mercredi 22 janvier 2025

«Une réalité du passé et de l'histoire»...

Numérisation des pp. 2 et 3 de l'édition Été 2024 de «Missionnaires ensemble»

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À sa mort en juillet 2023, ma mère m'a laissé sa collection de 12 années (1941-1953) du petit bulletin Contact, publié par les pères Capucins de la paroisse Saint-François d'Assise, à Ottawa. Au-delà des sermons religieux, le fascicule périodique de 4 à 8 pages constitue un trésor d'information sur une époque révolue où, dans mon petit coin franco-ontarien comme un peu partout au Québec, le catholicisme était omniprésent.

À côté de la majestueuse église à deux clochers située sur la «grand-rue» de la capitale fédérale, les Capucins avaient érigé un collège séraphique où étudiaient une centaine de candidats à la prêtrise, la plupart québécois. À cause du nombre élevé de vocations, plusieurs religieux étaient disponibles pour les campagnes d'évangélisation auprès des «païens» et «infidèles» vivant dans des terres lointaines. Aussi d'année en année, dans les années 40 et 50, Contact annonçait le départ de prêtres d'ici pour les missions catholiques en Inde.

Le sort aura voulu qu'en 2022, lors d'une tournée du Saguenay et du Lac Saint-Jean, je m'arrête à L'ermitage de Lac-Bouchette, une oasis spirituelle des Capucins devenue attraction touristique. Nous n'y avons vu qu'un seul père Capucin, originaire du sud de... l'Inde. La plupart des prêtres d'ici qui restent (et ils se sont rares) sont vieux, parfois malades, et les nouvelles vocations arrivent des missions que les générations précédentes de religieux avaient fondées et entretenues ailleurs dans le monde, notamment en Inde.

Dans le magazine Missionnaires ensemble, en 2024, un frère capucin de l'Inde, Sibin Balu, devenu «missionnaire» au Québec (tout un revirement depuis 1950), a livré un témoignage révélateur sur son expérience québécoise: «J'avais beaucoup d'attentes par rapport à la vie chrétienne dans un pays catholique, écrit-il. Mais les premiers mois de ma vie ici m'ont appris que l'attribut "catholique" faisait référence à une réalité du passé et de l'histoire.

«Pour quelqu'un comme moi qui venait d'un environnement où les églises étaient presque remplies même dans les jours ordinaires, il était littéralement choquant de célébrer la messe sans chorale, parfois même sans servants de messe, en outre de voir les églises avec beaucoup de sièges vides le dimanche.»

Ce prêtre de l'Inde avait compris en quelques mois ce que, sur nos perchoirs idéologiques, les «savants» débats au sujet de la «catho-laïcité» peinent à décortiquer. Que l'influence du catholicisme sur la société québécoise est désormais marginale, et que toute autre perception repose essentiellement sur la présence d'églises et de monuments et objets religieux, ainsi que des quelque cinq cents villes et villages portant le nom de saints de la religion catholique.

Les églises paroissiales agonisent, les curés qui prennent la relève viennent d'Afrique ou de Haïti, à peu près personne ne récite des prières quotidiennement, les communiants se font rares, les monastères et couvents qui ont survécu sont devenus des CHSLD pour personnes âgées, etc. Le paysage catholique québécois témoigne de ce que nous fûmes jadis. De notre histoire comme peuple. C'est un héritage à chérir, ayant désormais peu à voir avec la foi ou la pratique religieuse. 

On a beau apercevoir 100 clochers catholiques (ou plus) dans la métropole, on cherchera comme une aiguille dans une botte de foin les Montréalais issus de l'ancienne culture catholique qui arborent toujours un signe religieux ostentatoire. Les mosquées, synagogues et lieux de culte sikhs sont bien plus rares mais il arrive régulièrement de croiser une femme musulmane voilée, un Juif hassidique en tenue traditionnelle ou un Sikh portant turban. Voilà toute la différence!

Et ce prêtre capucin venu de l'Inde l'a compris en quelques mois. Alors fichez-nous la paix avec votre catho-laïcité sauce québécoise. Ce que nous faisons s'appelle laïcité tout court. Et nous n'avons par besoin de changer le nom du village L'Ascension de Notre-Seigneur ou du Lac Saint-Jean pour le prouver. Nous n'effacerons pas notre passé et notre identité pour calmer les saintes nitouches d'un multiculturalisme maladif...

De la revue Contact, 1951

De la revue Contact, 1950



jeudi 16 janvier 2025

Un an déjà! Je m'ennuie du papier!


En haut, l'édition du 24 mars 2020. En bas, celle du 30 décembre 2023.


Permettez-moi un bref retour sur les derniers jours de ce premier quart du 21e siècle... Le lundi 30 décembre 2024, cela faisait déjà une année, très exactement, que j'avais pu cueillir à ma porte le tout dernier exemplaire papier du journal qui avait marqué depuis plus d'un demi-siècle ma vie professionnelle et personnelle: Le Droit.

Le 24 mars 2020, pandémie de COVID-19 aidant, l'ancien quotidien de l'Outaouais et de l'Est ontarien avait cessé de publier son édition papier sur semaine, mais poursuivi l'impression d'un hebdo magazine le samedi. Sous un titre insultant et trompeur, MERCI ET À DEMAIN!, l'ultime offrande papier hebdomadaire a été livrée le samedi 30 décembre 2023 aux kiosques et au domicile des abonnés restants.

L'édition quotidienne numérique, qui avait survécu à la pandémie, a subi le même sort que l'imprimé le 18 avril 2023. Ne reste désormais que ce labyrinthe-babillard Internet où Le Droit épingle en temps réel des textes d'actualité et des chroniques provenant de son équipe amincie de journalistes et collaborateurs, ou transmis par les autres sites Web des Coops de l'information et les agences de presse.*

Il serait fort intéressant de connaître les chiffres réels de l'abonnement au site Web Le Droit en 2025, et de les comparer à ceux de la clientèle du journal imprimé avant que le passage au format tabloïd en 1988 ne vienne amorcer un cercle vicieux qui devait faire du produit une proie facile pour l'Internet et ses dérivés après l'an 2000. En mars 1986, alors que Le Droit était toujours un journal d'après-midi (le dernier au Québec), plus de 55% des foyers francophones d'Aylmer, Hull et Gatineau y étaient abonnés. On vendait en kiosque et on livrait à domicile tous les jours entre 45 000 et 50 000 exemplaires! 

S'ennuiera-t-on du papier un jour?

En ce début de 2025, les kiosques à journaux de mon patelin (Gatineau, 300 000 habitants, 4e ville du Québec) ne proposent à la clientèle francophone que deux quotidiens régionaux... de langue anglaise: l'Ottawa Citizen et l'Ottawa Sun. Pour acheter un journal imprimé en français, il faut se procurer Le Devoir ou le Journal de Montréal... Qualifier cette situation de scandaleuse serait un euphémisme!

Si encore on pouvait croire que les directions des quotidiens qui ont largué le papier l'avaient fait à contrecoeur, on aurait pu entreprendre un débat potentiellement fructueux. Mais non. Les autruches aux commandes ont couru droit vers le précipice numérique et sauté sans parachute... Plus question de fabriquer des journaux papier pour les vieux «nostalgiques». Marie-Claude Lortie, rédactrice en chef du Droit (une ancienne de La Presse), affirmait en ondes à Radio-Canada que les quotidiens imprimés ne servaient guère qu'à «allumer les feux de cheminée» ou tapisser «les litières de chats»...**

«On ne pense plus papier, c'est fini le papier depuis longtemps», avait-elle ajouté. Et on n'allait surtout pas s'ennuyer de l'imprimé... Au-delà de ces inepties, Mme Lortie fait ressortir le silence assourdissant des tribus journalistiques, la FPJQ en tête, en matière d'abandon des éditions papier de sept quotidiens québécois! À aucun congrès de la fédération professionnelle des journalistes n'a-t-on consacré ne serait-ce qu'un atelier de réflexion à l'importance de conserver et promouvoir les journaux imprimés dans cette ère où le numérique est devenu et restera incontournable.

Quand le mouvement vers l'abandon du papier par la presse écrite s'est accéléré dans la décennie 2010, certains prédisaient un sort similaire à l'industrie du livre. Or, en 2024, selon Le Devoir, les ventes de livres numériques plafonnent entre 7 et 10% de la production. Le public lecteur, même jeune, préfère l'expérience sensorielle, voire sensuelle, du livre imprimé. Le livre papier, comme jadis (et toujours) la presse papier, inspire confiance. «Ce qui est imprimé n'est pas fait pour les machines, mais pour l'humain», écrit Miguel Tremblay dans le plus récent numéro de la revue Liberté. Le troupeau journalistique québécois ne semble pas avoir compris que le bon vieux quotidien imprimé offre au lectorat un produit d'information unique que les écrans de téléphones et de tablettes, si perfectionnés soient-ils, ne peuvent espérer concurrencer.

Le journal qui aboutissait sur mon perron jusqu'à mars 2020 avait une existence physique. Pas besoin de réseau wi-fi ou d'abonnement Internet pour visionner un minuscule écran où l'on doit constamment faire défiler les textes et images vers le bas, en recommençant à chaque nouvelle page jusqu'à épuisement de l'index ou du majeur. On tenait le journal papier tout entier dans ses mains et si on le mettait de côté, on le retrouvait comme on l'avait laissé, sans qu'un inconnu n'ait tripoté des paragraphes ou des photos. L'ancien Droit présentait, en sections thématiques, un résumé quotidien de l'actualité politique, économique, sociale, sportive, artistique, etc. Il était plus facile à lire, on pouvait le toucher, le découper, le conserver, le recycler et, oui, même s'en servir pour allumer des feux de foyer ou tapisser la litière du chat...

Dans la ruée aveugle vers le numérique, on a oublié - même dans les milieux médiatiques - de s'interroger sur l'importance fondamentale du journal papier. Le résultat? La jungle de l'Internet. Une fragmentation inimaginable des sources d'information. La quasi-impossibilité, pour le grand public, de cibler avec certitude l'information fiable dans un univers de fake news. Une perte de confiance du lectorat, qui ira s'accélérant. Un public de plus en plus mal informé. Un terreau de plus en plus fertile pour la propagande. Une montée exaspérante des extrême-droites face aux go-gauches wokistes... Une perte des repères. Le règne des Trump, Musk, Zukerberg, Bezos...

Réponse au chroniqueur du Droit: «Oui, je m'ennuie du papier»! Et pour des motifs qui n'ont rien à voir avec le fait que je sois vieux...

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* Lien au texte Le supplice des mille coupures... https://lettresdufront1.blogspot.com/2023/12/le-supplice-des-1000-coupures.html

** Lien au textLe Droit papier: bon pour les feux de cheminée et les litières de chat? https://lettresdufront1.blogspot.com/2023/12/le-droit-papier-bon-pour-les-feux-de.html

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Vu sur Facebook en janvier 2025:



lundi 6 janvier 2025

Le temps d'un soir Radio-Canada devient Radio-Québec...

La publicité Bye Bye de Coca-Cola, hommage au Petit Roi de Jean-Pierre Ferland

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Mardi soir, 31 décembre 2024, vers 22 h... Mon épouse et moi quittons le domicile de mon frère à Gatineau pour rentrer à la maison, à cinq minutes en voiture, où nous poursuivrons l'écoute des émissions de fin d'année de Radio-Canada... En sortant de la ruelle d'accès à son bloc d'appartements, on arrive au boulevard Saint-René, une artère habituellement achalandée... Avant d'avancer, mieux vaut toujours jeter un coup d'oeil prudent à gauche et à droite... Mais surprise (ou pas?), aucune voiture en vue, aussi loin qu'on puisse voir!

Quand, le surlendemain, j'ai pris connaissance des cotes d'écoute préliminaires d'En direct du Jour de l'An, d'Infoman et du Bye Bye 2024, j'ai eu la confirmation de la justesse de mon pressentiment. Près de la moitié des Québécois (des francophones du moins) étaient agglutinés devant un téléviseur, branchés sur Radio-Canada pour assister à nos messes annuelles de la Veille du Jour de l'An.

Pensez-y! Au Québec, plus de trois millions de personnes ont vu en direct le Bye Bye... qui captait ainsi 91% de l'auditoire disponible! Des chiffres qui seront bonifiés avec les reprises télé et les visionnements Internet dans les jours suivants... Ce phénomène télévisuel assez unique doit faire baver les bonzes de la CBC, qui n'offre rien de tel au public anglo-canadien à la veille du Nouvel An et dont les cotes d'écoute laissent nettement à désirer.

Les commerçants, eux, ont fort bien saisi la portée de ces émissions spéciales de Radio-Canada. Les espaces publicitaires à 500 000 $ la demi-minute se sont envolés en quelques heures et plusieurs des annonceurs mijotent des pubs spéciales (clairement destinées au public québécois), au point où le contenu publicitaire est attendu presque autant que les émissions dans lesquelles il est diffusé. Le concours annuel des meilleurs publicités du Bye Bye attire un large public...

La publicité d'Air Canada, inspirée de La guerre des tuques

Même les entreprises pan-canadiennes, voire internationales, qui profitent de ces cotes d'écoute exceptionnelles mettent en ondes des messages publicitaires créés par et pour les Québécois. Songez à Air Canada, souvent critiquée pour ses services en français déficients, avec sa pub inspirée de La guerre des tuques, y compris la chanson tirée du film mythique, montrant un avion avec le titre Un air de chez nous... Ou Tim Hortons inventant un pipi-gate québécois parce que sa porte-parole Sarah-Anne Labrosse est arrêtée aux toilettes d'un Tim sans faire d'achat... Et que dire de Coca-Cola qui a rassemblé une brochette de vedettes québécoises de la chanson pour rendre un hommage émouvant au Petit Roi de Jean-Pierre Ferland...

Quant aux messages publicitaires en provenance du Québec, leur originalité et leur humour ciblent invariablement des environnements humains et physiques d'ici. Le petit chef-d'oeuvre de Mondou montrant un chien gagnant une course à obstacles parce qu'il a appris à manoeuvrer autour des cônes orange et clôtures des rues en réparation... Dans celle des Érables du Québec, un type suggère d'attendre que toute la tubulure d'une érablière pète avant de la réparer, citant ses 20 années d'expérience au service d'aqueduc municipal...  Sans oublier les sympathiques offrandes des producteurs de lait et de Metro, se déroulant autour de tablées typiques du temps des Fêtes...

La pub de Mondou, un clin d'oeil aux travaux routiers urbains...

Le contenu des émissions était lui-même enraciné dans le vécu québécois. L'En direct de France Beaudoin mettait en scène avec brio quatre personnalités artistiques et médiatiques du Québec, avec une présence surprise de plusieurs de leurs proches et amis, et en dépit de la présence irritante de musique anglaise, respirait le terroir du bassin du Saint-Laurent. Les émissions Infoman et Bye Bye, tout en ratissant beaucoup plus large, étaient aussi ancrées en terre québécoise. La valeur d'y participer n'échappe pas aux politiciens fédéraux qui savent se débrouiller en français. Le chef conservateur Pierre Poilievre, si prompt à dénoncer CBC, était tout sourire en déclarant que pour tout premier ministre canadien, une visite à Infoman restait incontournable.

La francophonie hors Québec, absente des heures de forte écoute la Veille du Jour de l'An, avait cependant sa propre offrande, Improtéine expose 2024, présentée à l'ouest du Québec (et en Outaouais) à 18 h, le 31 décembre, puis vers 1 h 30 pour le réseau complet dans la nuit du Jour de l'An après Les coulisses du Bye Bye. Faite avec peu de ressources, passée sous silence dans les textes médiatiques, l'émission de la troupe franco-ontarienne Improtéine propose un voyage pan-canadien un peu superficiel - faute de moyens j'imagine - mais réussit tout de même à traiter avec humour l'épisode «plein de marde» à Ottawa. Le périple se termine cependant au Québec, à Montréal, où l'équipe découvre que leur projet de fin d'année a été saboté par des membres de la CAHQAQ (Coalition des artistes hors Québec au Québec) qui veulent empêcher que d'autres francophones hors Québec viennent les concurrencer à la télé québécoise...

Le temps d'un soir, Radio-Canada était devenu un Radio-Québec rassembleur et personne - ni le public (au Québec et ailleurs), ni les commanditaires, ni les politiciens fédéraux - ne semblait s'en plaindre. Plusieurs ont critiqué les émissions, bien d'autres ont adoré, mais la nation québécoise était au rendez-vous. Nos rues désertes de la Veille du Jour de l'An en témoignent.


mardi 10 décembre 2024

En 1944... Pas de femmes en pantalon à l'église...

Ma mère, Germaine Jubinville, en pantalon (ou en culottes comme on disait), en 1940, à l'âge de 16 ans

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Je ne saurai jamais comment mon grand-père Wilfrid Jubinville et ma grand-mère Eva Longpré ont réagi en prenant connaissance du billet En culottes jusqu'à la Sainte Table dans l'édition de février 1944 du bulletin Contact de la paroisse Saint-François d'Assise (quartier francophone de l'ouest d'Ottawa, aujourd'hui disparu).

Quatre années plus tôt, ma mère, Germaine Jubinville, alors âgée de 16 ans, avait réussi de peine et de misère à vaincre les réticences de ses parents pour obtenir la permission de s'acheter un pantalon, qu'elle a immortalisé dans la photo ci-dessus au début de l'automne. L'an dernier, quelques mois avant son décès à l'âge de 99 ans, elle se disait toujours fière de sa petite victoire.

J'en avais déduit qu'il était mal vu à l'époque pour une femme de porter un vêtement habituellement réservé aux hommes, mais avant de lire la diatribe des pères Capucins dans le feuillet paroissial, je n'aurais pas deviné à quel point cette opposition pouvait émaner du clergé d'ici. Le texte de Contact (non signé) va même jusqu'à menacer de refuser la communion à une fille ou une femme qui oserait se présenter en pantalon à la Sainte Table durant la messe...

Il faut rappeler le contexte. Nous sommes en 1944 et des milliers de femmes ont quitté le foyer à temps plein depuis quelques années pour des emplois dans les usines de guerre... contre la volonté de l'Église catholique (qui s'opposait même au droit de vote des femmes). Les prêtres de mon ancienne paroisse ne manquent pas de le rappeler sans détours: «Nos chefs spirituels avaient dit aux dames, aux demoiselles de ne pas travailler aux usines parce que ce m'était pas leur place. Elles y sont allées quand même. Première erreur et combien lourde!»

Et la seconde erreur? La tenue vestimentaire bien sûr! «Pour faire du travail d'hommes, parmi les hommes, elles se sont habillées comme des hommes, en culottes. Ce fut une deuxième erreur... et très grosse.» Ainsi, «elles sont arrivées à croire que c'était aussi bien de s'habiller comme cela qu'autrement. L'habitude de la culotte se prend comme les autres mauvaises habitudes.»

Pire, poursuit l'auteur scandalisé, «elles poussent l'audace jusqu'à s'approcher de la Sainte Table, jusqu'à venir communier avec ce costume affreusement laid pour elles.» Il ajoute ce conseil: «Ne restez jamais habillées comme ça, même chez vous, dans la maison.» Et pourquoi pas, une ultime menace: «Et qu'on sache bien, que nous n'endurerons personne, ni petites, ni grandes filles en culotte à l'église, ni encore moins à la Sainte Table.»

En conclusion, l'éditorial de Contact précise que «"la femme en culottes", c'est un mot d'ordre venant de la franc-maçonnerie»... Au cas où vous ne l'auriez pas su...

La page 2 du bulletin Contact de février 1944


lundi 2 décembre 2024

L'Ontario français sur les plages de Dunkerque...

Le militant franco-ontarien Basile Dorion

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Un peu comme les valeureux assiégés de Dunkerque, luttant à dix ou vingt contre un pour protéger les leurs et en acheminer le plus grand nombre possible en lieu sûr, des milliers de Franco-Ontariens mènent un combat à la fois désespéré et essentiel pour sauver ce qui peut l'être de la langue et de la culture françaises en Ontario. 

Un patriarche de l'Ontario français, Séraphin Marion, prévoyait déjà l'ultime défaite au début des années 1960, tout en clamant que des vieux comme lui poursuivraient la lutte jusqu'au bout. Il était friand de cette citation attribuée à Guillaume d'Orange: «Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer

Pourtant, au moment où M. Marion énonçait ce sombre pronostic, les Franco-Ontariens formaient toujours une collectivité ayant des assises territoriales et communautaires appréciables. En dépit d'un demi-siècle de persécutions scolaires et d'une assimilation croissante, on pouvait reconnaître l'Ontario français dans plusieurs villes et villages du Nord et de l'Est ontarien, ainsi que dans les enclaves de Welland et Penetang (1) plus au sud. Le français y demeurait largement langue d'usage à la maison, dans la rue, à l'école, à l'église paroissiale.

En 2024, c'est un champ de ruines! Les quartiers urbains francophones - Ottawa, Cornwall, Sudbury notamment - n'existent plus. Les églises franco-ontariennes se vident ou ferment leurs portes. Dans des régions où le français domine toujours comme langue maternelle, l'anglais est devenu langue commune (travail, loisirs, médias, famille). Les taux d'anglicisation dépassent 40%. Les couples exogames où l'anglais règne au foyer sont majoritaires. Le territoire franco-ontarien rétrécit dans le Nord et recule vers la frontière du Québec à l'est d'Ottawa.

Restait le scolaire comme lieu de francophonie, surtout depuis que l'Ontario ait consenti à la création d'un vaste réseau d'écoles primaires et secondaires françaises à la fin des années 1960. En ce début de 21e siècle, dans la plupart de ces écoles, le caractère véritablement français se résume à la langue d'enseignement. Hors de la salle de classe, dans les couloirs, dans la cour d'école, les élèves échangent surtout en anglais. On en parle peu, mais tout le monde en est conscient...

À la mi-novembre, devant le comité de la Chambre des communes sur les langues officielles, un militant franco-ontarien de longue date en provenance de la région de Penetanguishene (près du lac Huron), Basile Dorion, est venu donner cette heure juste que l'immense majorité des dirigeants franco-ontariens balaient sous le tapis. Les écoles franco-ontariennes, chez lui et ailleurs, sont devenues des lieux d'anglicisation où le français «langue naturelle» s'entend rarement (2).

Les élèves de familles francophones se retrouvent dans des classes où souvent, la majorité des écoliers est issue de milieux anglais ou anglicisés, recrutés par les conseils scolaires pour assurer la survie de leurs écoles dans un contexte constitutionnel (article 23 de la Charte) où leurs droits sont liés au fameux «là où le nombre le justifie». «On force les conseils scolaires à se prostituer pour obtenir des nombres. (...) Le petit francophone est négligé. S'il veut se faire des amis, il doit faire comme la majorité et parler en anglais, sinon il est ostracisé», explique M. Dorion.

À une époque où l'on fignole les statistiques du recensement en combinant les concepts de «langue maternelle», de «langue d'usage», de «première langue officielle parlée» ou même de «langue officielle» tout court, l'expression «langue naturelle» employée par M. Dorion est rafraîchissante. Elle n'apparaît nulle part à Statistique Canada mais on la comprend très bien. Dans mon vieux quartier franco-ontarien aujourd'hui disparu à Ottawa, il était tout à fait «naturel» de parler français chez soi, dans les rues et ruelles, à l'école et à l'église. Le français faisait partie de notre «nature» culturelle dans un milieu social qui l'engendrait et le nourrissait. À l'exception de l'Est ontarien rural et d'un chapelet de villages ou petites villes dans le Nord de la province, le français «naturel» se fait très rare en 2024...

L'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) ne l'avouera jamais mais l'Ontario français qu'on a connu jadis agonise. Depuis les années 1960, des dizaines de milliers de Franco-Ontariens se sont installés au Québec. Les ultimes îlots de résistance ont pour capitales Hawkesbury et Hearst, Ailleurs, y compris à Ottawa, il faut aller dans les résidences pour personnes âgées pour trouver des milieux vraiment francophones. Surtout pas dans les écoles. Mais comme l'affirmait si bien Séraphin Marion, il faut continuer la lutte, faire en sorte que les efforts des Basile Dorion n'aient pas été vains. Il faut réchapper le plus grand nombre possible de jeunes, et ainsi permettre à ceux et celles qui le désireront d'aller s'épanouir dans leur langue au Québec, qui en a bien besoin!

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(1) La crise scolaire de Penetanguishene: au-delà des faits... - https://danielmarchildonauteur.wordpress.com/wp-content/uploads/2019/01/la-crise-scolaire-livrel-2019.pdf

(2) Lien à l'article d'ONFR sur le témoignage de Basile Dorion au comité des Langues officielles de la Chambre des communes - https://onfr.tfo.org/anglophones-ecoles-francophones-ontario-conseils-scolaires/

jeudi 28 novembre 2024

Une nuit blanche à l'urgence...

Où étais-je, du début jusqu'à la fin de cette nuit blanche de samedi à dimanche? Dans une grande salle morose, sombre, aux couleurs fades... Sur les sièges, ça et là, des personnes souffrent en silence... D'un côté, un grand mur vitré laisse entrer les lueurs d'une froide nuit de novembre... De l'autre, une douzaine de portes fermées, interdites sauf par invitation... Inconfort généralisé, impossible de s'étendre pour fermer l'oeil... Aucun membre du personnel soignant visible... Seul un gardien de sécurité, là pour discipliner les souffrants, s'assurer qu'ils restent bien assis, ne haussent pas le ton et ne rodent pas trop près des portes interdites... Aucune petite musique ou écran télé, rien pour rassurer, réconforter ou se sustenter sauf quelques machines distributrices, où boissons et collations sont vendues à prix usurier... Bienvenue (!!!) à la salle d'attente (qui porte bien son nom) de l'urgence (qui porte mal son nom, parfois) de l'hôpital de Gatineau...

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Je n'ai aucunement l'intention de critiquer les préposés, infirmiers et médecins qui oeuvrent derrière les portes interdites de cet endroit lugubre. Ils font sûrement leur possible et dispensent d'excellents soins. Je veux plutôt m'en prendre à un système qui, chez nous à Gatineau et sans doute ailleurs, a transformé ce qu'on persiste à appeler une «urgence» en un lieu infernal où des citoyens (dont les impôts ont bâti ces centres de soins aigus) doivent attendre huit, douze, seize voire 24 heures et plus à l'occasion pour recevoir les traitements requis ou se faire dire d'aller ailleurs...

Samedi 9 novembre 2024, vers 17 h 15... Mon épouse chute dans notre garage et se blesse aux deux pieds... Le pied droit semble le plus touché... Impossible de se tenir debout et douleurs aiguës... N'ayant plus de médecin de famille (et de tout façon les bureaux seraient fermés), elle n'a plus qu'une option: se rendre à l'urgence de l'hôpital de Gatineau, à cinq minutes en voiture. Vers 18 h 30, on se décide. Arrivée à l'urgence vers 18 h 45 dans un grand couloir où. bien sûr, aucun humain ne vous accueille. Seulement un écran qui vous dit de presser sur le bouton pour obtenir un billet avec un numéro... (Surtout ne vous avisez pas d'oublier cette étape).

Je pousse mon épouse dans un fauteuil roulant jusqu'à la salle d'attente décrite ci-haut pour attendre qu'un haut-parleur appelle notre numéro de loterie. Aucun écran n'affichant les numéros appelés au triage ou aux salles d'examen, j'ai l'impression qu'un malentendant arrivant seul y serait foutu... Un malade, assis, perdant connaissance ou subissant une grave arythmie cardiaque, pourrait mourir sans qu'un seul membre du personnel soignant s'en rende compte... Enfin, ce n'est pas notre cas et de toute façon, en moins de 10 minutes nous voilà convoqués à l'une des salles de triage où l'infirmière conclut très vite à la nécessité d'une radiographie du pied.

Le service de radiologie de l'urgence étant inaccessible, il faudra se rendre au service principal de radiologie de l'hôpital, à l'étage, avec une requête à présenter au préposé. L'endroit est quasi désert. L'accueil est fermé et on nous conseille de nous rendre au bout d'un couloir adjacent. Pendant 10 ou 15 minutes, il n'y a absolument personne (sauf nous). N'importe qui aurait pu entrer et saccager l'endroit. Aucun gardien de sécurité ici. Finalement, la personne responsable nous retrouve et en quelques minutes, la radiographie du pied est complétée. Il n'est que 19 h 50 et déjà, une heure après notre entrée à l'urgence, l'hôpital a en mains l'image qui permettra à un médecin d'établir un diagnostic et, advenant une fracture, de transférer le dossier au service de l'orthopédie, à l'hôpital de Hull où nous retournerons lundi. C'est là que le calvaire commence...

Quelques heures plus tard, n'ayant toujours pas été convoqués à une salle d'examen, l'infirmière nous revoit à la salle de triage (ça semble être une procédure habituelle pour s'assurer de l'état des patients, ou pour savoir s'ils n'ont pas quitté, découragés). Nous sommes déjà fatigués, il est près de 23 h et nous savons que quoiqu'il advienne, on va nous renvoyer à la maison, avec ou sans plâtre. Nous indiquons notre volonté de rentrer chez nous s'il n'y a pas de fracture mais l'infirmière, qui voit la radiographie, n'a pas le droit de nous donner cette information. C'est le privilège du médecin et clairement, notre dossier n'a rien d'urgent. Devrait-on rester ici ou peut-on partir, demande mon épouse. «Vous devriez voir le médecin», lui répond-elle. Il y a donc fracture et on nous dit clairement que nous sommes à la bonne place...

Pendant les prochaines six ou sept heures, personne ne sera convoqué à une salle d'examen pour voir le médecin (après 11 h ou minuit il ne semble y avoir qu'un seul médecin à l'urgence d'un grand hôpital de la quatrième ville du Québec!) À l'oeil, dans la salle d'urgence, environ une douzaine de personnes attendent, espérant être traités. Certains sont arrivés bien avant nous, d'autres après. Combien de patients se trouvent derrière la douzaine de portes? Impossible de le dire, l'accès aux lieux est interdit aux simples détenteurs de billets numérotés. Ce qu'on sait, c'est que la patience a ses limites et que plus la nuit avance, certaines personnes qui auraient dû être vues, examinées et traitées par un médecin jugent préférable d'aller souffrir ailleurs. À la prochaine convocation au triage, des numéros appelés resteront sans réponse...

Je comprends pourquoi à l'hôpital, du moins à l'urgence, on devient des «patients». Il faut faire preuve d'une quantité substantielle de patience et à juger par les gens que j'ai côtoyés durant cette nuit blanche, nous sommes sûrement l'un des peuples les plus patients de la terre. Je comprends, au fond, que personne n'ait chialé ou élevé la voix. Qui ne craint pas de mettre en péril sa chance de recevoir des soins en confrontant un employé de l'hôpital? Mais il y a des limites et faut croire que je les atteint plus rapidement que d'autres. Un peu après minuit, je me suis risqué dans un couloir où se trouve le guichet «Inscription» (je ne sais pas qui s'inscrit là et pour quoi...). J'explique notre situation à la personne, qui semble submergée de paperasse, en ajoutant qu'on nous avait indiqué que nous n'aurions pas à passer la nuit à l'urgence pour obtenir le résultat d'une radiographie... Elle n'a aucune information utile à m'offrir et je commente: «Ça n'a pas de bon sens». C'est ça, «le système est pourri», dit-elle...

Nouvelle conversation de même type quelques heures plus tard au service de triage (notre troisième visite) avec un autre infirmier. On a beau plaider notre âge (septuagénaires), notre épuisement, mon état de santé (cardiaque), rien ne bouge. Semble-t-il qu'on devrait s'adresser au gouvernement, nous dit-on, plutôt qu'au personnel (oui, sans doute, mais avez-vous déjà essayé de rencontrer un humain du gouvernement pour porter plainte, en pleine nuit dans une salle d'urgence?). De toute façon, nous dit-on, vous n'êtes ici que depuis huit ou neuf heures. D'autres ont attendu jusqu'à 30 heures... Début de panique à l'idée de devoir passer une seconde nuit blanche devant les portes interdites!

Finalement, vers 6 heures du matin, plus de 10 heures après la radiographie, mon épouse commence à trouver que c'en est trop. Au bout du corridor «Inscription», elle réclame son dossier (qui lui appartient) à l'infirmier du triage précédent, qui nous avertit promptement de ne pas élever le ton! On aimerait bien lui parler comme si on jasait autour d'un bon café relax au resto, mais... Comme l'infirmier est occupé, nous attendons devant la porte de sa salle de triage où sans tarder, le gardien de sécurité vient nous demander ce que nous faisons là... Avant qu'il ait la chance de nous discipliner, et avant que la porte interdite s'ouvre de nouveau, on entend le nom de mon épouse, enfin invitée à se rendre à l'une des salles de traitement! Il est 6 h 30... Nous sommes ici depuis près de 12 heures.

D'autres personnes sont maintenant convoquées à des salles de traitement. Je dois en conclure qu'un ou quelques médecins se sont ajoutés aux effectifs. À partir de là, le processus interrompu pendant plus de 10 heures suit son cours. Examen par un médecin, fracture confirmée au pied droit, autre radiographie pour s'assurer qu'il n'y a pas fracture au pied gauche, pose d'un plâtre, renvoi à un orthopédiste à l'hôpital de Hull, ordonnance de médicament anti-douleur et nous voilà de retour à la maison vers 10 heures du matin, dimanche. Il s'est écoulé plus de 15 heures depuis notre départ pour l'hôpital la veille, dont 11 heures pour attendre le résultat d'une radiographie...

Ça n'a pas d'(série de jurons) de bon sens! Je répète: je ne blâme aucunement le personnel en devoir à l'urgence. Mais la configuration de ce qu'on appelle salle d'attente, à l'urgence de l'hôpital de Gatineau, démontre une absence totale d'humanité et de respect pour les usagers (qui se font dire, eux, d'être respectueux). Vous voulez que je mette des points sur les «i»? Voici quelques horreurs constatées en une nuit:

- l'accueil à l'entrée par une machine qui crache des billets numérotés, plutôt que par un être humain qui pourrait établir une communication sensorielle avec les usagers

- une salle d'attente impersonnelle où le seul humain visible rattaché à l'hôpital est un gardien de sécurité en uniforme, là pour discipliner les usagers et non pour les réconforter ou les informer

- vue constante d'un grand mur avec une douzaine de portes donnant accès aux soins, interdites aux usagers (sauf si expressément convoqués), assurant une séparation physique totale entre les souffrants détenteurs de billets numérotés et le personnel soignant

- l'impossibilité d'obtenir quelque renseignement fiable sur la durée probable ou possible de l'attente. Le système est ainsi fait. (Et surtout n'insistez pas; les membres du personnel, fatigués eux aussi, ne sont pas tenus d'être aussi patients que vous)

- l'impossibilité, si l'on doit passer une nuit entière en attente à l'urgence, de trouver un endroit où s'étendre pour fermer l'oeil. (N'allez pas improviser, le personnel de sécurité vous rappellera à l'ordre)

- des machines distributrices dont les prix sont exorbitants... dans une institution publique de santé québécoise - 3$ pour une bouteille d'eau, 4,50$ pour un biscuit à l'avoine. Scandaleux!

- la présence, pendant la nuit, d'un seul médecin à l'urgence d'un hôpital de grande ville; c'est en apparence le principal facteur de paralysie de ce service essentiel pour les personnes en salle d'attente. Pourquoi un seul médecin? Bonne question...

Si j'en avais le pouvoir, je traînerais le ministre de la Santé, le grand patron de Santé Québec et le PDG du CISSS de l'Outaouais (incognito bien sûr) jusqu'à l'urgence de l'hôpital de Gatineau pour y passer une nuit blanche en fin de semaine à observer l'absence de personnel soignant dans l'aire d'attente, à jaser avec les détenteurs patients et souvent découragés de billets numérotés, à fixer le mur des portes interdites, fermées pendant des heures, à compter les personnes qui finissent par quitter sans avoir été traitées, à constater l'efficacité disciplinaire du personnel de sécurité. Je ne suis pas expert, mais j'ai la conviction qu'ils n'auraient pas le sourire en sortant le matin suivant...

Toute l'attention, l'empathie, la diligence, la compétence et l'empressement de l'ensemble du personnel soignant, qu'ils auraient été à même de constater dans l'aire de soins, derrière les murs interdits, sont totalement absents de la grande salle murée et vitrée où des personnes malades, blessées ou souffrantes peuvent passer jusqu'à 12, 18 ou 24 heures accrochées à l'espoir que la voix métallique des haut-parleurs prononce leur nom et leur donne enfin accès au personnel médical...


lundi 4 novembre 2024

Voilà à quoi ressemble une ville sans journal quotidien...

Page une récente du seul «journal» qui reste chez nous, la feuille bilingue/bilingual «Bulletin de Gatineau». Mais cette «une» est tout de même percutante et fort opportune, surtout après la disparition du quotidien Le Droit... Gatineau, une ville de 300 000 personnes sans quotidien de langue française !!!
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Si mon ancien quotidien, Le Droit, publiait toujours une édition papier, je me plais à imaginer la manchette spectaculaire en gros caractères qui aurait sans doute orné les étalages de journaux dans les kiosques le lendemain de la publication d'une étude spéciale sur le déclin du français dans la région de Gatineau, ce 31 octobre 2024 (voir lien au texte de Radio-Canada en bas de page).

Avoir repris mon ancien poste de chef des nouvelles, j'aurais réservé le haut de la une à un titre qui se serait lu à peu près comme suit:

   À GATINEAU                                                                                                               «Plus facile pour un anglophone qu'un                                                             francophone de travailler dans sa langue!»

L'histoire n'est pas banale. Vous souvenez-vous de la dernière fois que Québec ait préparé et publié une étude portant spécifiquement sur la situation linguistique et la langue de travail à Gatineau? Moi pas. Et il y a aussi le fait que cette analyse provienne de Benoît Dubreuil, le tout nouveau Commissaire à la langue française du Québec, nommé en 2023. Qu'il se soit penché sur la problématique de Gatineau aussi rapidement rehausse l'impact de cette publication.

J'aurais affecté au moins deux ou trois journalistes (peut-être plus) à la rédaction de la nouvelle principale et des multiples suivis qui s'imposaient. Le résumé des données et conclusions de l'étude aurait été coiffé d'une entrevue en profondeur avec le Commissaire et l'un de ses experts pour dégager le sens des colonnes de chiffres accablantes.

D'autres reporters seraient allés chercher des réactions de députés (fédéraux et québécois), du maire de Gatineau, des conseillers municipaux et des personnes dans la collectivité gatinoise qui s'intéressent de près aux enjeux linguistiques. Sans oublier un bon vieux vox pop dans les rues de Gatineau... De quoi remplir au moins trois ou quatre pages du journal... avec un éditorial incisif et une caricature de l'éternel Bado...

Mais voilà. Le Droit n'a plus d'édition quotidienne imprimée. Même pas d'édition quotidienne numérique. Il reste un babillard en temps réel sur le Web avec une équipe amaigrie de journalistes, excellents par ailleurs. Mais quatre jours (4 novembre) après la diffusion du rapport du Commissaire à la langue française, rien n'indique qu'un reporter au Droit ait lu et décortiqué le rapport. Aucun texte maison n'a été publié, sauf par Radio-Canada, et même ce dernier laissait nettement à désirer. Jamais l'image de la une du «Bulletin de Gatineau» (bi-mensuel bilingue) illustrée en haut de cette page ne m'aura paru si opportune: «Voilà à quoi ressemble une communauté sans journal local»... 

Le résultat, c'est que cette importante étude est tombée à plat. Une petite déclaration ça et là, et vite le chemin des oubliettes. Personne ne verra cette page une qui aurait existé jadis, ni dans les kiosques, ni dans les restos et hôtels, ni sur les tables de cuisine. Et Gatineau, du moins son centre-ville, continuera de se transformer en Ottawa-Nord... 

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Lien au texte de Radio-Canada - https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2116894/commissaire-langue-francais-recul-fonction-publique-federale

Lien au texte de la Presse canadienne, reproduit sur le site du Droit - https://www.ledroit.com/actualites/2024/10/31/le-francais-recule-de-maniere-preoccupante-au-travail-et-dans-la-culture-SUQW2OGHGZF2PMIWN2ZYP75W5I/

Lien au rapport du Commissaire à la langue française du Québec - https://www.commissairelanguefrancaise.quebec/wp-content/uploads/2024/10/Situation-francais-etudes-complementaires.pdf