lundi 14 octobre 2024

10, 20, 50 Saint-Léonard...

La bataille de Saint-Léonard de Félix Rose tombe pile! En plus d'étaler avec doigté sur grand écran un moment clé de l'histoire - oublié des plus vieux, inconnu des plus jeunes - ce film rappelle le coeur d'un affrontement, scolaire en apparence mais touchant la fibre sociale entière du Québec. Et qui se poursuit en 2024...

De 1967 à 1969, Italiens et Canadiens français de Saint-Léonard-de-Port-Maurice (devenu l'arrondissement Saint-Léonard à Montréal) se sont fait la guerre: italophones exigeant d'envoyer leurs enfants à des écoles anglaises ou bilingues, francophones voulant imposer l'école française. C'est plus complexe que ça mais enfin...

Réunions publiques houleuses, occupation étudiante de l'école Aimé-Renaud, manifestations parfois violentes, interventions policières musclées, accusations de sédition! Boum! Le gouvernement de l'Union nationale fait adopter en 1969 la Loi 63 permettant le libre choix de la langue d'enseignement pour tous les parents. Victoire des Italiens. Le ressac chez les Québécois de langue française devait mener à l'élection du PQ en 1976 et l'adoption rapide de la Loi 101.

Le grand mérite du cinéaste est d'avoir tendu le micro à une famille de chaque camp: les Barone et les Lemieux. L'Italo-Québécois Mario Barone était constructeur et conseiller municipal. L'architecte Raymond Lemieux, fondateur du Mouvement pour l'intégration scolaire, pilotait la coalition francophone. On les voit, ainsi que leurs enfants, dans des clips d'époque et des enregistrements plus récents. Et si on se donne la peine d'écouter, tout est là!

Les immigrants italiens se considèrent autant, sinon plus, Canadiens que Québécois. Ils veulent voir leurs enfants sur les bancs des écoles anglaises (ou bilingues), ayant perçu avec justesse la dominance de l'anglais et des anglos à Montréal, au Canada et en Amérique du Nord. Pourquoi miser sur la langue des quartiers pauvres et de la misère? Qui peut les en blâmer?

De leur côté les francophones, propulsés par une révolution pas toujours tranquille, ont pris conscience de leur infériorité économique et entendent mettre leur majorité linguistique au service d'un projet national de société à leur image. Le Québec ne sera pas bilingue ou anglais: il sera français. Dans le film, Raymond Lemieux, président du Mouvement d'intégration scolaire de Saint-Léonard, est très clair: on ne devrait même pas avoir à apprendre l'anglais au Québec!

Cette affirmation, qui passe en clin d'oeil dans le documentaire, reste pourtant la plus importante recueillie par Félix Rose dans les archives de la fin des années 1960. Faut-il, faudra-t-il connaître l'anglais pour bien vivre au Québec? Clairement, après un demi-siècle, on n'a qu'à écouter Michael Rousseau, PDG d'Air Canada, et la gouvenore-djènerale du Canada, Mary Simon, pour savoir qu'on peut encore aujourd'hui, au Québec, viser le sommet sans apprendre un mot de français...

Et comme si cela ne suffisait pas, les deux plus récents premiers ministres libéraux, Jean Charest et Philippe Couillard, ont exprimé clairement leur désir de voir tous les jeunes Franco-Québécois devenir bilingues. L'anglais intensif dans les écoles françaises! Le Parti libéral du Québec, plutôt silencieux lors de la bataille de Saint-Léonard, serait monté sur les barricades avec les Italiens dans les années 2010...

Le documentaire de Félix Rose reste plutôt discret sur le rôle des autres partis d'opposition. C'est l'une des rares faiblesses du film. Les chefs de l'Union nationale sont à l'avant-plan mais c'est logique. L'UN, sous Daniel Johnson puis Jean-Jacques Bertrand, était au pouvoir. Pourtant, en mars 1968, à un congrès spécial du RIN (Rassemblement pour l'indépendance nationale), Pierre Bourgault - qu'on aperçoit sans plus à l'écran à quelques reprises - avait appelé les membres à se mobiliser pour les parents francophones de Saint-Léonard et organisé une assemblée de 600 personnes au mois de mai 1968.

René Lévesque, chef du Mouvement Souveraineté-Association devenu Parti québécois à l'automne 1968, oscillait entre sa volonté d'intégrer les immigrants au Québec français et sa répugnance d'ordonner leur francisation. Il s'était rendu en pleine nuit (pour éviter les médias) à l'école Aimé-Renaud en guise d'appui aux parents francophones mais quand Raymond Lemieux s'est avancé pour le saluer, le chef du PQ l'avait mis en garde contre toute association avec des «fanatiques», visant notamment Reggie Chartrand des Chevaliers de l'indépendance, qu'il venait de croiser sur les lieux.

La crise scolaire et linguistique vécue à Saint-Léonard laissait présager d'autres conflits dans la grande région montréalaise et ailleurs, là où, dans un contexte de libre choix entre l'école française et anglaise, l'immigration croissante combinée à une proportion appréciable d'anglophones créerait des situations similaires. Raymond Lemieux le pressentait quand il a exhorté les milliers de militants du MIS à créer «10, 20, 50 Saint-Léonard» à travers le Québec. Des comités avaient été formés à Anjou, Jacques-Cartier, Outremont, Hull, Rouyn, Matagami et même à Trois-Rivières. Il n'y a finalement pas eu d'autres Saint-Léonard avec la crise d'octobre de 1970, l'élection du PQ en 1976 et la Loi 101 en 1977, mais la question de M. Lemieux demeure: faut-il vraiment apprendre l'anglais à Montréal, à Gatineau, au Québec?

La réponse doit absolument être NON! Si l'immense majorité des Québécois ne peut espérer vivre et travailler uniquement en français, la bataille de Saint-Léonard et la Loi 101 n'auront rien donné. Si les partisans du bilinguisme collectif au Québec l'emportent, nous n'avons pas d'avenir comme peuple. Un Torontois trouve-t-il normal de vivre et travailler en anglais seulement dans la Ville-Reine? Bien sûr! Et un Danois d'évoluer dans sa langue à Copenhague? Et un Brésilien de s'attendre à être servi en portugais dans les commerces? Et à un Suisse de Zurich de passer sa vie en allemand? Bien sûr! Les immigrants apprennent partout la langue du pays. C'est normal. Ce doit l'être aussi dans un Québec résolument français! Voilà le message de Saint-Léonard.

Félix Rose se plaignait avec raison que la bataille de Saint-Léonard avait été oubliée. Son documentaire fait oeuvre utile en initiant les générations actuelles à quelques pièces clés du casse-tête linguistique québécois. Rien n'a été réglé depuis 1967. Les écoles françaises feront de nos prochaines générations des «bilingues» baragouinant un français appauvri farci d'anglicismes et de mots anglais. Des milliers d'étudiants francophones s'inscrivent aux cégeps et universités anglaises... au Québec. Et s'anglicisent. Et à Saint-Léonard, la moitié ou plus des Italo-Québécois et autres collectivités issues de l'immigration continuent de choisir de vivre en anglais, parce qu'ils le peuvent, parce qu'ils l'estiment plus nécessaire que le français.

Depuis la fin des années 1960, à Montréal, la proportion d'unilingues français a chuté de façon dramatique! Les Montréalais francophones sont massivement bilingues, désormais. Cette anglicisation en marche deviendra irréversible à moins de créer «10, 20, 50 Saint-Léonard»... Quand les «Bonjour-Hi» se diront sans «Bonjour», il sera trop tard. Notre contribution de plus de 400 ans à la diversité culturelle mondiale ne sera guère plus qu'une page dans les manuels d'histoire. Ou encore quelques films documentaires comme «La bataille de Saint-Léonard» accumulant la poussière sur les tablettes numériques de nos grandes bibliothèques...


lundi 7 octobre 2024

Si les Québécois se mettaient dans la peau d'un Franco-Ontarien de Greenstone...

En septembre, plus d'une centaine de particuliers et d'organisations ont offert des drapeaux franco-ontariens aux résidents de la petite ville de Greenstone, dans le nord de la province, pour que ces derniers puissent pavoiser leurs maisons en guise de protestation contre la décision du conseil municipal de retirer du mat de l'hôtel de ville l'étendard blanc et vert de l'Ontario français qui y flottait depuis une dizaine d'années.

À mon grand désespoir, cette nouvelle n'a pas percé l'éternel mur d'indifférence des médias québécois. Mais, dira-t-on, pourquoi s'intéresser au combat d'une poignée de francophones hors Québec contre le mépris habituel d'une majorité anglaise dans un bled isolé de la forêt boréale sur l'interminable route 11, direction lac Supérieur? Parce qu'un jour, au train où vont les choses, nous, Québécois, serons peut-être aussi réduits à mobiliser une base citoyenne si des anglos devenus majoritaires décident de retirer le fleurdelisé d'un mat et hisser leur unifolié rouge à sa place...

Une telle situation est difficile à envisager au Québec dans le contexte où une majorité francophone - solide mais déclinante - nous permet d'occuper le haut du pavé. À condition de vouloir occuper le haut du pavé bien sûr, ce qui ne semble pas du tout clair. Chaque recensement brosse un portrait chirurgical de l'affaiblissement du français, au Québec comme ailleurs, et du renforcement de l'anglais, même chez les francophones. Dans les régions à forte présence anglophone et allophone, un racisme anti-français se manifeste ouvertement, dans la société, les écoles, les boîtes de scrutin. Ne leur manque que la majorité pour nous faire suer comme les Franco-Ontariens...

Alors faites un moment l'effort de vous imaginer à Greenstone, petite ville de 4000 habitants où habitent près de 900 francophones (la proportion baisse tous les ans). Vous n'avez aucun pouvoir décisionnel avec moins de 25% de la population et ne pouvez espérer d'appui du gouvernement provincial à Toronto, ni du fédéral où la majorité anglo-canadienne exerce 100% du pouvoir. La municipalité décide de retirer votre drapeau vert et blanc avec fleur de lys et trille du mat à l'hôtel de ville et de lui accorder cinq jours par année, dont le 25 septembre, Jour des Franco-Ontariens. 

Vous n'avez aucune force politique suffisante. Vous amassez donc des drapeaux de l'Ontario français et pavoisez les maisons pour protester. Vous boycottez la cérémonie du 25 septembre à l'hôtel de ville. Et puis? Rien! Sans le bon vouloir des anglos, vous êtes cuits. Reste l'influence des médias de langue française, qui ne rejoignent qu'une faible proportion des Franco-Ontariens, ainsi que la force plus imposante des médias québécois, capables de propulser la misère d'une petite collectivité francophone ontarienne sur la scène nationale, québécoise et canadienne. Mais la presse québécoise est en plein désarroi. Six des dix quotidiens de langue française sont disparus et ce qui reste de la presse écrite et des médias électroniques au Québec ne vous connaissent même pas! La population restera dans l'ignorance!

Pouvez-vous imaginer la frustration devant une situation où vous subissez une injustice sans avoir la capacité de la redresser, d'être à la merci d'une majorité hostile (celle-là même qui commet l'injustice), de n'avoir aucun recours à une instance où les vôtres sont en position de prendre une décision, et de ne pouvoir mobiliser l'opinion publique à cause d'une indifférence médiatique généralisée? Voilà le quotidien des Franco-Ontariens.

Maintenant tentez de transposer une telle impuissance dans le Québec de vos petits-enfants ou arrière-petits-enfants. Vous aurez vite fait de comprendre pourquoi il faut léguer aux générations à venir un pays français exerçant tous les pouvoirs de la souveraineté. Un pays où nous aurons le droit de décider, où nous ne serons plus obligés de quêter, de quémander, de supplier pour obtenir les miettes qu'une majorité étrangère consentira...

Alors, je lance un appel, probablement futile, à mes collègues de la presse québécoise. Faites une place à la une pour des conflits comme celui de Greenstone. Et suivez-les. Jusqu'au dénouement. Une meilleure compréhension de la façon dont les francophones sont traités ailleurs informera les décisions que nous sommes appelés à prendre comme collectivité, comme nation.

Si les élus de Greenstone recevaient en grands nombres des commentaires de citoyens ou de groupes de citoyens québécois, ou des résolutions de conseils municipaux ça et là, ou la visite de journalistes de La Presse ou du Journal de Montréal, peut-être ne changeraient-ils pas leur décision de se défaire du drapeau franco-ontarien, mais ils auraient au moins conscience qu'ils font partie d'une problématique qui a des répercussions ailleurs que sur la route 11, peut-être même des conséquences pour l'avenir de leur pays...

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Lien au texte de Radio-Canada, «Plus de 100 drapeaux franco-ontariens flottent à Greenstone en solidarité» https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2107317/dons-drapeaux-solidarite-francophones

Lien au texte du journal Le Voyageur, «La riposte en vert et blanc de la communauté francophone à Greenstone!» https://levoyageur.ca/actualites/francophonie/2024/10/02/la-riposte-en-vert-et-blanc-de-la-communaute-francophone-a-greenstone/


samedi 5 octobre 2024

Que reste-t-il de l'esprit des allumettières?

Ç'a l'air gros mais il faut presque une loupe pour le trouver... Les allumettières méritaient mieux...

Les commémorations du centenaire du célèbre grève-lock-out des allumettières à l"usine E.B. Eddy, à Hull, à l'automne 1924, laissent un goût doux-amer. Non pas que la lutte de ces femmes courageuses ne mérite pas d'être célébrée. Au contraire! Elles constituent de fait une pièce essentielle de notre casse-tête identitaire.

Non, l'arête dans la gorge, c'est que ces braves syndicalistes aient ultimement échoué, qu'elles aient perdu leur emploi quand Eddy a déménagé son entreprise à Ottawa, et qu'au cours du siècle suivant, la solidarité sociale suscitée par ce conflit ait aussi disparu, comme une grande partie des maisons allumettes qu'elles habitaient, démolies sous l'oeil indifférent de nos élus par des entrepreneurs plus soucieux de leurs profits que d'un précieux patrimoine bâti et de l'histoire du coeur de l'ancienne ville de Hull.

Cela fait penser un peu à ces monuments de la francophonie érigés par les Franco-Ontariens dans des villes comme Ottawa, Sudbury, servant davantage à rappeler un passé révolu que l'espoir du présent dans des quartiers urbains jadis francophones. La Ville de Gatineau a dévoilé le 23 septembre 2024 un modeste (j'aurais été tenté de dire minuscule) monument commémoratif aux allumettières, tout près du pont des Chaudières, dans un quartier qui deviendra vite - comme l'ensemble de la rive québécoise au centre-ville - une espèce d'Ottawa-Nord.

Les allumettières ont déjà leur boulevard au coeur de l'Île de Hull, alors qu'E.B. Eddy a dû se contenter d'une rue. Une succursale de la bibliothèque municipale porte aussi le nom de la plus célèbre des allumettières syndicalistes, Donalda Charron. Mais que reste-il de l'esprit de ces femmes canadiennes-françaises catholiques (oui, c'était un syndicat catholique) et de la solidarité de la collectivité hulloise (des députés au conseil municipal à l'ensemble de la population) qui les a soutenues contre le capitalisme sauvage (et anglo) d' E.B. Eddy?À peu près rien!

Dans l'édition du 2 octobre 1924 de l'ex-quotidien Le Droit, sous le titre «Toute la population sympathise sincèrement avec les ouvrières», le journaliste Henri Lessard raconte avec émotion la forme que prend cette sympathie: des propriétaires de garage prêtent des voitures aux allumettières, des commerçants leur fournissent des vivres sur la ligne de piquetage, des propriétaires leur permettent de pensionner sans frais tout près de l'usine et des citoyens mènent une souscription publique pour amasser des fonds destinés à soutenir les allumettières. En 2024, cela ne se produirait pas.

Au cours du dernier demi-siècle, le quartier ouvrier du Vieux Hull a été défiguré par les gouvernements fédéral, québécois et municipal, victime de multiples expropriations et démolitions, notamment de maisons allumettes qui étaient l'âme du patrimoine bâti, remplacées par des gratte-ciels fédéraux où l'anglais est la langue de travail et par des tours d'habitation riveraines qui anglicisent le vieux Hull à vitesse grand-V, transformant un quartier autrefois à 90% francophone en un Ottawa-Nord bilingue... 

À Gatineau, la population a subi depuis trop longtemps le règne de la peur des libéraux (peur des séparatistes, peur d'offusquer l'employeur fédéral, peur des conséquences de s'exprimer publiquement, etc.). Vivre à genoux est aujourd'hui la règle sur un territoire qui, au lieu d'être la fière porte d'entrée au Québec, est devenu un entonnoir où tout est aspiré vers la capitale fédérale ontarienne.

E.B. Eddy avait bien compris les enjeux en 1924. C'est le Québec français (et catholique à l'époque) qui se dressait contre lui, pauvre mais fier et combatif. Sachant qu'il ne gagnerait pas contre les allumettières, l'entreprise a plié bagages et emménagé ses ateliers de misère à quelques centaines de mètres, sur la rive ontarienne.

Les allumettières de Hull ont été des pionnières du syndicalisme chez les femmes, des combattantes qui auront marqué l'histoire de la région et du Québec, des défenseurs de la dignité humaine contre le mépris du grand capital. Un exemple dont il faudrait tâcher de s'inspirer dans notre société en perdition. 

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Le texte sur le monument...


Lien au texte «La mémoire des allumettières commémorée à deux pas de leur ancienne usine» par Mathieu Bélanger dans Le Droit - https://www.ledroit.com/actualites/actualites-locales/2024/09/23/la-memoire-des-allumettieres-commemoree-a-deux-pas-de-leur-ancienne-usine-U7CNVHG7VFH2XGKRCNVF2S2LJU/

Lien à la série du Droit sur le conflit des allumettières - https://www.ledroit.com/actualites/actualites-locales/2024/09/21/un-feuilleton-historique-du-emdroitem-pour-souligner-le-centenaire-de-la-greve-des-allumettieres-NOS43ARPRVGPVDYENPHZXEWSQE/

Lien au journal Le Droit du 2 octobre 1924 à BAnQ - https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4148067

mercredi 2 octobre 2024

Recruter des Franco-Ontariens pour la médaille de Charles III?

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L'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) est-elle tombée sur la tête? Après tous les crimes commis au nom de la monarchie britannique contre les francophones du Québec, de l'Acadie et de l'ensemble du Canada (de la déportation de 1755 à la pendaison de Louis Riel au Règlement 17 en Ontario, et bien plus), voilà que l'organisme parapluie des Franco-Ontariens collabore au recrutement de candidats et candidates dans le cadre de la remise de la «Médaille du Couronnement du Roi Charles III». Non mais...

Près de deux ans après que l'Assemblée nationale du Québec ait mis fin au serment d'allégeance obligatoire au monarque, quelques mois à peine après que des députés franco-ontariens aient appuyé un projet de loi acadien au Parlement fédéral pour être dispensés d'un serment de loyauté à Charles III, et au moment même où les employés de TFO (télé franco-ontarienne) sont sommés de prêter serment au roi, sous peine de perdre leur emploi, l'AFO a le culot de s'associer à ce programme de médailles déjà dénoncé pour honorer le couronnement de celui qu'elle appelle «Sa Majesté le roi Charles III».

J'espère au moins que les rédacteurs du communiqué de l'AFO (voir ci-haut) ont avalé quelques Gravol avant de le publier sur Internet ce mercredi 2 octobre 2024, car ils oeuvrent désormais aux côtés d'une foule d'organisations surtout anglophones, y compris la Ligue monarchiste du Canada, dans cet effort a mari jusque ad mare pour rendre hommage à la Couronne britannique. Et s'ils se sont donné la peine de lire les critères d'admissibilité, ils verront que ce n'est pas destiné aux défenseurs les plus militants de la francophonie, acculés au fil des ans à lutter contre des injustices créées ou tolérées par les gouvernements de l'Ontario et du Canada. On les offrira aux collabos.

En avril 2024, quand la Chambre des communes a rejeté le projet de loi (du député acadien René Arseneault) permettant aux députés de ne pas jurer sa loyauté au roi Charles III pour avoir le droit de siéger au Parlement, et que de nombreux députés conservateurs anglophones s'étaient mis à chanter le God Save the King en signe de mépris, le député franco-ontarien Marc Serré, outré, s'était publiquement demandé «quel francophone» pourrait bien vouloir conserver l'obligation de prêter un tel serment... L'AFO pourrait se montrer solidaire, tout au moins en n'encourageant pas les Franco-Ontariens à vouloir une «médaille» du couronnement de Charles...

À bien y penser, peut-être ne devrait-on pas se surprendre de cette génuflexion collective devant la monarchie. Quand le député Francis Drouin, de l'Est ontarien, avait traité un témoin de «plein de marde» pour avoir établi un lien entre les études en anglais et l'anglicisation, l'AFO, par la voix de son président, s'était couverte de honte en se portant à sa défense... contredisant 110 ans d'une lutte fondée sur les constats d'un lien direct entre l'éducation en anglais et l'assimilation. 

Au prochain incident, car il y en aura d'autres, le président de l'AFO pourra se présenter devant la presse en portant sa petite médaille du couronnement de Charles III. Il l'aura bien méritée.

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Lien au communiqué de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario - https://mailchi.mp/aa462a983151/sondage-pour-les-priorits-budgtaires-provinciales-5436821?e=523eaa6be6

Lien au texte du J de Mtl - «Des millions en médailles pour honorer Charles III» - https://www.journaldemontreal.com/2024/06/13/des-millions-en-medailles-pour-honorer-charles-iii

Critères d'admissibilité à la Médaille du couronnement - https://api.monassemblee.ca/wp-content/uploads/2024/10/LGO-Guide-de-nomination-la-médaille-du-couronnement-du-roi-Charles-III.pdf


mardi 1 octobre 2024

Du temps perdu à la recherche…

La mémoire, c'est bien connu, est cette faculté qui trop souvent oublie... ayant la fâcheuse habitude d'effacer ce dont on voudrait se souvenir, mais conservant pour l'éternité une foule de petits riens qu'on aurait autrement relégués aux oubliettes... Pour le journaliste que je suis, la mémoire peut être à la fois alliée précieuse et ennemi mortel...

Ce problème avait une solution à l'âge d'or des quotidiens papier. Avec ciseaux et stylo, on pouvait éplucher et annoter le journal, accumulant au fil des ans les coupures de presse, conservées par thème dans des chemises et rangées en classeur. Aujourd'hui, avec la disparition rapide de l'imprimé et l'accélération du passage au tout-numérique, il faut se débrouiller avec le fouillis de l'Internet en espérant que l'immense toile ait attrapé dans ses filets les repères essentiels qu'on cherche, et qu'elle les régurgite sur un plateau convivial...

J'offre un exemple, valable autant que d'autres. L'Université McGill avait annoncé en 2014 la création à Gatineau d'une faculté satellite de médecine où la totalité de l'enseignement magistral serait dispensé en anglais! Je vous fais grâce des idioties qui se sont dites dans le sillage de cette nouvelle mais pendant six ans, le débat sur cet enjeu s'est poursuivi jusqu'à son aboutissement en 2020. J'ai dans une chemise environ 70 coupures de presse (principalement du Droit) et divers documents qui permettent, en une heure ou deux, de reconstituer le déroulement de l'affaire, du début à la fin.

Sans un dossier semblable, il est devenu quasi impossible de retrouver toutes les pièces du casse-tête avec une recherche Web. Les journaux imprimés et leurs archives papier n'existent plus dans la plupart des régions du Québec y compris l'Outaouais. De plus, certains de ces textes ont disparu de l'Internet ou ont été modifiés. Par ailleurs, le choix et la séquence des mots clés choisis pour orienter la recherche sur Google ou quelque autre plate-forme donneront des résultats variables et fort incomplets. Du temps perdu à la recherche d'un temps perdu. À moins d'être prêt à utiliser de multiples combinaisons de mots clés et d'ouvrir des milliers de fichiers, ce que la plupart des rédacteurs actuels n'ont pas le temps de faire, les trous de mémoire proliféreront. 

Dans son édition du 10 février 2020 (un mois et demi avant qu'on mette fin au quotidien papier), Le Droit titrait à la une en majuscules REMÈDE POUR LE FRANÇAIS, annonçant la fin du litige et la décision d'enseigner la médecine en français à Gatineau, de l'année préparatoire au diplôme. Le dernier texte conservé dans ma chemise sur McGill à Gatineau remonte au 16 mai 2022, un article de Radio-Canada sur l'inauguration officielle du campus satellite de McGill en Outaouais. Le texte, sans doute rédigé par des reporters qui n'avaient pas suivi les six années de débats sur la langue d'enseignement, n'y font aucune allusion! Comme si la chose n'avait jamais eu lieu!

En quelques années seulement, le souvenir de six ans de débats linguistiques était disparu de plusieurs radars régionaux et à moins d'imprimer tous les jours des textes de nouvelles sur Internet, il en sera de même à l'avenir pour l'ensemble des dossiers d'actualité, faute de preuves papier conservées en bon ordre dans des classeurs. Seuls les écrits imprimés restent. L'Internet est essentiel mais on ne peut s'y fier. La mémoire collective se troue et se corrompt. Cela augure très mal pour l'avenir du journalisme et pour notre petite nation privée de sources d'information fiables. Cette glissade vers l'ignorance n'aura pas de fond.


vendredi 27 septembre 2024

Le mot «francophone», un trou noir...

Macaron franco-ontarien de 1966 ou 1967...

En vidant une boîte de macarons laissée par ma mère (décédée à l'été 2023), j'en ai découvert certains que j'avais moi-même cueillis et conservés durant ma jeunesse à Ottawa, et que maman avait ajoutés à sa collection, y compris celui que nous voyez-ci-dessus : «ÉCOLE SECONDAIRE FRANÇAISE? OUI!»  

Pourquoi me suis-je particulièrement intéressé à ce macaron? D'abord parce qu'il me rappelle l'époque, pas si lointaine que ça, où les Franco-Ontariens devaient se contenter d'écoles «bilingues», tant au primaire qu'au secondaire, mais aussi à cause de l'emploi très correct du mot «française», aujourd'hui en voie de disparition, remplacé par l'utilisation erronée et omniprésente du terme «francophone» (voir image ci-dessous et le lien en bas de page).


Au milieu des années 1960, nous connaissions le mot «francophone» et son vrai sens, toujours associé à une ou plusieurs personnes dont la langue parlée ou écrite est le français. C'était un mot plutôt objectif, inoffensif, aseptisé, ayant une charge identitaire ou culturelle négligeable. Un Québécois, un Suisse, un Marocain et un Libanais pouvaient avoir des identités et des cultures fort différentes, et n'être liés que par l'usage commun de la langue française. Sans plus.

Il ne nous serait jamais venu à l'idée de définir comme «francophone» un objet ou une bâtisse (p. ex. un livre, un journal, une école) comme cela se fait couramment en 2024. J'ai fréquenté des écoles bilingues en Ontario de la maternelle à l'université, de 1951 à 1970. Je comprenais bien le concept de l'école dite bilingue. Vers la fin du primaire, comme pour tout mon secondaire, la moitié de l'enseignement était dispensé en anglais aux élèves franco-ontariens.

À l'approche du centenaire de la Confédération, sur fond de turbulence québécoise, un mouvement se dessinait dans la collectivité franco-ontarienne pour réclamer le remplacement des écoles dites bilingues par des écoles françaises, pas des écoles francophones. Cette revendication visait de façon plus aiguë le secondaire, où seuls quelques établissements privés dispensaient un enseignement bilingue ou français aux Franco-Ontariens de la région de la capitale. C'est à cette époque que le macaron en haut de page est apparu.

Dans son édition du 6 septembre 1968, à la une, le quotidien Le Droit annonçait la disparition officielle des écoles «bilingues», à Ottawa, désormais appelés «écoles françaises» et réservées «aux écoliers francophones». Et l'article se donne la peine de définir francophone: «les jeunes qui parlent couramment le français». Cela ne pouvait être plus clair: les établissements sont français, les étudiants francophones.

Avec l'avènement du gouvernement de Pierre Elliott Trudeau et du multiculturalisme d'État,  les appellations traditionnelles ont été écartées du langage officiel. Les Canadiens français sont devenus des Canadiens francophones. Dans un discours à une association de jeunes Franco-Ontariens, le 8 mars 1969, le Secrétaire d'État fédéral Gérard Pelletier utilisait le mot «francophone» une vingtaine de fois, affirmant que la force de la langue française, ici et ailleurs, serait de la «"dénationaliser" pour (la) transformer en culture mondiale».

Une francophonie éviscérée, vidée de ses tripes culturelles et nationales, était désormais le mot d'ordre des multiculturels fédéraux. La notion de biculturalisme, un des principes fondateurs de la Commission B-B dans les années 1960, fut reléguée aux livres d'histoire. Ne resta dans la nouvelle constitution de 1982 qu'une masse à peine différenciée de Canadiens, anglophones et francophones, vus comme individus et non comme membres de collectivités nationales.

Et c'est ainsi qu'au fil des ans, le mot «francophone» est devenu un trou noir, avalant tout ce qui était français dans son entourage. Mon ex-quotidien de langue française, Le Droit, était devenu un journal «francophone». La nouvelle Université de l'Ontario français, micro-campus torontois, et l'Université de Hearst (Nord ontarien) se présentent comme universités «francophones». Les auteurs franco-ontariens tiennent désormais un salon annuel du livre «francophone». La ministre fédérale Mélanie Joly est allée plus loin, comme si cela était possible, en évoquant «la langue francophone»... Quelle barbarie!

Au rythme imposé par des multiculturels fédéraux fanatisés, même le mot «francophone» risque de devenir une cible, éventuellement. Déjà, au Commissariat fédéral des langues officielles, on ne parle plus des minorités francophones hors-Québec, mais de «communautés de langue officielle en situation minoritaire», les CLOSM. On applique même cet acronyme plus que douteux aux Anglo-Québécois, extension de la majorité anglo-canadienne qui n'ont rien d'une minorité...

Que la plupart de nos politiciens s'empêtrent en matière de langage n'a rien de surprenant. Nous y sommes habitués. Les bulletins de nouvelles nous livrent à tous les jours des déclarations en «français» truffées d'erreurs, d'anglicismes, voire d'anglais tout court...  Mais que des journalistes, professeurs et administrateurs d'établissements scolaires de langue française tombent dans le panneau, voilà une tout autre affaire. Quand des professionnels de la rédaction écrivent des fautes à répétition sans s'en apercevoir et que personne ne les corrige avant de les publier, il y a lieu de s'inquiéter. 

Le dépérissement de la langue entraînera dans son sillage une gangrène culturelle fatale. Mais allez convaincre les gens de ça...

...«le quotidien francophone d'Ottawa-Gatineau»...
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Voir mon texte de blogue «Francophone... Un adjectif galvaudé...» à https://lettresdufront1.blogspot.com/2021/02/francophone-un-mot-galvaude.html


vendredi 6 septembre 2024

Pourquoi pas un Conseil linguistique?


Cette année, en 2024, la Ville de Gatineau a créé un Conseil scientifique, formé de six chercheurs de l'Université du Québec en Outaouais (UQO), qui aura pour mandat d'analyser des sujets relevant de leurs compétences et de proposer aux élus municipaux une liste de priorités d'action. Parmi les thèmes prioritaires assignés au nouveau Conseil scientifique on compte l'intelligence artificielle, les changements climatiques et l'itinérance. (voir liens ci-dessous) Cette initiative, dit-on, constitue une première au Québec. Elle projette l'image d'un conseil municipal prévoyant et proactif.

Mais il existe un domaine primordial où la classe politique de Gatineau n'est ni prévoyante ni proactive: la situation périlleuse de la langue française sur le territoire de la quatrième ville du Québec. D'ici une dizaine d'années, le centre-ville de Gatineau (l'île de Hull), jadis francophone à 90%, pourrait bien avoir une majorité anglaise. La Loi 101 est bafouée quotidiennement dans cette ville devenue banlieue d'Ottawa. Selon une étude de l'OQLF, rendue publique en 2024, 12% des francophones de Gatineau (c'est au moins 25 à 30 000 personnes) affirment qu'il leur arrive souvent ou très souvent de ne pas pouvoir se faire servir en français dans un commerce.

Le conseil municipal, connu pour son indifférence linguistique et sa peur d'être étiqueté nationaliste ou pire, séparatiste, s'est fait condamner récemment pour la tournure anglaise de son slogan «On passe au bold»... Et on se tait quand quelqu'un ose soulever sur la place publique l'anglicisation rapide de la «porte du Québec» en Outaouais. Pourtant, la population est sensible au danger et serait réceptive à un engagement accru des élus pour protéger et promouvoir la langue française. Selon la même étude récente de l'OQLF, pas moins de 92% des francophones de Gatineau jugent «importante» ou «très importante» la protection du français dans l'espace public.

Sans nier la pertinence de créer un Conseil scientifique, il y a lieu de s'interroger sur l'utilité, voire l'urgence de créer un Conseil pour décortiquer les enjeux relatifs à notre langue commune et officielle sur les rives urbaines de l'Outaouais, avant qu'il ne soit trop tard. Entre l'UQO et l'Université d'Ottawa, il existe une quantité largement suffisante d'expertise pour dresser un portrait précis du déclin actuel de la langue française ici et proposer au moins quelques priorités d'intervention aux élus de Gatineau. Le gourou québécois de la démo-linguistique, le professeur Charles Castonguay, demeure à Gatineau et ses compétences seraient un précieux atout pour un comité de spécialistes.

Ces dernières années, un groupe d'une vingtaine de professeurs, principalement de l'Université d'Ottawa mais aussi d'ailleurs, a analysé l'évolution du fait français à Ottawa, où c'est la catastrophe. Dans certaines recherches, on a même évoqué l'existence d'un «ethnocide» dans la capitale fédérale, plus précisément dans la Basse-Ville, ultime bastion franco-ontarien d'Ottawa. La proportion de francophones y est passée de près de 80% à un peu plus de 20% en moins de 40 ans... Les recherches nous en apprennent beaucoup, mais ce n'est plus le temps. Le dommage est fait. Ces interventions universitaires auraient dû avoir lieu dans les années 1960, quand il restait un territoire francophone à protéger.

À Gatineau il n'est pas trop tard, mais il est minuit moins une. Le point de bascule approche et nos élus à bouche cousue ont les deux pieds dans la même bottine...

Quand, dans une cinquantaine d'années, des scientifiques et des universitaires - démographes, sociologues, statisticiens, historiens - se pencheront sur le début du 20e siècle pour analyser l'inertie des décideurs et du public au moment où le déclin du français n'était pas irréversible à Gatineau, ils s'interrogeront: ne voyaient-ils pas la réalité, ne s'informaient-ils pas auprès d'experts, n'en discutaient-ils pas aux instances municipales, n'étais-ce pas un enjeu prioritaire? Et ayant constaté l'évidence d'une indifférence collective devant l'agonie identitaire, ils se gratteront la tête... Avec raison!

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Liens aux textes du Droit et de Radio-Canada sur les priorités du nouveau Conseil scientifique de Gatineau - https://www.ledroit.com/actualites/actualites-locales/gatineau/2024/09/03/la-science-occupera-une-plus-grande-place-dans-les-decisions-des-elus-de-gatineau-VVBLF6HJ3RD6DNJOMSTIBV63HI/ et https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2101733/conseil-scientifique-gatineau-ia-changements-climatiques