lundi 6 janvier 2025

Le temps d'un soir Radio-Canada devient Radio-Québec...

La publicité Bye Bye de Coca-Cola, hommage au Petit Roi de Jean-Pierre Ferland

-----------------------------------------------------------------------

Mardi soir, 31 décembre 2024, vers 22 h... Mon épouse et moi quittons le domicile de mon frère à Gatineau pour rentrer à la maison, à cinq minutes en voiture, où nous poursuivrons l'écoute des émissions de fin d'année de Radio-Canada... En sortant de la ruelle d'accès à son bloc d'appartements, on arrive au boulevard Saint-René, une artère habituellement achalandée... Avant d'avancer, mieux vaut toujours jeter un coup d'oeil prudent à gauche et à droite... Mais surprise (ou pas?), aucune voiture en vue, aussi loin qu'on puisse voir!

Quand, le surlendemain, j'ai pris connaissance des cotes d'écoute préliminaires d'En direct du Jour de l'An, d'Infoman et du Bye Bye 2024, j'ai eu la confirmation de la justesse de mon pressentiment. Près de la moitié des Québécois (des francophones du moins) étaient agglutinés devant un téléviseur, branchés sur Radio-Canada pour assister à nos messes annuelles de la Veille du Jour de l'An.

Pensez-y! Au Québec, plus de trois millions de personnes ont vu en direct le Bye Bye... qui captait ainsi 91% de l'auditoire disponible! Des chiffres qui seront bonifiés avec les reprises télé et les visionnements Internet dans les jours suivants... Ce phénomène télévisuel assez unique doit faire baver les bonzes de la CBC, qui n'offre rien de tel au public anglo-canadien à la veille du Nouvel An et dont les cotes d'écoute laissent nettement à désirer.

Les commerçants, eux, ont fort bien saisi la portée de ces émissions spéciales de Radio-Canada. Les espaces publicitaires à 500 000 $ la demi-minute se sont envolés en quelques heures et plusieurs des annonceurs mijotent des pubs spéciales (clairement destinées au public québécois), au point où le contenu publicitaire est attendu presque autant que les émissions dans lesquelles il est diffusé. Le concours annuel des meilleurs publicités du Bye Bye attire un large public...

La publicité d'Air Canada, inspirée de La guerre des tuques

Même les entreprises pan-canadiennes, voire internationales, qui profitent de ces cotes d'écoute exceptionnelles mettent en ondes des messages publicitaires créés par et pour les Québécois. Songez à Air Canada, souvent critiquée pour ses services en français déficients, avec sa pub inspirée de La guerre des tuques, y compris la chanson tirée du film mythique, montrant un avion avec le titre Un air de chez nous... Ou Tim Hortons inventant un pipi-gate québécois parce que sa porte-parole Sarah-Anne Labrosse est arrêtée aux toilettes d'un Tim sans faire d'achat... Et que dire de Coca-Cola qui a rassemblé une brochette de vedettes québécoises de la chanson pour rendre un hommage émouvant au Petit Roi de Jean-Pierre Ferland...

Quant aux messages publicitaires en provenance du Québec, leur originalité et leur humour ciblent invariablement des environnements humains et physiques d'ici. Le petit chef-d'oeuvre de Mondou montrant un chien gagnant une course à obstacles parce qu'il a appris à manoeuvrer autour des cônes orange et clôtures des rues en réparation... Dans celle des Érables du Québec, un type suggère d'attendre que toute la tubulure d'une érablière pète avant de la réparer, citant ses 20 années d'expérience au service d'aqueduc municipal...  Sans oublier les sympathiques offrandes des producteurs de lait et de Metro, se déroulant autour de tablées typiques du temps des Fêtes...

La pub de Mondou, un clin d'oeil aux travaux routiers urbains...

Le contenu des émissions était lui-même enraciné dans le vécu québécois. L'En direct de France Beaudoin mettait en scène avec brio quatre personnalités artistiques et médiatiques du Québec, avec une présence surprise de plusieurs de leurs proches et amis, et en dépit de la présence irritante de musique anglaise, respirait le terroir du bassin du Saint-Laurent. Les émissions Infoman et Bye Bye, tout en ratissant beaucoup plus large, étaient aussi ancrées en terre québécoise. La valeur d'y participer n'échappe pas aux politiciens fédéraux qui savent se débrouiller en français. Le chef conservateur Pierre Poilievre, si prompt à dénoncer CBC, était tout sourire en déclarant que pour tout premier ministre canadien, une visite à Infoman restait incontournable.

La francophonie hors Québec, absente des heures de forte écoute la Veille du Jour de l'An, avait cependant sa propre offrande, Improtéine expose 2024, présentée à l'ouest du Québec (et en Outaouais) à 18 h, le 31 décembre, puis vers 1 h 30 pour le réseau complet dans la nuit du Jour de l'An après Les coulisses du Bye Bye. Faite avec peu de ressources, passée sous silence dans les textes médiatiques, l'émission de la troupe franco-ontarienne Improtéine propose un voyage pan-canadien un peu superficiel - faute de moyens j'imagine - mais réussit tout de même à traiter avec humour l'épisode «plein de marde» à Ottawa. Le périple se termine cependant au Québec, à Montréal, où l'équipe découvre que leur projet de fin d'année a été saboté par des membres de la CAHQAQ (Coalition des artistes hors Québec au Québec) qui veulent empêcher que d'autres francophones hors Québec viennent les concurrencer à la télé québécoise...

Le temps d'un soir, Radio-Canada était devenu un Radio-Québec rassembleur et personne - ni le public (au Québec et ailleurs), ni les commanditaires, ni les politiciens fédéraux - ne semblait s'en plaindre. Plusieurs ont critiqué les émissions, bien d'autres ont adoré, mais la nation québécoise était au rendez-vous. Nos rues désertes de la Veille du Jour de l'An en témoignent.


mardi 10 décembre 2024

En 1944... Pas de femmes en pantalon à l'église...

Ma mère, Germaine Jubinville, en pantalon (ou en culottes comme on disait), en 1940, à l'âge de 16 ans

-----------------------------------------------------------------------------

Je ne saurai jamais comment mon grand-père Wilfrid Jubinville et ma grand-mère Eva Longpré ont réagi en prenant connaissance du billet En culottes jusqu'à la Sainte Table dans l'édition de février 1944 du bulletin Contact de la paroisse Saint-François d'Assise (quartier francophone de l'ouest d'Ottawa, aujourd'hui disparu).

Quatre années plus tôt, ma mère, Germaine Jubinville, alors âgée de 16 ans, avait réussi de peine et de misère à vaincre les réticences de ses parents pour obtenir la permission de s'acheter un pantalon, qu'elle a immortalisé dans la photo ci-dessus au début de l'automne. L'an dernier, quelques mois avant son décès à l'âge de 99 ans, elle se disait toujours fière de sa petite victoire.

J'en avais déduit qu'il était mal vu à l'époque pour une femme de porter un vêtement habituellement réservé aux hommes, mais avant de lire la diatribe des pères Capucins dans le feuillet paroissial, je n'aurais pas deviné à quel point cette opposition pouvait émaner du clergé d'ici. Le texte de Contact (non signé) va même jusqu'à menacer de refuser la communion à une fille ou une femme qui oserait se présenter en pantalon à la Sainte Table durant la messe...

Il faut rappeler le contexte. Nous sommes en 1944 et des milliers de femmes ont quitté le foyer à temps plein depuis quelques années pour des emplois dans les usines de guerre... contre la volonté de l'Église catholique (qui s'opposait même au droit de vote des femmes). Les prêtres de mon ancienne paroisse ne manquent pas de le rappeler sans détours: «Nos chefs spirituels avaient dit aux dames, aux demoiselles de ne pas travailler aux usines parce que ce m'était pas leur place. Elles y sont allées quand même. Première erreur et combien lourde!»

Et la seconde erreur? La tenue vestimentaire bien sûr! «Pour faire du travail d'hommes, parmi les hommes, elles se sont habillées comme des hommes, en culottes. Ce fut une deuxième erreur... et très grosse.» Ainsi, «elles sont arrivées à croire que c"était aussi bien de s'habiller comme cela qu'autrement. L'habitude de la culotte se prend comme les autres mauvaises habitudes.»

Pire, poursuit l'auteur scandalisé, «elles poussent l'audace jusqu'à s'approcher de la Sainte Table, jusqu'à venir communier avec ce costume affreusement laid pour elles.» Il ajoute ce conseil: «Ne restez jamais habillées comme ça, même chez vous, dans la maison.» Et pourquoi pas, une ultime menace: «Et qu'on sache bien, que nous n'endurerons personne, ni petites, ni grandes filles en culotte à l'église, ni encore moins à la Sainte Table.»

En conclusion, l'éditorial de Contact précise que «"la femme en culottes", c'est un mot d'ordre venant de la franc-maçonnerie»... Au cas où vous ne l'auriez pas su...

La page 2 du bulletin Contact de février 1944


lundi 2 décembre 2024

L'Ontario français sur les plages de Dunkerque...

Le militant franco-ontarien Basile Dorion

---------------------------------------------------------------------------

Un peu comme les valeureux assiégés de Dunkerque, luttant à dix ou vingt contre un pour protéger les leurs et en acheminer le plus grand nombre possible en lieu sûr, des milliers de Franco-Ontariens mènent un combat à la fois désespéré et essentiel pour sauver ce qui peut l'être de la langue et de la culture françaises en Ontario. 

Un patriarche de l'Ontario français, Séraphin Marion, prévoyait déjà l'ultime défaite au début des années 1960, tout en clamant que des vieux comme lui poursuivraient la lutte jusqu'au bout. Il était friand de cette citation attribuée à Guillaume d'Orange: «Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer

Pourtant, au moment où M. Marion énonçait ce sombre pronostic, les Franco-Ontariens formaient toujours une collectivité ayant des assises territoriales et communautaires appréciables. En dépit d'un demi-siècle de persécutions scolaires et d'une assimilation croissante, on pouvait reconnaître l'Ontario français dans plusieurs villes et villages du Nord et de l'Est ontarien, ainsi que dans les enclaves de Welland et Penetang (1) plus au sud. Le français y demeurait largement langue d'usage à la maison, dans la rue, à l'école, à l'église paroissiale.

En 2024, c'est un champ de ruines! Les quartiers urbains francophones - Ottawa, Cornwall, Sudbury notamment - n'existent plus. Les églises franco-ontariennes se vident ou ferment leurs portes. Dans des régions où le français domine toujours comme langue maternelle, l'anglais est devenu langue commune (travail, loisirs, médias, famille). Les taux d'anglicisation dépassent 40%. Les couples exogames où l'anglais règne au foyer sont majoritaires. Le territoire franco-ontarien rétrécit dans le Nord et recule vers la frontière du Québec à l'est d'Ottawa.

Restait le scolaire comme lieu de francophonie, surtout depuis que l'Ontario ait consenti à la création d'un vaste réseau d'écoles primaires et secondaires françaises à la fin des années 1960. En ce début de 21e siècle, dans la plupart de ces écoles, le caractère véritablement français se résume à la langue d'enseignement. Hors de la salle de classe, dans les couloirs, dans la cour d'école, les élèves échangent surtout en anglais. On en parle peu, mais tout le monde en est conscient...

À la mi-novembre, devant le comité de la Chambre des communes sur les langues officielles, un militant franco-ontarien de longue date en provenance de la région de Penetanguishene (près du lac Huron), Basile Dorion, est venu donner cette heure juste que l'immense majorité des dirigeants franco-ontariens balaient sous le tapis. Les écoles franco-ontariennes, chez lui et ailleurs, sont devenues des lieux d'anglicisation où le français «langue naturelle» s'entend rarement (2).

Les élèves de familles francophones se retrouvent dans des classes où souvent, la majorité des écoliers est issue de milieux anglais ou anglicisés, recrutés par les conseils scolaires pour assurer la survie de leurs écoles dans un contexte constitutionnel (article 23 de la Charte) où leurs droits sont liés au fameux «là où le nombre le justifie». «On force les conseils scolaires à se prostituer pour obtenir des nombres. (...) Le petit francophone est négligé. S'il veut se faire des amis, il doit faire comme la majorité et parler en anglais, sinon il est ostracisé», explique M. Dorion.

À une époque où l'on fignole les statistiques du recensement en combinant les concepts de «langue maternelle», de «langue d'usage», de «première langue officielle parlée» ou même de «langue officielle» tout court, l'expression «langue naturelle» employée par M. Dorion est rafraîchissante. Elle n'apparaît nulle part à Statistique Canada mais on la comprend très bien. Dans mon vieux quartier franco-ontarien aujourd'hui disparu à Ottawa, il était tout à fait «naturel» de parler français chez soi, dans les rues et ruelles, à l'école et à l'église. Le français faisait partie de notre «nature» culturelle dans un milieu social qui l'engendrait et le nourrissait. À l'exception de l'Est ontarien rural et d'un chapelet de villages ou petites villes dans le Nord de la province, le français «naturel» se fait très rare en 2024...

L'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) ne l'avouera jamais mais l'Ontario français qu'on a connu jadis agonise. Depuis les années 1960, des dizaines de milliers de Franco-Ontariens se sont installés au Québec. Les ultimes îlots de résistance ont pour capitales Hawkesbury et Hearst, Ailleurs, y compris à Ottawa, il faut aller dans les résidences pour personnes âgées pour trouver des milieux vraiment francophones. Surtout pas dans les écoles. Mais comme l'affirmait si bien Séraphin Marion, il faut continuer la lutte, faire en sorte que les efforts des Basile Dorion n'aient pas été vains. Il faut réchapper le plus grand nombre possible de jeunes, et ainsi permettre à ceux et celles qui le désireront d'aller s'épanouir dans leur langue au Québec, qui en a bien besoin!

---------------------------------------

(1) La crise scolaire de Penetanguishene: au-delà des faits... - https://danielmarchildonauteur.wordpress.com/wp-content/uploads/2019/01/la-crise-scolaire-livrel-2019.pdf

(2) Lien à l'article d'ONFR sur le témoignage de Basile Dorion au comité des Langues officielles de la Chambre des communes - https://onfr.tfo.org/anglophones-ecoles-francophones-ontario-conseils-scolaires/

jeudi 28 novembre 2024

Une nuit blanche à l'urgence...

Où étais-je, du début jusqu'à la fin de cette nuit blanche de samedi à dimanche? Dans une grande salle morose, sombre, aux couleurs fades... Sur les sièges, ça et là, des personnes souffrent en silence... D'un côté, un grand mur vitré laisse entrer les lueurs d'une froide nuit de novembre... De l'autre, une douzaine de portes fermées, interdites sauf par invitation... Inconfort généralisé, impossible de s'étendre pour fermer l'oeil... Aucun membre du personnel soignant visible... Seul un gardien de sécurité, là pour discipliner les souffrants, s'assurer qu'ils restent bien assis, ne haussent pas le ton et ne rodent pas trop près des portes interdites... Aucune petite musique ou écran télé, rien pour rassurer, réconforter ou se sustenter sauf quelques machines distributrices, où boissons et collations sont vendues à prix usurier... Bienvenue (!!!) à la salle d'attente (qui porte bien son nom) de l'urgence (qui porte mal son nom, parfois) de l'hôpital de Gatineau...

----------------------------------

Je n'ai aucunement l'intention de critiquer les préposés, infirmiers et médecins qui oeuvrent derrière les portes interdites de cet endroit lugubre. Ils font sûrement leur possible et dispensent d'excellents soins. Je veux plutôt m'en prendre à un système qui, chez nous à Gatineau et sans doute ailleurs, a transformé ce qu'on persiste à appeler une «urgence» en un lieu infernal où des citoyens (dont les impôts ont bâti ces centres de soins aigus) doivent attendre huit, douze, seize voire 24 heures et plus à l'occasion pour recevoir les traitements requis ou se faire dire d'aller ailleurs...

Samedi 9 novembre 2024, vers 17 h 15... Mon épouse chute dans notre garage et se blesse aux deux pieds... Le pied droit semble le plus touché... Impossible de se tenir debout et douleurs aiguës... N'ayant plus de médecin de famille (et de tout façon les bureaux seraient fermés), elle n'a plus qu'une option: se rendre à l'urgence de l'hôpital de Gatineau, à cinq minutes en voiture. Vers 18 h 30, on se décide. Arrivée à l'urgence vers 18 h 45 dans un grand couloir où. bien sûr, aucun humain ne vous accueille. Seulement un écran qui vous dit de presser sur le bouton pour obtenir un billet avec un numéro... (Surtout ne vous avisez pas d'oublier cette étape).

Je pousse mon épouse dans un fauteuil roulant jusqu'à la salle d'attente décrite ci-haut pour attendre qu'un haut-parleur appelle notre numéro de loterie. Aucun écran n'affichant les numéros appelés au triage ou aux salles d'examen, j'ai l'impression qu'un malentendant arrivant seul y serait foutu... Un malade, assis, perdant connaissance ou subissant une grave arythmie cardiaque, pourrait mourir sans qu'un seul membre du personnel soignant s'en rende compte... Enfin, ce n'est pas notre cas et de toute façon, en moins de 10 minutes nous voilà convoqués à l'une des salles de triage où l'infirmière conclut très vite à la nécessité d'une radiographie du pied.

Le service de radiologie de l'urgence étant inaccessible, il faudra se rendre au service principal de radiologie de l'hôpital, à l'étage, avec une requête à présenter au préposé. L'endroit est quasi désert. L'accueil est fermé et on nous conseille de nous rendre au bout d'un couloir adjacent. Pendant 10 ou 15 minutes, il n'y a absolument personne (sauf nous). N'importe qui aurait pu entrer et saccager l'endroit. Aucun gardien de sécurité ici. Finalement, la personne responsable nous retrouve et en quelques minutes, la radiographie du pied est complétée. Il n'est que 19 h 50 et déjà, une heure après notre entrée à l'urgence, l'hôpital a en mains l'image qui permettra à un médecin d'établir un diagnostic et, advenant une fracture, de transférer le dossier au service de l'orthopédie, à l'hôpital de Hull où nous retournerons lundi. C'est là que le calvaire commence...

Quelques heures plus tard, n'ayant toujours pas été convoqués à une salle d'examen, l'infirmière nous revoit à la salle de triage (ça semble être une procédure habituelle pour s'assurer de l'état des patients, ou pour savoir s'ils n'ont pas quitté, découragés). Nous sommes déjà fatigués, il est près de 23 h et nous savons que quoiqu'il advienne, on va nous renvoyer à la maison, avec ou sans plâtre. Nous indiquons notre volonté de rentrer chez nous s'il n'y a pas de fracture mais l'infirmière, qui voit la radiographie, n'a pas le droit de nous donner cette information. C'est le privilège du médecin et clairement, notre dossier n'a rien d'urgent. Devrait-on rester ici ou peut-on partir, demande mon épouse. «Vous devriez voir le médecin», lui répond-elle. Il y a donc fracture et on nous dit clairement que nous sommes à la bonne place...

Pendant les prochaines six ou sept heures, personne ne sera convoqué à une salle d'examen pour voir le médecin (après 11 h ou minuit il ne semble y avoir qu'un seul médecin à l'urgence d'un grand hôpital de la quatrième ville du Québec!) À l'oeil, dans la salle d'urgence, environ une douzaine de personnes attendent, espérant être traités. Certains sont arrivés bien avant nous, d'autres après. Combien de patients se trouvent derrière la douzaine de portes? Impossible de le dire, l'accès aux lieux est interdit aux simples détenteurs de billets numérotés. Ce qu'on sait, c'est que la patience a ses limites et que plus la nuit avance, certaines personnes qui auraient dû être vues, examinées et traitées par un médecin jugent préférable d'aller souffrir ailleurs. À la prochaine convocation au triage, des numéros appelés resteront sans réponse...

Je comprends pourquoi à l'hôpital, du moins à l'urgence, on devient des «patients». Il faut faire preuve d'une quantité substantielle de patience et à juger par les gens que j'ai côtoyés durant cette nuit blanche, nous sommes sûrement l'un des peuples les plus patients de la terre. Je comprends, au fond, que personne n'ait chialé ou élevé la voix. Qui ne craint pas de mettre en péril sa chance de recevoir des soins en confrontant un employé de l'hôpital? Mais il y a des limites et faut croire que je les atteint plus rapidement que d'autres. Un peu après minuit, je me suis risqué dans un couloir où se trouve le guichet «Inscription» (je ne sais pas qui s'inscrit là et pour quoi...). J'explique notre situation à la personne, qui semble submergée de paperasse, en ajoutant qu'on nous avait indiqué que nous n'aurions pas à passer la nuit à l'urgence pour obtenir le résultat d'une radiographie... Elle n'a aucune information utile à m'offrir et je commente: «Ça n'a pas de bon sens». C'est ça, «le système est pourri», dit-elle...

Nouvelle conversation de même type quelques heures plus tard au service de triage (notre troisième visite) avec un autre infirmier. On a beau plaider notre âge (septuagénaires), notre épuisement, mon état de santé (cardiaque), rien ne bouge. Semble-t-il qu'on devrait s'adresser au gouvernement, nous dit-on, plutôt qu'au personnel (oui, sans doute, mais avez-vous déjà essayé de rencontrer un humain du gouvernement pour porter plainte, en pleine nuit dans une salle d'urgence?). De toute façon, nous dit-on, vous n'êtes ici que depuis huit ou neuf heures. D'autres ont attendu jusqu'à 30 heures... Début de panique à l'idée de devoir passer une seconde nuit blanche devant les portes interdites!

Finalement, vers 6 heures du matin, plus de 10 heures après la radiographie, mon épouse commence à trouver que c'en est trop. Au bout du corridor «Inscription», elle réclame son dossier (qui lui appartient) à l'infirmier du triage précédent, qui nous avertit promptement de ne pas élever le ton! On aimerait bien lui parler comme si on jasait autour d'un bon café relax au resto, mais... Comme l'infirmier est occupé, nous attendons devant la porte de sa salle de triage où sans tarder, le gardien de sécurité vient nous demander ce que nous faisons là... Avant qu'il ait la chance de nous discipliner, et avant que la porte interdite s'ouvre de nouveau, on entend le nom de mon épouse, enfin invitée à se rendre à l'une des salles de traitement! Il est 6 h 30... Nous sommes ici depuis près de 12 heures.

D'autres personnes sont maintenant convoquées à des salles de traitement. Je dois en conclure qu'un ou quelques médecins se sont ajoutés aux effectifs. À partir de là, le processus interrompu pendant plus de 10 heures suit son cours. Examen par un médecin, fracture confirmée au pied droit, autre radiographie pour s'assurer qu'il n'y a pas fracture au pied gauche, pose d'un plâtre, renvoi à un orthopédiste à l'hôpital de Hull, ordonnance de médicament anti-douleur et nous voilà de retour à la maison vers 10 heures du matin, dimanche. Il s'est écoulé plus de 15 heures depuis notre départ pour l'hôpital la veille, dont 11 heures pour attendre le résultat d'une radiographie...

Ça n'a pas d'(série de jurons) de bon sens! Je répète: je ne blâme aucunement le personnel en devoir à l'urgence. Mais la configuration de ce qu'on appelle salle d'attente, à l'urgence de l'hôpital de Gatineau, démontre une absence totale d'humanité et de respect pour les usagers (qui se font dire, eux, d'être respectueux). Vous voulez que je mette des points sur les «i»? Voici quelques horreurs constatées en une nuit:

- l'accueil à l'entrée par une machine qui crache des billets numérotés, plutôt que par un être humain qui pourrait établir une communication sensorielle avec les usagers

- une salle d'attente impersonnelle où le seul humain visible rattaché à l'hôpital est un gardien de sécurité en uniforme, là pour discipliner les usagers et non pour les réconforter ou les informer

- vue constante d'un grand mur avec une douzaine de portes donnant accès aux soins, interdites aux usagers (sauf si expressément convoqués), assurant une séparation physique totale entre les souffrants détenteurs de billets numérotés et le personnel soignant

- l'impossibilité d'obtenir quelque renseignement fiable sur la durée probable ou possible de l'attente. Le système est ainsi fait. (Et surtout n'insistez pas; les membres du personnel, fatigués eux aussi, ne sont pas tenus d'être aussi patients que vous)

- l'impossibilité, si l'on doit passer une nuit entière en attente à l'urgence, de trouver un endroit où s'étendre pour fermer l'oeil. (N'allez pas improviser, le personnel de sécurité vous rappellera à l'ordre)

- des machines distributrices dont les prix sont exorbitants... dans une institution publique de santé québécoise - 3$ pour une bouteille d'eau, 4,50$ pour un biscuit à l'avoine. Scandaleux!

- la présence, pendant la nuit, d'un seul médecin à l'urgence d'un hôpital de grande ville; c'est en apparence le principal facteur de paralysie de ce service essentiel pour les personnes en salle d'attente. Pourquoi un seul médecin? Bonne question...

Si j'en avais le pouvoir, je traînerais le ministre de la Santé, le grand patron de Santé Québec et le PDG du CISSS de l'Outaouais (incognito bien sûr) jusqu'à l'urgence de l'hôpital de Gatineau pour y passer une nuit blanche en fin de semaine à observer l'absence de personnel soignant dans l'aire d'attente, à jaser avec les détenteurs patients et souvent découragés de billets numérotés, à fixer le mur des portes interdites, fermées pendant des heures, à compter les personnes qui finissent par quitter sans avoir été traitées, à constater l'efficacité disciplinaire du personnel de sécurité. Je ne suis pas expert, mais j'ai la conviction qu'ils n'auraient pas le sourire en sortant le matin suivant...

Toute l'attention, l'empathie, la diligence, la compétence et l'empressement de l'ensemble du personnel soignant, qu'ils auraient été à même de constater dans l'aire de soins, derrière les murs interdits, sont totalement absents de la grande salle murée et vitrée où des personnes malades, blessées ou souffrantes peuvent passer jusqu'à 12, 18 ou 24 heures accrochées à l'espoir que la voix métallique des haut-parleurs prononce leur nom et leur donne enfin accès au personnel médical...


lundi 4 novembre 2024

Voilà à quoi ressemble une ville sans journal quotidien...

Page une récente du seul «journal» qui reste chez nous, la feuille bilingue/bilingual «Bulletin de Gatineau». Mais cette «une» est tout de même percutante et fort opportune, surtout après la disparition du quotidien Le Droit... Gatineau, une ville de 300 000 personnes sans quotidien de langue française !!!
-----------------------------------------------------

Si mon ancien quotidien, Le Droit, publiait toujours une édition papier, je me plais à imaginer la manchette spectaculaire en gros caractères qui aurait sans doute orné les étalages de journaux dans les kiosques le lendemain de la publication d'une étude spéciale sur le déclin du français dans la région de Gatineau, ce 31 octobre 2024 (voir lien au texte de Radio-Canada en bas de page).

Avoir repris mon ancien poste de chef des nouvelles, j'aurais réservé le haut de la une à un titre qui se serait lu à peu près comme suit:

   À GATINEAU                                                                                                               «Plus facile pour un anglophone qu'un                                                             francophone de travailler dans sa langue!»

L'histoire n'est pas banale. Vous souvenez-vous de la dernière fois que Québec ait préparé et publié une étude portant spécifiquement sur la situation linguistique et la langue de travail à Gatineau? Moi pas. Et il y a aussi le fait que cette analyse provienne de Benoît Dubreuil, le tout nouveau Commissaire à la langue française du Québec, nommé en 2023. Qu'il se soit penché sur la problématique de Gatineau aussi rapidement rehausse l'impact de cette publication.

J'aurais affecté au moins deux ou trois journalistes (peut-être plus) à la rédaction de la nouvelle principale et des multiples suivis qui s'imposaient. Le résumé des données et conclusions de l'étude aurait été coiffé d'une entrevue en profondeur avec le Commissaire et l'un de ses experts pour dégager le sens des colonnes de chiffres accablantes.

D'autres reporters seraient allés chercher des réactions de députés (fédéraux et québécois), du maire de Gatineau, des conseillers municipaux et des personnes dans la collectivité gatinoise qui s'intéressent de près aux enjeux linguistiques. Sans oublier un bon vieux vox pop dans les rues de Gatineau... De quoi remplir au moins trois ou quatre pages du journal... avec un éditorial incisif et une caricature de l'éternel Bado...

Mais voilà. Le Droit n'a plus d'édition quotidienne imprimée. Même pas d'édition quotidienne numérique. Il reste un babillard en temps réel sur le Web avec une équipe amaigrie de journalistes, excellents par ailleurs. Mais quatre jours (4 novembre) après la diffusion du rapport du Commissaire à la langue française, rien n'indique qu'un reporter au Droit ait lu et décortiqué le rapport. Aucun texte maison n'a été publié, sauf par Radio-Canada, et même ce dernier laissait nettement à désirer. Jamais l'image de la une du «Bulletin de Gatineau» (bi-mensuel bilingue) illustrée en haut de cette page ne m'aura paru si opportune: «Voilà à quoi ressemble une communauté sans journal local»... 

Le résultat, c'est que cette importante étude est tombée à plat. Une petite déclaration ça et là, et vite le chemin des oubliettes. Personne ne verra cette page une qui aurait existé jadis, ni dans les kiosques, ni dans les restos et hôtels, ni sur les tables de cuisine. Et Gatineau, du moins son centre-ville, continuera de se transformer en Ottawa-Nord... 

------------------------

Lien au texte de Radio-Canada - https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2116894/commissaire-langue-francais-recul-fonction-publique-federale

Lien au texte de la Presse canadienne, reproduit sur le site du Droit - https://www.ledroit.com/actualites/2024/10/31/le-francais-recule-de-maniere-preoccupante-au-travail-et-dans-la-culture-SUQW2OGHGZF2PMIWN2ZYP75W5I/

Lien au rapport du Commissaire à la langue française du Québec - https://www.commissairelanguefrancaise.quebec/wp-content/uploads/2024/10/Situation-francais-etudes-complementaires.pdf


lundi 28 octobre 2024

Mary Simon... Habituez-vous...

Mary Simon


Dans cette fédération ficelée contre notre gré en 1867, dans cette Constitution de 1982 enfoncée comme un poignard, dans ce pays où, minoritaires, nous n'avons jamais pu décider de quoi que ce soit, l'égalité de deux langues «officielles» continue d'orner les façades à Ottawa.  Mais ces jours-ci, excusez l'anglicisme, les craques fissurent de plus en plus les façades, même aux plus hautes sphères de l'État.

La nomination en 2021 d'une gouverneure générale incapable de prononcer même quelques phrases en français, et encore moins de les comprendre, aurait été impensable durant la Révolution tranquille ou dans les années suivant l'échec de l'Accord du Lac Meech. Ce l'est, désormais. À cause du contexte politique: le Canada anglais, sous Harper et bientôt avec Poilièvre, sait qu'il n'a plus besoin du Québec pour gouverner le pays. Secundo et de manière plus importante, le contexte démographique: la proportion de francophones, et bientôt leur nombre absolu, connaît une chute dramatique qui va s'accélérant.

Au milieu du 20e siècle, parlant des langues officielles, près d'un citoyen du Canada sur cinq connaissait seulement le français. Aujourd'hui,  cette proportion s'approche de 10%. Bientôt un sur dix! Le bilinguisme ne progresse qu'au Québec et principalement chez les francophones. Les Anglo-Canadiens hors-Québec, à 90%, ne parlent pas notre langue et ne la parleront jamais. Cela fait, au Canada de 2021, environ 4 000 000 d'«unilingues» français pour plus de 25 millions de citoyens qui ne comprennent que l'anglais, l'autre langue officielle. Ça laisse, sur une population totale de 36 ou 37 millions, à peine six millions et demie de «bilingues»: 18% de la population...

Les médias faisaient récemment état de l'embarras* du gouvernement Trudeau parce que la gouverneure générale Mary Simon, après trois ans de cours, ne maîtrisait pas un français même rudimentaire. C'est pourtant une femme intelligente, experte des questions de l'Arctique et ancienne ambassadrice du Canada. Tout à fait capable d'acquérir l'autre langue officielle du pays. Alors pourquoi ne l'a-t-elle pas fait avec tous les moyens mis à sa disposition? Pour deux motifs qui devraient crever les yeux: elle n'a pas besoin du français pour exercer l'essentiel de sa fonction de chef d'Etat et, de toute façon, elle ne veut pas vraiment l'apprendre.

Quand on veut on peut! J'avais interviewé dans les années 1990 un major anglophone dans l'aviation canadienne parlant un français fort acceptable, avec un accent issu de la rue et non des couloirs scolaires. Je lui demandé comment il avait appris. Originaire de la Nouvelle-Écosse, unilingue anglais, il avait été stationné à Bagotville et vécu quelque temps à Jonquière où il lui fallait évoluer au quotidien en français. En quelques mois à peine, il se débrouillait. Avoir obligé Mary Simon à vivre en appart à Rimouski pendant trois ou quatre mois, le problème serait déjà résolu... Enfin...

Je peux tout de même comprendre le point de vue des anglos. Apprendre une langue seconde parce qu'on le veut est un plaisir, un enrichissement. Se faire imposer une autre langue que la sienne est un irritant majeur, que les francophones du Québec et du reste du Canada connaissent bien, qu'ils subissent en grands nombres à chaque minute de chaque heure de chaque jour depuis que ce pays existe. Nous y sommes habitués avec un Canada à forte majorité anglaise et un voisin anglo-américain omniprésent. Mais l'Anglo-Canadien peut vivre en anglais seulement un peu partout de Whitehorse à Yarmouth, y compris à Ottawa et même à Montréal (Michael Rousseau l'a dit). Pourquoi apprendre le français, une langue qu'ils n'utiliseront pas?

Quand on défend le droit pour la majorité franco-québécoise de demeurer majoritairement unilingue française dans un Québec appelé, espérons-le, à devenir souverain, on ne peut du même souffle réclamer une bilinguisation de masse dans un Canada où l'unilinguisme anglais restera la règle, avec ou sans le Québec. De toute façon, au rythme actuel, d'ici deux générations, une forte majorité de francophones connaîtront l'anglais. C'est déjà fait hors Québec (à 90%) et ce le sera bientôt dans le bassin du Saint-Laurent. Quand seul un Canadien sur 20 sera unilingue français et que le Québec en voie de s'angliciser deviendra officiellement bilingue, on ne se posera plus de questions. Il y aura des Mary Simon partout et ce sera normal. Les anglos se sentiront chez eux partout dans leur langue. C'est leur pays.

Alors le scénario est clair. Au recensement de 1971, près de 4 millions de répondants francophones (sur une population totale de 21 millions de Canadiens) ne comprenaient pas l'anglais. En 2021, ça stagne toujours autour de 4 millions, mais sur une population totale de 36 millions! Entre-temps, le nombre d'anglophones qui ne comprennent pas le français est passé de 14 millions en 1971 à 25 millions en 2021. Il devient de plus en plus ardu de dire à ces dizaines de millions d'anglos qu'ils devront apprendre une langue en déclin pour devenir juges de la Cour suprême, gouverneur général, haut fonctionnaire ou ministre... Mary Simon n'est que la pointe d'un iceberg. Remarquez qu'on pourrait toujours, pendant son règne, demander à Charles III de lire les Discours du Trône à Ottawa. Le roi, lui, parle assez bien français.

Il ne reste qu'une voie réaliste pour sauver la langue et la culture française en Amérique du Nord: créer notre pays français. Entre l'immigration incontrôlée et une dénatalité massive qui menacent désormais l'existence même de ce «nous» français que nous avons mis 400 ans à bâtir et auquel nous voudrions intégrer les nouveaux arrivants, il ne reste plus grand temps pour agir de façon décisive. Le prochain recensement sera désastreux. Les façades bilingues fissurées finiront par s'écrouler...

---------------------------

* Lien au texte du Devoir - https://www.ledevoir.com/politique/canada/820533/incapacite-mary-simon-parler-francais-embarrasse-gouvernement-trudeau


mercredi 23 octobre 2024

Pourquoi le drapeau du Canada devant nos hôtels de ville?



Devant la Maison du Citoyen à Gatineau


Le drapeau officiel d'un État, c'est bien plus qu'un chiffon... Il identifie l'État, ainsi que son territoire et son peuple, à l'intérieur comme à l'extérieur de ses frontières. Le graphisme et les couleurs symbolisent son histoire et ses valeurs. Il marque aussi la présence, l'appartenance et l'autorité de l'État qui le déploie.

À Ottawa où j'ai grandi, le gouvernement fédéral arbore l’unifolié rouge sur la multitude d'édifices qu'il occupe et il n'est pas rare de voir le drapeau du Canada flotter sur des terrains ou maisons de particuliers. Le 1er juillet, Fête du Canada, la ville est littéralement tapissée de drapeaux rouges et blancs à feuille d'érable. Cette masse d'unifoliés déborde un peu sur Gatineau, notamment près des tours remplies de fonctionnaires fédéraux qui trônent sur le centre-ville. Ça donne un peu à la rive québécoise de l'Outaouais une allure «Ottawa-Nord», bilingue-à-l'anglaise. 

Le gouvernement du Québec a aussi pignon dans le vieux Hull, mais son modeste édifice Jos Montferrand sur la rue Hôtel-de-ville, avec ses trois drapeaux québécois, reste dans l'ombre des tours fédérales adjacentes de Place du Portage. On aurait pu s'attendre que l'hôtel de ville de Gatineau, de l'autre côté de la rue, vienne en renfort à titre d'institution publique du Québec mais non: sur les trois mats devant notre «Maison du citoyen» municipale flottent le drapeau du Canada, le fleurdelisé au centre et la bannière municipale...

Cela m'a étonné. Je ne l'avais jamais vraiment remarqué. Combien de passants jettent.un coup d'oeil aux mats sur la terrasse devant l'hôtel de ville de Gatineau? Offusqué, je me suis dit que cela valait bien un texte de blogue, qu'il y avait là une des preuves que Gatineau soit inféodée au fédéral depuis que ce dernier ait pris pied sur la rive québécoise vers 1970 et éviscéré à coups d'expropriations un quartier ayant abrité les humbles maisons de résidents francophones.

Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, à l'aide de Google Street View, que le drapeau canadien est déployé devant les hôtels de ville de la quasi-totalité des villes que j'ai arpentées numériquement: ailleurs en Outaouais y compris Maniwaki, Thurso, Montebello; mais aussi dans notre métropole, Montréal; dans notre capitale nationale, Québec; à Sherbrooke, Saint-Hyacinthe, Rivière-du-Loup, etc. Je ne comprends pas... Ottawa n'ajoute pas de fleurdelisé devant ses bureaux de poste. Québec déploie le seul fleurdelisé devant les écoles publiques, les centres hospitaliers et autres édifices publics. Alors pourquoi l’unifolié devant les mairies québécoises?

Les lois et règlements du Québec stipulent: «Le drapeau du Québec doit être déployé de façon officielle par une institution publique ou un établissement relevant de l'Administration gouvernementale afin d'identifier son appartenance à cette dernière. Le drapeau a pour fonction, au même titre qu'une signature gouvernementale, de permettre au citoyen de reconnaître la juridiction du service qui lui est offert. Les institutions publiques relevant de l'État du Québec doivent observer les règles relatives au déploiement institutionnel.» Or, les municipalités font expressément partie de ces institutions publiques!

Hisser le drapeau du Canada sur nos mats municipaux constitue un manque de respect pour la loi québécoise en laissant croire à une juridiction partagée avec Ottawa qui n'existe pas, ou une appartenance quelconque au gouvernement fédéral, également inexistante. Les institutions municipales sont des créations du seul État québécois. Et c'est sans oublier que le drapeau du Canada représente la majorité anglo-canadienne et l'État fédéral, celui-là même qui nous a imposé la Constitution de 1982 sans notre accord et qui se sert de ses tribunaux pour désavouer les lois du Québec sur la langue française et la laïcité.

Il serait grand temps que le gouvernement québécois rappelle aux municipalités qu'elles sont soumises aux mêmes lois et règlements que les autres institutions publiques - les ministères, les écoles et centres de services scolaires, les établissements de santé, etc. - et qu'elles doivent s'afficher - même par le drapeau - comme des institutions québécoises. Vivement qu'on retire l'unifolié de nos hôtels de ville et mairies!

Devant l'hôtel de ville de Sherbrooke...