jeudi 9 octobre 2025

Le silence de la profession reste assourdissant...

Pour la sauver, il faut mettre le doigt sur les vrais bobos...


Ce matin, comme tous les matins sauf le dimanche, j'ai cueilli l'édition papier du journal Le Devoir, livrée chez moi à Gatineau. Jusqu'au début de la pandémie, je recevais également à domicile mon journal local, Le Droit, aujourd'hui disparu. 

Il y a dix ans à peine, dans la plupart des régions de notre demi-pays, une dizaine de quotidiens de langue française livraient des éditions imprimées à la porte de centaines de milliers de Québécois. Depuis plus de cent ans pour certains journaux! Les lecteurs y voyaient la source d'information la plus crédible, la plus fiable. Plus que la télé, bien plus que l'Internet. Et ça reste vrai en 2025.*

Mais voilà... Le 24 mars 2020, donnant faussement la pandémie de COVID 19 comme justification, mon quotidien a brutalement mis fin au papier. Temporairement, disait-on au début. Puis, pour de bon. Je n'aurais plus jamais mon Droit sur la table de cuisine en déjeunant. Les kiosques à l'épicerie seraient désormais vides. Les camelots et les pressiers, sans travail.

Pour moi, défenseur de l'imprimé contre l'envahissement excessif des écrans, ce fut un drame. Mais je crois pouvoir affirmer que l'abandon du journal papier fut aussi un coup dur pour l'ensemble du lectorat des cinq autres quotidiens de la Coop CN2i (Le Soleil, Le Quotidien du Saguenay, Le Nouvelliste, La Tribune et La Voix de l'Est) qui ont subi en mars 2020 le même sort que Le Droit.

Sur le plan journalistique, ce fut une catastrophe. Sans papier, nos quotidiens déjà hypothéqués (souvent par leur propre faute) étaient relégués à la jungle sans merci du Web. Trois ans plus tard, en avril 2023, les six quotidiens coopératifs larguaient leur édition numérique quotidienne. Les coopératives locales ont été dissoutes. Il ne reste aujourd'hui que de vastes babillards Internet portant les anciens logos des six journaux, mis à jour en temps réel par de braves équipes de journalistes qui ont survécu aux coupes successives.

La disparition simultanée de six des dix quotidiens imprimés du Québec, à laquelle s'ajoute l'abandon du papier à La Presse, aurait dû provoquer une levée de boucliers dans la société et un débat de fond au sein de la profession. Dans n'importe quel autre pays démocratique, on aurait lancé des SOS si plus de la moitié des journaux papier étaient supprimés. Ici, à part quelques cris ça et là, l'abandon de l'imprimé est passé comme un couteau dans le beurre. La suppression des éditions numériques trois ans plus tard est passée inaperçue!

La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) aurait été justifiée de convoquer un congrès d'urgence devant cette tragédie de portée civilisationnelle. Non, pas de congrès spécial. Même pas d'atelier sur cet enjeu à un congrès régulier. Et le désert laissé par la suppression des quotidiens imprimés dans toutes les régions du Québec (sauf pour les deux Québecor et Le Devoir) n'est très certainement pas à l'ordre du jour du congrès de novembre 2025 à la FPJQ... Le silence de la profession reste assourdissant...

J'ai appris fin septembre par un article du Devoir que la Fédération nationale des communications et de la culture de la CSN (qui regroupe plusieurs syndicats de travailleurs de l'information) avait entrepris une tournée québécoise (y compris à Gatineau) à l'automne 2024 et l'hiver 2025 pour tâter l'opinion sur l'affaiblissement des médias québécois. Il n'y a rien dans le rapport sur cette tournée de la FNCC-CSN qui porte sur l'abandon du papier (autre que d'en faire mention à l'occasion) ou la disparition de six journaux quotidiens (imprimés et numériques).** 

Les écrans sont en voie de tuer l'imprimé au Québec. Ils sont aussi en train de tuer l'information. Entre les modèles d'affaires capitalistes en quête constante de profits excessifs, un milieu journalistique en perte de combativité, un fatalisme qui voit dans le seul numérique l'avenir de l'information et un public de moins en moins informé, embourbé dans un océan de désinformation qui sera multiplié à l'infini par les abus de l'intelligence artificielle, ça va très mal à la shoppe...

Demain matin, j'aurai confiance que les textes de l'édition papier Le Devoir ont été préparés par des professionnels bien encadrés. Je sais aussi que le lendemain, le mois suivant, l'année suivante, l'information qui s'y trouve n'aura pas changé. Si je conserve une coupure de presse, personne ne peut la tripoter ou la détruire, comme cela arrive avec des nouvelles sur le Web. Ces écrits restent. L'imprimé est un socle de notre civilisation depuis plus d'un demi-millénaire. Il est aujourd'hui menacé par des hordes barbares habitant les médias sociaux...

Je n'ai rien contre l'information numérique en soi. Elle est devenue incontournable depuis le milieu des années 1990. Mais je l'apprécie pour ce qu'elle ajoute à la connaissance, et non pour ce qu'elle prétend remplacer. L'imprimé, j'en ai la conviction, est et sera irremplaçable. Le majorité de nos journalistes ne semblent pas de cet avis... mais je continue d'espérer...

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https://www.ledevoir.com/culture/medias/920595/consensus-sauver-information-bien-public

** https://fncc.csn.qc.ca/wp-content/uploads/2025/08/2025.05_CSN-FNCC_Tournee-Rapport_VF-Num.pdf

mercredi 8 octobre 2025

À la mémoire de Gilberte Prud'homme-Dugas

La mort de Gilberte Prud'homme-Dugas vers la fin de septembre est passée relativement inaperçue à l'extérieur de son cercle de proches et d'amis. Décédée à l'âge de 87 ans, cette Franco-Ontarienne méritait pourtant qu'on se souvienne de son importante contribution au petit quartier jadis francophone d'Ottawa qu'elle habitait.

Entre la grand-rue (rue Wellington) et la rivière des Outaouais, à l'ouest des plaines Lebreton, les paroisses St-François d'Assise et Notre-Dame des Anges abritaient depuis la fin du 19e siècle une communauté canadienne-française tricotée serré d'environ 6000 habitants. Un gros village urbain où la langue de la rue est restée le français jusqu'à la fin des années 1960. J'y ai grandi.

La collectivité participait activement au réseau institutionnel franco-ontarien depuis longtemps. Une des réunions de fondation de l'Ordre de Jacques-Cartier (La Patente) avait eu lieu au sous-sol de l'église St-François d'Assise. On y trouvait des groupes et associations de tous genres, principalement religieux, et même un régiment de zouaves pontificaux. Vers 1958, il ne manquait qu'une association patriotique pour les jeunes Franco-Ontariens.

Entre alors en scène Gilberte Prud'homme. Alors âgée de 19 ans, elle pilota le projet de fonder un cercle local de l'Association de la jeunesse franco-ontarienne (AJFO), au sein duquel quelques centaines de jeunes de l'ouest d'Ottawa allaient évoluer pendant près d'une décennie. Les archives du cercle St-François de l'AJFO, que j'ai précieusement conservées et que j'espère offrir à l'Université d'Ottawa, constituent le seul témoignage écrit de son existence et de ses réalisations.

Lors d'une rencontre de retrouvailles en 1977 (la seule), une édition souvenir du journal Le Pingouin de cette association a été publiée. Je laisse ici deux extraits, un signé par Gilberte Prud'homme-Dugas, l'autre par un de ses collègues, Yvon Dugas. Ces textes ont été rédigés en 1963 et en 1965.



Je laisse ici le lien à l'avis de décès de Gilberte. https://www.dignitymemorial.com/fr-ca/obituaries/ottawa-on/gilberte-dugas-12530733


mardi 7 octobre 2025

Un francophone assimilé n'est plus un francophone...



Ah. les statistiques linguistiques... En principe claires... En pratique trop souvent maquillées, nuancées, parfois trompeuses... au point où l'on peine à distinguer le vrai du faux, le plausible de l'improbable...

À cet égard, je lisais aujourd'hui sur le site Web du Droit un texte fort instructif du journaliste Sébastien Pierroz (Réseau.Presse - Le Droit), portant sur la «sous-utilisation» du Service 3-1-1 de la ville d'Ottawa par les francophones de la capitale canadienne.

Au départ, le texte présente une statistique implacable, incontestable: des 390 190 appels reçus au service municipal 3-1-1 en 2024, on compte 358 486 demandes faites en anglais (91,16% du total), contre 31 704 reçues (8,84%) en français.

L'auteur du texte en conclut à une «sous-utilisation» du service par les francophones en adoptant comme repère identitaire la «première langue officielle parlée» (PLOP), une variable créée par Statistique Canada à partir des données du recensement sur la connaissance des langues officielles, la langue maternelle et la langue la plus souvent parlée à la maison (langue d'usage).

Selon cette variable, que j'estime fort contestable mais que Statistique Canada a choisie comme mesure officielle des collectivités de langue officielle en situation minoritaire, il y aurait près de 155 000 francophones PLOP à Ottawa sur une population totale de 1 006 790 en 2021. Cela donne une proportion de 15,3%.

Si on accepte la validité de cette affirmation, il faut conclure que plus de 40% des «francophones» ottaviens s'adressent en anglais au service bilingue 3-1-1 de la ville. Mais la question se pose. Y a-t-il à Ottawa 15,3% de Franco-Ontariens? Plus? Moins? Ici la bisbille règne!

Selon la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada, toutes les personnes capables de s'exprimer en français doivent être comptées comme francophones! C'est absolument ahurissant mais avec cette méthode de calcul, il y aurait à Ottawa 37,9% de francophones (381,310 personnes). Un non-sens total!

Pour sa part, en vertu d'un calcul dont le lien avec la réalité m'échappe, l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) estime à 795 760 le nombre de Franco-Ontariens, soit 5,6% de la population totale de l'Ontario. Cela ajoute environ 50% au nombre de francophones PLOP établi par Statistique Canada. Avec cette «méthode???», Ottawa compterait plus de 230 000 Franco-Ontariens... Hallucinant!

Si on s'en tient aux données du recensement sur la langue maternelle (la première langue apprise et encore comprise), le nombre de «francophones» de la capitale fédérale dépasse de peu le seuil des 140 000, soit 14% de la population de la ville. Un peu moins que le décompte PLOP, mais correspondant au moins à de vraies réponses faites par les répondants au formulaire du recensement.

Enfin, le nombre d'Ottaviens qui donnent le français comme langue d'usage unique (langue la plus souvent parlée) à la maison se situe à près de 83 000, soit 8,2% de la population. En y ajoutant et en pondérant les réponses multiples (plus d'une langue d'usage à domicile dont le français), on peut ajouter un peu plus de 12 500 personnes, pour un grand total d'environ 95 500, ce qui représente 9,5% de la population totale d'Ottawa.

J'ai toujours considéré la langue d'usage comme meilleur indicateur du nombre véritable de francophones dans une collectivité au Québec et au Canada. Il y a quelque 60 ans, les auteurs de la Commission B-B (bilinguisme et biculturalisme) étaient du même avis.

Cela nous ramène donc au point de départ. Si la langue d'usage constitue effectivement le meilleur critère pour dénombrer les francophones d'ici, alors un taux de 8,84% de demandes en français au service 3-1-1 n'est pas une sous-représentation de la francophonie ottavienne actuelle. Ce serait plutôt un portrait fidèle de ce qui reste de la Franco-Ontarie d'Ottawa...

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De l'autre côté de la rivière des Outaouais, chez moi, à Gatineau qui s'anglicise à vue d'oeil, je serais curieux de connaître la proportion d'appels en anglais à notre service 3-1-1, et de le comparer aux données du recensement de 2021. 


mardi 30 septembre 2025

CRCCF: un rendez-vous manqué pour nos médias...



Jeudi dernier, 25 septembre, Jour des Franco-Ontariens, j'ai traversé la rivière des Outaouais pour une rare incursion au campus de mon alma mater, l'Université d'Ottawa, question d'assister au lancement de la saison 2025-2026 du Centre de recherche sur les francophonies canadiennes (une émanation de l'Université, toujours connu sons son ancien sigle, CRCCF, signifiant Centre de recherche en civilisation canadienne-française).

Ayant garé ma voiture au sous-sol de la Résidence Brooks en plein coeur du campus, dans le quartier Côte-de-sable, j'ai eu droit à mon premier Sorry, I don't speak French en demandant à un passant l'emplacement du guichet de péage. Me rendant à pied au pavillon Morisset, où l'événement avait lieu, j'ai croisé des centaines d'étudiants dans l'achalandage de 17 heures. Mes oreilles ont capté des dizaines de langues, l'anglais surtout, mais pas un mot de français. À l'intérieur de l'édifice, ma recherche du local du CRCCF m'a valu deux Pardon me?

Me voilà enfin arrivé aux bureaux exigus du Centre, évocation ottavienne du village gaulois assiégé. Une soixantaine de personnes s'y entassent, la plupart Franco-Ontariens j'imagine, mais on y rencontre aussi des Québécois, des Acadiens et des francophones de l'Ouest.  Certains participants portent le vert, couleur du drapeau de l'Ontario français, qui fête ce jour-là son 50e anniversaire. Au menu: un panel sur la mobilisation politique franco-canadienne depuis la fondation, en 1975, de la Fédération des francophones hors Québec (FFHQ, devenue en 1991 la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA).

Tenant compte du rôle névralgique joué par le CRCCF et de la qualité des membres du panel (tous anciens ou actuels dirigeants de la FFHQ-FCFA, couvrant l'entièreté de son demi-siècle), je me serais attendu à une présence médiatique et à des reportages dans la presse et autres réseaux Web le lendemain. Pourquoi n'y avait-il aucun journaliste en devoir? Poser la question, c'est étaler au grand jour l'état lamentable de nos salles de rédaction dégarnies et désorientées. Avoir repris le métier ce 25 septembre, j'aurais pu facilement en tirer quelques textes dignes des premières pages du Droit (si le journal existait toujours) ou des bulletins de nouvelles électroniques.

Entre les questions identitaires exacerbées par les États généraux du Canada français à la fin des années 1960, les rapports avec Ottawa et Québec sur fond de guerre constitutionnelle, les luttes incessantes devant les tribunaux pour obtenir des écoles françaises à travers le Canada et surtout en assumer la gestion, entre l'effet croissant de l'immigration francophone dans un contexte de déclin démographique et la modernisation récente de la Loi sur les langues officielles, les panélistes ne manquaient pas de pain sur leurs planches historiques. Ce qu'ils ont dit sur le dernier demi-siècle aurait pu remplir un calepin de notes. Ce qu'ils n'ont pas dit aurait pu en faire déborder un second...

«LE» mot clé pour comprendre la dynamique de la francophonie hors Québec n'a pas été prononcé... Je parle bien sûr de l'assimilation, de l'anglicisation. En insistant sur l'intensification de l'immigration francophone hors Québec, personne n'a tenté d'expliquer pourquoi l'apport de nouveaux arrivants était devenu essentiel. Les collectivités francophones historiques s'effritent et s'effondrent un peu partout au pays (même le Québec est menacé), mais personne n'en a parlé jeudi soir. On dirait qu'assimilation est devenu un mot tabou... Sans faire face à cette réalité, il deviendra vite inutile de poursuivre les combats politiques, juridiques et constitutionnels. Tous les droits de la francophonie hors Québec reposent sur une sinistre condition: là où le nombre le justifie...

Un maquillage plus épais ne changera rien à un mal en profondeur. Ce n'est pas en «repensant ce que ça veut dire d'être francophone» à l'extérieur du Québec, ou en se «réinventant», qu'on améliorera les données de «langue d'usage» aux recensements fédéraux. Ne pas «se considérer comme minoritaires» ne changera rien au fait de l'être, surtout pas aux élections... Ce dont les organismes de la francophonie hors Québec ont besoin pour au moins tenter de relever les défis du présent et de l'avenir, ce sont des portraits réalistes des collectivités qu'ils disent représenter auprès des gouvernements (y compris celui d'Ottawa), tous issus de majorités anglophones, historiquement hostiles.

Il me semble avoir entendu le vice-recteur associé à la francophonie, Yves Pelletier, annoncer jeudi dernier que la nouvelle rectrice de l'Université d'Ottawa, Marie-Ève Sylvestre, avait demandé une étude de fond sur la présence du fait français au campus ottavien. Si cela s'avère vrai (excusez le pléonasme), il s'agit d'une bonne nouvelle. Ça permettra de relancer avec vigueur le débat inachevé sur la gestion franco-ontarienne à l'universitaire, débat saboté par l'octroi d'un micro-campus à Toronto qu'on a pompeusement baptisé Université de l'Ontario français.

En quittant les locaux du CRCCF, vers 20 h 15, j'ai reçu en pleine figure deux autres Sorry I don't speak French en cherchant le bon escalier vers ma sortie de l'édifice...

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Lien au CRCCF - https://www.uottawa.ca/recherche-innovation/crccf


mardi 26 août 2025

Un prix Robertine-Barry?



Suis-je fier de ma profession? Oui, quand je vois tous les jours des journalistes risquer leur vie pour faire leur boulot ou croupir dans des prisons par centaines, victimes de répression d'un bout à l'autre de la planète. Non, quand j'assiste au triste spectacle de pantouflards dormant au gaz depuis des décennies pendant que la presse québécoise dépérit et, désormais, agonise sous nos yeux.

Au cours des dix dernières années, le Québec a perdu pas moins de sept quotidiens imprimés (sur un total de 10). Six de leurs successeurs numériques ont rendu l'âme. Ne reste qu'un quotidien tout-numérique, La Presse et, côté papier, les deux Québécor ainsi que Le Devoir qui semble s'acharner à saboter son édition imprimée depuis quelques années au profit du contenu numérique, plus complet.

Cette catastrophe médiatique a-t-elle au moins suscité quelques débats d'urgence au sein d'instances syndicales ou aux divers congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec? Non! Aucune levée de boucliers pour défendre des acquis durement arrachés, à peine quelques mentions, peu de regrets. Demandez à des bonzes de la profession s'ils savent à quelle date précise les six journaux coopératifs de CN2i (ex-Gesca, ex-Capitales Médias) ont cessé de publier leur édition quotidienne numérique. La plupart l'ignorent sans doute...

Si je garroche ici mes frustrations devant le sort de notre presse écrite et la trop grande indifférence de ma profession, c'est que je viens de lire le Tome 1 du livre Elles ont fait l'Amérique de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque. Le dernier chapitre porte sur Robertine Barry, la première femme journaliste de l'histoire du Québec. Elle avait enfreint toutes les règles religieuses et sociétales de l'époque (1891) pour exercer avec brio un métier jusque là réservé aux hommes et qui, par surcroit, était plutôt mal vu au sein de la population. 

Embauchée au journal La Patrie, elle signa pendant plus de dix ans une chronique à la une sous le pseudonyme Françoise. Mme Barry y fit la promotion des droits des femmes, réclama des refuges pour filles-mères, dénonça les enfants en haillons obligés de travailler à l'usine, se soucia de la piètre qualité de l'eau propagatrice de maladies, protesta contre l'état chaotique des rues de Montréal et s'attaqua à toutes formes d'injustices. 

En 1902, elle fonda Le journal de Françoise sous la maxime Dire vrai et faire bien. Cette revue «devint aussitôt le haut lieu des esprits modernes et progressistes du temps», écrivent Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque. Au grand dam des autorités religieuses, sa renommée a largement franchi les frontières du Québec et de l'Amérique. Battante jusqu'au bout, elle plaida en faveur de l'éducation laique au Québec dans une ultime conférence devant la Fédération nationale Saint-Jean Baptiste. Elle devait mourir quelques mois plus tard, au début de 1910, d'un AVC.

Mais la célébrité dans la vie n'est pas garante d'une place dans l'histoire ou même au sein de sa profession. Robertine Barry fut vite oubliée, et au moment de la publication du livre de M. Bouchard et Mme Lévesque en 2011, sa tombe au cimetière Côte-des-Neiges, à Montréal, est couverte de mauvaises herbes, sans monument, sans inscription. Mon ex-quotidien, Le Droit, a subi le même sort, comme les cinq autres ex-membres de la coopérative CN2i (Le Soleil, La Tribune, Le Nouvelliste, Le Quotidien du Saguenay, La Voix de l'Est)... Morts dans l'indifférence, sans pierre tombale, sur le chemin de l'oubli, réduits à de grands babillards dans la jungle de l'Internet.

En 2021, enfin, le gouvernement québécois a reconnu en Mme Barry un «personnage historique». Ne serait-il pas temps que les journalistes eux-mêmes ressuscitent pour de bon la mémoire de cette pionnière, d'une battante comme Robertine Barry, en créant un prix portant son nom, dont le mandat serait à définir mais qui aurait pour but d'encourager des projets ou des études visant à chauffer les braises d'un véritable combat pour sauver le journalisme et les médias d'information au Québec? Une étincelle opportune dans cette nuit sans fin de mauvaises nouvelles...


jeudi 7 août 2025

Je suis déçu...



Deux jours après l'élection québécoise du 3 octobre 2022, je voyais l'avenir avec un certain optimisme même si le PQ n'avait raflé que trois sièges. J'écrivais entre autres ce qui suit:

«Le Parti québécois a enfin un chef qui a su rallier les troupes autour de l'objectif clé: un Québec français et indépendant. Au début de la campagne électorale, les sondages donnaient moins de 10% des intentions au vaisseau amiral de la souveraineté. Sous l'habile direction de Paul St-Pierre Plamondon, la cote du PQ a grimpé à près de 15% le soir des élections. Les images de cercueils péquistes dans les caricatures médiatiques ont été rangées, mais on ne prendra pas le pouvoir à 15%, ni même à 20 ou 25%.

«D'ici le scrutin de 2026, il, faudra tripler les résultats de 2022. et cela ne se fera pas en quelques mois de campagne électorale. Ceux qui diront que je rêve en couleurs auront parfaitement raison. Mais comme le disait Pierre Falardeau, on va toujours trop loin pour ceux qui ne vont nulle part. Un vote à la fois. Un jour à la fois. Tous les jours, à compter de maintenant. Nous n'avons pas le choix. Si nous n'avons rien fait d'ici 4 ans, notre aventure de 400 ans prendra fin.»

Depuis lors, le Parti québécois s'est hissé en première place des intentions de vote. La formation de Paul St-Pierre Plamondon a remporté haut-la-main deux partielles, dans Jean-Talon (Québec) et Terrebonne. Les sondages démontrent un regain de l'appui à l'indépendance chez les jeunes. Si une élection générale avait lieu aujourd'hui, il y a fort à parier qu'un gouvernement majoritaire péquiste succéderait à la CAQ.

Nous voici donc à quelques jours de la partielle d'Arthabaska-L'érable, un maillon essentiel dans cet ultime cheminement vers la souveraineté. La nation québécoise de langue française titube au bord de l'abime. La majorité francophone de notre seule métropole est menacée. Le temps joue contre nous dans un contexte de croissance accélérée du nombre d'anglophones et d'anglicisés dans plusieurs régions. Il n'y a plus de détours possibles. Ou nous filons droit au but sans trébucher, ou c'est la «louisianisation» à moyen terme...

Or, en lisant un texte d'un journal de Victoriaville (La Nouvelle Union), j'apprends de la bouche même du candidat du PQ, Alex Boissonneault, que la souveraineté n'est «pas l'enjeu de la présente élection partielle». Voyez la capture d'écran, tirée d'un article du journaliste Claude Thibodeau dans l'édition du 7 août 2025: 

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Je n'en reviens pas! Après une remontée spectaculaire d'un PQ résolument indépendantiste depuis 2022, on met le pays sur une tablette dans l'espoir de grignoter quelques votes à une élection partielle? Je resterai péquiste jusqu'à mon dernier souffle, peu importe les désaccords qui peuvent survenir de temps à autre. Mais qu'on me permette de dire tout haut: je suis déçu!


mardi 22 juillet 2025

Université franco-ontarienne: sources médiatiques polluées

article du journal Le Droit du 2 décembre 2013, bien plus fidèle aux faits

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Si les médias diffusent une fausseté assez longtemps, elle finira par devenir vérité, tant pour le public que pour les journalistes. Ainsi en va-t-il de la saga interminable du projet d'université franco-ontarienne qui va et vient dans le décor de puis plus d'un demi-siècle.

La plus récente mouture, et la plus cohérente oserais-je dire, avait été lancée au début des années 2010 par le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO). Cet organisme regroupant les étudiants francophones du collégial et de l'universitaire, rapidement soutenu par la FESFO (élèves du secondaire franco-ontarien) et l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario), réclamait une gouvernance francophone de tous les programmes collégiaux et universitaires de langue française.

Cette gouvernance, s'appuyant sur le principe du «par et pour les francophones» affirmé par la Cour suprême dans l'affaire Mahé en 1990, était au coeur des priorités élaborées lors des États généraux du postsecondaire tenus à travers l'Ontario en 2013. Bien sûr, il fallait colmater des brèches régionales (notamment dans le sud-ouest ontarien), sans toutefois porter atteinte à l'objectif global d'une gouvernance pan-ontarienne, y compris - et surtout - sur les programmes de langue française des deux monstres bilingues, l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne.

Ce grand projet d'université franco-ontarienne a été torpillé par le gouvernement libéral de Mme Wynne en 2015 dans des circonstances qui restent encore aujourd'hui à éclaircir. Le résultat, cependant, fut un micro-campus de langue française à Toronto qu'on a pompeusement baptisé Université de l'Ontario français. Depuis ce temps, on tente un peu partout de faire croire que ce campus constitue la victoire recherchée par le RÉFO et ses alliés. Encore récemment (voir lien à l'article du 20 juillet dans Le Droit en bas de page), l'analyste Sébastien Pierroz écrit: 

Je ne blâme pas ce journaliste plus que les autres, s'abreuvant aux mêmes sources médiatiques polluées. Pour la nième fois, je me permets de rappeler mon texte de blogue de janvier 2020 (voir lien en bas de page), publié après l'annonce d'un financement fédéral-provincial pour la soi-disant Université de l'Ontario français à Toronto...

L'annonce d'États généraux de la francophonie ontarienne constitue une bonne nouvelle en soi. Il est grand temps. Mais les chances de réussite sont faibles ou nulles si on continue de se raconter des histoires comme celles que colportent les médias sur l'Université de l'Ontario français. Le projet d'université franco-ontarienne couve toujours sous les braises. Avec la renaissance de l'Université de Sudbury, il pourrait de nouveau s'enflammer.

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Lien à l'article du Droit intitulé «Un grand dialogue franco-ontarien se pointe è l'horizon», 20 juillet 2025 - https://www.ledroit.com/chroniques/sebastien-pierroz/2025/07/20/un-grand-dialogue-franco-ontarien-se-pointe-a-lhorizon-3VQ37P4OZBDRRHBQUVAAAF3LMM/

Lien à mon texte de blogue du 24 janvier 2020 intitulé «Université de l'Ontario français: un mensonge historique» - https://lettresdufront1.blogspot.com/2020/01/universite-de-lontario-francais-un.html