jeudi 6 avril 2017

Que connaissons-nous du Canada anglais?


Des générations de Québécois, d'Acadiens et de Canadiens français ont beaucoup trop souvent eu l'occasion de protester contre le sort que la majorité anglo-canadienne nous a réservé - et qu'elle continue de nous réserver.

Les deux «incidents» les plus récents, la Gala quasi-unilingue anglais des Juno, à Ottawa, et la télésérie «historique» The Story of Us de CBC (en cours), ne font qu'ajouter à une longue, très longue, trop longue liste de plaintes contre l'ignorance, le mépris, voire le racisme dont nous avons été victimes depuis 1760...

Mais à bien y penser, c'est peine perdue... À l'exception d'une minorité informée et francophile, la «nation» canadienne-anglaise ne nous a jamais compris. Ses livres d'histoire étaient différents des nôtres, ses médias largement anti-francophones ont contribué à perpétuer des préjugés historiques, et le contexte politique du multiculturalisme élevé au rang de religion d'État a renforcé le climat de francophobie.

Espérer qu'ils changent maintenant, c'est rêver en couleurs... Ça arrivera peut-être «dans la semaine des quatre jeudis», comme disaient mes parents et grands-parents...

Alors posons la question à l'envers.

Que connaissons-nous du Canada anglais, si telle chose existe? Sommes-nous mieux informés sur eux qu'ils le sont sur nous? J'aurais plutôt l'impression que nos perceptions sont fondées sur une information aussi mince que la leur, et que nous aurions avantage à étudier de plus près cette masse de 20 et quelque millions d'individus qui vivent en anglais et qui nous assiègent...

D'abord, comment s'appellent-ils eux mêmes? Nous on dira Québécois, Acadien, Canadien français, voire Franco-Ontarien, Franco-Manitobain, ou même francophone du Canada... rarement Canadien tout court à moins d'être à l'étranger... Eux diront presque invariablement «Canadian». Rien de plus, rien de moins...

J'ai vécu les 30 premières années de ma vie à Ottawa, j'ai côtoyé des tas d'anglophones au secondaire et à l'université, puis dans des organisations fédérales ou privées dans le cadre du travail, et jamais - au grand jamais - je n'ai entendu l'un d'entre eux se dire English Canadian ou Anglo-Canadian.

Nous, on a accaparé une fraction de l'identité du pays en prenant bien soin d'indiquer, de quelque façon, notre spécificité territoriale et sociétale. Le melting pot de langue anglaise, pour sa part, a approprié la totalité de l'identité Canadian, d'un océan à l'autre. Dans leur conception du pays, il n'y a qu'une nation, une identité, supérieure, conquérante, majoritaire. Il n'y a pas vraiment de place pour nous, autre que marginale, dans leurs valeurs identitaires...

Quand CBC Music avait publié son Top 100 des albums canadiens en 2013, le palmarès ne contenait que quatre albums de langue française. C'est typique. On est là pour la forme. Leur univers canadien est peuplé d'anglophones largement branchés sur la scène musicale américaine/internationale, à peine différent de celui de nos voisins du Sud. Alors faut pas se surprendre quand les Juno oublient le français... Notre langue n'est qu'un irritant passager (et en déclin) pour leur unilinguisme.

En 1968, j'habitais avec une famille anglo-ontarienne dans une petite ville (majoritairement francophone) de l'Est ontarien. À chaque bulletin de nouvelles à la télé, le père s'emportait devant son épouse dès qu'il entendait les expressions French Canadian ou French Canada. «No hyphenated Canadians, criait-il. Only Canadians.) Bien sûr il ne parlait pas français et obligeait tous les francophones à communiquer avec lui dans sa langue...

Quelques années plus tôt, j'avais travaillé avec un étudiant en droit de l'Université de Toronto à Statistique Canada. Nous avons abordé l'histoire du pays et tombé vite sur Louis Riel. «He's a traitor and a murderer», lança-t-il. Et moi de répliquer: «C'est un héros!» Nos livres d'histoire se contredisaient. Pas surprenant que la série télévisée The Story of US nous représente tout croche...

Le «Us», c'est eux. C'est leur histoire. Leur pays. Ce fut le nôtre. Ce ne l'est plus, dans leur esprit...

Plus récemment, au début des années 1990, Le Droit avait réalisé un échange de journalistes avec le Sault Ste. Marie Star, de vous savez où, à l'époque de la crise linguistique de l'endroit. Les trois reporters du Star délégués au Droit ont été expédiés aux quatre coins d'Ottawa, de l'Est ontarien et de l'Outaouais. Et ce que l'un d'entre eux m'a révélé reste vif dans ma mémoire...

«Je ne savais pas, disait-il, que les francophones vivaient vraiment en français (il avait eu besoin d'un interprète dans plusieurs quartiers ou villages unilingues français). Chez nous, les gens pensent que tous les Canadiens français sont bilingues, qu'ils comprennent l'anglais, qu'ils pourraient l'utiliser, et qu'au fond, ils veulent du français sur les boîtes de corn flakes seulement pour nous faire suer, pour nous irriter.» Imaginez, si un journaliste ignore tout de la société des parlant français au Québec et ailleurs, ce que le citoyen dans la rue doit savoir sur nous...

Quant à leur attitude trop souvent supérieure, fort répandue sinon majoritaire grâce à des médias aussi mal foutus que leurs cours d'histoire, elle dure depuis 1760, s'est atténuée en surface mais mijote, prête à bouillir et à déborder au moindre incident. René Lévesque ne les appelait pas Rhodésiens pour rien. Leur attitude envers nous suinte encore de colonialisme, et si nous avions la moindre solidarité collective, il y a longtemps que nous aurions créé un pays à notre image...

Avec le déclin en cours, déclin qui s'accélère, de la langue française au Canada et au Québec, leur conviction que l'identité Canadian, la leur, est la seule au pays finira par devenir la réalité. N'oubliez jamais: ils sont majoritaires, ils font la loi. Dans leur multiculturalisme, nous serons une minorité folklorisée comme les autres. Nous devrons continuer à pester, demander, quêter, sans jamais avoir le droit ultime de décider comme une nation normale... Il y aura bien d'autre Juno et d'autres The Story of Us...

Il n'y a qu'un moyen de combattre pour assurer la pérennité de notre langue et de notre culture. Mais ça prend une volonté politique, la solidarité, du courage. Et pour le moment, on a un gouvernement de lavettes qui veut créer de jeunes générations de lavettes dans un Québec bilingue et soumis...





3 commentaires:

  1. D'abord merci monsieur Allard.
    Vous décrivez avec clarté la réalité de nos contradictions, le ton de vos écrits à ce propos est des plus modérés, imaginez si vous étiez aussi caustique qu'eux le sont vis-à-vis de nous, on vous accuserait de nazisme.

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  2. Nous avons une anecdote familiale selon laquelle une de mes tantes à qui on demandait à la frontière quelle était sa nationalité a répondu "Je suis Franco-Ontarienne". "That's not a nationality" de lui répondre l'agent. "You f..ing right it is!" lui lança-t-elle. Je suis, comme elle, d'origine "hyphenated Canadian" vivant au Québec depuis maintenant plus de la moitié de ma vie, tristement témoin des préjugés dont vous parlez, monsieur Allard, même parmi les membres de ma famille. Et avec le temps, je suis devenue une fervente indépendantiste, sachant pertinemment que sans l'indépendance, sans un havre pour protéger notre belle langue et nos belles cultures, nous les Franco-Canadiens deviendrons Canadian, puis Canadian-American, puis à la fin, simplement des Americans qui baragouineront leur langue sans avoir, comme les Acadiens et les Cajuns, l'endroit pour se ressourcer qu’est présentement le Québec.

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  3. Je suis né à une époque et en Abitibi où nous nous disions ''Canadiens'', les autres c'étaient les Anglais. Puis nous sommes déménagés dans le compté de Pontiac au Québec où tout était Anglais et où les Francophones anglicisaient leurs noms par honte. Ça m'a interpellé et j'ai voulu comprendre et connaître qui étaient ces maîtres, j'ai appris leur langue, me suis intéressé à leurs valeurs , leur culture leurs façon de penser et surtout les fréquenter et les faire parler ouvertement en leur faisant baisser la garde (lorsqu'ils sont saouls) ils s'ouvrent et laissent tomber les masques. Je suis devenu indépendantiste même si je voyage toujours dans leur pays, je sais bien qu'il ne sera jamais le mien.

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