre la Charte constitutionnelle de 1982 et même, quoiqu'à un moindre degré, contre la Loi constitutionnelle de 1867.
La Loi 21 stipule à l'article premier que «l'État du Québec est laïque» et affirme à l'article 2 «la séparation de l'État et des religions». Toutes les autres dispositions de la Loi, y compris bien sûr celles sur l'interdiction du port de signes religieux, découlent de ces deux principes. Ces deux articles constituent un rejet clair d'éléments fondamentaux des lois constitutionnelles du Canada.
L'Acte de l'Amérique du Nord britannique (la Loi constitutionnelle de 1867] confirme la reine (ou le roi) de Grande-Bretagne comme chef de l'État canadien. Or Elizabeth Windsor, comme son arrière grand-mère Victoria qui régnait à l'époque de la Confédération, se trouve à cumuler la charge de monarque et celle de chef de l'Église anglicane. Elle est sans conteste un chef religieux.
Un État laïque ne peut accepter de se reconnaître dans une monarchie identifiée à une Église particulière, monarchie dont le trône est d'ailleurs interdit aux catholiques, la religion la plus répandue au Québec. La laïcité entraînera donc, nécessairement, un rejet du chef d'État reconnu par la constitution canadienne.
Secundo, l'affirmation de la laïcité du Québec contredit l'article 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, celle qu'on nous a imposée et que nous n'avons jamais signée. Cette loi affirme dans son préambule que «le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu». Cela suffit pour rendre toute velléité de laïcité étatique inconstitutionnelle aux yeux de la Charte fédérale.
Et au cas où cela ne suffirait pas, l'article 27 de la Charte de 1982 stipule que toute interprétation de ladite Charte «doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens». L'interdiction des signes religieux pour certains agents de l'État impose des limites à certains excès d'un multiculturalisme débridé. On ne pourra jamais argumenter qu'il en favorise le maintien ou la promotion.
Le coup d'État du Canada anglais en 1982 comporte des clauses qui mettent en péril l'essence même du fédéralisme en affirmant la supériorité juridique de la constitution fédérale sur les lois des autres États membres de la fédération. À l'article 50 de la Charte canadienne, il est dit que «la Constitution du Canada est la loi suprême du Canada», qu'elle «rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit». À l'article 32, on affirme clairement que la constitution fédérale s'applique aux législatures provinciales. Cela, Québec ne l'a jamais accepté. Aucune province ne devrait le faire.
Le droit se se soustraire à la Charte est accordé aux provinces pour certains articles de la Constitution, mais pas tous. Si j'ai bien compris le texte constitutionnel, l'article sur la promotion du multiculturalisme, par exemple, pourrait être invoqué pour saper le pouvoir de dérogation...
De fait, ce que le gouvernement Legault doit affirmer, c'est que la Loi constitutionnelle de 1982 elle-même est inconstitutionnelle. Parce qu'elle infériorise les États provinciaux par rapport à l'autorité fédérale, ce qui contredit l'essence même du principe fédéral dont le pays se réclame. Parce qu'elle abuse du pouvoir de la majorité anglo-canadienne pour imposer ses valeurs et son projet de société à une nation québécoise minoritaire issue de traditions linguistiques, culturelles et juridiques françaises.
La Loi 21 est un acte de rébellion nationale. Sa légitimité tient à la fois à la noblesse de la cause de la laïcité et à la nature profondément démocratique (et respectueuse) du processus qui a mené à son adoption par l'Assemblée nationale du Québec. Inconstitutionnelle? Bien sûr! C'est une dénonciation d'éléments clés des lois constitutionnelles de 1867 et de 1982. Une dénonciation justifiée!
Dans cette cause, les vrais fédéralistes sont à Québec. Les Anglo-Canadiens n'ont jamais cru au fédéralisme. De fait ils n'y comprennent pas grand-chose. Leur gouvernement national est à Ottawa et ils y consentiront toujours une plus grande centralisation des pouvoirs. C'est au fond ce que la Charte de 1982 cherche à imposer au Québec. Et là, on vient de dire Non!
Cette affaire risque de devenir l'une des plus importantes crises du pays. Plus que le référendum de 1995? On verra...
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N.B. Je ne suis pas juriste. Peut-être n'ai-je rien compris au sens profond des textes de loi constitutionnels. Des juristes viendront sûrement m'éclairer...
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