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Trump ne jouera jamais dans les mêmes ligues qu'Hitler, parce que la démocratie américaine de 2017 a de plus profondes racines que la république allemande en 1933... Le président des États-Unis a des pouvoirs considérables qu'il peut exercer seul, mais il doit aussi composer avec un congrès élu, une presse plus combative qu'avant et une Constitution coulée dans le béton...
La question se pose cependant. Si Donald Trump avait devant lui les fragiles institutions de la République de Weimar, jusqu'où ses impulsions dictatoriales le mèneraient-il? Permettez-moi un frisson de terreur quand on constate certaines similitudes entre les premiers mois du régime hitlérien et le début de l'administration Trump...
1* Les relations avec la presse
Allemagne, 1933. Dès la prise du pouvoir en janvier 1933, le ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, et ses collaborateurs «se chargent de recevoir les journalistes à qui ils présentent la version officielle de l'actualité». Ceux qui n'écrivent pas la vérité selon Hitler «sont accusés de trahir les intérêts de la patrie» et en subissent les conséquences. Les journaux d'opposition sont d'ailleurs bannis dès le 2 février 1933...
États-Unis, 2017. Donald Trump déclare la guerre aux médias qu'il n'aime pas ou qui le contestent, les accusant de propager de fausses informations (fake news) et leur proposant, par ses propagandistes, des faits de rechange (alternative facts). Ces jours-ci, il a haussé le ton en les déclarant «ennemis des Américains», ajoutant que «nous allons nous en occuper» (we're going to do something about it)... Prochaine étape?
2* La chasse aux indésirables
Allemagne, 1933. S'il frappa durement d'abord l'opposition (les communistes et les socialistes), Hitler ne perdit guère de temps à cibler ceux qu'il persécuterait jusqu'aux camps de la mort. Des lois anti-juives furent adoptées (des décrets, de fait, puisque Hitler avait réduit le Parlement au silence) et des dizaines (centaines?) de milliers de «chemises brunes» ont commencé à traquer les Juifs et autres indésirables indignes de côtoyer la race aryenne... d'abord pour les chasser, puis, plus tard, pour les tuer.
États-Unis, 2017. Trump, utilisant ses pouvoirs exécutifs, ordonne l'expulsion de millions d'immigrants sans papier (mexicains et autres) et s'apprête à engager ses propres «chemises brunes» (environ 15 000 agents d'immigration) pour les arrêter et les interner avant de les expulser manu militari du pays (throw them the hell out of our country). Dans plusieurs États, des citoyens aménagent déjà des cachettes dans leur maison pour héberger les traqués et les protéger des «chemises brunes» de Trump, Bannon et compagnie.
3* Les dépenses militaires
Allemagne, 1933. La première grande décision financière d'Hitler fut d'investir massivement en armement.... «Hitler fit comprendre que les dépenses militaires devaient avoir la priorité absolue»... Il ne perdit guère de temps à entraîner dans son sillage les grands chefs d'entreprise avides de profits...
États-Unis, 2017. À l'approche de son premier budget, Donald Trump annonce une hausse «dramatique» des dépenses liées à la défense, y compris une augmentation de l'arsenal nucléaire. Les 54 milliards $ additionnels seront arrachés aux budgets de l'aide étrangère, des programmes sociaux et des agences environnementales...
4* L'assainissement...
Allemagne, 1933. Hitler détestait la démocratie et ses institutions. «Ce qui est pourri dans l'État doit être éliminé», lance-t-il dans les semaines suivant la prise du pouvoir.
États-Unis, 2017. Donald Trump projette constamment l'image d'un gouvernement fédéral corrompu au service d'élites cupides... D'où son slogan «drain the swamp» - vider le marécage... Éliminer ce qui lui apparaît pourri...
5* Un «chef» plutôt qu'un président ou un chancelier...
Allemagne, 1933. Dès son élection, Hitler ne se présente plus comme un chef de parti, mais comme un chef charismatique national investi «d'une mission unique et auquel les masses prêtaient des qualités héroïques, presque messianiques»...
États-Unis, 2017. Dans son discours d'assermentation, Donald Trump se présente non pas comme le candidat des Républicains, mais comme le leader d'un «mouvement». Son narcissisme quasi maladif aidant, il se sent lui aussi investi d'une mission assez unique...
6* L'évaluation des foules
Allemagne, 1933. Le 30 janvier, date de l'accession d'Hitler au poste de chancelier, le propagandiste du nouveau régime, Goebbels, prétendit qu'un million d'Allemands avaient participé à un vaste défilé aux flambeaux. Même la presse nazie n'osa dire plus de 500 000, tandis que l'ambassade de Grande-Bretagne compta un maximum de 50 000 personnes...
États-Unis, 2017. Les photos montraient une foule bien plus clairsemée à l'inauguration de Donald Trump qu'à celle de Barack Obama, quatre ans plus tôt. Le propagandiste de Trump, Sean Spicer, avança le chiffre de 1,5 million de personnes. La preuve photographique indique un achalandage bien moins élevé qu'Obama en 2013 (Cette foule avait été estimée à 1 million)... Trump a bien sûr attaqué les médias et fait savoir qu'il s'agissait de la plus importance foule de l'histoire à une inauguration présidentielle... Alternative facts...
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Je veux bien croire que les contrepoids américains sauront résister davantage à Trump que ceux des Allemands des années trente... mais l'image de 15 000 «chemises brunes» trumpiennes à l'assaut de millions d'immigrants sans papier, hommes, femmes et enfants... des milliards de plus en armements pendant que l'on sacrifie les pauvres et l'environnement... des forces présidentielles ténébreuses en train de «s'occuper» des «ennemis du peuple» dans les salles des nouvelles... Y'a de quoi frissonner...
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citations tirées du livre «Hitler», d'Ian Kershaw, Flammarion, 2008.