jeudi 19 juin 2025

Quand un média d'information dissimule l'information...


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Obfuscation (emprunt de l'anglais): énonciation d'une affirmation fausse ou imprécise de manière à dissimuler l'information pertinente.

L'ancien premier ministre québécois Robert Bourassa en était maître. On lui posait une question, puis on pouvait écouter sa réponse quatre ou cinq fois pour tenter d'en saisir le sens.

L'ancien président Richard Nixon avait lui aussi maîtrisé la technique de brouiller les messages parlés ou écrits. On avait même inventé le terme «nixonspeak» pour le caractériser.

Évidemment, que des politiciens pratiquent l'art de l'obfuscation ne surprendra personne.

Il n'en va pas de même pour les médias d'information. Ayant pour mission de rapporter et décoder les faits, une entreprise de presse qui les fausse, les obscurcit ou les cache commet un péché mortel.

Et pourtant, cela ne semble pas déranger les dirigeants de nos entreprises de presse ces jours-ci. Depuis plusieurs décennies dans certains cas...

Mais tenons-nous en au temps présent. Je lisais ce 9 juin un «mot de l'éditeur» sur le site Web Le Droit. Un texte qui commence bien mal, tenant compte qu'il n'y a plus d'éditeur au Droit. Le message est signé par le directeur général de l'organisation médiatique, François Carrier.

J'attendais cette communication depuis au moins quelques jours, sachant que la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie avait quitté l'équipe (pas de son propre gré) le 7 juin. Un départ médiatisé par Le Devoir, Radio-Canada et ONFR, mais pas dans les pages du Droit.

L'annonce du départ de Mme Lortie s'accompagnait de la révélation qu'elle ne serait pas remplacée, le rédacteur en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières devenant responsable de la rédaction du Droit en plus de la sienne. Cette nouvelle a été confirmée par M. Carrier et commentée par Mme Lortie, qui a parlé de «restructuration».

Le président de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario, Fabien Hébert, s'est inquiété de voir un poste de direction si important confié à une personne qui ne connaît pas l'Outaouais et l'Ontario. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec craint «un effet négatif».

La table était mise pour une défense par le siège social des Coops de l'information (à Québec) ou par le d.g. du Droit de ces décisions et de leur effet appréhendé: une explication du départ, de l'abolition du poste de rédacteur en chef, une réponse aux appréhensions exprimées par l'AFO, la FPJQ et, sans doute, une partie du lectorat.

Puis vint l'obfuscation...

Et voilà que paraît, enfin, le 9 juin, deux jours après le départ de la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie, un texte signé par le d.g. François Carrier sur le site Web du Droit (voir lien en bas de page). Pas un mot sur Mme Lortie. Pas d'explication. Pas de remerciement pour ses années de service. Pas de précision sur l'abolition du poste de rédacteur en chef ou une quelconque restructuration. Pas un mot sur la direction bicéphale confiée au rédacteur en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières. Pas de réponse aux craintes exprimées par l'AFO et la FPJQ. 

Le message du directeur général (présenté comme un texte de nouvelles par ailleurs) commence ainsi: «La production journalistique du Droit est fondamentale pour le développement de notre région et la santé de sa francophonie». Après avoir endossé des coupes draconiennes dans les effectifs de rédaction depuis des décennies, une telle déclaration de la direction du Droit suinte de cynisme.

Ce propos plutôt dénué de fondement (du moins pour le développement régional) sert de préambule à l'annonce de la création d'un poste de journaliste dans l'Est ontarien (la région entre Ottawa et la frontière du Québec au nord et au sud de la 417) et au rappel de la création en Outaouais d'un poste de rédaction dans «la région de Papineau», une appellation plutôt étrange pour un territoire qui couvre surtout la Petite-Nation.

Ce qu'on ne dit pas, c'est que ces postes existaient autrefois et qu'on les avaient abolis. C'est donc un retour et non une innovation. Le paragraphe se termine avec une prédiction aussi nébuleuse qu'optimiste: «D'autres (postes) devraient s'ajouter sous peu.» Combien? Quand? Où? Pour combien de temps? «Le Droit est là pour rester» assure M. Carrier. C'est bon de l'entendre, mais...

Ces «nouvelles recrues», lit-on, pourront compter «au cours des prochains mois» sur l'encadrement d'un ancien rédacteur en chef du Droit, Patrice Gaudreault. Une affectation temporaire, donc, durant laquelle il portera le titre bizarre de «chef d'équipe aux contenus du Droit». J'ai beau me gratter la tête, j'ai de la difficulté à comprendre ce que fera un «chef d'équipe aux contenus» quand on a déjà en poste un «coordonnateur à l'information» (autre titre nébuleux), Jean-François Dugas. Ce dernier a, en plus, un adjoint, Patrick Woodbury.

«C"est ce trio, dit M. Carrier, qui prendra l'ensemble des décisions rédactionnelles touchant l'actualité de l'Outaouais et de l'Ontario français». Voilà une affirmation qui mériterait éclaircissement. Leur mandat inclut-il la rédaction publicitaire, comme celle d'un magazine spécial pour le 50e anniversaire du Festival franco-ontarien (12 au 14 juin 2025) et de magazines subséquents en collaboration avec la Chambre de commerce de Gatineau?

Petit à-côté... Toutes ces gens qui ne jurent que par le numérique, qui ne s'ennuient pas de l'imprimé, ont décidé de produire une version papier du magazine sur le Festival franco-ontarien. On se demande bien pourquoi, tout en s'en réjouissant.

Notons enfin que le texte de M. Carrier est suivi d'un encadré intitulé «Soutenez l'information locale» remplie d'information fausse. «Le Droit, c'est une coopérative de solidarité appartenant à ses employés»: c'est faux, la coopérative Le Droit a été dissoute, comme celle des autres anciens journaux régionaux. Il ne reste qu'une coopérative nationale. On invite ensuite les lecteurs à faire «un don à notre coopérative (locale)», qui n'existe plus...

Misère...

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Lien au texte du Droit - https://www.ledroit.com/actualites/2025/06/10/du-nouveau-pour-emle-droitem-TPQ6JMNKOBAKVABJKKWN32PAV4/




mercredi 18 juin 2025

Le cheval de Troie fédéral...

capture d'écran du projet de loi C-5

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Je ne suis pas juriste. Je ne suis pas constitutionnaliste. Je ne suis pas un de ces experts qu'on interviewe à la télé. Mais je sais lire. J'ai longuement étudié le fédéralisme canadien à l'université. Et j'ai une cinquantaine d'années d'expérience comme journaliste. Cela me donne, je crois, le droit de m'aventurer prudemment en droit constitutionnel.

Le Québec forme une nation, reconnue même par la Chambre des communes à Ottawa. Nous avons une Assemblée «nationale». Une capitale nationale. Des parcs nationaux. Une fête nationale. Notre premier ministre, François Legault, s'est souvent présenté comme «chef de la nation québécoise». Jusque là, ça va?

Mais qu'en est-il de la reconnaissance juridique et constitutionnelle de notre nation à l'extérieur des frontières du Québec? Cherchez dans les lois fédérales et les jugements des tribunaux. Vous allez revenir les mains vides. Pour la Cour suprême du Canada, ultime arbitre judiciaire de la question, s'appuyant toujours sur la Charte des longs couteaux de 1982 et l'AANB (loi britannique de 1867), le Québec n'est qu'une province. Une région. Parfois une localité. Maintenant. Toujours!

Pour ces juges fédéraux, «l'intérêt national», ce ne peut être que l'intérêt de l'ensemble du Canada. Une lecture du jugement de 2011 de la Cour suprême sur le valeurs mobilières suffira à vous convaincre. Seul Ottawa adopte des lois «nationales». Selon nos suprêmes, les compétences dites «provinciales (incluant celles du Québec» contiennent uniquement des «matières locales». Par définition, une loi provinciale, même provenant de l'Assemblée nationale du Québec, n'est jamais nationale!!! Ainsi l'Autorité des marchés financiers, organisme national au Québec, existe sur le plan constitutionnel canadien comme une affaire purement «locale».

Vous direz qu'il s'agit là tout simplement d'un différend verbal sans importance. Mais non! L'expression «intérêt national» a acquis ces dernières années un poids politique et juridique qui pourrait s'avérer décisif. Dans son jugement sur la taxe carbone en 2021, la Cour suprême explique que la théorie de «l'intérêt national» découle des pouvoirs résiduels laissés au fédéral par l'article 91 de l'AANB. 

Son emploi par Ottawa est rare (jusqu'à maintenant) et scruté à la loupe par les tribunaux, mais son effet est foudroyant. «L'effet de la reconnaissance d'une matière en tant que matière d'intérêt national est permanent et confère compétence exclusive au Parlement (fédéral) sur cette matière», écrivent les juges suprêmes. Vous savez comme moi que les décisions de la Cour suprême sont sans appel. En invoquant «l'intérêt national», Ottawa a désormais le pouvoir d'envahir à volonté les champs de compétence du Québec.

Vous pensez que les fédéraux n'en sont pas conscients? Que ceux qui ont inventé une insurrection en octobre 1970 pour nous envoyer l'armée, qui ont fomenté un coup d'État dans la cuisine du Château Laurier en 1981, qui ont sorti leurs sales tactiques pour torpiller le référendum de 1995, qui ont adopté une loi pour nous dire quelle question poser au prochain référendum et quelle majorité sera considérée acceptable, qui traînent encore aujourd'hui nos lois identitaires devant leurs juges suprêmes, vous croyez que ces gens ne lisent pas les décisions des tribunaux?

Et quoi de mieux qu'une crise déclenchée par le président fou des États-Unis pour relancer avec plus de force, jusque dans une grosse, grosse loi, le concept de «l'intérêt national». Lisez bien le projet de loi C-5 que l'on adoptera ces jours-ci sous le bâillon. Sa deuxième partie s'intitule «Loi visant à bâtir le Canada» (sic) et son principal sous-titre se lit comme suit : «Projets d'intérêt national». Je n'ai jamais auparavant vu de titre ou de sous-titre de loi fédérale traitant de «l'intérêt national». Est-ce une première dans l'histoire du pays?

Avec mes faibles moyens, j'ai effectué une recherche sur Internet et consulté quelques volumes sur le fédéralisme canadien sans trouver quoi que ce soit. Alors j'ai commis un péché mortel. J'ai interrogé l'intelligence artificielle de X-Twitter en lui demandant: «Au Parlement du Canada, y a-t-il déjà eu une loi ayant "intérêt national" dans le titre ou un sous-titre?» Voici sa réponse, sous toute réserve: «Aucune loi adoptée par le Parlement du Canada n'a inclus les mots "intérêt national" dans son titre ou sous-titre, selon les informations disponibles sur le site LEGISinfo du Parlement du Canada et d'autres sources législatives pertinentes», en soulignant que les archives numériques avant 2002 «peuvent être incomplètes».

Si ce n'est pas une première (ce l'est peut-être), c'est tout de même exceptionnel. Croyez-vous qu'il s'agit d'un hasard, alors que la Cour suprême, en 2021, a ouvert les vannes constitutionnelles à un envahissement des compétences «provinciales» via la théorie de «l'intérêt national»? Et quels sont ces grands projets d'intérêt national pour lesquels on crée une loi spéciale adoptée sous le bâillon? On nous dit d'aller voir l'annexe 1 où... aucun projet n'apparaît! La «liste» est vide. On ajoutera des projets au fur et à mesure, après l'adoption du projet de loi C-5. Et qui décidera de tous ces projets à placer sous juridiction fédérale, en fin de compte? Ottawa bien sûr!

Cette loi est un cheval de Troie fédéral imaginé par la Cour suprême, envoyé au combat de toute urgence par Mark Carney et ses sbires et ses collabos, y compris les 44 députés libéraux du Québec (les conservateurs itou) et apparemment, le «chef de la nation» québécoise, François Legault, qui a endossé la déclaration commune des premiers ministres fédéral, provinciaux et territoriaux à Saskatoon au début de juin, document qui insistait sur l'urgence de procéder à la mise en oeuvre rapide de grands projets «d'intérêt national». S'il a omis de souligner publiquement l'existence d'un autre «intérêt national», celui du Québec, et surtout de le défendre, M. Legault a trahi ses engagements comme «chef de la nation».

Le Bloc élèvera-t-il le ton à la Chambre des communes pour dénoncer cet «intérêt national» canadien qui nie l'existence et la légitimité constitutionnelle d'un «intérêt national» québécois? Le Parti québécois fera-t-il de même au cours des prochains jours? Ou mangera-t-on en silence cette pomme empoisonnée?


dimanche 15 juin 2025

On va payer cher l'envoi de 44 députés libéraux à Ottawa...

Yves-François Blanchet aux Communes (photo Presse canadienne)

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Ça recommence! On va payer cher l'envoi à Ottawa de 44 députés libéraux et la perte d'une dizaine de circonscriptions bloquistes! À tous ceux et celles qui s'interrogeaient sur l'utilité du Bloc québécois au Parlement, je me permets de sortir des boules à mite cet extrait d'un billet de novembre 2011 sur mon blogue, texte qui faisait écho à un de mes éditoriaux au quotidien Le Droit paru quelques mois plus tôt.

Le Bloc venait de manger la claque avec l'élection au Canada d'un gouvernement conservateur majoritaire (Stephen Harper) et au Québec d'une soixantaine de députés néo-démocrates transportés par la vague Layton. Il ne restait que quatre circonscriptions bloquistes et nombre de commentateurs de la scène politique creusaient la tombe du Bloc qui, croyait-on, avait fait son temps et ne servirait plus à grand chose...

Voyant là une erreur et un manque de vision, j'y suis allé de mon grain de poivre:

«Je vous convie au prochain débat important qui opposera le Québec au reste du pays, ou opposant les francophones à la majorité anglo-canadienne. Quand le gouvernement en place - qu'il soit conservateur, libéral ou néo-démocrate - nous opposera une fin de non-recevoir, il dira au Québec: voyez, nous avons sur nos bancs des dizaines de députés que vous avez élus sous notre bannière. Ils ont la même légitimité que les députés de l'Assemblée nationale du Québec. Trudeau (père), Chrétien et les autres ont fait ça souvent depuis les années soixante. Avec une majorité de députés du Bloc québécois aux Communes, ils n'avaient plus ce luxe.»

Avance rapide à juin 2025, où le nouveau premier ministre soi-disant «libéral» Mark Carney, ayant fait sien le programme de son adversaire Poilievre, s'apprête à sortir le bâillon pour faire adopter sous l'étendard de «l'intérêt national» (celui du Canada, pas celui du Québec) son projet de loi rouleau compresseur sur les grandes infrastructures, y compris les pipelines. Voici un extrait d'un texte de la Presse canadienne publié ce 12 juin à cet égard:

«Lors de la période des questions, la leader parlementaire du Bloc québécois, Christine Normandin, a accusé les libéraux de vouloir "gouverner par décret comme Donald Trump" à travers ce projet de loi qui ¨vide complètement de leur sens" les évaluations environnementales et qui menace les compétences du Québec.

«Le leader du gouvernement à la Chambre, Steven MacKinnon, lui a répondu que les Québécois ont élu 44 députés libéraux il y a seulement quelques semaines, soit le plus grand nombre "depuis "1980".

«Ils se sont tous présentés sous une plateforme libérale qui, à la première page, a parlé de la nécessité d'agir rapidement pour accélérer la croissance de notre pays, faire baisser les barrières entre les provinces et créer une seule économie canadienne, a-t-il dit. Nous agissons de façon démocratique.»

Et vlan! Que voulez-vous répondre à ça? Il a parfaitement raison! On a élu 44 libéraux pour qui «l'intérêt national» du Canada-à-majorité-anglophone passe avant «l'intérêt national» du Québec. De notre point de vue, des traîtres. Alors n'ayons pas l'air surpris qu'une fois au pouvoir, ils nous trahissent à la première occasion.

Si 44 députés du Bloc siégeaient aux Communes, nous n'en serions pas là...


mercredi 11 juin 2025

Quand un média d'information dissimule l'information...


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Obfuscation (emprunt de l'anglais): énonciation d'une affirmation fausse ou imprécise de manière à dissimuler l'information pertinente.

L'ancien premier ministre québécois Robert Bourassa en était maître. On lui posait une question, puis on pouvait écouter sa réponse quatre ou cinq fois pour tenter d'en saisir le sens.

L'ancien président Richard Nixon avait lui aussi maîtrisé la technique de brouiller les messages parlés ou écrits. On avait même inventé le terme «nixonspeak» pour le caractériser.

Évidemment, que des politiciens pratiquent l'art de l'obfuscation ne surprendra personne.

Il n'en va pas de même pour les médias d'information. Ayant pour mission de rapporter et décoder les faits, une entreprise de presse qui les fausse, les obscurcit ou les cache commet un péché mortel.

Et pourtant, cela ne semble pas déranger les dirigeants de nos entreprises de presse ces jours-ci. Depuis plusieurs décennies dans certains cas...

Mais tenons-nous en au temps présent. Je lisais ce 9 juin un «mot de l'éditeur» sur le site Web Le Droit. Un texte qui commence bien mal, tenant compte qu'il n'y a plus d'éditeur au Droit. Le message est signé par le directeur général de l'organisation médiatique, François Carrier.

J'attendais cette communication depuis au moins quelques jours, sachant que la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie avait quitté l'équipe (pas de son propre gré) le 7 juin. Un départ médiatisé par Le Devoir, Radio-Canada et ONFR, mais pas dans les pages du Droit.

L'annonce du départ de Mme Lortie s'accompagnait de la révélation qu'elle ne serait pas remplacée, la rédactrice en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières devenant responsable de la rédaction du Droit en plus de la sienne. Cette nouvelle a été confirmée par M. Carrier et commentée par Mme Lortie, qui a parlé de «restructuration».

Le président de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario, Fabien Hébert, s'est inquiété de voir un poste de direction si important confié à une personne qui ne connaît pas l'Outaouais et l'Ontario. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec craint «un effet négatif».

La table était mise pour une défense par le siège social des Coops de l'information (à Québec) ou par le d.g. du Droit de ces décisions et de leur effet appréhendé: une explication du départ, de l'abolition du poste de rédacteur en chef, une réponse aux appréhensions exprimées par l'AFO, la FPJQ et, sans doute, une partie du lectorat.

Puis vint l'obfuscation...

Et voilà que paraît, enfin, le 9 juin, deux jours après le départ de la rédactrice en chef Marie-Claude Lortie, un texte signé par le d.g. François Carrier sur le site Web du Droit (voir lien en bas de page). Pas un mot sur Mme Lortie. Pas d'explication. Pas de remerciement pour ses années de service. Pas de précision sur l'abolition du poste de rédacteur en chef ou une quelconque restructuration. Pas un mot sur la direction bicéphale confiée au rédacteur en chef du Nouvelliste de Trois-Rivières. Pas de réponse aux craintes exprimées par l'AFO et la FPJQ. 

Le message du directeur général (présenté comme un texte de nouvelles par ailleurs) commence ainsi: «La production journalistique du Droit est fondamentale pour le développement de notre région et la santé de sa francophonie». Après avoir endossé des coupes draconiennes dans les effectifs de rédaction depuis des décennies, une telle déclaration de la direction du Droit suinte de cynisme.

Ce propos plutôt dénué de fondement (du moins pour le développement régional) sert de préambule à l'annonce de la création d'un poste de journaliste dans l'Est ontarien (la région entre Ottawa et la frontière du Québec au nord et au sud de la 417) et au rappel de la création en Outaouais d'un poste de rédaction dans «la région de Papineau», une appellation plutôt étrange pour un territoire qui couvre surtout la Petite-Nation.

Ce qu'on ne dit pas, c'est que ces postes existaient autrefois et qu'on les avaient abolis. C'est donc un retour et non une innovation. Le paragraphe se termine avec une prédiction aussi nébuleuse qu'optimiste: «D'autres (postes) devraient s'ajouter sous peu.» Combien? Quand? Où? Pour combien de temps? «Le Droit est là pour rester» assure M. Carrier. C'est bon de l'entendre, mais...

Ces «nouvelles recrues», lit-on, pourront compter «au cours des prochains mois» sur l'encadrement d'un ancien rédacteur en chef du Droit, Patrice Gaudreault. Une affectation temporaire, donc, durant laquelle il portera le titre bizarre de «chef d'équipe aux contenus du Droit». J'ai beau me gratter la tête, j'ai de la difficulté à comprendre ce que fera un «chef d'équipe aux contenus» quand on a déjà en poste un «coordonnateur à l'information» (autre titre nébuleux), Jean-François Dugas. Ce dernier a, en plus, un adjoint, Patrick Woodbury.

«C"est ce trio, dit M. Carrier, qui prendra l'ensemble des décisions rédactionnelles touchant l'actualité de l'Outaouais et de l'Ontario français». Voilà une affirmation qui mériterait éclaircissement. Leur mandat inclut-il la rédaction publicitaire, comme celle d'un magazine spécial pour le 50e anniversaire du Festival franco-ontarien (12 au 14 juin 2025) et de magazines subséquents en collaboration avec la Chambre de commerce de Gatineau?

Petit à-côté... Toutes ces gens qui ne jurent que par le numérique, qui ne s'ennuient pas de l'imprimé, ont décidé de produire une version papier du magazine sur le Festival franco-ontarien. On se demande bien pourquoi, tout en s'en réjouissant.

Notons enfin que le texte de M. Carrier est suivi d'un encadré intitulé «Soutenez l'information locale» remplie d'information fausse. «Le Droit, c'est une coopérative de solidarité appartenant à ses employés»: c'est faux, la coopérative Le Droit a été dissoute, comme celle des autres anciens journaux régionaux. Il ne reste qu'une coopérative nationale. On invite ensuite les lecteurs à faire «un don à notre coopérative (locale)», qui n'existe plus...

Misère...

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Lien au texte du Droit - https://www.ledroit.com/actualites/2025/06/10/du-nouveau-pour-emle-droitem-TPQ6JMNKOBAKVABJKKWN32PAV4/


vendredi 6 juin 2025

Legault a reconnu la suprématie de l'intérêt «national» du Canada...Et «l'intérêt national» du Québec? Pas vu...

Photo publiée par la Chambre de commerce de Saskatoon

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Si la «Déclaration des premiers ministres du Canada, des provinces et des territoires» du 2 juin sur l'économie avait été endossée par des collabos anglophiles comme Jean Charest ou Philippe Couillard, je n'aurais pas trop sourcillé. Mais quand François Legault, celui-là même qui se dit «chef de la nation québécoise», y appose son sceau d'approbation, cela relève presque de la trahison.

Le premier ministre du Québec a convenu, comme ses «collègues», de «faire avancer les grands projets d'intérêt national», comme s'il était évident que les intérêts du Canada et de la «nation» sont synonymes, comme si le Québec-nation n'avait pas lui aussi son propre «intérêt national». Et au cas où tout cela ne soit pas suffisamment clair, on ajoute que l'objectif de l'avancement de ces «grands projets d'intérêt national» est de «bâtir un Canada fort, résilient et uni».

Que des mots, direz-vous? Absolument pas. L'expression «intérêt national», entre les mains du gouvernement fédéral, porte un contenu très réel et une valeur juridique confirmée par la Cour suprême du Canada, qui juge les enjeux québécois d'intérêt régional ou local. La décision de décembre 2011 des juges suprêmes (nommés par Ottawa) sur les valeurs mobilières constitue un excellent exemple du sens accordé à «l'intérêt national» (voir lien 1 en bas de page).

Mais il y a pire. Le 25 mars 2023, dans sa décision sur la taxe carbone, (voir lien 2 en bas de page) la Cour suprême a décidé qu'Ottawa pouvait légiférer dans les domaines de compétence «provinciale» s'il estimait l'intérêt national (comprendre l'intérêt du Canada) menacé par l'action ou l'inaction d'une province (y compris le Québec bien sûr).

Et ce n'est pas tout. Forts de l'autorité conférée par la Constitution des longs couteaux de 1982, les juges ont ajouté: «L'effet de la reconnaissance d'une matière en vertu de la théorie de l'intérêt national est permanent et confère compétence exclusive au Parlement fédéral en cette matière». Notez bien les précisions de «compétence exclusive» et du mot «permanent». 

Mark Carney répète sur toutes les plates-formes depuis l'éclosion de la folie orange à Washington qu'il veut «une économie» au Canada, et non 13. Qu'il y va de l'intérêt national. Pour un Canada «fort, résilient et uni». Pareil sur les plans identitaire et culturel où, disait Mark Carney-Charles III dans le Discours du Trône, la culture québécoise est désormais une composante de l'identité canadienne. Je n'ai pas entendu beaucoup de protestations...

Ainsi, en adhérant aux projets économiques d'intérêt «national», en reconnaissant l'application pan-canadienne du mot «national», Québec vient de donner à Ottawa un chèque en blanc pour envahir ses propres compétences, marginaliser son économie et même bloquer des projets conçus dans l'intérêt de la nation québécoise s'ils sont considérés par le premier ministre fédéral comme une menace à son intérêt national.

Tout au plus a-t-il obtenu l'engagement de respecter la «spécificité du Québec» en matière de la mobilité de la main-d'oeuvre... et ça, bien sûr, à moins qu'on y voit à Ottawa une menace à son «intérêt national»... Le rouleau compresseur de la centralisation se remettra aussitôt en marche...

Vivement l'élection du Parti québécois, dans notre «intérêt national»!

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mardi 3 juin 2025

Clova! Clova! Clova!

Gatineau et Trois-Rivières à la base du triangle isocèle, Clova (en rouge) au sommet!

Au moment où je croyais qu'il était devenu impossible d'effectuer de nouvelle coupe sans éteindre les dernières braises de l'ancien quotidien Le Droit, l'impossible s'est produit!

En mars 2020, le journal papier de l'Outaouais et de l'Ontario français avait cessé d'exister en semaine. Le quotidien numérique a rendu l'âme en avril 2023. L'édition imprimée du samedi a publiée pour la dernière fois le 30 décembre 2023. Ne reste désormais qu'un babillard Web mis à jour en temps réel.

Jadis indépendant, Le Droit est passé à partir des années 1980 au hachoir des empires de presse (Unimédia, Hollnger, Power-Gesca). Menacé de disparition en 2014 par les frères Demarais, le journal a été acquis par Groupe Capitales Médias (avec cinq autres quotidiens régionaux) avant de se transformer en coopérative (en 2019) pour éviter une nouvelle fois la fermeture.

Tous ces chambardements s'accompagnant de coupes de personnel, y compris à la rédaction, l'organisation a fondu comme peau de chagrin. Le 22 mars 2023, Le Droit a cessé d'exister comme entreprise autonome, les six coopératives de CN2i s'étant fusionnées pour former une seule organisation nationale à but non lucratif.

Alourdie par une dette de six millions de dollars (selon Le Devoir),  ne comptant plus que 250 employés à Gatineau, Québec, Trois-Rivières, Sherbrooke, Saguenay, et Granby, la Coopérative nationale de l'information indépendante a annoncé le 1er mai 2025 un nouveau licenciement d'une trentaine de membres du personnel.

Au-delà de quelques lignes téléphoniques et d'une adresse (pour combien de temps?), il reste au Droit moins que le strict minimum requis pour remplir sa mission d'information. Une quinzaine de journalistes héroïques? Une poignée de représentants publicitaires dynamiques? Quelques membres d'une direction fatiguée? 

Je ne l'aurais pas cru, mais on a trouvé le moyen d'amincir encore davantage les effectifs, et pas n'importe lesquels. On apprenait récemment par Le Devoir* (et non de CN2i) le départ - le 7 juin - de la rédactrice en chef du Droit, Marie-Claude Lortie, pas volontaire dit-on, accompagné d'une fusion des postes de rédacteur en chef du Droit et du Nouvelliste de Trois-Rivières.

Fallait y penser... Ce sera probablement une première au Québec, un seul patron de la rédaction pour ces deux anciens quotidiens. La question se posera évidemment: qui sera ce chef bicéphale? Où cette personne aura-t-elle son bureau? À Trois-Rivières? À Gatineau? Alternance de semaine en semaine entre l'Outaouais et la Mauricie? Tout diriger du site Web amiral à Québec?

Selon un suivi de Radio-Canada, publié le lendemain du texte du Devoir, «tout ça n'est pas encore ficelé», mais rien n'indique qu'on remplacera l'actuelle rédactrice en chef au Nouvelliste... Au Droit, on parle de «morosité», tandis que l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario) et la FPJQ s'inquiètent de la possibilité d'un patron ancré à Trois-Rivières, si éloigné du territoire de couverture du Droit.

La déclaration du directeur général du Droit, François Carrier, à l'effet que «tout ça» n'aura pas d'effet sur l'indépendance de la salle de rédaction ottavienne-gatinoise, s'inscrit dans une longue lignée de propos loufoques tenus au cours des dix dernières années. À chaque promesse de «pas d'effet» ou pire, d'amélioration, les conséquences ont toujours été les mêmes.

Alors, tant qu'à crapahuter au pays des merveilles, je me permets une proposition originale, étrange, mais faisable avec l'Internet satellite. Sur la carte, vous verrez que l'Outaouais et la Mauricie se touchent au 48e parallèle. Créez un triangle isocèle (voir image en haut de page) à partir de Gatineau et Trois-Rivières, et au sommet vous trouverez le hameau de Clova, techniquement en Mauricie mais tout près de la pointe nord-est de l'Outaouais.

À distance à peu près égale des Gatinois et Trifluviens, le village forestier serait l'endroit idéal pour la patronne ou le patron de journalistes qui, de toute façon, travaillent essentiellement de chez soi ou sur la route. Clova a même une valeur symbolique pour CN2i, toujours au bord du précipice. 

En juin 2023, menacé de toutes parts par d'immenses feux de forêt, abandonné aux flammes par le premier ministre Legault, le village avait miraculeusement survécu, presque intact, grâce aux efforts des équipes de la SOPFEU et à la solidarité de ses quelques dizaines d'habitants.

Qui dit mieux? Dans un tel environnement, la nouvelle ou le nouveau patron des salles de rédaction du Droit et de Trois-Rivières saura s'inspirer du courage de ses concitoyens pour tenter de sauver de l'abîme ses bouts d'entreprise.

C'est drôle, mais c'est pas drôle...

Clova! Clova! Clova!

Vue aérienne de Clova, photo Radio-Canada

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* Lien au texte du Devoir - https://www.ledevoir.com/culture/medias/878083/journal-droit-retrouve-redacteur-chef

**- Voir aussi textes de Radio-Canada et ONFR - 

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2164248/redactrice-chef-droit-poste-aboli#:~:text=Marie%2DClaude%20Lortie%2C%20qui%20a,chef%20du%20journal%20Le%20Droit.

et

https://onfr.tfo.org/le-droit-naura-plus-de-redaction-en-chef-a-ottawa-gatineau/

jeudi 29 mai 2025

Comment créer de toutes pièces 1 700 000 francophones hors Québec...


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Que diriez-vous si le Québec Community Groups Network (QCGN), organisme parapluie des Anglo-Québécois, affirmait représenter plus de 50% de la population du Québec, parce qu'au moins 4 300 000 des 8 400 000 Québécois sont «anglophones»? 

Après un moment d'incrédulité, vous diriez que ces gens sont tombés sur la tête, et vous auriez raison. Selon le plus récent recensement de Statistique Canada, celui de 2021, le nombre de personnes considérées comme anglophones au Québec se rapproche de 1 100 000, soit 13% de la population.

Pour arriver à plus de 50% d'anglophones au Québec, il faudrait inclure tous les francophones et allophones capables de s'exprimer en anglais. Ce qui n'a aucun sens, évidemment. Selon ce principe, si un francophone est bilingue, il est compté comme anglo. Ce qui ferait de moi, Pierre Allard, un Anglo-Québécois... 

Aucun média digne de ce nom ne tomberait dans un tel panneau... au Québec. Il en va autrement pour la francophonie hors Québec où la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA) utilise cette méthode de calcul pour prétendre qu'elle représente environ 2 800 000 francophones dans les neuf provinces et trois territoires à majorité anglophone.

Et nos bons journalistes, le plus souvent mal informés en matière de francophonie, utilisent ce chiffre fantaisiste dans leurs textes de nouvelles sans cligner de l'oeil (voir exemple ci-haut)...

En réalité, à l'extérieur du Québec on compte un peu plus d'un million de francophones selon les calculs les plus optimistes de Statistique Canada. En utilisant le critère de la langue d'usage à la maison, on frise les 700 000. Donc, pour arriver à 2 800 000, il faut compter tous les anglophones et allophones qui connaissent le français. Ce qui n'a aucun sens!

La capture d'écran du texte publié sur le site Web Le Droit (image ci-haut et lien en bas de page) n'a rien d'exceptionnelle. On brandit le chiffre gonflé de 2 800 000 sur toutes les plates-formes. La FCFA doit savoir que tout cela est ridicule. Mais elle le fait tout de même. Et dans un monde médiatique où les recherches sont parfois superficielles, ça passe comme lettre à la poste.

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Lien au texte du Droithttps://www.ledroit.com/franco/2025/05/27/liane-roy-reelue-a-la-tete-de-la-fcfa-pour-un-troisieme-mandat-QUJAR6SE7FAW7JF3SQ5IVTB4MM/