mercredi 14 juin 2023

Un peu de potion magique?


---------------------------------------------------------------------------------

La petite ville de Casselman (4 000 habitants) est située au coeur de ce qui reste de l'Est ontarien francophone. C'est à la Ferme Drouin, tout près, qu'on présentait le méga-spectacle franco-ontarien L'écho d'un peuple (genre La fabuleuse au Saguenay). Le fromage de renom St-Albert est produit par une imposante coopérative laitière plus que centenaire au village voisin de... St-Albert.

«Casselman est un des villages gaulois de l’Est ontarien, lance avec enthousiasme l’animateur culturel et résident, Félix Saint-Denis (créateur de L'écho d'un peuple). Il y a une immense fierté franco-ontarienne ici.» Alors comment se fait-il que cette municipalité à forte majorité francophone se retrouve tout à coup avec une mairesse qui parle à peine le français?

Les valeureux «gaulois» de Casselman lui ont accordé une majorité substantielle aux élections de 2022. Ne savaient-ils pas qu'elle était à toutes fins utiles proche de l'unilinguisme anglais? Il est vrai que son nom, Geneviève Lajoie, pouvait être trompeur à première vue. Mais cette ancienne résidante de la banlieue désormais anglicisée d'Orléans (maintenant un secteur d'Ottawa) avait depuis longtemps perdu sa capacité de fonctionner en français.

Faut dire qu'elle a entretenu elle-même la confusion. Quelques semaines après l'élection du 24 octobre 2022, elle déclarait au réseau ONFR+ (TV Ontario) ce qui suit: «J’ai un très fort accent anglais et mon français n’est pas parfait, mais je suis francophone, comme je suis née et j’ai grandi en français.» Et elle en rajoutait: «J’ai constaté, un peu comme tout le monde, qu’il y a un déclin du français. Casselman est une municipalité francophone et c’est très important qu’elle le reste.» (https://onfr.tfo.org/genevieve-lajoie-compte-ameliorer-la-visibilite-du-francais-a-casselman/)

Mais voilà que sept mois plus tard, Le Droit (voir lien en bas de page) rapporte que Mme Lajoie parle presque uniquement anglais aux réunions du conseil municipal. L'article du journaliste Charles Fontaine poursuit: «Lorsqu'elle a été élue, elle s'est donné un an pour apprendre la langue. "Il faut que j'apprenne le français pour mieux servir les personnes. Ce sera ma priorité», disait-elle au Droit lors des dernières élections municipales.» Trouvez l'erreur...

Les autres membres du conseil municipal et le public protestent-ils? S'ils le font, c'est en douce, très douce, mode franco-ontarienne, en s'imposant (sauf rares exceptions) le moins possible. On la félicite même de faire des efforts pour émailler ses interventions de quelques phrases en français. Comme l'indique la conseillère Leblanc, «on favorise le bilinguisme» à Casselman. Le problème éternel des Franco-Ontariens... affirmer les deux langues au lieu de défendre la leur...

Même Mme Lajoie, qui n'est pas à une contradiction près, ne voit pas vraiment où est le problème. Sa déclaration à cet égard, rapportée dans Le Droit, est à la fois enrageante et troublante de vérité. «Je ne trouve pas qu’il y a un problème avec ma langue à Casselman, je n’ai pas reçu de plaintes. Les gens me comprennent et c’est la communication qui importe. C’est important de se rappeler qu’il y a des anglophones aussi ici.» C'est une claque en pleine face aux francophones de la ville mais y a-t-il là-dedans une fausseté? Pas vraiment...

Y a-t-il un problème avec sa langue? De son point de vue, non.
A-t-elle reçu des plaintes? Non, dit-elle.
Les gens la comprennent-elle (même en anglais)? Oui, semble-t-il.
Est-ce la communication qui importe? Plusieurs diraient oui.
Est-il important de se rappeler qu'il y a des anglophones? Oui, et de plus en plus à Casselman...

À entendre le directeur général de l'Association canadienne-française de l'Ontario (ACFO) pour Prescott-Russell, Jacques Héroux, tout baigne dans l'huile. Ses propos au sujet de l'«unilinguisme» anglais de la mairesse, faisant aussi partie de l'article désarmant du Droit, sont renversants et dignes d'une attitude qui verra un jour les Franco-Ontariens disparaître de la carte: «Ça n’enlève en rien à ses capacités à gouverner la ville, tranche le directeur général Jacques Héroux. On encourage les élus publics à apprendre les deux langues, mais le maire pourrait très bien être unilingue anglophone.»

Un bon jour, le porte-parole de l'ACFO sera peut-être obligé de changer de ton, parce que le nombre d'unilingues anglais est en forte hausse à Casselman et surpasse, depuis 2021, le nombre d'unilingues français. L'immense majorité des résidents de l'endroit (72%) sont bilingues. Mais il est intéressant de noter qu'entre 2006 et 2021 (15 ans seulement), la proportion d'unilingues anglais est passée de 6% à 15%. Pendant ce temps, la part des unilingues français (50% si on remonte à 1951) est passée de 21% en 2006 à 13% au recensement de 2021.

Formulés autrement, pour bien en saisir la portée, ces chiffres signifient qu'en 2006, 94% des habitants de Casselman pouvaient parler français (unilingues français + bilingues), et 80% pouvaient parler anglais (unilingues anglais + bilingues). En 2021, 85% de la population peut s'exprimer en français, alors que 87% peut s'exprimer en anglais! Un point de bascule. Ce n'est qu'une question de temps. D'ici quelques recensements, Casselman ressemblera aux anciennes municipalités franco-ontariennes de Rockland et Embrun, où les anglos deviennent vite la majorité.

Et pendant ce temps, les dirigeants franco-ontariens continuent de se gargariser d'élixirs qui leur font voir en rose une réalité qui n'a rien de rose. L'Assemblée de la francophonie de l'Ontario prétend qu'il y a entre 700 000 et 800 000 Franco-Ontariens, alors que tous ceux qui se donnent la peine de vérifier dans les recensements apprendront sans trop chercher que le nombre oscille autour de 500 000 (selon la langue maternelle) ou encore 300 000 (selon la langue d'usage, le critère le plus précis).

Casselman ne sera plus un village gaulois très longtemps. La francophonie est en baisse et se dirige on sait où. Les francophones se font assimiler, même à Casselman. Mais pour le moment, les Franco-Ontariens ont toujours la majorité (75% selon la langue maternelle,  67% selon la langue d'usage - langue la plus souvent parlée à la maison). Avant d'encaisser de nouveaux reculs irréversibles, ne serait-il pas temps de voir la réalité en face et de faire oeuvre utile?

Hé, Astérix et Obélix, une gorgée de potion magique pour les conseillers municipaux et les citoyens de Casselman?

------------------------------

1 commentaire:

  1. En créant une super-ville sur un territoire immense, majoritairement rural, le gouvernement ontarien a créé le problème actuel. La seule façon d'échapper aux taxes municipales d'Ottawa et de n'acquitter que des taxes plus abordables de municipalités rurales, c'est d'aller vivre à Casselman ou Rockland, au-delà des limites d'Ottawa. Une solution pourrait être de faire pression pour que soient reconstituées des municipalités rurales à l'est de la zone réellement bâtie. Cela ferait tampon et absorberait les débordements vers l'est. Vers le sud et vers l'ouest, le problème ne se pose pas, puisque ce sont des territoires déjà fortement anglophones. Pour ce qui est du nord, la ville québécoise de Gatineau est très proche de l'agglomération ottavienne et les centre-villes se font face de part et d'autre de la rivière des Outaouais. Gatineau est donc très vulnérable devant l'arrivée de milliers de citoyens unilingues anglais vivant à Ottawa et voulant payer moins de taxes, tout en restant proche de la partie construite d'Ottawa. La fiscalité élevée de la province de Québec et le caractère français de Gatineau sont les seuls repoussoirs actuels.

    RépondreEffacer